Numéro 9 - Septembre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2018

PREUVE

1re Civ., 26 septembre 2018, n° 17-20.143, (P)

Rejet

Règles générales – Charge – Applications diverses – Santé publique – Etablissement de santé – Perte du dossier médical – Effet

Sur les moyens réunis du pourvoi principal et du pourvoi incident :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 avril 2017), qu'à la suite d'un accouchement, pratiqué le 26 décembre 2002, dans les locaux de la société Polyclinique du parc Rambot (la polyclinique) par M. X..., gynécologue obstétricien exerçant son activité à titre libéral, Mme Y... a présenté une lésion du périnée, entraînant des incontinences urinaire et anale, consécutive à l'utilisation, pour extraire l'enfant qui présentait des troubles du rythme cardiaque, de spatules de Thierry ; qu'elle a saisi d'une demande d'indemnisation la commission régionale de conciliation et d'indemnisation Provence-Alpes-Côte d'Azur (la CCI) qui a ordonné une expertise ; que, celle-ci ayant mis en évidence la perte du dossier de l'accouchement et du séjour de Mme Y..., la CCI a, par un avis du 28 mai 2009, estimé que la réparation des préjudices incombait à la polyclinique et à son assureur, la société Axa France IARD (l'assureur) ; qu'en raison du refus de ce dernier d'indemniser Mme Y..., l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) s'est substitué à l'assureur et l'a indemnisée ; que, subrogé dans les droits de la patiente en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, il a assigné la polyclinique et son assureur en remboursement des sommes versées ;

Attendu que l'ONIAM, d'une part, la polyclinique et son assureur, d'autre part, font grief à l'arrêt de condamner les seconds à rembourser au premier les sommes versées à Mme Y... à hauteur de 75 % au titre de la perte de chance subie par celle-ci d'obtenir la réparation de son préjudice corporel, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en cas de perte par la faute de l'établissement de santé du dossier médical d'un patient ayant subi un accident médical imputable à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins réalisé en son sein, sans lequel ce patient se trouve dans l'impossibilité d'établir si cet acte a été pratiqué dans les règles de l'art, cet établissement doit être considéré comme la « personne responsable » en application de l'article L. 1142- 15, alinéa 4, du code de la santé publique ; qu'eu égard au caractère subsidiaire de la solidarité nationale, cette responsabilité est encourue pour l'intégralité des dommages subis par le patient et pour l'indemnisation desquels l'ONIAM est subrogé dans les droits dudit patient en application des dispositions précitées ; qu'ayant constaté que la perte du dossier médical constituait une faute de la polyclinique dans l'organisation des soins qui engageait sa responsabilité au regard de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, que les dommages subis par la patiente résultaient des actes des soins prodigués au cours de l'accouchement et que la perte dudit dossier empêchait de déterminer si ces soins avaient été conformes aux règles de l'art, la cour d'appel, en ne condamnant l'établissement qu'à l'indemnisation d'une perte de chance pour la patiente d'obtenir réparation de son dommage, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles L. 1142-15 et L. 1142-1 du code de la santé publique dans leurs rédactions applicables ;

2°/ que le recours subrogatoire de l'ONIAM, après qu'il a indemnisé la personne victime d'un accident médical, ne peut être exercé que contre la personne responsable de l'accident ; qu'à cet égard, l'établissement de soins ne répond pas des conséquences des actes pratiqués par un praticien exerçant en son sein à titre libéral ; que, pour condamner la polyclinique et son assureur de responsabilité à rembourser à l'ONIAM la somme de 52 842,85 euros correspondant à 75 % des sommes versées par cet office à Mme Y... en indemnisation des préjudices qui seraient résulté de l'accouchement de cette dernière, pratiqué par M. X..., praticien exerçant à titre libéral au sein de la polyclinique, la cour d'appel a retenu que la perte du dossier médical de Mme Y... constituait une faute de cet établissement et qu'il appartenait à la polyclinique et à son assureur de fournir les éléments permettant de retracer le déroulement précis de l'accouchement et de rapporter la preuve qu'il avait été réalisé dans les règles de l'art, et de l'absence de lien de causalité entre la perte du dossier et la perte de chance subie par la victime d'obtenir la réparation de son préjudice corporel ; qu'en statuant de la sorte, quand la perte du dossier médical de Mme Y..., si elle constituait une faute de la polyclinique, ne pouvait avoir pour effet de substituer la responsabilité de cet établissement à celle de M. X..., praticien libéral sous la responsabilité duquel l'accouchement de Mme Y... avait été effectué, la cour d'appel a violé les articles L. 1142-1 et L. 1142-15 du code de la santé publique ;

Mais attendu, d'abord, que les professionnels de santé et les établissements de santé engagent leur responsabilité en cas de faute, sur le fondement de l'article L. 1142-1, I, alinéa 1, du code de la santé publique ; que, lorsqu'ils exercent leur activité à titre libéral, les premiers répondent personnellement des fautes qu'ils ont commises ; que les seconds engagent leur responsabilité en cas de perte d'un dossier médical dont la conservation leur incombe ; qu'une telle perte, qui caractérise un défaut d'organisation et de fonctionnement, place le patient ou ses ayants droit dans l'impossibilité d'accéder aux informations de santé concernant celui-ci et, le cas échéant, d'établir l'existence d'une faute dans sa prise en charge ; que, dès lors, elle conduit à inverser la charge de la preuve et à imposer à l'établissement de santé de démontrer que les soins prodigués ont été appropriés ;

Attendu, ensuite, que, lorsque l'établissement de santé n'a pas rapporté une telle preuve et que se trouve en cause un acte accompli par un praticien exerçant à titre libéral, la faute imputable à cet établissement fait perdre au patient la chance de prouver que la faute du praticien est à l'origine de l'entier dommage corporel subi ; que cette perte de chance est souverainement évaluée par les juges du fond ;

