Numéro 8 - Août 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

CONCURRENCE

Com., 30 août 2023, n° 22-14.094, (B), FS

Rejet

Pratique anticoncurrentielle – Abus de position dominante – Action en responsabilité – Prescription – Délai – Point de départ – Détermination – Connaissance des faits et de leur portée par la victime – Décision de l'Autorité de la concurrence

Saisie d'une demande de réparation du préjudice causé par un abus de position dominante, une cour d'appel, après une appréciation souveraine des faits faisant ressortir que les informations connues de la victime devaient être rapprochées d'autres éléments issus de l'instruction menée par l'Autorité de la concurrence pour déterminer si, examinés dans leur globalité et à la lumière d'une analyse concurrentielle, ils étaient de nature à manifester l'existence d'un comportement fautif, juge à bon droit que seule la décision de cette autorité avait donné connaissance à la victime des faits et de leur portée lui permettant d'agir, de sorte que la prescription n'avait commencé à courir qu'à compter de la date de cette décision.

Autorité de la concurrence – Décision – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 février 2022), le 14 mai 2013, l'Autorité de la concurrence (l'Autorité), saisie, le 2 septembre 2009, par la société Teva santé, de pratiques dénoncées par celle-ci, a prononcé une sanction pécuniaire contre la société Sanofi-Aventis France, en tant qu'auteur de la pratique, et la société Sanofi, en sa qualité de société mère de la précédente (les sociétés Sanofi), pour avoir enfreint les dispositions de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), ainsi que celles de l'article L. 420-2 du code de commerce, en mettant en oeuvre, entre le mois de septembre 2009 et le mois de janvier 2010, une pratique de dénigrement des médicaments génériques concurrents du « Plavix® » sur le marché français du clopidogrel commercialisé en ville, constitutive d'un abus de position dominante.

2. Antérieurement, par une décision n° 10-D-16 du 17 mai 2010 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société Sanofi-Aventis France, l'Autorité, considérant que les pratiques des sociétés Sanofi, qu'elle décrivait, pourraient, sous réserve de l'instruction au fond, être qualifiées de dénigrement des génériques du « Plavix® », à l'exception de l'autogénérique Clopidogrel Winthrop, ayant pour objet d'évincer des produits concurrents du marché, et dans la mesure où elles émanaient d'une entreprise en position dominante, être considérées comme abusives au sens des textes précités, a renvoyé l'affaire à l'instruction au fond, et rejeté la demande de mesures conservatoires formulées par la société Teva santé, faute qu'il ait été, en l'état, établi que les pratiques dénoncées aient porté une atteinte grave et immédiate au secteur pharmaceutique ou à l'assurance-maladie non plus qu'à l'entreprise plaignante.

3. Le 18 octobre 2016, la décision de sanction est devenue définitive, le recours devant la cour d'appel, puis le pourvoi, des sociétés Sanofi, ayant été successivement rejetés.

