Numéro 7 - Juillet 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2022

ENERGIE

Soc., 6 juillet 2022, n° 20-21.777, n° 20-21.778, n° 20-21.779, n° 20-21.780, n° 20-21.781, n° 20-21.782, n° 20-21.783, n° 20-21.784, n° 20-21.785, n° 20-21.786 et suivants, (B), FP

Cassation partielle

Industries électriques et gazières – Personnel – Statut – Indemnité de repas – Bénéfice – Conditions – Preuve – Charge – Détermination – Office du juge – Portée

Il résulte de l'article 231 de la circulaire PERS 793 du 11 août 1982 prise en application du statut national du personnel des industries électriques et gazières (IEG) que l'indemnité de repas prévue par ce texte est due dès lors que le salarié se trouve en déplacement pour raison de service pendant les heures normales de repas, lesquelles sont comprises entre onze heures et treize heures pour le déjeuner.

Si, en application de l'article 1315, devenu 1353, du code civil, il incombe à l'agent de prouver s'être trouvé en déplacement pour raison de service pendant l'intégralité de la pause dite méridienne, il appartient à l'employeur de justifier qu'il s'est libéré de son obligation de paiement de la prime de repas en démontrant que le salarié en déplacement pour la journée pour raison de service avait la possibilité de revenir, entre 11 heures et 13 heures, à son centre de rattachement.

Ne donne pas de base légale à sa décision au regard des deux textes susvisés, la cour d'appel qui rejette la demande en paiement d'indemnités méridiennes de repas formée par les salariés, techniciens itinérants en déplacement sur la journée dans leur zone habituelle de travail, qui produisaient des tableaux établis à partir des comptes-rendus individuels journaliers d'activité validés par la hiérarchie, sans analyser les éléments que les employeurs, qui se prétendaient libérés de leur obligation au paiement de l'indemnité de repas, avaient, à sa demande, versés aux débats.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-21.777 à 20-21.839 sont joints.

Désistement partiel

2. Il est donné acte à MM. [JD], [RK], [TT], [D], [XJ], [WD], [PC], [GM], [V], [AM], [TV], [TR], [U] et [LJ] du désistement de leur pourvoi.

Faits et procédure

3. Selon les arrêts attaqués (Douai, 31 janvier 2020), M. [WD] et soixante-deux autres salariés, techniciens d'intervention des sociétés Enedis et GRDF ont saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'indemnités d'entretien de leurs tenues de travail et ont présenté, en cours d'instance, une demande en paiement d'indemnités méridiennes de repas.

4. Le Syndicat territorial CGT des personnels des industries électrique et gazière de la métropole lilloise (le syndicat) est intervenu volontairement aux instances.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Les salariés font grief aux arrêts de rejeter leurs demandes en condamnation des employeurs au paiement de diverses sommes à titre d'indemnités méridiennes de repas pour chaque journée travaillée depuis le 1er septembre 2005 jusqu'au 31 mai 2018, alors « que l'indemnité de repas prévue par la circulaire PERS 793 du 11 août 1982 est due dès lors que le salarié se trouve en déplacement pour raison de service dans sa zone habituelle de travail au cours de la période comprise entre 11 heures et 13 heures pour le déjeuner ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de la cour d'appel que les missions des salariés avaient une nature itinérante, ces derniers réalisant habituellement des interventions techniques sur le terrain hors de leur centre de rattachement ; qu'il s'en déduisait que ces derniers se trouvaient nécessairement en déplacement pendant la période comprise entre 11 heures et 13 heures ; qu'en déboutant néanmoins les salariés de leurs demandes à titre d'indemnité de repas au motif que ces derniers ne justifieraient pas qu'ils étaient en déplacement pour les besoins du service durant la période susvisée, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé les dispositions de l'article 231 de la circulaire PERS 793 du 11 août 1982 ensemble celles de l'article 28 du statut national du personnel des industries électriques et gazières approuvé par décret n° 46-1541 du 22 juin 1946 et celles de l'article L. 1221-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1315, devenu 1353, du code civil et l'article 231 de la circulaire PERS 793 du 11 août 1982 prise en application du statut national du personnel des industries électriques et gazières :

6. Aux termes du premier des textes susvisés, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

7. Selon le second de ces textes, pour qu'il y ait ouverture du droit à l'indemnité de repas, il faut que l'agent se soit trouvé en déplacement pour raison de service pendant les heures normales de repas, lesquelles sont comprises entre 11 heures et 13 heures pour le déjeuner et entre 18 heures et 21 heures pour le dîner, étant entendu que ces heures sont celles de fin de travail ou de fin de déplacement.