Attendu, enfin, qu'à la suite de l'avis d'une CCI concluant à la responsabilité d'un établissement de santé, du refus de l'assureur de ce dernier de procéder à une offre d'indemnisation et de la substitution à cet assureur de l'ONIAM, ce dernier se trouve, selon l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, subrogé dans les droits de la victime, à concurrence des sommes qu'il lui a versées dans le cadre d'une transaction, contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ; que l'ONIAM peut ainsi exercer une action à leur encontre au titre de la responsabilité consécutive à la perte du dossier médical d'un patient et à l'absence de preuve que les soins prodigués à celui-ci ont été appropriés ; que le juge détermine alors, sans être lié par l'avis de la commission ni par le contenu de la transaction, si la responsabilité de l'établissement de santé est engagée et, dans l'affirmative, évalue les préjudices consécutifs à la faute commise, afin de fixer le montant des indemnités dues à l'ONIAM ;

Et attendu qu'ayant relevé que la polyclinique avait perdu le dossier médical de Mme Y... et n'était pas en mesure d'apporter la preuve qu'aucune faute n'avait été commise lors de l'accouchement, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que l'ONIAM était fondé à exercer un recours subrogatoire à l'encontre de cet établissement de santé et de l'assureur ; que, compte tenu des conditions d'exercice du praticien dont les actes étaient critiqués, elle a justement énoncé que la faute imputable à la polyclinique avait fait perdre à l'intéressée la chance d'obtenir la réparation de son dommage corporel qu'elle a souverainement évaluée à hauteur de 75 % des préjudices en résultant ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Duval-Arnould - Avocat général : M. Sudre - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer -

Textes visés :

Articles L. 1142-1, I, et L. 1142-15 du code de la santé publique.

2e Civ., 13 septembre 2018, n° 17-20.099, (P)

Cassation partielle

Règles générales – Moyen de preuve – Expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties – Elément suffisant (non)

Donne acte à la société Etablissements Haristoy (la société Haristoy) du désistement partiel de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Allianz IARD ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'afin de réaliser des travaux d'élargissement d'une autoroute, la société Eurovia Grands projets et industrie (la société Eurovia GPI) a fait appel courant 2012 à la société TBM Hendaye (la société TBM) pour lui livrer des enrobés ; que cette dernière a loué auprès de la société Haristoy, assurée pour sa responsabilité auprès de la société Allianz IARD, une semi-remorque avec benne assurée auprès de la société GAN assurances (la société GAN) ; que, le 28 juin 2012, un accident s'est produit sur le chantier à la suite de la rupture de l'axe de rotation arrière droit de la benne dans lequel le véhicule de la société Libaros a été endommagé ; que cet accident ayant retardé la poursuite du chantier, la société Eurovia GPI a assigné en indemnisation de ses préjudices la société Haristoy et son assureur ainsi que la société GAN ; que celle-ci, pour s'opposer aux demandes, a versé aux débats un rapport d'expertise établi, en présence des sociétés Haristoy et TBM, par M. A..., l'expert qu'elle avait mandaté, pour qui l'origine du sinistre était imputable à la société Haristoy qui n'avait pas procédé à la réparation de la fissure affectant cet axe de rotation depuis un grave accident subi en 2009 par la benne ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal de la société Haristoy, pris en sa première branche, qui est recevable comme né de la décision attaquée :

Vu l'article 16 du code de procédure civile ;

Attendu que, pour dire que la responsabilité de la société Haristoy est établie dans l'accident du 28 juin 2012, l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que la qualité de l'expertise de M. A..., réalisée lors d'opérations menées contradictoirement, confère à ses conclusions une force qui ne peut être ignorée d'autant qu'aucun autre élément, ni pièces ni expertise complémentaire, n'est produit, en particulier par la société Haristoy, de nature à les contrecarrer ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est fondée exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties, peu important qu'elle l'ait été en présence des parties, a violé le texte susvisé ;

Et sur le second moyen du pourvoi incident de la société GAN, pris en sa seconde branche :

Vu les articles 1382, devenu 1240, et 1384, alinéa 1, devenu 1242, alinéa 1, du code civil ;

Attendu que, pour limiter à la somme de 7 500 euros la condamnation de la société Haristoy envers la société GAN au titre de l'action récursoire exercée par celle-ci, l'arrêt énonce que si cette dernière sollicite la condamnation de la société Haristoy à lui payer la somme de 15 000 euros en remboursement de l'indemnité qu'elle a payée à l'assureur de la société Libaros, il convient, dès lors que la responsabilité des sociétés TBM et Haristoy est partagée dans l'accident, la première au titre de l'article 1384, alinéa 1, du code civil et la seconde au titre de l'article 1382 de ce code, de ne pas faire droit pour le tout au recours contributif ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'un coauteur, responsable d'un accident sur le fondement de l'article 1242, alinéa 1, du code civil, peut recourir pour le tout contre un coauteur fautif, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement déféré disant que la responsabilité de la société Haristoy est établie et la condamne à payer à la société GAN assurances la somme de 7 500 euros au titre de l'indemnité versée à l'assureur des établissements Libaros, l'arrêt rendu le 23 janvier 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

- Président : Mme Flise - Rapporteur : M. Becuwe - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Marc Lévis ; SCP Odent et Poulet -

Textes visés :

Article 16 du code de procédure civile. N2 article 1382, devenu 1240, et article 1384, alinéa 1, devenu 1242, alinéa 1, du code civil.

Rapprochement(s) :

Ch. mixte., 28 septembre 2012, pourvoi n° 11-18.710, Bull. 2012, Ch. mixte, n° 2 (rejet).

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