Numéro 7 - Juillet 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2022

COMPENSATION

Com., 6 juillet 2022, n° 20-17.279, (B), FRH

Rejet

Compensation légale – Effets – Cautionnement – Créance personnelle opposée par la caution au créancier – Portée – Absence d'effet extinctif sur la dette principale

Il résulte de la combinaison des articles 1234, 1294, alinéa 2, et 2288 anciens du code civil que la compensation opérée entre une créance de dommages-intérêts résultant du comportement fautif du créancier à l'égard de la caution lors de la souscription de son engagement, et celle due par cette dernière, au titre de sa garantie envers ce même créancier, n'éteint pas la dette principale garantie mais, à due concurrence, l'obligation de la seule caution.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 6 mars 2020) et les productions, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Ille-et-Vilaine (la banque) a consenti à l'Earl [L] (l'Earl), créée par Mme [C], épouse [L], et par M. [L], son fils, plusieurs concours financiers garantis par les cautionnements de Mme [C] et de M. [L].

2. L'Earl a été transformée en société civile d'exploitation agricole (la SCEA), dans le capital de laquelle sont entrées les sociétés Arco et Calcialiment, Mme [C] et M. [L] restant détenteurs de 29 % des parts du capital.

3. La SCEA ayant été mise en redressement judiciaire par un jugement publié au Bodacc le 8 juin 2003, la banque a assigné en paiement Mme [C] et M. [L] en leur qualité de caution.

Par une décision devenue irrévocable, Mme [C] et M. [L] ont été condamnés à payer diverses sommes à la banque, cette dernière étant elle-même condamnée à payer à M. [L], à titre de dommages-intérêts, une somme d'un montant égal à celui au paiement duquel il était condamné.

4. Par assignation du 11 octobre 2007, Mme [C] et M. [L] ont sollicité, sur le fondement de l'article 1857 du code civil, la condamnation des sociétés Arco et Calcialiment à leur payer des sommes correspondant au montant des dettes dont la SCEA était tenue à l'égard de la banque à due concurrence de la participation de ces sociétés dans le capital de la SCEA.

5. Par assignation en intervention forcée du 7 mai 2008, la société Arco a appelé en garantie la banque, qui a, le 5 juin 2008, notifié à Mme [C] et M. [L] des conclusions par lesquelles elle a demandé leur condamnation, ainsi que celle des sociétés Arco et Calcialiment, en leur qualité d'associés de la SCEA, sur le fondement de l'article 1857 du code civil.

6. Par un premier jugement, un tribunal de grande instance a statué uniquement sur les demandes réciproques formées entre Mme [C] et M. [L], d'une part, et les sociétés Arco et Calcialiment, d'autre part.

7. Par un second jugement, le tribunal a statué sur l'appel en garantie de la société Arco, aux droits de laquelle est venue la société Cooperl Arc Atlantique, dirigé contre la banque, ainsi que sur les demandes de cette dernière contre Mme [C] et M. [L], qu'elle avait assignés en intervention forcée par acte du 23 juillet 2009.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. Mme [C] et M. [L] font grief à l'arrêt de déclarer recevable, comme échappant à la prescription, la demande formée par la banque contre eux, condamner Mme [C] à payer à la banque la somme de 110 957,77 euros et M. [L] à lui payer la somme de 246 572,85 euros, et rejeter leurs demandes, alors :

« 1°/ que l'assignation par laquelle un défendeur appelle en garantie un tiers ne crée pas de lien d'instance entre le demandeur à l'action principale et le garant ; qu'en décidant au contraire que l'appel en garantie de la banque par la société Arco par assignation du 7 mai 2008 lui a conféré la qualité de partie à l'instance initiale, de sorte qu'elle a pu valablement conclure à l'égard de Mme [C] et M. [L] et interrompre la prescription, les juges du fond ont violé les articles 324, 334 et 335 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en s'abstenant d'identifier un acte de procédure mettant en cause la banque sur l'instance ouverte par l'assignation du 11 octobre 2007 et susceptible de rendre la banque partie à cette instance, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 334 et 335 du code de procédure civile ;

3°/ que les demandes incidentes sont formées à l'encontre des tiers dans les formes prévues pour l'introduction de l'instance ; qu'ayant omis de rechercher si les conclusions du 5 juin 2008, produites non dans l'instance ouverte par l'assignation du 11 octobre 2007 (n° 08/0042), mais dans l'instance ouverte par l'acte du 7 mai 2008 à laquelle les consorts [L] n'étaient pas parties (n° 08/0343), avaient été présentées dans les formes prévues pour l'introduction de l'instance, les juges du fond ont de nouveau privé leur décision de base légale au regard des articles 68, 334 et 335 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

9. Il résulte de l'article 68 du code de procédure civile que les demandes incidentes sont formées à l'encontre des parties à l'instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense.

10. Après avoir relevé, par des motifs non argués de dénaturation, que, par assignation du 7 mai 2008, la société Arco avait appelé la banque en intervention forcée à l'instance engagée par Mme [C] et M. [L] le 11 octobre 2007 et que cette intervention avait conféré à la banque la qualité de partie à cette instance, l'arrêt retient que celle-ci était dès lors recevable à former des demandes contre toute partie à ladite instance. Il ajoute que la banque justifie avoir formé, par conclusions notifiées le 5 juin 2008, dans le délai de prescription, ses demandes en paiement fondées sur l'article 1857 du code civil contre Mme [C] et M. [L], parties à l'instance ouverte par l'assignation du 11 octobre 2007.

11. En l'état de ces constatations et appréciations, c'est à bon droit que la cour d'appel, qui a identifié l'assignation en intervention forcée du 7 mai 2008 comme étant l'acte de procédure mettant en cause la banque dans l'instance ouverte par l'assignation du 11 octobre 2007 et lui conférant la qualité de partie à cette instance, a jugé que la notification à Mme [C] et M. [L] des conclusions du 5 juin 2008 avait interrompu la prescription à leur égard.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

13. Mme [C] et M. [L] font encore grief à l'arrêt de condamner Mme [C] à payer à la banque la somme de 110 957,77 euros et M. [L] à lui payer la somme de 246 572,85 euros, et rejeter leurs demandes, alors « que le cautionnement est constitué par l'engagement de la caution envers le créancier de payer la dette du débiteur ; que la compensation, exception inhérente à la dette, lorsqu'elle est opposée au créancier par la caution, emporte ainsi extinction de l'obligation principale garantie ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1234, 1289, 1294 et 2288 anciens du code civil. »

Réponse de la Cour

14. L'arrêt énonce exactement que la compensation opérée entre une créance de dommages-intérêts, résultant du comportement fautif du créancier à l'égard de la caution lors de la souscription de son engagement, et celle due par cette dernière, au titre de sa garantie envers ce même créancier, n'éteint pas la dette principale garantie mais, à due concurrence, l'obligation de la seule caution.

15. La cour d'appel en a, à juste titre, déduit que Mme [C] et M. [L] ne pouvaient exciper de la compensation intervenue entre les indemnités dues à M. [L] et les obligations cautionnées pour faire échec à l'action en contribution au passif exercée par la banque contre les associés de la SCEA et que la banque était fondée à leur réclamer, en leur qualité d'associés, leur part dans le passif déclaré, en ce compris les soldes impayés des prêts cautionnés.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Mollard (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Graff-Daudret - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Capron -

Textes visés :

Articles 1234, 1294, alinéa 2, et 2288 anciens du code civil.

Rapprochement(s) :

Dans le même sens : Com., 13 mars 2012, pourvoi n° 10-28.635, Bull. 2012, IV, n° 51 (rejet).

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