Numéro 7 - Juillet 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2023

TRANSPORTS ROUTIERS

Com., 5 juillet 2023, n° 21-21.115, (B), FRH

Cassation partielle

Marchandises – Contrat de transport – Opérations de chargement – Exécution défectueuse – Vendeur – Responsabilité – Contrat de vente – Vente « départ d'usine » – Chargement par le vendeur – Portée

Il résulte des articles L. 132-8 du code de commerce et 7.2 du décret n° 99-269 du 6 avril 1999 portant approbation du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n'existe pas de contrat type spécifique, dans sa version issue du décret n° 2007-1226 du 20 août 2007, qu'en dépit de la conclusion d'une vente « départ d'usine », le vendeur qui, ayant signé la lettre de voiture en qualité d'expéditeur-remettant et y ayant apposé son cachet, procède lui-même aux opérations de chargement, calage et arrimage du bien vendu, en assume la responsabilité et doit répondre, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, des conséquences dommageables de leur exécution défectueuse.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 25 mai 2021), la société Texatop a vendu à la société Merien un moule, d'un poids de 5 300 kg, et une bobine d'acier, d'un poids de 1 200 kg, la vente étant stipulée « départ usine ».

La société Merien en a confié le transport à la société Transports Coué, commissionnaire de transport, qui s'est substituée la société Transports Montaville.

Le 24 septembre 2014, au cours du transport, le moule a chuté de la semi-remorque et a été endommagé.

2. La société Helvetia compagnie suisse d'assurances (la société Helvetia), subrogée dans les droits de son assurée, la société Merien, a assigné en remboursement des sommes versées à cette dernière la société Texatop, la société Transports Montaville et l'assureur de celle-ci, la société AXA France IARD (la société AXA), qui ont appelé en garantie les sociétés Texatop et Transports Coué. Cette dernière a assigné en garantie les sociétés Texatop, Transports Montaville et AXA.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société Helvetia fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes qu'elle a formées contre la société Texatop et de limiter à la somme de 12 190 euros la condamnation prononcée in solidum à l'encontre de la société Transports Montaville et de son assureur, la société AXA, alors « qu'en dépit du choix par les parties d'une « vente départ d'usine », le vendeur qui assume la responsabilité des opérations de chargement doit répondre des conséquences dommageables de leur exécution défectueuse ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que la société Texatop, qui a signé la lettre de voiture en qualité d'expéditeur remettant, a procédé seule aux opérations de chargement dont l'exécution défectueuse, en l'absence de calage et d'arrimage de la marchandise, a été la cause exclusive des dommages subis par le matériel livré à la société Merien ; qu'en déboutant la société Helvetia de son action en responsabilité à l'encontre de la société Texatop au motif inopérant que l'outil était vendu « départ usine », ce qui signifiait que le vendeur ne se chargeait pas du transport, la cour d'appel a violé les articles 7.2 du décret n° 99-269 du 6 avril 1999 portant approbation du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n'existe pas de contrat type spécifique dans sa version applicable au litige, 1382, devenu 1240, du code civil et L. 132-8 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 132-8 du code de commerce et 7.2 du décret n° 99-269 du 6 avril 1999 portant approbation du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n'existe pas de contrat type spécifique, dans sa version applicable au litige :

4. Il résulte de ces textes qu'en dépit de la conclusion d'une vente « départ d'usine », le vendeur qui, ayant signé la lettre de voiture en qualité d'expéditeur-remettant et y ayant apposé son cachet, procède lui-même aux opérations de chargement, calage et arrimage du bien vendu, en assume la responsabilité et doit répondre, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, des conséquences dommageables de leur exécution défectueuse.

5. Pour rejeter les demandes formées contre la société Texatop, l'arrêt retient que la société Merien a demandé à la société Transports Coué d'organiser le déplacement, conformément à ses engagements contractuels pris à l'égard de la société Texatop en vertu du contrat de vente qui les lie et selon lequel l'outil était vendu « départ d'usine », ce qui signifie que le vendeur ne se charge pas du transport. Il ajoute que si la société Texatop a, dans les faits, procédé aux opérations de chargement, ce ne peut être que comme représentant de la société Transports Coué, donneur d'ordre, en vertu de l'article 7.2 du contrat type qui prévoit que les opérations de chargement, calage et arrimage d'un envoi supérieur à 3 tonnes sont exécutées par le donneur d'ordre ou par son représentant sous sa responsabilité, c'est-à-dire sous la responsabilité du donneur d'ordre.

6. En statuant ainsi, alors qu'il ne résulte pas de l'arrêt que la société Texatop aurait indiqué sur la lettre de voiture qu'elle aurait agi pour le compte d'un tiers, la cour d'appel, qui a relevé que la société Texatop figurait sur la lettre de voiture en qualité d'expéditeur-remettant et qu'elle avait effectué elle-même les opérations de chargement et de calage des outils vendus, a violé les textes susvisés.

Sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

7. La société Helvetia fait grief à l'arrêt d'avoir limité à la somme de 12 190 euros la condamnation prononcée in solidum à l'encontre de la société Transports Montaville et de son assureur, la société AXA, alors « qu'aux termes de l'article 21 du décret n° 99-269 du 6 avril 1999 portant approbation du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n'existe pas de contrat type spécifique, dans sa rédaction applicable au litige, l'indemnité que le transporteur est tenu de verser pour la réparation des dommages résultant de la perte totale ou partielle ou de l'avarie de la marchandise, ne peut excéder, pour les envois égaux ou supérieurs à trois tonnes, 14 euros par kilogramme de poids brut de marchandises manquantes ou avariées pour chacun des objets compris dans l'envoi, sans pouvoir dépasser, par envoi perdu, incomplet ou avarié, quels qu'en soient le poids, le volume, les dimensions, la nature ou la valeur, une somme supérieure au produit du poids brut de l'envoi exprimé en tonnes multiplié par 2 300 euros ; que selon l'article 2.1 du contrat type, l'envoi est la quantité de marchandises, emballage et support de charge compris, mise effectivement, au même moment, à la disposition du transporteur et dont le transport est demandé par un même donneur d'ordre pour un même destinataire d'un lieu de chargement unique à un lieu de déchargement unique et faisant l'objet d'un même contrat de transport ; qu'en calculant le plafond de l'indemnité par tonnes de marchandises endommagées et non sur le tonnage total de l'envoi, la cour d'appel a violé l'article précité dans sa version applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2.1 et 21 du décret n° 99-269 du 6 avril 1999, portant approbation du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n'existe pas de contrat type spécifique :

8. Selon le second de ces textes, le transporteur est tenu de verser une indemnité pour la réparation de tous les dommages justifiés dont il est légalement tenu pour responsable, résultant de la perte totale ou partielle ou de l'avarie de la marchandise. Pour les envois égaux ou supérieurs à trois tonnes, elle ne peut excéder 14 euros par kilogramme de poids brut de marchandises manquantes ou avariées pour chacun des objets compris dans l'envoi, sans pouvoir dépasser, par envoi perdu, incomplet ou avarié, quels qu'en soient le poids, le volume, les dimensions, la nature ou la valeur, une somme supérieure au produit du poids brut de l'envoi exprimé en tonnes multiplié par 2 300 euros.

9. Selon le premier, l'envoi est défini comme la quantité de marchandises, emballage et support de charge compris, mise effectivement, au même moment, à la disposition d'un transporteur et dont le transport est demandé par un même donneur d'ordre pour un même destinataire d'un lieu de chargement unique à un lieu de déchargement unique et faisant l'objet d'un même contrat de transport.

10. Il en résulte que, pour le transport de marchandises chargées au même lieu en vue d'un déchargement en un lieu unique pour le même destinataire, le plafond de l'indemnité mise à la charge du transporteur doit être calculé sur le poids brut de l'ensemble du chargement et non sur le poids brut de la seule marchandise sinistrée.

11. Pour limiter à 12 190 euros la condamnation prononcée in solidum à l'encontre de la société Transports Montaville et de son assureur, la société AXA, l'arrêt, après avoir écarté l'existence d'une faute inexcusable, retient qu'en application de la limitation de responsabilité prévue à l'article 21 du contrat type général, la société Transports Montaville ne peut être tenue que d'une indemnité limitée à 12 190 euros (soit 5,3 tonnes X 2 300 euros) sur la base du poids en tonne de la marchandise sinistrée qui est de 5,3 tonnes, le calcul devant être fait sur le poids brut du seul moule avarié et non sur la base du poids brut de l'ensemble de l'envoi, bobine comprise, même si c'est un poids d'ensemble qui a été indiqué dans l'ordre d'affrètement, précision étant donné qu'il y avait deux colis.

12. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que la société Merien avait acheté à la société Texatop le moule et une bobine d'acier, chargés tous deux au même lieu et dont le transport avait été demandé à la société Transports Coué en vue d'un déchargement en un lieu unique pour le même destinataire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen unique du pourvoi incident

Enoncé du moyen

13. Les sociétés Transports Montaville et AXA font grief à l'arrêt de rejeter leur appel en garantie contre la société Texatop, alors « que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire avec le chef de l'arrêt cassé ; que la cassation qui interviendra du chef du premier moyen de cassation du pourvoi principal visant le dispositif de l'arrêt attaqué ayant rejeté les demandes de la société Helvetia contre la société Texatop, fondée sur la circonstance que la responsabilité de celle-ci ne pouvait être engagée ni en qualité d'expéditeur, ni de donneur d'ordre, entraînera la cassation du chef de dispositif attaqué par le présent moyen en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs du dispositif de l'arrêt rejetant les demandes formées par la société Helvetia contre la société Texatop et limitant à 12 190 euros la condamnation prononcée in solidum contre les sociétés Transports Montaville et AXA entraîne, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif rejetant l'appel en garantie formé par ces dernières contre la société Texatop, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

