Numéro 9 - Septembre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2018

PRET

Com., 5 septembre 2018, n° 17-15.866, (P)

Rejet

Prêt d'argent – Prêt assorti d'un contrat d'assurance de groupe – Souscripteur – Obligations – Obligation d'information – Manquement – Caractère manifestement erroné des motifs transmis par l'assureur pour éviter la prise en charge

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 23 novembre 2016), que, les 5 avril 2005 et 29 août 2007, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc (la banque) a consenti deux prêts à M. et Mme X... ; qu'en garantie de ces prêts, ces derniers ont adhéré au contrat d'assurance de groupe souscrit par la banque auprès de la société CNP assurances (l'assureur) ; que, M. X... ayant été victime d'un accident vasculaire cérébral le 18 février 2009, les emprunteurs ont demandé la prise en charge du remboursement des prêts par l'assureur ; que, cette prise en charge leur ayant été refusée le 19 mars 2009 puis le 1er juillet 2010, ils ont assigné la banque pour obtenir la mise en oeuvre de la garantie ; que, mis en cause, l'assureur a accepté le principe de la prise en charge sous réserve que les conditions de la perte totale et irréversible d'autonomie soient remplies ; qu'une expertise médicale a conclu à la perte totale et irréversible d'autonomie de M. X... depuis la date de son accident ; que, par une ordonnance du 19 septembre 2013, le juge de la mise en état a donné acte à l'assureur qu'il confirmait le principe de la mise en oeuvre de la garantie, ordonné la mainlevée du prélèvement des échéances et condamné la banque à rembourser à M. et Mme X... les mensualités reçues depuis le 18 février 2009 ; que M. et Mme X... ont ensuite poursuivi l'indemnisation, par la banque et par l'assureur, de leur préjudice financier et moral ;

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec l'assureur, à indemniser M. et Mme X... alors, selon le moyen :

1°/ que le contractant est tenu de réparer le seul dommage que son cocontractant subit du fait du manquement qu'il commet à ses obligations ; que le prélèvement indu auquel la société caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc a procédé en octobre 2013 ne constitue pas la cause, ou une des causes, du préjudice matériel et moral que M. et Mme X... ont subi du fait du refus de garantie injustifié que la société CNP assurances leur a opposé les 19 mars 2009 et 1er juillet 2010, soit quatre ans auparavant ; qu'en faisant état de ce prélèvement indu pour condamner la société caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc, in solidum avec la société CNP assurances, à réparer ce préjudice matériel et moral, la cour d'appel a violé les articles 1147 ancien et 1231-1 nouveau du code civil ;

2°/ que les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'en reprochant à la société caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc d'avoir prélevé, jusqu'à l'ordonnance rendue, le 19 septembre 2013, par la juridiction de la mise en état du tribunal de grande instance de Béziers, les mensualités de remboursement que prévoyaient les prêts qu'elle a consentis à M. et Mme X..., sans justifier que la société caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc aurait commis un abus ou une faute dans l'exercice du droit de prélèvement que lui accordaient ces deux prêts, la cour d'appel a violé les articles 1147 ancien et 1231-1 nouveau du code civil ;

3°/ que le contractant est tenu de réparer le seul dommage que son cocontractant subi du fait du manquement qu'il commet à ses obligations ; que les prélèvements contractuels auxquels la société caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc a procédé jusqu'à l'ordonnance rendue, le 19 septembre 2013, par la juridiction de la mise en état du tribunal de grande instance de Béziers ne constituent pas la cause, ou une des causes, du préjudice matériel et moral que M. et Mme X... ont subi du fait du refus de garantie injustifié que la société CNP assurances leur a opposé les 19 mars 2009 et 1er juillet 2010 ; qu'en faisant état de ces prélèvements contractuels pour condamner la société caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc, in solidum avec la société CNP assurances, à réparer ce préjudice matériel et moral, la cour d'appel a violé les articles 1147 ancien et 1231-1 nouveau du code civil ;

4°/ que, si le banquier souscripteur d'une assurance de groupe est tenu, pendant l'exécution du prêt, d'une obligation de conseil envers son client, il n'est tenu ni de prendre parti sur le refus de garantie que l'assureur oppose à celui-ci, ni d'accomplir des démarches auprès de l'assureur pour l'inciter à accorder à son client une garantie qu'il a lui a refusée par deux fois ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1147 ancien et 1231-1 nouveau code civil ;

