Numéro 8 - Août 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Partie I - Arrêts des chambres et ordonnances du Premier Président

ASSURANCE (règles générales)

2e Civ., 31 août 2022, n° 20-16.701, (B), FRH

Cassation

Garantie – Exclusion – Vol – Police souscrite par le possesseur – Caractère précaire et équivoque de la possession – Indifférence

Selon les articles L. 121-1, alinéa 1, et L. 121-6, alinéa 1, du code des assurances, l'assurance relative aux biens est un contrat d'indemnité et toute personne ayant intérêt à la conservation d'une chose peut la faire assurer.

Aux termes de l'article 1134, devenu 1103, du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

Encourt la cassation pour violation de ces textes, l'arrêt qui, pour dire justifié le refus d'un assureur d'indemniser le sinistre causé à un véhicule automobile, retient que les droits de l'assuré sur ce bien, « acquis dans des conditions frauduleuses », sont « éminemment contestables », alors que le souscripteur du contrat d'assurance a intérêt à la conservation la chose assurée et que la qualité de sa possession sur celle-ci est indifférente, de sorte qu'il appartenait à l'assureur d'exécuter l'obligation indemnitaire dont il était tenu envers lui.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 12 février 2020) et les productions, suivant déclaration de cession du 29 septembre 2015, M. [O] a acquis auprès d'un garage automobile un véhicule d'occasion de marque BMW, dont il a pris possession le jour même.

2. Le 28 décembre suivant, une facture attestant du règlement du solde du prix de vente lui a été délivrée et M. [O] a, d'une part, fait immatriculer le véhicule, d'autre part, souscrit un contrat d'assurance auprès de la société MACIF (l'assureur).

3. Dans la nuit du 31 décembre suivant, le véhicule a été incendié accidentellement sur la voie publique.

4. L'assureur ayant refusé sa garantie, aux motifs que le véhicule sinistré aurait été détourné au préjudice d'une société de location polonaise, puis cédé, pour un prix très inférieur à celui du marché, à M. [O], qui en serait receleur de fait, celui-ci l'a assigné en indemnisation devant un tribunal judiciaire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa dixième branche

Enoncé du moyen

5. M. [O] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande aux fins de condamnation de l'assureur à l'indemniser de la perte de son véhicule, alors « que toute personne ayant intérêt à la conservation d'une chose peut la faire assurer ; que, par suite, la fraude commise dans l'acquisition d'un bien n'est pas une cause de nullité du contrat d'assurance souscrit pour en garantir la perte ; qu'en retenant en l'espèce que le véhicule avait été acquis dans des conditions suspectes de fraude et qu'il y avait lieu pour cette raison de refuser de faire application du contrat d'assurance, la cour d'appel a violé les articles 1134 ancien du code civil et L. 121-6 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 121-1, alinéa 1, et L. 121-6, alinéa 1, du code des assurances, et l'article 1134, devenu 1103, du code civil :

6. Selon les deux premiers de ces textes, l'assurance relative aux biens est un contrat d'indemnité et toute personne ayant intérêt à la conservation d'une chose peut la faire assurer.

7. Aux termes du troisième, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

8. Pour dire justifié le refus de l'assureur d'indemniser le sinistre, l'arrêt relève que le véhicule incendié a été acquis par M. [O] dans des « circonstances obscures », dont témoigneraient le décalage entre la prise de possession du bien, le 29 septembre 2015, et son immatriculation en France et son assurance auprès de la MACIF, le 28 décembre suivant, le fait que la déclaration de cession fasse référence à un certificat d'immatriculation n'indiquant ni sa date ni son numéro, et l'absence de justification par M. [O] du versement allégué d'acomptes en espèces pour un montant total de 20 000 euros.

9. L'arrêt en déduit que les droits de l'assuré sur « un véhicule acquis dans des conditions frauduleuses » sont « éminemment contestables ».

10. En statuant ainsi, par un motif inopérant tiré de la qualité de la possession sur le véhicule sinistré, alors qu'elle constatait que M. [O] était l'assuré, de sorte qu'il appartenait à l'assureur d'exécuter l'obligation indemnitaire dont il était tenu envers celui-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Talabardon - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Rapprochement(s) :

1re Civ., 25 avril 1990, pourvoi n° 88-17.699, Bull. 1990, I, n° 82 (cassation).

2e Civ., 31 août 2022, n° 20-22.317, (B), FRH

Cassation partielle

Risque – Déclaration – Questionnaire de souscription – Obligation de loyauté et de sincérité – Etendue – Exclusion – Caractéristiques génétiques du souscripteur

Selon l'article L. 1141-1 du code de la santé publique, auquel renvoie l'article L. 133-1 du code des assurances, en ce qui concerne les conditions d'accès à l'assurance contre les risques d'invalidité ou de décès, les assureurs qui proposent une garantie de tels risques ne doivent pas tenir compte des résultats de l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne demandant à bénéficier de cette garantie, même si ceux-ci leur sont transmis par la personne concernée ou avec son accord. En outre, ils ne peuvent poser aucune question relative aux tests génétiques et à leurs résultats, ni demander à une personne de se soumettre à de tels tests avant que ne soit conclu le contrat et pendant toute la durée de celui-ci.