Portée et conséquences de la cassation

15. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la société Helvetia contre la société Texatop entraîne en outre la cassation du chef de la condamnation de la société Texatop à garantir la société Transports Coué des condamnations prononcées contre elle, « en sa qualité de représentant de la société Transports Coué », qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi principal, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes formées par la société Helvetia contre la société Texatop, en ce qu'il limite à 12 190 euros la condamnation prononcée in solidum contre les sociétés Transports Montaville et AXA, en ce qu'il rejette l'appel en garantie formé par ces sociétés contre la société Texatop, en ce qu'il fait droit à l'appel en garantie de la société Transports Coué contre la société Texatop et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 25 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Guillou - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Jean-Philippe Caston ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article L. 132-8 du code de commerce ; article 7.2 du décret n° 99-269 du 6 avril 1999 portant approbation du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n'existe pas de contrat type spécifique, dans sa version issue du décret n° 2007-1226 du 20 août 2007.

Rapprochement(s) :

Sur la responsabilité du vendeur en présence d'un choix par les parties au contrat de vente de l'Incoterm Ex Works, à rapprocher : Com., 13 septembre 2016, pourvoi n° 14-23.137, Bull. 2016, IV, n° 114 (rejet).

Com., 5 juillet 2023, n° 22-14.476, (B), FRH

Rejet

Marchandises – Responsabilité – Voiturier – Exonération – Force majeure – Vol de marchandises par des manifestants

Aux termes de l'article L. 133-1 du code de commerce, le voiturier est garant de la perte des objets à transporter, hors les cas de la force majeure.

Ayant retenu que le transporteur n'était pas en mesure de prévoir un itinéraire évitant les barrages et que n'était pas prévisible le fait que des manifestants allaient contraindre le chauffeur à descendre de son camion pour dérober des marchandises et les distribuer aux passagers des autres véhicules, une cour d'appel a pu en déduire l'existence d'un événement imprévisible et irrésistible, constitutif d'un cas de force majeure exonérant le transporteur de toute responsabilité dans la survenance du dommage.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Danone produits frais France (la société Danone) du désistement de son pourvoi.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 4 novembre 2021, n° RG 18/06224), le 3 février 2016, la société Danone a confié à la société TRSO l'acheminement d'un lot de produits laitiers à destination de [Localité 4] (Val-de-Marne).

3. Au cours du transport, la semi-remorque contenant la marchandise a été arrêtée par des manifestants qui ont contraint le chauffeur à descendre du véhicule et ont déchargé la remorque pour distribuer le contenu de trois des vingt-quatre palettes aux occupants des véhicules circulant à proximité.

4. Le 3 février 2017, la société Danone et son assureur, la société Ace European Group Limited, devenue la société Chubb European Group SE (la société Chubb), ont assigné la société TRSO en réparation de leur préjudice.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société Chubb fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes à l'encontre de la société TRSO, alors « que le voiturier est garant de la perte des objets à transporter, hors les cas de la force majeure ; que seul un événement présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution est constitutif d'un cas de force majeure ; que pour juger que le transporteur était exonéré de toute responsabilité pour cas de force majeure, l'arrêt attaqué retient que si le mouvement social initié par les agriculteurs et sa poursuite ainsi que le barrage filtrant auquel a été confronté le chauffeur du camion étaient prévisibles dès le 2 février 2016, le transporteur ne pouvait pas prévoir le sort que les manifestants réserveraient à la marchandise transportée en contraignant le chauffeur à descendre de son véhicule pour dérober les marchandises et les distribuer ; qu'en statuant ainsi par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser que dans le contexte connu d'un mouvement social d'agriculteurs et de mise en place de barrages routiers filtrants par les manifestants, le transporteur ne pouvait ni anticiper, ni éviter l'événement dommageable, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 133-1 du code de commerce, 1148 et 1150 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

7. L'arrêt retient que si, le mouvement social des agriculteurs étant connu, le blocage du camion à un barrage était prévisible, en revanche, il n'est pas établi que les organisations syndicales aient donné des consignes précises aux manifestants, s'agissant notamment de la localisation des barrages, de sorte que la société TRSO ne pouvait prévoir un itinéraire évitant le blocage de ses camions.

8. Il ajoute qu'il n'est pas démontré que les informations routières et les réseaux sociaux ont, le jour de l'incident litigieux, donné les informations utiles qui auraient permis au chauffeur de la société TRSO d'éviter un tel blocage.

9. Il retient encore que celle-ci ne pouvait pas prévoir le fait que des manifestants allaient contraindre le chauffeur à descendre du véhicule pour dérober des marchandises et les distribuer à tout venant.

10. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire l'existence d'un événement imprévisible et irrésistible, constitutif d'un cas de force majeure exonérant le transporteur de toute responsabilité dans la survenance du dommage.

11. Le moyen n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Fontaine - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 133-1 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Ass. plén., 14 avril 2006, pourvoi n° 04-18.902, Bull. 2006, Ass. Plén., n° 6 (rejet).

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