Numéro 7 - Juillet 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2021

SECURITE SOCIALE, ASSURANCES SOCIALES

2e Civ., 8 juillet 2021, n° 20-11.884, (B)

Cassation partielle

Prestations (dispositions générales) – Prestations indues – Remboursement – Règles de tarification et de facturation des médicaments et spécialités pharmaceutiques – Fraude – Exception – Force majeure – Conditions – Imprévisibilité – Cas – Médicaments d'exception

Aux termes de l'article L. 161-164 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction modifiée par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, sauf cas de force majeure, la non-présentation par le demandeur de pièces justificatives, la présentation de faux documents ou de fausses informations ou l'absence réitérée de réponse aux convocations d'un organisme de sécurité sociale entraînent la suspension, selon le cas, soit du délai d'instruction de la demande pendant une durée maximale fixée par décret, soit du versement de la prestation jusqu'à la production des pièces demandées ou la réponse à la convocation adressée.

Viole ce texte le tribunal qui condamne une caisse primaire d'assurance maladie à prendre en charge la facture relative à des médicaments d'exception délivrés par une pharmacie, alors qu'il constatait que l'ordonnance remise à la pharmacie aux fins de délivrance du médicament d'exception était un faux qui aurait pu être détecté par la consultation d'un applicatif informatique donnant accès au signalement des ordonnances falsifiées et que la pharmacie avait délivré ce médicament en pratiquant le tiers payant sur la base d'une simple attestation de soins et non d'une carte Vitale, ce dont il résultait que la vérification de la prescription médicale n'était pas imprévisible, et n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal de grande instance de Bobigny, 28 novembre 2019), rendu en dernier ressort, la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines (la caisse) a notifié à la société Pharmacie [Localité 1] (la pharmacie) sa décision de refus de prise en charge de la facture n° 36514 du 26 avril 2018 correspondant à la délivrance de médicaments d'exception.

2. La pharmacie a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

3. La caisse fait grief au jugement de la condamner à prendre en charge la facture du 26 avril 2018, alors :

« 1°/ que les caisses de sécurité sociale ne peuvent rembourser que les produits médicamenteux prescrits par un médecin ; que même en cas de bonne foi de la pharmacie, la caisse ne peut rembourser une prescription non établie par un praticien ; qu'en ordonnant le remboursement d'un produit vendu sur la base d'une fausse ordonnance, le tribunal des affaires de sécurité sociale a violé les articles R. 161-40, R. 163-2 et R. 165-1 du code de la sécurité sociale ;

3°/ que la force majeure est conditionnée à l'existence d'un événement incontrôlable, imprévisible et irrésistible ; qu'en l'espèce, la présentation à la pharmacie d'une ordonnance frauduleuse, même rédigée sur une souche authentique, ne caractérisait nullement une situation de force majeure dès lors que la fraude à l'ordonnance pour les hormones de croissance est fréquente et que la pharmacie disposait gratuitement de moyens sécurisés mis en place par l'assurance maladie pour contrôler tant l'authenticité de l'ordonnance que la réalité de l'ouverture des droits de l'assuré, ce qui excluait tout caractère insurmontable, imprévisible et irrésistible ; qu'en considérant que la pharmacie s'était trouvée dans une situation de force majeure, de sorte qu'elle pouvait demander le remboursement de la facture litigieuse en dépit du caractère falsifié de l'ordonnance, le tribunal a violé les articles L. 161-1-4 du code de la sécurité sociale et 1218 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 161-1-4, alinéa 3, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction modifiée par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, applicable au litige :

4. Aux termes de ce texte, sauf cas de force majeure, la non-présentation par le demandeur de pièces justificatives, la présentation de faux documents ou de fausses informations ou l'absence réitérée de réponse aux convocations d'un organisme de sécurité sociale entraînent la suspension, selon le cas, soit du délai d'instruction de la demande pendant une durée maximale fixée par décret, soit du versement de la prestation jusqu'à la production des pièces demandées ou la réponse à la convocation adressée.

5. Pour condamner la caisse à prendre en charge la facture de médicaments, le jugement retient qu'il apparaît que l'inscription à l'applicatif ASAFO (alerte sécurisée automatisée aux fausses ordonnances) n'est pas obligatoire et qu'il n'est pas paramétré pour diffuser des alertes automatiquement, sans besoin d'y être abonné et sans besoin de procéder à des recherches après connexion.

Le jugement relève encore qu'il ne peut être reproché à la pharmacie de n'avoir pas consulté ledit applicatif et que si le prix du produit doit inciter à de la prudence de la part des pharmacies, pour autant cela ne suffit pas à écarter tout risque de fraude.

Le jugement ajoute qu'en raison de l'utilisation d'un carnet à souches originales dérobé au médecin endocrinologue prescripteur réel, la falsification était encore plus difficile à détecter.

Le jugement estime enfin que la caisse ne démontrant pas qu'il était impossible pour la pharmacie de ne pas détecter le caractère falsifié de l'ordonnance litigieuse, l'absence d'alerte automatique relative à des ordonnances falsifiées ou volées sans besoin d'un abonnement à l'applicatif et l'absence d'obligation de consulter l'applicatif avant chaque délivrance de produits quel qu'en soit le montant, constituent des éléments en faveur du cas de force majeure, empêchant la pharmacie de présenter une ordonnance non falsifiée.

6. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser le cas de force majeure, alors qu'il constatait que l'ordonnance remise à la pharmacie aux fins de délivrance du médicament d'exception était un faux qui aurait pu être détecté par la consultation d'un applicatif donnant accès au signalement des ordonnances falsifiées et que la pharmacie avait délivré ce médicament en pratiquant le tiers payant sur la base d'une simple attestation de soins et non d'une carte vitale, ce dont il résultait que la vérification de la prescription médicale n'était pas imprévisible, le tribunal qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a déclaré recevable la société Pharmacie [Localité 1] en son action, le jugement rendu le 28 novembre 2019, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Bobigny ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Bobigny.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Leblanc - Avocat général : Mme Ceccaldi - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 161-164 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction modifiée par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 10 octobre 2019, pourvoi n° 18-20.866, Bull. 2019, (cassation) ; 2e Civ., 22 octobre 2020, pourvoi n° 19-16.521, Bull. 2020, (cassation partielle sans renvoi).

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