Numéro 7 - Juillet 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2022

IMPOTS ET TAXES

Com., 6 juillet 2022, n° 21-13.571, (B), FS

Rejet

Redressement et vérifications (règles communes) – Visites domiciliaires (article L. 16 B du livre des procédures fiscales) – Déroulement des opérations – Officier de police judiciaire – Présence constante – Défaut – Conditions d'annulation des opérations de visite et de saisies – Atteinte aux intérêts que l'officier de police judiciaire a pour mission de protéger

Le premier président, qui constate que l'officier de police judiciaire chargé d'assister aux opérations de visite et de saisies, qui s'est absenté du local où elles se déroulaient, est demeuré à proximité de ce local et à tout moment joignable, qu'aucun incident n'a été soulevé à ce propos et que le procès-verbal a été signé sans que des observations soient formulées, en déduit à bon droit qu'il n'y pas lieu d'annuler les opérations de visite et de saisies dès lors que n'est invoquée aucune atteinte aux intérêts que l'officier de police judiciaire a pour mission de protéger, rendue possible par ses absences.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 3 mars 2021), les juges des libertés et de la détention des tribunaux de grande instance de Paris et de Créteil ont, sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, autorisé l'administration fiscale à effectuer des visites et saisies en vue de rechercher la fraude des sociétés Géo France finance (la société GFF), European Tradings Materials et Manufacture française des Ardennes, dans les locaux et dépendances situés [Adresse 4] et [Adresse 1] et [Adresse 2].

2. Les opérations de visite et de saisies ont été réalisées les 28 et 29 mai 2019.

3. La société GFF a interjeté appel des ordonnances d'autorisation et formé un recours contre le déroulement de ces opérations.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. La société GFF fait grief à l'ordonnance de déclarer régulières les opérations de visite et de saisies en date des 28 et 29 mai 2019 effectuées dans les locaux sis [Adresse 4], alors :

« 1°/ que l'officier de police judiciaire doit assister aux opérations de visite et saisies, afin de tenir informé de leur déroulement le magistrat qui les a autorisées ; qu'ainsi des saisies ne peuvent être valablement effectuées qu'en la présence constante d'un officier de police judiciaire ; qu'en affirmant au contraire que « si l'officier de police judiciaire doit être présent durant les opérations de visite domiciliaire, son rôle est limité à un contrôle de celles-ci et à une intervention en cas d'incident », si bien que celui-ci peut s'absenter pourvu qu'il reste joignable et à la disposition des participants à la visite, la conseillère déléguée a violé les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales ;

2°/ qu'en énonçant, pour déclarer régulières les opérations de visite et saisies effectuées dans ses locaux malgré les absences répétées de l'officier de police judiciaire, que celui-ci était resté à la disposition des participants aux opérations ou encore qu'il « n'a pas été relevé d'incident lié aux absences renouvelées de l'officier de police judiciaire », après avoir admis que ces absences avérées de l'officier de police judiciaire pendant le déroulement des opérations « n'ont pas été mentionnées sur le procès-verbal relatant les modalités et le déroulement des opérations et consignant les constatations effectuées », ce dont il résultait que ce procès-verbal était dépourvu de valeur probante et que les conditions du déroulement des opérations réalisées en l'absence de l'officier de police judiciaire ne pouvaient pas être déterminées avec certitude, la conseillère déléguée a violé les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, la visite et la saisie de documents s'effectuent sous l'autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées. A cette fin, il désigne le chef du service qui nomme l'officier de police judiciaire chargé d'assister à ces opérations et de le tenir informé de leur déroulement.

L'officier de police judiciaire veille au respect du secret professionnel et des droits de la défense. Un procès-verbal relatant les modalités et le déroulement de l'opération de visite et de saisies et consignant les constatations effectuées est dressé sur-le-champ par les agents de l'administration des impôts.

7. Après avoir constaté que l'officier de police judiciaire s'était absenté du local où se déroulaient les opérations de visite domiciliaire à onze reprises durant les quinze heures qu'ont duré les opérations, pendant cinq à dix minutes à chaque heure, en restant à proximité du local où elles se déroulaient, et que, si ces absences n'ont pas été mentionnées sur le procès-verbal relatant le déroulement des opérations, aucun incident n'a été soulevé à ce propos et ce procès-verbal a été signé sans que des observations eussent été formulées, l'ordonnance relève que l'officier de police judiciaire, demeuré à proximité du local et à tout moment joignable, est resté à la disposition des participants aux opérations de visite, même durant ses courtes absences, et n'a pas eu à intervenir dans les opérations.

8. De ces constatations, dont l'exactitude n'est pas contestée, et dès lors que la société GFF n'invoquait aucune atteinte aux intérêts que l'officier de police judiciaire a pour mission de protéger, rendue possible par les absences de ce dernier, le premier président a déduit à bon droit qu'il n'y avait pas lieu à annulation des opérations.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Tostain - Avocat général : M. Lecaroz - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article L. 16 B du livre des procédures fiscales.

Com., 6 juillet 2022, n° 20-14.532, (B), FRH

Cassation partielle

Responsabilité des dirigeants – Dirigeant d'une société ou de tout autre groupement – Procédure – Action – Prescription – Interruption et suspension de la prescription de l'action contre la société – Opposabilité au dirigeant

Il résulte de la combinaison des articles L. 267 et L. 274 du livre des procédures fiscales que, sous réserve d'être introduite dans un délai satisfaisant, l'action en responsabilité solidaire du dirigeant d'une société, ouverte au comptable public, peut être exercée tant que les poursuites tendant au recouvrement de la dette fiscale de la société ne sont pas atteintes par la prescription.

