Numéro 7 - Juillet 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2022

BAIL D'HABITATION

3e Civ., 6 juillet 2022, n° 21-18.450, (B), FS

Cassation partielle

Bail soumis à la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 – Caractère d'orde public – Portée – Contrat de location à usage d'habitation à titre de résidence principale d'un bien déclassé du domaine public

Il résulte de l'article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, d'ordre public, que, dès le déclassement d'un bien du domaine public, sa location à usage d'habitation à titre de résidence principale, est soumise aux dispositions du titre 1 de cette loi. En conséquence, la validité d'une convention y dérogeant est conditionnée à l'existence de circonstances particulières indépendantes de la volonté des parties autres que celles résultant de la seule domanialité du bien, ce qu'il appartient au juge de vérifier.

Bail soumis à la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 – Domaine d'application – Exclusion – Convention d'occupation précaire – Eléments constitutifs – Circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties – Recherche nécessaire

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 mars 2021), Mme [G] (la locataire), agent de La Poste, a signé, le 2 novembre 1990 avec La Poste, une convention portant sur l'occupation d'un logement « consentie à titre précaire et révocable, à laquelle l'Etat pourra mettre fin à toute époque », stipulant qu'elle « prendra fin automatiquement, en cas de cessation des fonctions administratives de l'occupant, d'affectation de l'immeuble à un service public ou en cas de vente du bien par l'Etat ».

2. Le 12 décembre 2001, l'immeuble a fait l'objet d'un déclassement du domaine public puis,

La Poste, devenue une société de droit privé, a fait apport, à compter du 1er avril 2005, de l'immeuble à sa filiale, la société civile immobilière BP mixte, devenue la société BP mixte (la bailleresse).

3. Le 29 janvier 2019, la bailleresse a assigné la locataire, en retraite depuis le 2 décembre 2005, en expulsion et en fixation d'une indemnité d'occupation.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

5. La locataire fait grief à l'arrêt de constater que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire, figurant dans la convention d'occupation précaire conclue le 2 novembre 1990, sont réunies à la date du 2 décembre 2005, de lui ordonner de libérer l'appartement dans les huit jours de la signification de la décision et de fixer l'indemnité mensuelle d'occupation jusqu'à la date de la libération effective et définitive des lieux, alors « qu'est incompatible avec la qualification de convention d'occupation précaire et doit être requalifiée en contrat de bail d'habitation soumis aux dispositions d'ordre public de la loi du 6 juillet 1989, la convention conférant au preneur, en contrepartie d'un loyer la jouissance d'un appartement dans lequel il demeure depuis plus 15 ans, sans qu'aucune cause objective de précarité ne soit fournie par le bailleur pour justifier l'exclusion des dispositions d'ordre public de la loi du 6 juillet 1989 ; qu'en se bornant cependant à énoncer, pour refuser de requalifier la convention d'occupation précaire en bail d'habitation, qu'en vertu de la convention du 2 novembre 1990, par motifs propres que « la mise à disposition consentie avait un terme ; que lors de son départ à la retraite survenu le 2 décembre 2005, [Y] [G] savait qu'elle ne bénéficiait plus de droits sur le bien puisque la mise à disposition avait pris fin automatiquement » et par motifs adoptés que le courrier du 30 juin 2015 ne contenait pas « une renonciation de la SCI BP Mixte aux conditions de résiliation posées par la convention ni l'ajout de clause résolutoire de libération de l'ensemble des appartements de l'immeuble et de relogement », la cour qui a statué par des motifs impropres à caractériser, s'agissant d'un local d'habitation, l'existence au moment de la signature de la convention du 2 novembre 1990 de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté de Mme [G] et de La Poste justifiant le recours à une convention d'occupation précaire, a violé l'article 2 de la loi du 6 juillet 1989. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 :

6. Il résulte de ce texte, d'ordre public, que, dès le déclassement d'un bien du domaine public, sa location à usage d'habitation à titre de résidence principale, est soumise aux dispositions du titre 1er de cette loi.

En conséquence, la validité d'une convention y dérogeant est conditionnée à l'existence de circonstances particulières indépendantes de la volonté des parties autres que celles résultant de la seule domanialité du bien, ce qu'il appartient au juge de vérifier.

7. Pour accueillir la demande de la bailleresse, l'arrêt retient que le contrat ne concerne pas le domaine public mais un bien relevant du domaine privé de l'Etat, que la locataire a signé une convention prévoyant qu'elle prendra fin automatiquement en cas de cessation des fonctions administratives de l'occupant, en sorte que la mise à disposition consentie avait un terme, ce qui excluait que le bail puisse avoir été considéré comme un bail d'habitation de droit commun.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions confirmant le jugement entrepris en ce qu'il :

 - constate l'acquisition de la clause résolutoire figurant dans la convention d'occupation précaire conclue le 2 novembre 1990 entre l'Etat, aux droits duquel vient la SCI BP Mixte, et Mme [G] concernant l'appartement à usage d'habitation situé [Adresse 1], sont réunis à la date du 2 décembre 2005 ;

 - ordonne, en conséquence, à Mme [G] et à tous occupants de son chef de libérer l'appartement dans les huit jours de la signification du présent jugement ;

 - autorise, à défaut pour Mme [G] d'avoir volontairement libéré les lieux dans ce délai, la SCI BP Mixte venant aux droits de l'Etat à faire procéder à son expulsion ainsi qu'à celle de tous occupants de son chef, deux mois après la signification d'un commandement de quitter les lieux, y compris le cas échéant avec le concours d'un serrurier et de la force publique ;

 - condamne Mme [G] à verser à la SCI BP Mixte, venant aux droits de l'Etat, une indemnité mensuelle d'occupation jusqu'à la date de la libération effective et définitive des lieux ;

 - fixe le montant de l'indemnité mensuelle d'occupation à un montant égal au montant de la redevance et des charges qui auraient été dus en l'absence de la résiliation de la convention, soit un montant 761 euros, outre charges et révisions annuelles ;

 - condamne Mme [G] à verser à la SCI BP Mixte, venant aux droits de l'Etat, la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

et en ce qu'il y ajoute, condamne Mme [G] à payer à la SCI BP Mixte la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

l'arrêt rendu le 26 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Andrich - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : SARL Ortscheidt ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 29 avril 2009, pourvoi n° 08-10.506, Bull. 2009, III, n° 90 (cassation).

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