4. Les 12 et 13 septembre 2017, la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (la CNAM) a assigné les sociétés Sanofi en réparation de son préjudice.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Les sociétés Sanofi font grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de la CNAM, de dire, évoquant l'affaire au fond, qu'elles ont commis des pratiques abusives constitutives d'une faute au sens de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, de dire que ces pratiques avaient eu un effet dommageable pour la CNAM et, avant dire droit sur la réparation du préjudice de la CNAM, d'ordonner une expertise, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'article 2224 du code civil que la prescription de l'action en responsabilité civile exercée par la victime de pratiques anticoncurrentielles commence à courir à compter du jour où celle-ci a connaissance ou aurait dû avoir connaissance des faits lui révélant l'existence de pratiques lui ayant causé préjudice, et non à compter du jour où elle a acquis une certitude quant à la matérialité de ces pratiques et à leur illicéité par l'effet de la décision de l'Autorité les sanctionnant ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la CNAM avait disposé d'importantes informations résultant de la surveillance du taux de générification du Plavix®", qu'elle avait disposé, dès 2009, de remontées de terrain révélant, sur tout le territoire national, une « confusion chez les praticiens faisant suite à des visites commerciales des délégués de Sanofi-Aventis », qu'elle avait disposé des informations résultant de la saisine de l'Autorité par la société Teva santé faisant état de pratiques de dénigrement consistant dans une communication « déformée » des visiteurs médicaux de Sanofi sur les génériques de Plavix®" auprès des professionnels de santé et que ces pratiques avaient été décrites « avec précision » dans la décision de l'Autorité du 17 mai 2010 ayant statué sur la demande de mesures conservatoires ; que la cour d'appel a également relevé qu'à la demande de l'Autorité, la CNAM avait, entre 2010 et 2011, joué un « rôle pivot » dans le cadre de l'instruction de cette plainte, qu'elle avait indiqué dès son audition du 9 juin 2010 avoir « constaté, au vu des remontées terrain et des courriers reçus, qu'il existait une forte interrogation chez certains praticiens de santé sur le caractère substituable des génériques de Plavix® et leur dangerosité pour la santé du patient », que cette confusion faisait suite à des visites des visiteurs médicaux de Sanofi, et qu'elle " pourrait expliquer le plafonnement du taux de substitution de Plavix® [constaté] depuis plusieurs mois »; que la cour d'appel a ajouté que la CNAM avait été auditionnée à de nombreuses autres reprises, qu'elle avait répondu à quatre demandes d'information l'invitant « à solliciter l'ensemble de son réseau pour connaître la teneur exacte du discours tenu auprès des praticiens de santé », puis avait procédé « à la remontée d'un maximum de détails sur le contenu du discours commercial » des visiteurs de Sanofi et « fourni des informations [sur] l'existence d'un discours répété visant les génériques de Plavix® et le probable impact de ce discours sur le taux de générification de celui-ci » ; qu'il ressort en outre des passages de la décision de l'Autorité auxquels la cour d'appel s'est référée que les remontées d'informations obtenues par la CNAM ont systématiquement fait état, dans chaque région, d'un discours répété des visiteurs médicaux de Sanofi, évoquant une absence de bioéquivalence entre le Plavix®" et ses génériques, un risque pour la santé des patients, de telle sorte que les médecins auraient été incités à prévenir en amont toute substitution du Plavix®" ; que la cour d'appel a enfin relevé que le 16 septembre 2011, la CNAM avait fourni une première estimation des conséquences financières de l'insuffisance de générification du Plavix®"; que pour juger néanmoins que la prescription de l'action indemnitaire de la CNAM n'avait commencé à courir qu'à compter de la décision de l'Autorité du 14 mai 2013, de sorte que cette action n'était pas prescrite, la cour d'appel a énoncé que la connaissance du caractère illicite de la pratique de Sanofi Aventis ne résultait pas des informations délivrées lors du discours commercial, mais de la façon dont celles-ci avaient été présentées, que Sanofi Aventis avait contesté la matérialité des faits tant devant l'Autorité que devant les juridictions de recours, que l'Autorité avait effectué d'autres mesures d'instruction pour conforter les remontées d'informations obtenues de la CNAM et que celle-ci n'avait, dès lors, pu se convaincre par elle-même de l'illicéité de la communication des visiteurs médicaux de Sanofi à défaut de disposer des pouvoirs d'instruction de l'Autorité et de connaître son analyse particulière ; qu'en subordonnant ainsi le jeu de la prescription à la constatation certaine des pratiques et à la reconnaissance de leur illicéité par l'Autorité, cependant qu'il résultait de ses propres constatations qu'avant même que ne survienne cette décision, la CNAM avait eu connaissance de faits révélant l'existence probable de pratiques de dénigrement et du dommage qu'elles pouvaient lui avoir occasionné, ce dont il s'évinçait qu'elle était en mesure d'exercer une action indemnitaire, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil ;