Viole ces dispositions la cour d'appel qui, après avoir constaté que l'action en recouvrement de la créance que l'administration fiscale détient contre une société n'est pas atteinte par la prescription, déclare prescrite l'action en responsabilité solidaire engagée par le comptable public contre le dirigeant de la société débitrice au motif que ne lui sont pas opposables les causes d'interruption et de suspension de la prescription de l'action contre la société, liées à la procédure collective dont la société a fait l'objet.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 19 novembre 2019), la société Express découpe Domène (la société), dont M. [H] était le gérant, a été mise en redressement judiciaire le 15 juillet 2008, puis en liquidation judiciaire le 16 septembre 2008.

La procédure a été clôturée pour insuffisance d'actif le 13 décembre 2016.

2. Le 25 août 2017, le comptable public responsable du service des impôts des entreprises de [Localité 4] (le comptable public) a assigné M. [H], sur le fondement de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales, afin qu'il soit déclaré solidairement responsable, avec la société, de la dette fiscale de cette dernière au titre de la TVA due pour les années 2006 à 2008.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. Le comptable public fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action au motif qu'elle est atteinte par la prescription, alors « que le dirigeant de la société peut être rendu responsable du paiement des impositions et pénalités de la société sur le fondement de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales tant que l'action en recouvrement contre cette société n'est pas elle-même prescrite ; qu'en opposant que le principe de la solidarité du dirigeant n'étant pas de droit mais devant être établi par une décision de justice, les causes d'interruption et de suspension de la prescription à l'encontre de la société débitrice principale, liées notamment à la procédure collective, ne pouvaient être invoquées quand ces causes d'interruption et de suspension peuvent légalement être invoquées par l'administration, la cour d'appel a violé l'article L. 267, ensemble l'article L. 274 du livre des procédures fiscales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 267 et L. 274 du livre des procédures fiscales :

4. Il résulte de la combinaison de ces textes que, sous réserve d'être introduite dans un délai satisfaisant, l'action en responsabilité solidaire du dirigeant d'une société, ouverte au comptable public, peut être exercée tant que les poursuites tendant au recouvrement de la dette fiscale de la société ne sont pas atteintes par la prescription.

5. Pour déclarer prescrite l'action du comptable public à l'encontre de M. [H], l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que le principe de la solidarité du dirigeant n'étant pas de droit mais devant être établi par une décision de justice, les causes d'interruption et de suspension de la prescription à l'encontre de la société débitrice principale, liées notamment à la procédure collective, ne sont pas opposables au dirigeant. Il retient que le droit d'action du comptable public à l'encontre de M. [H] n'a pas été suspendu par la procédure collective suivie contre la société et que son action a été intentée plus de quatre années après la possibilité de mise en recouvrement contre M. [H].

6. En statuant ainsi, après avoir constaté que la prescription quadriennale de l'action en recouvrement de la créance que l'administration fiscale détenait contre la société, qui avait été interrompue, avait recommencé à courir pour une nouvelle période de quatre ans à compter du 13 décembre 2016, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Le comptable public fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'action en responsabilité solidaire du dirigeant ne peut être engagée qu'au cas où le recouvrement est impossible auprès de la société débitrice ; qu'afin de respecter cette condition légale, le comptable public doit, en conséquence, s'assurer auprès du mandataire judiciaire, lorsqu'une procédure collective a été ouverte à l'encontre de [la société], s'il existe des perspectives de recouvrement lors de la réalisation de l'actif ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions du comptable qui faisait valoir dans ses écritures que le mandataire liquidateur, régulièrement interrogé par le comptable, avait, dans sa dernière réponse du 21 juin 2016, attesté qu'il serait en mesure de lui verser un dividende, effectivement versé, pour un montant de 43 311,16 euros le 8 février 2017, violant l'article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 267 du livre des procédures fiscales. »

Réponse de la Cour

8. Vu les articles L. 267 du livre des procédures fiscales et 455 du code de procédure civile :

9. Il résulte du premier de ces textes que le comptable public doit engager l'action en responsabilité solidaire du dirigeant dans un délai satisfaisant à compter du constat de l'impossibilité définitive de recouvrer les impositions et pénalités dues par la société.

10. Selon le second, tout jugement doit être motivé.

Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

11. Pour dire que le comptable public n'avait pas agi contre M. [H] dans un délai satisfaisant, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que le comptable public avait été informé, dès le mois de septembre 2008, par le rapport de l'administrateur du redressement judiciaire de la société, de la situation largement obérée de celle-ci et retient qu'au vu des informations contenues dans ce rapport et du fait que M. [H] avait été condamné, le 5 juillet 2010, à combler partiellement le passif à hauteur de 300 000 euros, somme ramenée à 150 000 euros par un arrêt du 20 juin 2013, le comptable public était en mesure de savoir que le recouvrement de sa créance, admise au passif de la société le 30 juin 2009 pour un montant de 592 036 euros, ne pouvait être envisagé. Il en déduit que son action, engagée le 25 août 2017, est tardive.

12. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du comptable public, qui soutenait que le mandataire liquidateur, régulièrement interrogé, avait, dans sa dernière réponse du 21 juin 2016, attesté qu'il serait en mesure de verser à l'administration un dividende, ce qui l'avait empêché d'engager l'action fondée sur l'article L. 267, faute de connaître le solde de la créance fiscale et faute de savoir si cette créance serait apurée par réalisation de l'actif de la société, et qui précisait qu'un tel dividende lui avait été versé à concurrence de la somme de 43 311 euros le 8 février 2017, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement, il rejette l'exception d'irrecevabilité fondée sur le non-respect, par le comptable public responsable du service des impôts des entreprises de [Localité 4], des dispositions de l'article 56 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 19 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Mollard (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Lion - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles L. 267 et L. 274 du livre des procédures fiscales.

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