Numéro 7 - Juillet 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2023

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

Com., 5 juillet 2023, n° 22-11.621, (B), FS

Cassation partielle

Article 6, § 1 – Procès équitable – Violation – Exclusion – Cas – Garantie des vices cachés – Présomption irréfragable de connaissance du vendeur professionnel

Il résulte de l'article 1645 du code civil une présomption de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, qui l'oblige à réparer l'intégralité de tous les dommages qui en sont la conséquence.

Le caractère irréfragable de cette présomption, qui est fondée sur le postulat que le vendeur professionnel connaît ou doit connaître les vices de la chose vendue, a pour objet de contraindre celui-ci, qui possède les compétences lui permettant d'apprécier les qualités et les défauts de la chose, à procéder à une vérification minutieuse de celle-ci avant la vente, répond à l'objectif légitime de protection de l'acheteur qui ne dispose pas de ces mêmes compétences, est nécessaire pour parvenir à cet objectif et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du vendeur professionnel au procès équitable garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 18 novembre 2021), le 19 mai 2015, la société AGB a commandé à la société Etablissements Soetaert (la société Soetaert) un tracteur, mis en circulation le 11 janvier 2013, avec pose d'un matériel attelé, une déchiqueteuse de bois.

2. Soutenant que le moteur du tracteur était affecté d'un vice caché, la société AGB a assigné la société Soetaert en résolution judiciaire du contrat de vente.

3. La société Caisse de réassurance mutuelle agricole de Centre Manche (l'assureur), assureur de la société Soetaert, est intervenue volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal et les deux premiers moyens du pourvoi provoqué

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal et le troisième moyen du pourvoi provoqué

Enoncé des moyens

5. L'assureur fait grief à l'arrêt de prononcer la résolution de la vente, de condamner la société Soetaert à restituer à la société AGB le prix de vente, à reprendre possession du tracteur à ses frais exclusifs, à payer à la société AGB une certaine somme au titre des frais de location du tracteur de remplacement et en conséquence de condamner l'assureur à garantir la société Soetaert des condamnations prononcées contre cette dernière, alors « qu'il résulte de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la Convention) que nul ne peut porter une atteinte disproportionnée au droit à la preuve d'une partie ; que contrevient à ce principe une règle probatoire faisant irrémédiablement obstacle à ce que puisse être rapportée la preuve contraire d'un fait présumé à l'encontre d'une partie, générant à l'encontre de celle-ci une condamnation de nature civile au regard de sa seule qualité de professionnel ; que tel est le cas de la présomption irréfragable de connaissance du vice caché à la charge du vendeur professionnel, qui interdit à ce dernier d'apporter la preuve de sa bonne foi et de démontrer qu'il ignorait ¿ à le supposer établi ¿ le vice de la chose vendue, pour mettre à sa charge une obligation de garantie à ce titre, nonobstant même la qualité de professionnel de l'acheteur ; qu'en retenant que la société Soetaert, vendeur professionnel, était présumée irréfragablement connaître le vice litigieux, pour en déduire qu'elle était tenue à garantie envers la société AGB, acheteur professionnel, la cour d'appel a porté au droit à la preuve de la société Soetaert une atteinte disproportionnée en violation du texte précité, ensemble l'article 9 du code de procédure civile. »

6. La société Soetaert fait grief à l'arrêt de prononcer la résolution de la vente, de la condamner à restituer le prix de vente et à reprendre possession du tracteur, de la condamner en outre à payer à la société AGB une certaine somme en réparation du préjudice correspondant aux frais de location d'un autre tracteur, alors :

« 1°/ que méconnaît le droit au procès équitable garanti par l'article 6, § 1, de la Convention la règle de droit national portant une atteinte disproportionnée au droit à la preuve d'une partie ; qu'en retenant en l'espèce que la société Soetaert supportait, en sa qualité de vendeur professionnel, une présomption irréfragable de connaissance du vice caché affectant la chose vendue, de sorte à l'empêcher de démontrer qu'elle ignorait l'existence de ce vice, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention, ensemble l'article 9 du code de procédure civile ;

2°/ que la présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice caché de la chose vendue porte une atteinte disproportionnée à son droit à la preuve lorsque l'acquéreur achète le bien pour l'exercice de sa propre activité professionnelle ; qu'en retenant en l'espèce le caractère irréfragable de cette présomption, pour empêcher la société Soetaert de démontrer qu'elle ignorait l'existence du vice caché affectant le tracteur vendu à la société AGB, exploitant agricole, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention, ensemble l'article 9 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte des articles 1641 et 1646 du code civil que le vendeur, garant à raison des défauts cachés de la chose vendue, n'est tenu qu'à la restitution du prix et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente s'il ignorait ces vices.

