Numéro 7 - Juillet 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2022

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

3e Civ., 7 juillet 2022, n° 22-10.290, (B), FS

QPC - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique – Article L. 322-2, alinéas 2 et 4 – Droit de propriété – Article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen – Disposition déjà déclarée conforme – Changement de circonstance de droit ou de fait – Défaut – Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. La société publique locale Territoire d'innovation a saisi le juge de l'expropriation d'une demande de fixation des indemnités revenant à la société Financière Ferney à la suite de l'expropriation de plusieurs parcelles lui appartenant.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

2. A l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 7 décembre 2021 par la cour d'appel de Lyon, la société Financière Ferney a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« Les dispositions de l'article L. 322-2, alinéas 2 et 4, du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique déclarées conformes à la Constitution par une décision n° 2021-915 QPC du 11 juin 2021 dans la mesure où l'exproprié peut exercer un recours contre la décision d'utilité publique devant les juridictions administratives, en cas de plus-value excédant manifestement les besoins du projet et certaine réalisée par l'autorité expropriante à son détriment, ne méconnaissent-elles pas l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 soumettant l'expropriation au paiement à l'exproprié d'une juste et préalable indemnité, en tant qu'elles privent l'exproprié de tout contrôle sur les plus-values réalisées par l'expropriant depuis que le Conseil d'Etat, par une décision du 22 mars 2022, a rendu impossible tout contrôle du juge administratif sur l'existence et l'importance des plus-values futures de l'expropriant en jugeant que les recettes attendues de la vente future des terrains et de l'opération d'expropriation n'ont pas à être incluses dans le dossier d'enquête publique sur la base duquel s'exerce son contrôle ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

3. Les dispositions contestées ont déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision n° 2021-915, rendue le 11 juin 2021 par le Conseil constitutionnel.

4. Il ne résulte pas de la décision rendue le 22 mars 2022 par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, (n° 448610, 448619), selon laquelle les recettes attendues de la vente future des terrains et de l'opération d'expropriation n'ont pas à être incluses dans le dossier soumis à enquête publique, un changement des circonstances de droit de nature à affecter la constitutionnalité de ces dispositions, dès lors, d'une part, que cette décision ne constitue pas une modification de la jurisprudence antérieure et, d'autre part, que le Conseil constitutionnel ne s'est pas fondé, pour les déclarer conformes à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, sur l'existence d'un recours contre la déclaration d'utilité publique pouvant être exercé devant le juge administratif en cas de plus-value certaine et excédant les besoins du projet, réalisée par l'autorité expropriante au détriment de l'exproprié.

5. Dès lors, aucun changement des circonstances de droit ou de fait n'est intervenu qui, affectant la portée des dispositions contestées, en justifierait le réexamen.

6. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Djikpa - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Article L. 322-2, alinéas 2 et 4, du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 1er avril 2021, pourvoi n° 20-17.133, Bull., (Renvoi au Conseil constitutionnel), et l'arrêt cité.

3e Civ., 7 juillet 2022, n° 21-25.661, (B), FS

QPC - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Droit des biens – Loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 – Article 6 – Liberté d'entreprendre – Liberté contractuelle – Principe de responsabilité – Caractère sérieux – Défaut – Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. Par acte du 11 décembre 2015, M. [L], titulaire de la totalité des parts sociales de la société [L] finance, société holding d'un groupe de plusieurs sociétés spécialisées dans le transport sanitaire de personnes, a conclu avec la société Acore, un mandat de vente exclusif portant sur l'ensemble des titres des sociétés composant la holding, au prix de 1 080 000 euros.

2. En réponse à la société Acore qui lui avait présenté une lettre d'intention de la société Ludinvest offrant d'acquérir les parts au prix demandé, M. [L] a fait savoir, le 10 octobre 2016, qu'il portait le prix à 1 500 000 euros après l'évaluation des sociétés du groupe réalisée par la société KPMG.

3. Par lettre du 12 octobre, la société Acore a informé M. [L] qu'elle mettait fin au mandat à ses torts exclusifs et, par acte du 13 juin 2017, elle l'a assigné en paiement de la somme de 80 000 euros au titre de la clause pénale.