2°/ qu'il résultait des termes mêmes de la décision de l'Autorité du 14 mai 2013 que les remontées d'informations transmises par la CNAM aux services de l'instruction avaient fait état d'un discours des visiteurs médicaux de Sanofi généralisé sur tout le territoire national mettant directement en cause la bioéquivalence du Plavix®" et de ses génériques et faisant état de risques pour la santé des patients qu'engendrerait leur substitution, du fait d'une différence de sels employés et d'une différence d'indications, ainsi que d'une crainte généralisée des professionnels de santé à l'égard des génériques du Plavix®" pour des raisons de différence de sels et d'indications, se traduisant par un recours anormal à la mention « non substituable » dans les ordonnances de Plavix®", tous éléments qui confirmaient la réalité des pratiques décrites dans la décision rendue sur la demande de mesures conservatoires ; qu'en affirmant néanmoins que la CNAM n'avait pu se convaincre par elle-même de l'illicéité de la communication des visiteurs médicaux de Sanofi, à défaut d'avoir connu l'analyse particulière que l'Autorité en ferait dans sa décision, ni d'avoir bénéficié de pouvoirs d'instruction semblables à ceux de l'Autorité, sans analyser, fût-ce sommairement, les réponses apportées par la CNAM aux demandes d'informations de l'Autorité, ni s'expliquer sur les constatations mêmes de la décision de cette dernière faisant apparaître que les remontées d'informations transmises par la CNAM constituaient la source première lui ayant permis d'établir la matérialité des faits, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que le point de départ de la prescription extinctive de l'action en responsabilité civile exercée par la victime de pratiques anticoncurrentielles n'est pas attaché à l'acquisition d'une certitude quant au lien de causalité direct entre les pratiques en cause et le dommage subi ; que la connaissance des faits dont se déduit l'existence probable d'un tel lien de causalité suffit à mettre le demandeur en mesure d'exercer ses droits ; qu'en l'espèce, il ressortait des termes de sa décision du 14 mai 2013 que l'Autorité s'était précisément fondée sur les données fournies par la CNAM à la requête des services d'instruction pour retenir que le taux de générification du Plavix®", avait anormalement baissé pour « s'élever à seulement 61,53 %" en août 2011 (décision, §§ 223-225), soit un taux de générification significativement inférieur à celui de toutes les autres molécules de référence pour lesquelles la CNAM avait fourni aux services de l'instruction de l'Autorité les données de comparaison pertinentes (§§ 229 à 232) et en déduire que ce profil atypique "(mettait) en évidence que les effets de la pratique se sont poursuivis alors même que celle-ci avait cessé d'être mise en oeuvre » (§ 668) ; qu'il ressortait encore de cette décision que la réponse de la CNAM du 4 octobre 2010 « contient un grand nombre d'éléments montrant un développement tout à fait singulier [des] mentions [non-substituable] concernant Plavix® ", qu' « un certain nombre de comptes rendus de délégués de l'Assurance maladie pour la région Aquitaine évoquent de très nombreuses mentions « NS » et une grande méfiance des pharmaciens à l'égard des génériques de Plavix® " et qu'il ressortait encore des réponses de la CNAM aux services de l'instruction que « dans de nombreuses régions de France, le discours de Sanofi-Aventis a eu un impact direct sur les professionnels de santé », nombre d'entre-eux ne proposant que le Plavix®" (décision, §§ 497 et suivants, § 520) ; qu'en énonçant néanmoins que le lien entre la faible générification du Plavix®" et les pratiques alléguées n'était pas encore « évident » pour la CNAM à l'époque où elle avait constaté ce retard du processus de générification du Plavix®" et qu'il lui avait fallu, pour s'en convaincre, attendre que l'Autorité « écarte les autres causes » et « établisse » le lien entre la position dominante de Sanofi et les pratiques, la cour d'appel, qui a par-là subordonné le jeu de la prescription à l'acquisition d'une certitude quant au lien de causalité entre le dommage et le fait générateur de responsabilité, cependant que la connaissance de faits rendant probable ce lien de causalité suffisait à faire courir la prescription, a violé l'article 2224 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause ;

4°/ que la cour d'appel a relevé que, dès le mois de juin 2010, soit avant même qu'elle ne procède aux mesures d'investigation sollicitées par les services de l'instruction de l'Autorité, la CNAM avait évoqué l'existence d'un lien entre la stagnation du taux de générification du Plavix®" et les pratiques révélées par ses remontées d'informations, puis avait fourni à l'Autorité des informations révélant « l'impact probable » des pratiques contestées sur le taux de générification du Plavix®" ; qu'en jugeant néanmoins que la prescription extinctive n'avait pu commencer à courir avant que l'Autorité n'ait écarté d'autres causes possibles susceptibles d'expliquer cette stagnation, puis cette baisse, du taux de générification du Plavix®" et établi le lien entre la position dominante de Sanofi et les pratiques alléguées, quand il résultait de ses propres constatations que la CNAM avait elle-même établi l'existence d'un lien probable entre ces pratiques et son dommage, la cour d'appel a violé, de plus fort, l'article 2224 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause ;