8. Aux termes de l'article 1645 du code civil, si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur.

9. Selon une jurisprudence ancienne et constante de la Cour de cassation (1ère civ. 21 novembre 1972, Bull. n°257 ; 2ème civ. 30 mars 2000, pourvoi n°98-15.286, Bull. n°57 ; Com. 19 mai 2021, pourvoi n°19-18.230), il résulte de ce texte une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, qui l'oblige à réparer l'intégralité de tous les dommages qui en sont la conséquence.

10. Le caractère irréfragable de cette présomption, fondée sur le postulat que le vendeur professionnel connaît ou doit connaître les vices de la chose vendue, qui a pour objet de contraindre ce vendeur, qui possède les compétences lui permettant d'apprécier les qualités et les défauts de la chose, à procéder à une vérification minutieuse de celle-ci avant la vente, répond à l'objectif légitime de protection de l'acheteur qui ne dispose pas de ces mêmes compétences, est nécessaire pour parvenir à cet objectif et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du vendeur professionnel au procès équitable garanti par l'article 6, § 1, de la Convention.

11. Après avoir retenu l'existence d'un vice caché affectant le moteur, antérieur à la vente et diminuant l'usage voire rendant le tracteur impropre à sa destination, de nature à justifier la résolution du contrat, l'arrêt retient à bon droit que la société Soetaert, vendeur professionnel, est présumée avoir eu connaissance du vice et qu'il s'agit d'une présomption irréfragable qui joue même lorsque l'acheteur est lui-même un professionnel. Il en déduit exactement que la société AGB a droit, outre la restitution du prix, à l'indemnisation de tous ses dommages.

12. Les moyens ne sont donc pas fondés.

Mais sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

13. L'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à garantir la société Soetaert des condamnations prononcées contre cette dernière, alors « que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; que pour retenir la garantie de l'assureur, la cour d'appel s'est fondée exclusivement sur une clause générale du contrat d'assurance souscrit par la société Soetaert ; qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer sur le moyen des conclusions de l'assureur pris de l'applicabilité à l'espèce de la clause spéciale d'exclusion expressément visée par l'exposante dans ses écritures, la cour a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

14. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

15. Pour condamner l'assureur à garantir la société Soetaert des condamnations prononcées contre elle, l'arrêt écarte l'application d'une clause d'exclusion de garantie relative au défaut ou insuffisance de performance ou d'impropriété à l'usage et se réfère à une clause générale relative aux conditions de garantie.

16. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de l'assureur, qui soutenait aussi qu'était applicable une autre clause d'exclusion relative aux frais de remboursement des pièces et fournitures reconnues défectueuses, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il infirme le jugement en ce qu'il déboute la société Etablissements Soetaert de son appel en garantie et, statuant à nouveau, il condamne la société Caisse de réassurance mutuelle agricole de Centre Manche à garantir la société Etablissements Soetaert des condamnations prononcées contre elle, en principal, dommages et intérêts, frais, dépens et accessoires, et condamne la société Caisse de réassurance mutuelle agricole de Centre Manche aux dépens et en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 18 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Fontaine - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Ohl et Vexliard ; SCP Foussard et Froger ; Me Goldman -

Textes visés :

Article 1641, 1645 et 1646 du code civil ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur la présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, à rapprocher : 2e Civ., 30 mars 2000, pourvoi n° 98-15.286, Bull. 2000, II, n° 57 (cassation partielle).

1re Civ., 12 juillet 2023, n° 21-21.185, (B), FS

Rejet

Protocole additionnel n° 7 – Article 5 – Egalité entre époux – Mariage – Dissolution – Divorce à la demande du mari ou de la femme – Divorce non assimilable à une répudiation – Effets – Absence de contrariété à l'ordre public international

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 27 mai 2021), M. [D] et Mme [L], tous deux de nationalité tunisienne, se sont mariés en Tunisie le 8 avril 2006. Ils ont acquis la nationalité française le 25 janvier 2016.

