Numéro 7 - Juillet 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2022

LOIS ET REGLEMENTS

2e Civ., 7 juillet 2022, n° 21-13.527, (B), FRH

Rejet

Acte administratif – Acte réglementaire – Règlement départemental d'aide sociale – Modalités particulières de versement des aides sociales – Effets – Action en récupération de l'aide sociale

Il résulte des articles L. 121-3 et L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles que le conseil départemental adopte un règlement départemental d'aide sociale définissant les règles selon lesquelles sont accordées les prestations d'aide sociale relevant du département, qu'il peut décider de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements applicables aux prestations mentionnées à l'article L. 121-1 et que, dans ce cas, le département assure la charge financière de ces décisions.

L'article L. 121-4 susvisé n'interdit pas au conseil départemental d'organiser dans le règlement départemental d'aide sociale des modalités particulières de versement de l'aide sociale destinées à en assurer l'effectivité telles que son versement direct à l'établissement d'accueil de la personne âgée.

Fait une exacte application de ces dispositions et des articles L. 132-3 à L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles, la cour d'appel qui, constatant que conformément aux dispositions du règlement départemental d'aide sociale applicable en la cause, le département a versé à l'établissement d'accueil la totalité des frais de séjour de la bénéficiaire d'une aide sociale partielle, sans déduction de la participation mise à sa charge, décide que le département, ayant agi dans l'intérêt exclusif et pour le compte de la bénéficiaire, dans l'incapacité de s'acquitter elle-même de sa contribution volontaire, est en droit d'en réclamer le remboursement à sa succession, conformément au droit commun des obligations, en même temps qu'il exerce, en application de l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles, l'action en récupération de l'aide sociale accordée.

Acte administratif – Acte réglementaire – Règlement départemental d'aide sociale – Conditions et montants plus favorables

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 décembre 2020) et les productions, [R] [Y] (la bénéficiaire), née le 11 septembre 1926, est décédée le 21 décembre 2013, en laissant pour lui succéder son fils et unique héritier, M. [Y] (l'héritier). Elle avait été hébergée à la maison de retraite de [Localité 2] du 1er avril 2004 au 20 avril 2004 puis à la maison de retraite de l'hôpital de [Localité 4] du 17 janvier 2005 au 12 novembre 2009 et admise au bénéfice de l'aide sociale à l'hébergement des personnes âgées accueillies en établissement.

Par décision du 16 février 2016, notifiée à l'héritier, le président du conseil départemental de la [Localité 5] a ordonné la récupération sur la succession de la bénéficiaire des frais d'hébergement engagés pour son compte du 1er avril 2004 au 12 novembre 2009 pour un montant de 98 398,83 euros.

2. L'héritier a saisi d'un recours la juridiction de l'aide sociale, alors compétente.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses cinq autres branches

Enoncé du moyen

4. L'héritier fait grief à l'arrêt de rejeter son recours et de le condamner à rembourser une certaine somme au département, alors :

« 3°/ que le règlement départemental d'aide sociale ne peut déroger aux règles prévues par les lois et règlements, dans un sens plus favorable, qu'en matière de conditions d'attribution et de montants ; qu'il ne peut déroger aux règles relatives aux modalités de versement de l'aide ; qu'en considérant, pour écarter le moyen tiré de ce que l'aide sociale n'ayant pas été versée à la bénéficiaire, mais directement à l'hôpital, cette aide ne pouvait donner lieu à récupération, que l'article R. 131-5 du code de l'action sociale et des familles pose le principe général du versement direct au bénéficiaire de l'aide sociale, mais n'interdit en aucune manière au département de choisir d'autres modalités, en particulier pour les frais de séjour des personnes hébergées dans des établissements adaptés, la cour d'appel, qui a ainsi estimé que le règlement départemental pouvait déroger à une règle, édictée par décret, relative aux modalités de versement de l'aide, a violé les articles L. 121-4 et R. 131-5 du code de l'action sociale et des familles ;

4°/ qu'en tout état de cause, le règlement départemental d'aide sociale ne peut édicter que des dispositions plus favorables au bénéficiaire de l'aide que celles prévues par les lois et règlement ; que le versement direct de l'aide sociale à l'hôpital, s'il est plus favorable à ce dernier, n'est pas plus favorable au bénéficiaire de l'aide ; qu'en considérant que l'article R. 131-5 pose le principe général du versement direct au bénéficiaire de l'aide sociale, mais n'interdit en aucune manière au département de choisir d'autres modalités, la cour d'appel, qui a ainsi estimé que le règlement pouvait prévoir une règle dérogatoire sans que cette règle soit plus favorable au bénéficiaire de l'aide sociale, a violé les articles L. 121-4 et R. 131-5 du code de l'action sociale et des familles ;

5°/ que les ressources de la personne âgée sont affectées au paiement de ses frais d'hébergement dans la limite de 90 % ; que la personne âgée s'acquitte elle-même de sa contribution à l'établissement d'accueil ; qu'en considérant, pour condamner l'héritier à rembourser l'intégralité des sommes versés par le département à l'hôpital, que la bénéficiaire aurait dû verser « au département », au titre de la participation à ses frais d'hébergement et d'entretien, une somme représentant 90 % de ses ressources, la cour d'appel a violé les articles L. 132-3, R. 132-2, R. 314-158 et R. 314-159 du code de l'action sociale et des familles ;