5°/ que le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ; qu'il ressortait des termes mêmes de la réponse transmise le 16 septembre 2011 par la CNAM à la mesure d'instruction par laquelle il lui était demandé de fournir une estimation des pertes financières causées à la CNAM en raison du retard pris dans la générification de Plavix®", pour l'année 2010 et jusqu'au mois d'août 2011, que la caisse avait écrit, sous le timbre d'un cabinet d'avocats spécialisé en droit de la concurrence, qu' « une évaluation basée sur l'hypothèse d'une augmentation progressive et continue de la part des génériques de Clopidogrel, débouchant sur un taux de générification de 85 % en août 2011 (soit un taux comparable aux taux observés sur les autres molécules à fort potentiel), conduit à une estimation d'économies non réalisées de l'ordre de 38 millions d'euros pour l'assurance maladie sur la période janvier 2010 - août 2011 » ; qu'en énonçant qu'il s'agissait là d'une simple estimation d'économies non réalisées au regard de son objectif de générification du Plavix®", et non d'une véritable évaluation de préjudice fondée sur la différence entre la courbe de générification réelle du clopidogrel et sa courbe de générification contrefactuelle si les pratiques n'avaient pas été commises, la cour d'appel a dénaturé le document susvisé ;

6°/ que le cours de la prescription n'est pas subordonné à une connaissance parfaite de l'étendue du dommage réparable ; qu'ainsi, la circonstance que le demandeur a fourni des évaluations différentes de son préjudice financier est sans emport sur le cours de la prescription ; qu'en relevant que dans le cadre de la présente action, la CNAM avait chiffré son préjudice par rapport à un scénario contrefactuel établi par un cabinet d'expertise privé, et non plus, comme elle l'avait fait devant l'Autorité, par référence à son objectif de générification, la cour d'appel, qui s'est fondée sur un motif inopérant, a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt retient qu'il résulte des pièces du dossier et des explications des parties que la CNAM disposait, entre 2010 et 2011, d'importantes informations, telles que celles résultant de la surveillance du taux de générification du « Plavix® », médicament le plus remboursé, des remontées de terrain par l'ensemble du réseau révélant une certaine confusion chez les praticiens faisant suite à des visites commerciales des délégués de la société Sanofi-Aventis, de la saisine de l'Autorité par la société Teva santé relayée par la presse faisant état d'une communication « déformée » relative aux génériques du « Plavix® », faite auprès des professionnels de santé, d'une étude rendue publique, le 6 juin 2012, sur les médicaments génériques et faisant état de la mention « non substituable » à un taux plus élevé que la moyenne pour le « Plavix® ». Il relève que, sans être l'auteur de la saisine de l'Autorité, la CNAM a activement participé à l'instruction du dossier au cours des années 2010 et 2011 et a fourni, sur requête de celle-ci, diverses informations notamment sur l'existence d'un discours répété visant les génériques du « Plavix® » et le probable impact de ce discours sur le taux de générification de celui-ci. Il observe également que, lors de leur audition du 9 juin 2010, les hauts responsables de la CNAM ont notamment indiqué : « Nous ne savons pas quelle a été la teneur exacte du discours commercial tenu par les laboratoires princeps mais nous constatons, au vu des remontées terrain et des courriers reçus, qu'il existe une forte interrogation chez certains praticiens de santé sur le caractère substituable des génériques de Plavix® et à leur dangerosité pour la santé du patient. Cette confusion pourrait expliquer le plafonnement du taux de substitution de Plavix® que nous constatons depuis plusieurs mois », et qu'ensuite, à la demande du rapporteur de l'Autorité sur le fondement de l'article L. 450-7 du code de commerce, la CNAM a été invitée à solliciter l'ensemble de son réseau pour connaître la teneur exacte du discours tenu auprès des praticiens de santé, relative à la présentation des différences entre les génériques et le « Plavix® », à celle de l'autogénérique, aux recommandations quant au mode de prescription et de délivrance de spécialités génériques du « Plavix® », et qu'à la suite de cette demande, la CNAM a réuni un maximum de détails sur le contenu du discours commercial dans ses réponses des 4 octobre 2010 et 4 mai 2011. Il retient que, néanmoins, toutes ces informations obtenues, aussi fournies aient-elles été, ne permettaient pas à la CNAM d'avoir une connaissance suffisamment certaine du caractère illicite de la pratique des sociétés Sanofi qui, au regard des éléments retenus par l'Autorité pour la qualifier, ne résultait pas des informations délivrées lors du discours commercial en tant que telles, mais de la façon dont celles-ci ont été présentées.

