Numéro 9 - Septembre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2018

DROIT MARITIME

Com., 19 septembre 2018, n° 17-16.679, (P)

Rejet

Navire – Propriété – Responsabilité du propriétaire – Limitation – Bénéficiaires – Assureur – Conditions – Constitution du fonds de limitation de responsabilité – Délai – Absence – Portée

Il résulte de l'article L. 173-24 du code des assurances que la constitution d'un fonds de limitation de responsabilité, qui n'est soumise à aucun délai et peut intervenir postérieurement à l'assignation en paiement de l'indemnité d'assurance, fait perdre à la victime son droit d'agir directement contre l'assureur en paiement de cette indemnité, cette dernière ayant été affectée spécialement et exclusivement au fonds de limitation.

En conséquence doit être approuvée la cour d'appel qui, ayant constaté qu'à la date à laquelle elle statuait, un fonds de limitation avait été constitué pour le règlement des créances nées de l'abordage survenu entre deux navires, déclare irrecevable l'action directe contre l'assureur de l'un d'entre eux.

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, dans la nuit du 18 au 19 août 2007, le navire [...], appartenant à M. B..., qui mouillait au large de l'Ile [...] (Venezuela), a heurté le catamarran [...] qui mouillait à proximité ; que l'abordage ayant entraîné la perte du [...], M. Y..., son propriétaire, a assigné, le 7 mai 2009, la société European Insurance Services, par l'intermédiaire de laquelle avait été assuré le navire [...], en réparation de son préjudice ; qu'après avoir été autorisée à constituer avec M. B... un fonds de limitation de responsabilité par une ordonnance du 15 juin 2009, la société de droit allemand Gothaer Allgemeine Versicherung AG, assureur du navire, est intervenue volontairement à l'instance ;

Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de déclarer son action directe contre l'assureur irrecevable alors, selon le moyen :

1°/ que si l'assureur peut se prévaloir à l'égard des créanciers de son assuré de la règle énoncée à l'article L. 173-24 du code des assurances, et applicable à la navigation de plaisance, selon laquelle ces créanciers victimes n'ont pas d'action contre l'assureur, c'est à la condition toutefois qu'un fonds de limitation ait été constitué ; que cette condition du droit d'agir de la victime directement à l'encontre de l'assureur doit être appréciée à la date d'introduction de l'action ; qu'en déclarant pourtant irrecevable l'action de l'exposant introduite directement à l'encontre de l'assureur, cependant qu'à la date d'introduction de l'instance aucun fonds de limitation n'avait été constitué, la cour d'appel a violé les articles L. 173-24 du code des assurances et 122 du code de procédure civile ;

2°/ que l'assureur ne peut pas se prévaloir à l'égard des créanciers de son assuré de la règle énoncée à l'article L. 173-24 du code des assurances, s'il est établi que le dommage résulte d'un acte ou d'une omission de son assuré qui a eu lieu soit avec l'intention de provoquer un tel dommage, soit témérairement et avec conscience qu'un dommage en résulterait probablement ; qu'en l'espèce, pour faire droit à la demande de l'assureur à ce titre, la cour d'appel s'est bornée à énoncer qu'« aucune de ces pièces ne permet de retenir d'une part que M. B... a intentionnellement choisi de mouiller son navire "[...]" à une distance trop proche du mouillage du navire "[...]" de M. Y..., et d'autre part que lors de la nuit du sinistre (18 au 19 août 2007) ont été annoncés ou sont survenus des vents d'une ampleur telle que le dérapage du mouillage du premier était plus que probable » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si le dommage survenu ne résultait pas d'un défaut de mouillage imputable à M. B... et si ce manquement qu'il reconnaissait lui-même n'avait pas été commis, au regard des prévisions météorologiques et notamment du passage de l'ouragan « Dean » au nord de la zone, témérairement avec conscience qu'un dommage en résulterait probablement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 173-24 du code des assurances et 58 de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 devenu l'article L. 5121-3 du code des transports ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté que M. B... avait précisé dans sa déclaration de sinistre que "(...) suite à un mauvais mouillage de ma part (pas assez de chaîne) mon bateau a chassé, j'ai percuté l'avant du bateau [...] avec ma jupe arrière provoquant son désancrage et son échouage sur la barrière de corail » a retenu qu'aucune des pièces produites ne permettait de retenir que M. B... avait intentionnellement choisi de mouiller son navire à une distance trop proche de celui de M. Y... et, que dans la nuit du sinistre avaient été annoncés ou étaient survenus des vents d'une ampleur telle que le dérapage du mouillage du premier était plus que probable ; que par ces constatations et appréciations, qui rendaient inopérante la recherche invoquée par la seconde branche, la cour d'appel a pu écarter la faute inexcusable de M. B... ;