6°/ que seul le conseil départemental, dans le cadre de l'édiction du règlement départemental d'aide sociale, peut, en application de l'article L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles, décider de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements ; que l'exécutif du département ne peut pas décider, ponctuellement, de payer, en plus de l'aide sociale octroyée, la part correspondant à la contribution de la personne âgée à ses frais d'hébergement ; que, comme le faisait valoir l'héritier, le règlement départemental d'aide sociale de [Localité 5] prévoyait que l'aide sociale à l'hébergement n'avait vocation à prendre en charge que les dépenses d'hébergement « non couvertes par la participation de la personne âgée » ; qu'en considérant, pour condamner l'héritier à rembourser l'intégralité des sommes versées par le département à l'hôpital, que la prise en charge, par le département, de la participation de la bénéficiaire était rendue possible en application de l'article L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles, la cour d'appel a violé cet article, ainsi que l'article 1er de la fiche 16 du règlement départemental d'aide sociale de [Localité 5] ;

7°/ qu'en tout état de cause, le département assure la charge financière des décisions, prises sur le fondement de l'article L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles, accordant au bénéficiaire de l'aide sociale des montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements ; que la cour d'appel a relevé que la prise en charge, par le département, de la part correspondant à la contribution de la bénéficiaire à ses frais d'hébergement était possible en application de l'article L. 121-4 du code de l'action sociale ; qu'en considérant que l'héritier devait rembourser l'intégralité des sommes versées par la département à l'hôpital, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, dont il résultait que la charge financière de la décision de payer la part de la bénéficiaire devait être assurée par le département et que le paiement de cette part ne pouvait donc donner lieu à récupération, violant ainsi l'article L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. Le conseil départemental conteste la recevabilité du moyen, pris en ses quatrième et septième branches. Il soutient que, mélangé de fait et de droit, il serait nouveau.

6. Toutefois, ces griefs qui ne se réfèrent à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, sont de pur droit.

7. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

8. En vertu des articles L. 231-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles, l'aide sociale à l'hébergement des personnes âgées est au nombre des prestations légales d'aide sociale à la charge du département mentionnées à l'article L. 121-1 de ce code.

9. L'article L. 121-3 du même code prévoit que dans les conditions définies par la législation et la réglementation sociales, le conseil départemental adopte un règlement départemental d'aide sociale définissant les règles selon lesquelles sont accordées les prestations d'aide sociale relevant du département.

10. L'article L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles précise que le conseil départemental peut décider de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements applicables aux prestations mentionnées à l'article L. 121-1 et que le département assure la charge financière de ces décisions.

Au demeurant, il n'interdit pas au conseil départemental d'organiser dans le règlement départemental d'aide sociale des modalités particulières de versement de l'aide sociale destinées à en assurer l'effectivité telles que son versement direct à l'établissement d'accueil de la personne âgée.

11. Il résulte par ailleurs des articles L. 132-3, L. 132-4 et R. 132-2 du code de l'action sociale et des familles, que les personnes âgées accueillies au titre de l'aide sociale dans des établissements et services sociaux ou médico-sociaux doivent s'acquitter elles-mêmes de la participation financière mise à leur charge pour leur hébergement et leur entretien, dans la limite de 90 % de leurs ressources, qu'elles peuvent toutefois demander que leurs ressources soient perçues par le comptable public ou le responsable de l'établissement et que cette mesure peut aussi leur être imposée, par une décision du président du conseil départemental à la demande de l'établissement lorsqu'elles ne se sont pas acquittées de leur participation pendant trois mois.

12. Enfin, selon l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles, le département qui a engagé des dépenses d'aide sociale dispose d'un recours en recouvrement sur l'actif net de la succession du bénéficiaire.

13. L'arrêt constate qu'il a été décidé d'accorder à la bénéficiaire, tant pour l'attribution initiale que pour le renouvellement en 2005, une aide sociale partielle avec une participation mensuelle d'un certain montant à la charge de son conjoint, lequel est décédé le 23 décembre 2005 et sans participation de son fils et que la bénéficiaire devait verser, au titre de sa participation à ses frais d'hébergement et d'entretien, une somme représentant 90 % de ses ressources. Il relève que toutefois, l'état de santé de cette dernière ne lui permettait pas de signer elle-même les documents administratifs et médicaux nécessaires à son admission et qu'il ne pouvait pas davantage être attendu de sa part qu'elle accomplisse des démarches pour matérialiser sa contribution volontaire.

14. Il relève encore que l'article 13-5 du règlement départemental d'aide sociale adopté le 25 novembre 2003, applicable en la cause, prévoit que pour la prise en charge des frais de séjour, le département verse à l'établissement la totalité des frais de séjour des bénéficiaires de l'aide sociale, sans déduction de la participation. Il retient que l'article R. 131-5 du code de l'action sociale et des familles pose le principe général du versement direct au bénéficiaire de l'aide sociale mais n'interdit en aucune manière au département de choisir d'autres modalités, en particulier pour les frais de séjour des personnes hébergées dans les établissements adaptés. Il ajoute qu'une telle mesure est pleinement justifiée pour garantir la continuité de la prise en charge de personnes qui sont vulnérables et s'assurer de la bonne affectation de l'aide.

15. De ces constatations et énonciations, faisant ressortir que le département qui, agissant dans l'intérêt exclusif et pour le compte du bénéficiaire de l'aide sociale, a pris en charge la totalité des frais de séjour de celui-ci, sans déduction de sa participation, est en droit d'en réclamer le remboursement à sa succession, conformément au droit commun des obligations, en même temps qu'il exerce en application de l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles l'action en récupération de l'aide sociale accordée, la cour d'appel a exactement déduit que le conseil départemental était fondé à réclamer à la succession de la bénéficiaire le remboursement de l'intégralité des frais d'hébergement et d'entretien dont il avait assuré l'avance.

16. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Renault-Malignac - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Marlange et de La Burgade -

Textes visés :

Articles L. 121-1, L. 121-3, L. 121-4 et L. 132-3 à L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles.

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