Numéro 7 - Juillet 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2021

PROCEDURE CIVILE

2e Civ., 1 juillet 2021, n° 20-10.694, (B)

Annulation

Conclusions – Conclusions d'appel – Recevabilité – Conditions – Appel incident – Intimé n'ayant conclu ni à l'infirmation ni à l'annulation du jugement

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 8 novembre 2019), un litige oppose les héritiers [U] sur le partage de la succession de leurs parents.

2. Par jugement du 6 avril 2018, un tribunal de grande instance a, notamment, dit n'y avoir lieu à rapport de donations déguisées ou de dons manuels au profit d'un ou plusieurs héritiers de [I] [U], ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et de partage de la succession de [I] [U], décédé le [Date décès 1] 2007, et désigné pour y procéder le président de la chambre des notaires, et rejeté les demandes plus amples ou contraires.

3. Par déclaration du 16 mai 2018, M. [F] [U] a relevé appel de cette décision sur l'ensemble des dispositions du jugement précité, sauf celles rejetant les demandes reconventionnelles présentées par M. [K] [U] et Mmes [B] et [Z] [U].

4. Ces derniers ont, par conclusions notifiées le 8 novembre 2018, déclaré former appel incident et demandé la confirmation du jugement uniquement en ce qu'il a écarté les conclusions tardives déposées le 25 janvier 2018, dit n'y avoir lieu à rapport de donations déguisées ou de dons manuels à leur profit et rejeté la demande indemnitaire de M. [F] [U].

5.Par ordonnance du 15 mai 2019, le conseiller de la mise en état, saisi d'un incident par M. [F] [U], a déclaré recevable l'appel incident formé par les intimés et les demandes formées dans leurs conclusions du 8 novembre 2018.

6. M. [F] [U] a déféré cette ordonnance à la cour d'appel.

Recevabilité du pourvoi contestée par la défense

7. M. [F] [U] demande de dire que le pourvoi est irrecevable sur le fondement des articles 606 et 608 du code de procédure civile.

8. Pour infirmer l'ordonnance déclarant recevable l'appel incident, l'arrêt dit que Mmes [Z] et [B] [U] et M. [K] [U] n'ont pas valablement formé appel incident dans le délai imparti à l'article 909 du code de procédure civile, apprécié au regard des dispositions de l'article 954 du même code, ce dont il résultait que les demandes tendant à la faire trancher sur les prétentions déjà soumises aux premiers juges qui avaient statué en réponse, étaient irrecevables.

9. En privant Mmes [Z] et [B] [U] et M. [K] [U] de leur appel incident, la cour d'appel a tranché une partie du principal.

10. Dès lors, le pourvoi est recevable.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

11. Mmes [Z] et [B] [U] et M. [K] [U] font grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance rendue le 5 mai 2019 par le magistrat chargé de la mise en état, dire que Mmes [Z] et [B] [U] et M. [K] [U], intimés sur l'appel principal de M. [F] [U], n'ont pas valablement formé appel incident à l'encontre du jugement du 6 avril 2018 rendu par le tribunal de grande instance de Bergerac et dire que leurs demandes tendant à faire statuer la cour sur des prétentions déjà soumises aux premiers juges qui ont statué en réponse, et à l'égard desquelles ils n'ont pas valablement formé appel incident, sont irrecevables alors :

« 1°/ que vaut demande de réformation du jugement, le dispositif des écritures d'une partie demandant à la cour d'appel de statuer à nouveau sur des demandes qui ont été rejetées par les premiers juges et de les accueillir ; qu'en jugeant que les intimés ne sollicitaient pas la réformation du jugement dans le dispositif de leurs écritures, tout en constatant qu'ils sollicitaient de la cour d'appel qu'elle « statue à nouveau sur les points suivants », ce dont il résultait que les consorts [U] demandaient la réformation du jugement sur ces demandes, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles 954, 542 et 562 du code de procédure civile ;

2°/ que les juridictions ne peuvent, dans l'application, de règles de procédure, faire preuve d'un formalisme excessif susceptible de porter atteinte à l'équité de la procédure ; qu'en exigeant que les intimés fassent explicitement figurer au dispositif de leurs conclusions les mots « infirmer » ou « réformer », quand ces derniers sollicitaient que la cour d'appel statue à nouveau sur plusieurs points, dans un sens contraire à la décision des premiers juges, la cour d'appel a fait montre d'un formalisme excessif portant atteinte au droit d'accès à un juge et, partant, a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542, 909 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

12. Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement. Cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui a été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626) pour la première fois dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

13. Rappelant que l'appel incident n'est pas différent de l'appel principal par sa nature ou son objet, que les conclusions de l'appelant, qu'il soit principal ou incident, doivent déterminer l'objet du litige porté devant la cour d'appel, que l'étendue des prétentions dont est saisie la cour d'appel étant déterminée dans les conditions fixées par l'article 954 du code de procédure civile, le respect de la diligence impartie par l'article 909 du code de procédure civile est nécessairement apprécié en considération des prescriptions de cet article 954, l'arrêt retient que les conclusions des intimés ne comportant aucune prétention tendant à l'infirmation ou à la réformation du jugement attaqué, ne constituaient pas un appel incident valable, quelle que soit, par ailleurs, la recevabilité en la forme de leurs conclusions d'intimés.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 16 mai 2018, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure dans l'instance en cours aboutissant à priver M. [U] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Maunand - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Yves et Blaise Capron -

Textes visés :

Articles 542, 909 et 954 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, Bull., (rejet).