Enoncé des questions prioritaires de constitutionnalité

4. A l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 7 septembre 2021 par la cour d'appel de Rennes, la société Acore a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :

« L'article 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 porte-t-il atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle en interdisant la rémunération de l'intermédiaire tant que l'opération projetée n'est pas réalisée, même lorsque c'est le mandant qui refuse sans justification de conclure la vente objet du contrat d'entremise ?

L'article 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, tel qu'interprété par la Cour de cassation, porte-t-il atteinte au principe de responsabilité en ce qu'il exclut que soit regardé comme fautif le mandant qui, ayant confié à un intermédiaire la recherche d'un vendeur ou d'un acheteur, refuse sans aucune raison de conclure la vente projetée ? »

Examen des questions prioritaires de constitutionnalité

5. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne la demande en paiement d'une clause pénale par l'agent immobilier après le refus de son mandant de réaliser la vente avec la personne qu'il lui avait présentée.

6. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

7. Cependant, d'une part, les questions posées, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne sont pas nouvelles.

8. D'autre part, la première question ne présente pas un caractère sérieux en ce que l'interdiction pour l'agent immobilier de percevoir une quelconque rémunération en l'absence de conclusion effective de l'opération projetée, quelle qu'en soit la raison, est fondée sur le motif d'intérêt général tenant à la nécessaire réglementation des pratiques des professionnels visés à l'article 1er de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 afin d'assurer l'information, la protection et la liberté contractuelle de leurs clients.

9. Il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée à leur liberté contractuelle et à leur liberté d'entreprendre au regard de l'objectif poursuivi par le texte, dès lors qu'en cas de faute commise par le mandant ayant privé le mandataire de sa rémunération, une jurisprudence constante lui permet d'engager la responsabilité de son mandant, et qu'une dérogation à cette interdiction est en outre possible lorsque le client agit pour les besoins de ses activités professionnelles.

10. Par ailleurs, la seconde question ne présente pas non plus de caractère sérieux en ce que le contrat conclu entre l'agent immobilier et son client étant, sauf disposition expresse contraire, un contrat d'entremise, l'agent ne dispose pas du pouvoir d'engager son client, de sorte que celui-ci est libre de conclure ou non l'opération, et son seul refus, ne peut, par nature, être constitutif de la faute susceptible d'engager sa responsabilité à l'égard de son mandataire.

11. Il ne peut en résulter aucune atteinte au principe de responsabilité.

12. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer ces questions au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Abgrall - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970.

3e Civ., 7 juillet 2022, n° 22-10.447, (B), FS

QPC - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Loi du 1er juillet 1901 – Articles 4, 5 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 – Droit à un recours juridique effectif – Principe d'égalité – Applicabilité au litige – Dispositions législatives visées imprécises – Applicabilité au litige – Défaut – Irrecevabilité

Code civil – Article 1343-5 – Droit à un recours juridique effectif – Principe d'égalité – Caractère sérieux – Défaut – Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. Le 14 mars 2006, la Caisse des règlements pécuniaires des avocats au barreau de Nice (la Carpa), association de la loi du 1er juillet 1901, a souscrit un fonds structuré auprès d'un établissement financier islandais.

2. Ayant fait l'objet d'une procédure collective, cet établissement n'a pu restituer les fonds à l'échéance.

3. La Carpa et l'ordre des avocats au barreau de Nice ayant recherché la responsabilité des sociétés par l'intermédiaire desquelles ce placement avait été souscrit, M. [B], membre de la Carpa, a assigné en responsabilité M. [F], ancien président de la Carpa, et son assureur, la société Axa France IARD.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

4. A l'occasion du pourvoi qu'il a formé contre l'arrêt rendu le 5 octobre 2021 par la cour d'appel de Paris, M. [B] a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :

« La loi du 1er juillet 1901, en ce qu'elle ne prévoit pas d'action sociale en responsabilité des dirigeants, est-elle conforme aux droits et libertés garantis par la Constitution ? En particulier, viole-t-elle les dispositions des articles 4, 5 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et le droit à un recours juridictionnel effectif, ainsi que le principe d'égalité ?