5°/ que le préjudice consécutif à un manquement à l'obligation de conseil s'analyse en un préjudice résultant de la perte d'une chance d'éviter le dommage finalement subi ; que la réparation à laquelle donne lieu l'application de la théorie des chances perdues est nécessairement moindre que celle à laquelle donnerait lieu le préjudice finalement subi ; qu'en décidant que le manquement de la société caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc à son obligation de conseil a contribué à l'intégralité du dommage matériel et moral que M. et Mme X... ont subi du fait du refus de garantie injustifié que la société CNP assurances leur a opposé les 19 mars 2009 et 1er juillet 2010, la cour d'appel a violé les articles 1147 ancien et 1231-1 nouveau du code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir estimé, par motifs propres et adoptés, que l'assureur avait fait preuve de mauvaise foi dans la gestion du sinistre, l'arrêt relève que les emprunteurs ont adhéré au contrat d'assurance de groupe par l'intermédiaire de la banque, souscripteur de ce contrat, que celle-ci est restée leur seul interlocuteur, de la conclusion du contrat à l'issue des procédures judiciaires, et que c'est elle qui les a informés à deux reprises du refus de garantie en leur opposant, pour éviter cette prise en charge, des arguments que la simple lecture du contrat permettait d'identifier comme étant faux ; qu'il retient ensuite que c'est en parfaite connaissance de l'ordonnance du juge de la mise en état du 19 septembre 2013 que la banque a prélevé l'échéance du mois d'octobre 2013 ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, dont il résulte que la banque avait, d'abord, manqué à ses obligations en n'informant pas les emprunteurs du caractère manifestement erroné des motifs de refus de garantie transmis par l'assureur et, ensuite, fautivement prélevé l'échéance d'octobre 2013, la cour d'appel a pu en déduire, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deuxième et quatrième branches, l'existence d'un lien de causalité entre ces manquements et les préjudices, financier et moral, subis par les emprunteurs du fait de la prise en charge tardive du remboursement du prêt par l'assureur, et donc des prélèvements effectués antérieurement à l'ordonnance du 19 septembre 2013, comme du fait du prélèvement effectué postérieurement à cette ordonnance ;

Et attendu, en second lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni de ses conclusions devant la cour d'appel que la banque ait soutenu que le préjudice causé par les manquements qui lui étaient reprochés ne pouvait consister qu'en une perte de chance ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa cinquième branche et inopérant en ses deuxième et quatrième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : M. Blanc - Avocat général : M. Le Mesle (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Capron ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia -

Textes visés :

Article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

1re Civ., 26 septembre 2018, n° 16-25.184, (P)

Cassation partielle

Promesse unilatérale de vente – Prêt à l'acquéreur des sommes constitutives de l'indemnité d'immobilisation par l'agent immobilier – Remise des fonds au notaire en l'absence de mandat spécial écrit – Droit à la restitution de la chose prêtée – Caractère illicite mais non immoral du versement

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par acte authentique des 31 mars et 4 avril 2008, M. B... (le promettant) a consenti, par l'intermédiaire de la société Consultants immobilier (l'agent immobilier), une promesse unilatérale de vente au bénéfice de Mme X..., portant sur un immeuble situé à Paris, moyennant le prix de 4 100 000 euros ; qu'une indemnité d'immobilisation de 410 000 euros correspondant à 10 % du prix était prévue au cas où la vente, dont la réitération était fixée au 30 juin 2008, n'aurait pas lieu ; que, sur ce montant, la somme de 205 000 euros a été versée par l'agent immobilier au notaire, pour le compte de Mme X... ; que, par acte sous seing privé du 18 juin 2008, celle-ci s'est substitué M. Z... dans ses droits dans la promesse unilatérale de vente ; que l'option n'ayant pas été levée, le notaire a versé la somme de 205 000 euros au promettant à titre d'indemnité d'immobilisation ; que l'agent immobilier a assigné Mme X... et M. Z... en remboursement de cette somme ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu que l'agent immobilier fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement, alors, selon le moyen, que les règles édictées par l'article 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 et son décret d'application, qui font notamment interdiction à un agent immobilier de recevoir, détenir et remettre une somme d'argent sans mandat exprès, n'ont vocation à s'appliquer qu'aux conventions portant sur la vente d'un bien ou l'une des opérations visées à l'article 1er de la loi et ne s'appliquent pas à un contrat de prêt, quand bien même ce dernier serait consenti par l'agent immobilier, lequel contrat emporte nécessairement l'obligation par l'emprunteur de restituer la somme prêtée ; qu'en l'espèce, en relevant, pour dire que l'agent immobilier ne disposait pas de créance sur Mme X... et sur M. Z..., que la remise des fonds au notaire, à défaut de mandat exprès de Mme X..., était illicite, après avoir pourtant relevé que les fonds en cause avaient été prêtés à Mme X... par l'agent immobilier, ce dont il se déduisait nécessairement que Mme X... était tenue de les lui restituer, peu important que leur remise au notaire ait été illicite au regard de l'article 6 de la loi du 2 janvier 1970 et de son décret d'application dès lors que ces dispositions ne s'appliquaient pas au contrat de prêt, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé, par fausse application, les articles 6 de la loi du 2 janvier 1970 et 76 du décret du 20 janvier 1972 et, par refus d'application, les articles 1875 et 1902 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé que l'agent immobilier avait disposé des fonds prêtés à Mme X... en les remettant au notaire pour le paiement d'une partie de l'indemnité d'immobilisation convenue dans la promesse unilatérale de vente, et que, titulaire d'un mandat non exclusif de vente émanant du promettant, il ne disposait d'aucun mandat écrit de celle-ci l'autorisant à procéder de la sorte, la cour d'appel en a exactement déduit que cette remise de fonds était illicite ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur la seconde branche du moyen :

Vu l'article 1902 du code civil ;

Attendu que, pour rejeter la demande en paiement, l'arrêt retient que, la remise des fonds par l'agent immobilier étant illicite, celui-ci ne dispose d'aucune créance ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le caractère illicite, mais non immoral, de ce versement ne privait pas l'agent immobilier de son droit à restitution de la seule somme par lui remise, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande en paiement de la somme de 205 300 euros formée par la société Consultants immobilier contre Mme X... et M. Z..., l'arrêt rendu le 14 octobre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : M. Sudre - Avocat(s) : Me Haas -

Textes visés :

Article 6, I, de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 ; article 1902 du code civil.

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