8. Pour débouter les salariés de leur demande en paiement d'une indemnité méridienne de repas pour chaque journée travaillée du 1er septembre 2005 au 31 mai 2018, les arrêts, après avoir relevé que les employeurs avaient ponctuellement réglé aux salariés des indemnités méridiennes de repas, retiennent que, pour la fraction excédant les paiements d'ores et déjà effectués, les salariés doivent prouver leurs déplacements pour les besoins du service durant l'intégralité de la période méridienne ouvrant droit à l'indemnité c'est-à-dire entre 11 et 13 heures. Ils constatent que les intéressés ne donnent aucune information ni sur l'étendue de leur zone habituelle de compétences ni sur l'existence de cantines et restaurants agréés. Ils ajoutent que les salariés, à qui il n'était pas interdit de regagner le centre de rattachement ou leur domicile pour y prendre leur déjeuner, ne fournissent aucun élément sur les lieux de leurs interventions et placent ainsi la cour dans l'impossibilité de retenir, au moyen d'un faisceau de présomptions, l'existence de déplacements sur la totalité de la période entre 11 heures et 13 heures. Ils relèvent qu'au soutien de leur demande, les salariés produisent des bulletins de paie ainsi qu'un tableau récapitulatif comportant une totalisation de leurs déplacements mensuels, des sommes payées et des sommes manquantes. Ils retiennent que ces tableaux récapitulatifs, pas plus que les écritures oralement développées, ne contiennent aucune précision sur les lieux et les horaires de leurs déplacements, le fait que les salariés se soient déplacés n'autorisant pas à déduire qu'ils l'aient été continûment entre 11 heures et 13 heures.

9. Ils relèvent encore que sont produits aux débats les bulletins de paie comportant en annexe des feuillets de décompte des temps de travail intitulés « éléments variables de temps » reprenant mensuellement diverses données dont les heures de début et de fin de service, jour après jour, les heures supplémentaires, les astreintes et le nombre de repas en zone habituelle de travail. Ils considèrent qu'aucun de ces documents n'accrédite l'existence de déplacements des salariés sur la totalité de la période entre 11 heures et 13 heures autres que ceux ayant déjà donné lieu à paiement de l'indemnité correspondante et que ces pièces révèlent qu'en général les intéressés commençaient leur service vers 7 heures 45 pour l'achever vers 11 heures 45 avant de le reprendre l'après-midi le plus souvent à partir de 13 heures. Ils retiennent que les comptes-rendus d'évaluation annuels ne font que relater la nature itinérante des missions sans démontrer l'existence de déplacements excédant ceux déjà réglés. Ils observent qu'étant dotés d'un véhicule d'intervention le retour des salariés au centre de rattachement ou à leur domicile n'était pas impossible et que ceux-ci ne justifient pas de la moindre dépense de restauration.

10. Ils déduisent de ce qui précède que les salariés ont été entièrement remplis de leurs droits.

11. En se déterminant ainsi, alors qu'il n'était pas contesté que les salariés techniciens itinérants étaient en déplacement sur la journée dans leur zone habituelle de travail et que ceux-ci produisaient les tableaux établis à partir des comptes rendus individuels journaliers d'activité validés par la hiérarchie, de sorte qu'il appartenait aux employeurs qui se prétendaient libérés de leur obligation au paiement de l'indemnité de repas de démontrer que les salariés avaient la possibilité de revenir, entre 11 heures et 13 heures, à leur centre de rattachement, la cour d'appel, qui devait analyser les éléments produits par les employeurs, après l'arrêt avant-dire droit, au soutien de leur argumentation subsidiaire, n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. Le syndicat fait grief aux arrêts de le débouter de ses demandes de dommages-intérêts, alors « que la cassation qui ne manquera pas d'intervenir sur le premier moyen de cassation relatif au paiement des indemnités méridiennes de repas entraînera, par application de l'article 624 du code de procédure civile, celle du chef de dispositif par lequel la cour d'appel a débouté le syndicat de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession, dès lors que cette demande était notamment fondée sur l'atteinte à l'intérêt collectif de la profession caractérisée par le non-paiement des indemnités méridiennes de repas en violation du statut des personnels des industries électriques et gazières et de la circulaire PERS 793 prise pour son application. »

Réponse de la Cour

13. La cassation prononcée entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef du dispositif déboutant le syndicat de sa demande de dommages-intérêts, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils déboutent MM. [YN], [FK], [RG], [BD], [MP], [KJ], [SK], [WH], [OA], [XF], [LP], [FO], [EI], [RE], [XN], [HT], [MW], [EC], [YU] [P], [WB], [EK], [KD], [YS], [S], [O], [Y], [L], [N], [A], [E], [X], [T], [W], [XH], [EG], [MS], [JB], [LN], [LL], [UZ], [WF], [EE], [GT], [GO], [BH], [AS], [ZS], [NW] et [ZW] de leurs demandes en paiement de diverses sommes à titre d'indemnités méridiennes de repas pour chaque journée travaillée depuis le 1er septembre 2005 jusqu'au 31 mai 2018 et au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'ils déboutent le Syndicat territorial CGT des personnels des industries électrique et gazière de la métropole lilloise de sa demande de dommages-intérêts, les arrêts rendus le 31 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sur ces points, les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Monge - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 231 de la circulaire PERS 793 du 11 août 1992 des industries électriques et gazières (IEG) ; article 1315, devenu 1353, du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions d'octroi de l'indemnité de repas prévue par l'article 231 de la circulaire PERS 793 du 11 août 1982, à rapprocher : Soc., 17 décembre 2004, pourvoi n° 04-44.103, Bull. 2004, V, n° 345 (rejet) ; Soc., 11 mars 2009, pourvoi n° 08-40.054, Bull. 2009, V, n° 76 (rejet).

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