L'arrêt ajoute que si la décision du 17 mai 2010 de l'Autorité rejetant les mesures conservatoires comprend des informations très précises sur les pratiques reprochées aux sociétés Sanofi et de nature à être considérées comme abusives au sens des articles 102 TFUE et L. 420-2 du code du commerce, il n'en reste pas moins que, dans son communiqué de presse du 18 mai 2010 relatif à cette décision, l'Autorité précisait que la poursuite de l'instruction « s'attachera à vérifier si les pratiques reprochées à Sanofi-Aventis relèvent d'un comportement commercial légitime de défense des intérêts du laboratoire ou pourraient, au contraire, être considérées comme abusives ». Il retient aussi que, pour retenir le caractère dénigrant et abusif de la pratique commerciale de la société Sanofi-Aventis, l'Autorité a procédé au rapprochement des informations recueillies par la CNAM, d'une part, avec les documents transmis par la société Sanofi-Aventis relatifs aux argumentaires destinés aux médecins et pharmaciens, les témoignages directs de professionnels de la santé, les communiqués publics, les informations demandées à l'Autorité française de sécurité sanitaire des produits de santé, les éléments obtenus auprès des groupements de pharmacies, d'autre part. Il retient également que ce rapprochement a permis de mettre en évidence une stratégie de communication à l'occasion du lancement des génériques du « Plavix® », pendant plusieurs mois, de la société Sanofi-Aventis, présentant un fort degré de structuration et de sophistication, par l'intermédiaire de plusieurs canaux, au cours de laquelle les informations destinées aux professionnels de la santé n'avaient pas été délivrées dans les conditions d'exhaustivité et d'objectivité qui s'imposaient, compte tenu de la responsabilité particulière de cette société, en ce que même si elles s'appuyaient sur des éléments avérés et en soi objectifs, elles n'étaient ni neutres ni complètes, compte tenu de la façon dont ces éléments étaient présentés et reliés entre eux et de l'omission délibérée d'une information essentielle, loin d'être évidente pour les professionnels de la santé, relative aux motifs d'ordre strictement juridique de ces différences et à leurs conséquences en termes de bioéquivalence et donc d'innocuité et d'efficacité des génériques concurrents. Il retient, enfin, que, selon l'arrêt de la cour d'appel statuant sur le recours contre la décision de sanction de l'Autorité, la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement, peu important qu'elle soit exacte, et que ce n'est pas, en l'espèce, l'objectivité ou l'exactitude des informations contenues dans le discours des sociétés Sanofi qui est en cause, mais le lien établi entre deux informations, exactes mais indépendantes, et présentées de façon incomplète permettant de susciter un doute, voire une crainte, sur l'efficacité ou la sécurité des médications génériques.

L'arrêt en déduit que si les informations fournies par la CNAM ont permis de corroborer l'ensemble des autres éléments recueillis par l'Autorité, il n'apparaît pas que les informations à la disposition de la CNAM lui permettaient, sans les pouvoirs d'investigation des services d'instruction et l'analyse particulière de la décision de sanction de l'Autorité, de se convaincre, par elle-même, de l'illicéité de cette communication.

7. En l'état de ces seules constatations et appréciations, souveraines, vainement critiquées, sous couvert de défaut de motifs, par la deuxième branche, faisant ressortir que les faits dont la CNAM avait connaissance, tels qu'ils résultaient des réponses de celle-ci aux demandes du rapporteur figurant dans des paragraphes cités de la décision de l'Autorité auxquels l'arrêt renvoie, devaient être rapprochés d'autres éléments matériels issus de l'instruction menée par celle-ci, auxquels la CNAM n'avait pas eu accès jusqu'à la décision de cette dernière, pour déterminer si, examinés dans leur globalité et à la lumière d'une analyse concurrentielle, ils étaient de nature à manifester l'existence d'un comportement fautif, c'est sans subordonner le point de départ de la prescription à la certitude du caractère illicite du comportement des sociétés Sanofi, que la cour d'appel, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les troisième, quatrième et sixième branches et hors dénaturation de l'attestation invoquée par la cinquième branche, a exactement décidé que seule la décision de l'Autorité avait donné connaissance à la CNAM des faits et de leur portée lui permettant d'agir en réparation de son préjudice.

8. Pour partie inopérant, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Champalaune - Avocat général : M. Debacq et Mme Texier - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 1382, devenu 1240, du code civil.

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