Les dispositions de l'article 1843-5, alinéa 1, du code civil, qui prévoient que « outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, un ou plusieurs associés peuvent intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants.

Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation du préjudice subi par la société ; en cas de condamnation, les dommages-intérêts sont alloués à la société », sont-elles conformes au droit à un recours juridictionnel effectif et au principe d'égalité devant la loi dans la mesure où elles ne s'appliquent pas aux associés d'autres personnes morales telles qu'une association ? ».

Examen des questions prioritaires de constitutionnalité

Sur la première question

5. Si une question prioritaire de constitutionnalité portant sur plusieurs dispositions législatives peut être soulevée, dès lors que chacune de ces dispositions est applicable au litige ou à la procédure, le demandeur doit spécialement désigner, dans un écrit distinct et motivé, les dispositions législatives qu'il estime applicables au litige et dont il soulève l'inconstitutionnalité.

6. La question posée, qui vise l'ensemble des dispositions de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, sans que celles spécialement applicables au litige soient désignées et confrontées à des droits et libertés garantis par la Constitution, n'est pas recevable.

Sur la seconde question

7. Aux termes de l'article 1843-5, alinéa 1er, du code civil :

« Outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, un ou plusieurs associés peuvent intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants.

Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation du préjudice subi par la société ; en cas de condamnation, les dommages-intérêts sont alloués à la société ».

8. Cette disposition, en ce qu'elle ne s'applique pas aux membres d'une association, doit être regardée comme applicable au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.

9. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

10. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

11. D'autre part, la question ne présente pas un caractère sérieux.

12. M. [B] soutient que l'article 1843-5 du code civil porte atteinte au principe d'égalité devant la loi et au droit à un recours juridictionnel effectif, en ce qu'il prévoit la faculté pour un ou plusieurs associés d'une société d'intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants, sans prévoir la même possibilité pour les membres d'une association.

13. En premier lieu, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

14. Si M. [B] soutient qu'une association peut être considérée comme une entreprise et que les membres d'une association devraient être traités de la même manière que les membres d'une société civile ou commerciale, qui seraient placés dans une situation similaire, il résulte des articles 1832 du code civil et 1er de la loi du 1er juillet 1901 que, à la différence de la société, qui est instituée en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter, l'association poursuit un but autre que le partage des bénéfices.

15. En outre, alors que la société ne peut être représentée que par ses organes légaux, les statuts de l'association déterminent librement, en vertu du principe de la liberté associative, les personnes qui sont habilitées à représenter l'association en justice.

16. Enfin, la responsabilité civile ou pénale des dirigeants de sociétés est mise en oeuvre dans des conditions différentes de celles applicables aux dirigeants des associations.

17. Ainsi, en réservant la possibilité d'exercer l'action ut singuli aux seuls membres de sociétés et en dérogeant, pour ces groupements, à la règle selon laquelle nul ne plaide pas procureur, le législateur a pris acte de la spécificité du droit des sociétés.

18. Par suite, M. [B] n'est pas fondé à soutenir que l'article 1843-5, alinéa 1er, du code civil, en ce qu'il ne s'applique pas aux associations de la loi du 1er juillet 1901, méconnaîtrait le principe d'égalité.

19. En second lieu, l'impossibilité pour le membre d'une association d'exercer ut singuli l'action sociale en responsabilité n'a pas pour effet de porter une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif, dès lors qu'elle ne prive pas l'association de la possibilité d'agir en justice contre ses anciens dirigeants par l'intermédiaire de ses nouveaux représentants exerçant l'action ut universi, que, en cas de carence des dirigeants de l'association, les membres de celle-ci peuvent obtenir la désignation d'un administrateur ad hoc chargé de la représenter et que lesdits membres peuvent agir en réparation de leur préjudice individuel distinct de celui de l'association.

20. Il en résulte que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, est dépourvue de caractère sérieux.

21. En conséquence, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DECLARE irrecevable la première question prioritaire de constitutionnalité.

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la seconde question prioritaire de constitutionnalité.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Loi du 1er juillet 1901 ; articles 4, 5 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; article 1343-5 du code civil.

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