Il résulte de ces dispositions que l'assureur, qui propose une garantie des risques d'invalidité ou de décès, ne peut poser aucune question relative aux tests génétiques et à leurs résultats, et la personne ayant procédé à de tels tests n'est pas tenue d'en faire mention dans ses réponses au questionnaire de santé qui lui est soumis.

Dès lors, encourt la cassation la cour d'appel qui, pour annuler les contrats d'assurance de groupe litigieux, retient que l'adhérente, en omettant d'indiquer, à la date de la déclaration de risques, qu'elle faisait l'objet d'une surveillance médicale dans le cadre d'une recherche et d'un diagnostic de maladie génétique héréditaire depuis plus d'un an, a commis une fausse déclaration intentionnelle.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 8 octobre 2020), Mme [V], après avoir répondu, le 1er septembre 2013, à des questionnaires de santé, a adhéré le 5 septembre 2013 à un premier contrat d'assurance de groupe « Atoll professions paramédicales » et le 10 septembre 2013 au second « La retraite », proposés par la société Generali vie (l'assureur).

2. À la suite d'un arrêt de travail du 13 avril 2015, s'étant poursuivi jusqu'au 29 février 2016, Mme [V] a demandé à l'assureur le bénéfice des garanties de ces contrats.

3. L'assureur lui ayant refusé sa garantie en invoquant une omission sur ses antécédents médicaux, avant de l'informer de l'annulation du contrat « Atoll professions paramédicales » et de celle de la garantie « exonération des cotisations » du contrat « La retraite », Mme [V] l'a assigné devant un tribunal aux fins de paiement de sommes en exécution desdits contrats et d'indemnisation.

Examen du moyen

Sur le moyen relevé d'office

4. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 113-2 et L. 113-8 du code des assurances et les articles L. 133-1 et L. 1141-1 du code de la santé publique :

5. Il résulte du premier de ces textes que l'assuré est obligé de répondre exactement aux questions posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l'assureur l'interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l'assureur les risques qu'il prend en charge, et du deuxième texte que le contrat d'assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l'assuré, quand cette réticence ou cette fausse déclaration change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour l'assureur, alors même que le risque omis ou dénaturé par l'assuré a été sans influence sur le sinistre.

6. Selon le dernier de ces textes, auquel renvoie le troisième en ce qui concerne les conditions d'accès à l'assurance contre les risques d'invalidité ou de décès, les assureurs qui proposent une garantie de tels risques ne doivent pas tenir compte des résultats de l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne demandant à bénéficier de cette garantie, même si ceux-ci leur sont transmis par la personne concernée ou avec son accord.

En outre, ils ne peuvent poser aucune question relative aux tests génétiques et à leurs résultats, ni demander à une personne de se soumettre à de tels tests avant que ne soit conclu le contrat et pendant toute la durée de celui-ci.

7. Pour prononcer la nullité des contrats de groupe litigieux et rejeter l'intégralité des demandes de Mme [V], après avoir retenu que si la maladie de Steinert ne lui avait été diagnostiquée que le 2 septembre 2013, l'arrêt énonce que Mme [V] ne pouvait manifestement pas faire abstraction, à la date de la déclaration de risques, le 1er septembre 2013, de ce qu'elle faisait l'objet depuis juin 2012 d'explorations génétiques aux fins de recherche et de diagnostic chez elle d'une potentielle maladie génétique héréditaire, dont sont atteints ses deux enfants, ce dont il résulte que les examens auxquels elle s'est soumise avaient une vocation de dépistage et un rôle préventif et que, par conséquent, en répondant « NON » à la question 3c « Êtes-vous actuellement sous traitement ou surveillance médicale (y compris dans le cadre d'une grossesse pathologique) ? » et en omettant d'indiquer qu'elle faisait l'objet d'une surveillance médicale dans le cadre d'une recherche et d'un diagnostic de maladie génétique héréditaire depuis plus d'un an, Mme [V] a commis une fausse déclaration et une réticence dont les caractères intentionnels ressortent de ce qu'elle ne pouvait à l'évidence pas avoir oublié les examens génétiques auxquels elle se soumettait, ainsi que ses deux enfants, depuis juin 2012 et en particulier aux mois de juillet et août 2013, pas plus qu'elle ne pouvait avoir ignoré leurs conséquences en cas de diagnostic d'une maladie génétique héréditaire.

8. L'arrêt ajoute que cette dissimulation intentionnelle a trompé l'assureur sur la réalité de la situation médicale de l'adhérente, ce qui a modifié l'appréciation du risque dont elle sollicitait la garantie, alors que le potentiel diagnostic d'une maladie génétique héréditaire est de nature à influer nécessairement sur cette appréciation.

9. En statuant ainsi, alors que l'assureur, qui propose une garantie des risques d'invalidité ou de décès, ne peut poser aucune question relative aux tests génétiques et à leurs résultats, et que la personne ayant procédé à de tels tests n'est pas tenue d'en faire mention dans ses réponses au questionnaire de santé qui lui est soumis, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait de lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute la société Generali vie du surplus de ses demandes, l'arrêt rendu le 8 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Leroy-Gissinger (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Bouvier - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Article L. 1141-1 du code de la santé publique ; article L. 133-1 du code des assurances.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.