2. Le 8 août 2019, Mme [L] a saisi un juge aux affaires familiales d'une requête en divorce.

3. M. [D] a soulevé une fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée à un jugement de divorce prononcé le 26 décembre 2017, sur sa demande unilatérale, par le tribunal de première instance de Sousse (Tunisie) et ayant acquis force de chose jugée sur le principe du divorce.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Mme [L] fait grief à l'arrêt de dire que le jugement du 26 décembre 2017, l'arrêt de la cour d'appel de Sousse du 16 mai 2018 et l'arrêt de la Cour de cassation tunisienne du 12 décembre 2018 sont opposables en France et de déclarer irrecevable sa requête en divorce, alors « que la décision d'une juridiction étrangère constatant la volonté unilatérale du mari de mettre fin au mariage sans justification aucune, sans donner d'effet juridique à l'opposition éventuelle de la femme et privant l'autorité compétente de tout pouvoir autre que celui d'aménager les conséquences financières de cette rupture du lien matrimonial est contraire au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage, et donc à l'ordre public international ; qu'en retenant, pour considérer que le jugement de divorce tunisien n'était pas contraire à l'ordre public international et en conséquence déclarer la requête en divorce de Mme [L] irrecevable, que le divorce prononcé par volonté unilatérale de M. [D] n'était pas assimilable à une répudiation et était ouvert de manière identique à chacun des conjoints, quand le juge tunisien qui avait prononcé le divorce s'était borné à constater la volonté unilatérale de M. [D] de mettre fin au mariage et n'avait pas donné d'effet juridique à l'opposition éventuelle de la femme, pour ensuite statuer sur les seules conséquences de la rupture du mariage, la cour d'appel a violé l'article 15 de la Convention franco-tunisienne du 28 juin 1972 et l'article 5 du Protocole additionnel n° 7 du 22 novembre 1984 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article 15, d), de la Convention franco-tunisienne du 28 juin 1972 relative à l'entraide judiciaire en matière civile et commerciale et à la reconnaissance et à l'exécution des décisions judiciaires, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions tunisiennes, en matière civile, n'ont de plein droit l'autorité de la chose jugée sur le territoire français que si elles ne contiennent rien de contraire à l'ordre public international.

6. Aux termes de l'article 5 du Protocole additionnel n° 7 du 22 novembre 1984 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les époux jouissent de l'égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.

7. L'article 31, alinéas 1 à 4, du Livre second du code du statut personnel tunisien du 13 août 1956, consacré au divorce, qui ne peut avoir lieu que devant le tribunal selon l'article 30, dispose :

« Le Tribunal prononce le divorce :

1) en cas de consentement mutuel des époux ;

2) à la demande de l'un des époux en raison du préjudice qu'il a subi ;

3) à la demande du mari ou de la femme. »

8. La cour d'appel a énoncé que l'article 31, 3), du code du statut personnel tunisien édicte un cas de divorce qui n'est pas assimilable à une répudiation unilatérale, accordée au seul mari, dès lors que celui-ci est ouvert de manière identique à chacun des conjoints.

9. Elle a retenu que, régulièrement citée et représentée par un avocat devant les juridictions tunisiennes, Mme [L] ne démontrait pas que les décisions, qui avaient été obtenues à la suite d'un débat contradictoire et à l'encontre desquelles elle avait exercé les voies de recours mises à sa disposition, avaient été rendues en fraude de ses droits.

10. Elle en a déduit à bon droit que les décisions tunisiennes invoquées par M. [D] n'étaient pas contraires au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage et donc à l'ordre public international.

11. Le moyen n'est dès lors pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Beauvois - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia -

Textes visés :

Article 31, 3), du code du statut personnel tunisien ; article 5 du Protocole additionnel n° 7 du 22 novembre 1984 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 15, d), de la Convention franco-tunisienne du 28 juin 1972 relative à l'entraide judiciaire en matière civile et commerciale et à la reconnaissance et à l'exécution des décisions judiciaires.

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