Et attendu, en second lieu, qu'il résulte de l'article L. 173-24 du code des assurances que la constitution d'un fonds de limitation de responsabilité, qui n'est soumise à aucun délai et peut intervenir postérieurement à l'assignation en paiement de l'indemnité d'assurance, fait perdre à la victime son droit d'agir directement contre l'assureur en paiement de cette indemnité, cette dernière ayant été affectée spécialement et exclusivement au fonds de limitation ; qu'ayant constaté qu'à la date à laquelle elle statuait, un fonds de limitation avait été constitué pour le règlement des créances nées de l'abordage survenu entre les navires [...] et [...], la cour d'appel en a exactement déduit que l'action directe contre l'assureur du navire [...] était irrecevable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Schmidt - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Bénabent ; Me Le Prado -

Textes visés :

Article L. 173-24 du code des assurances.

Com., 19 septembre 2018, n° 17-17.748, (P)

Rejet

Navire – Réparation – Action en paiement des travaux – Réception – Réception tacite – Reprise de possession du navire – Conditions – Volonté non équivoque du donneur d'ordre d'accepter les travaux

La réception de travaux de réparation navale est l'acte par lequel celui qui les a commandés les accepte, avec ou sans réserves, et si cette réception peut être tacite et résulter de la reprise de possession du navire, c'est à la condition que soit caractérisée la volonté non équivoque du donneur d'ordre d'accepter les travaux.

Navire – Réparation – Action en paiement des travaux – Réception – Conditions – Acceptation avec ou sans réserves

Sur le premier moyen :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 7 mars 2017) et les productions, que la société Clerivet marine (la société) a effectué en décembre 2010 des travaux de réparation sur un navire appartenant à M. Y..., facturés le 31 décembre 2010 pour un montant de 9 422 euros ; que le 18 avril 2012, la société a été mise en liquidation judiciaire et M. Z... nommé en qualité de liquidateur ; que le 21 mai 2013, M. Z..., ès qualités, a assigné M. Y... en paiement du montant de la facture ;

Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de déclarer l'action non prescrite alors, selon le moyen, que l'action en paiement du prix de travaux de réparation exécutés sur un navire se prescrit dans le délai d'un an à compter de leur réception ; que la réception tacite des travaux est caractérisée par la prise de possession du navire par son propriétaire ; que, pour décider que la prescription n'avait pas commencé à courir, la cour d'appel a énoncé que M. Y... a pris possession de ce navire le 27 décembre 2010, sans formaliser une réception des travaux, cette prise de possession ne pouvant s'assimiler à une réception tacite ; qu'elle estimait encore que M. Y... n'avait pas accepté les travaux effectués du 20 au 24 décembre et relevait que ce dernier n'a jamais réglé la facture éditée le 31 décembre 2010 ; qu'en statuant ainsi, cependant que la seule prise de possession du navire le 27 décembre 2010 emportait réception des travaux de réparation et faisait courir le délai de prescription annal, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4, II, du code de commerce ;

Mais attendu que l'arrêt énonce exactement que la réception de travaux de réparation navale est l'acte par lequel celui qui les a commandés les accepte, avec ou sans réserves, et que, si cette réception peut être tacite et résulter de la reprise de possession du navire, c'est à la condition que soit caractérisée la volonté non équivoque du donneur d'ordre d'accepter les travaux ; que le moyen, qui, en ce qu'il soutient que la prise de possession du navire suffirait à elle seule, sans autre circonstance, à établir la réception, procède d'un postulat erroné, n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Fontaine - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : Me Le Prado -

Textes visés :

Article L. 110-4 du code de commerce.

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