2e Civ., 8 juillet 2021, n° 19-25.552, (B)

Rejet

Droits de la défense – Principe de la contradiction – Violation – Défaut – Cas – Exclusion de garantie d'assurance du conducteur sur le seul fondement des résultats de la procédure de vérification de l'état alcoolique

La procédure de vérification de l'état alcoolique en cas d'accident de la circulation, prévue par les dispositions du code de la route et du code de la santé publique, qui est mise en oeuvre d'office par l'autorité publique et qui est obligatoire en cas d'accident suivi de mort est assortie d'un ensemble de garanties tenant aux auteurs, aux méthodes de prélèvement ainsi qu'aux techniques de recherche et de dosage de l'alcool en ce qu'elle prévoit la possibilité de solliciter une analyse de contrôle réalisée par un autre expert et, le cas échéant, le recueil de l'avis d'un troisième expert. Dès lors, c'est sans méconnaître le principe de la contradiction qu'une cour d'appel, pour apprécier si la preuve était rapportée par l'assureur de l'état alcoolique du conducteur au moment de l'accident ayant occasionné son décès et si la clause excluant la garantie dans de telles circonstances devait recevoir application, s'est fondée sur les seuls résultats obtenus à la suite de cette procédure de vérification, dès lors que ceux-ci avaient été régulièrement versés aux débats et soumis à la libre discussion des parties.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 7 août 2019), le 3 juillet 2014, [A] [S] est décédé à la suite d'un accident de la circulation survenu alors qu'il conduisait un véhicule assuré par son épouse, Mme [S], auprès de la Société anonyme de défense et d'assurance (l'assureur), en vertu d'un contrat souscrit le 21 décembre 2012.

2. N'ayant pas été indemnisée par l'assureur, Mme [S] a assigné ce dernier afin d'obtenir notamment le remboursement de la valeur du véhicule et le paiement de sommes au titre de la garantie corporelle conducteur.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses deux dernières branches, qui sont préalables

Enoncé du moyen

4. Mme [S] fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à la condamnation de son assureur à lui verser les sommes de 13 000 euros au titre du remboursement de la valeur du véhicule, de 300 000 euros au titre de l'assurance corporelle conducteur, de 25 000 euros au titre du capital-décès et de 5 000 euros au titre de la résistance abusive, alors :

« 4°/ que la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon, C-243/08) ; qu'en s'abstenant de rechercher si les clauses d'exclusion de garantie opposées par l'assureur à Mme [S], en vertu desquelles « ne sont pas garantis les accidents survenus alors que l'assuré conduisait sous l'empire d'un état alcoolique », peu important que l'alcoolémie du conducteur ait, ou non, eu d'influence sur la réalisation du sinistre n'étaient pas abusives, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 du code de la consommation, devenu L. 212-1 du même code en vertu de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ;

5°/ que la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon, C-243/ 08) ; que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que crée un tel déséquilibre significatif au détriment du consommateur assuré, et est à ce titre abusif, la clause d'un contrat d'assurance excluant de la garantie les dommages occasionnés au véhicule assuré, s'il est établi que le conducteur se trouvait lors du sinistre sous l'empire d'un état alcoolique, alors même que l'accident est sans relation avec cet état ; qu'en faisant pourtant application d'une telle clause, stipulée au contrat d'assurance, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 du code de la consommation, devenu L. 212-1 du même code en vertu de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article L. 132-1, alinéa 1er, devenu L. 212-1, alinéa 1er, du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Selon l'alinéa 7 du même article, devenu l'alinéa 3 de l'article L. 212-1, l'appréciation du caractère abusif des clauses, au sens du premier alinéa, ne porte pas sur la définition de l'objet principal du contrat pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

6. Il résulte des énonciations de l'arrêt que les clauses litigieuses du contrat souscrit par Mme [S] excluent de la garantie du conducteur et de la garantie des dommages subis par le véhicule assuré les sinistres survenus lorsque le conducteur se trouvait sous l'empire d'un état alcoolique.

7. Ces clauses, en ce qu'elles délimitent le risque assuré et l'engagement de l'assureur, définissent l'objet principal du contrat. Rédigées de façon claire et compréhensible, elles échappent en conséquence à l'appréciation du caractère abusif des clauses contractuelles, au sens de l'article L. 132-1, alinéa 7, devenu L. 212-1, alinéa 3, du code de la consommation, de sorte que la cour d'appel n'avait pas à procéder à une recherche inopérante.

8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

9. Mme [S] fait le même grief à l'arrêt, alors « que les juges ne peuvent se fonder exclusivement sur une expertise non contradictoire ; qu'en se fondant exclusivement sur les conclusions de l'analyse de sang établie non contradictoirement pour conclure que M. [S] se trouvait sous l'empire d'un état alcoolique au sens de l'article L. 234-1 du code de la route, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. Selon l'article L. 3354-1 du code de la santé publique, les officiers et agents de police judiciaire, en cas d'accident mortel de la circulation, doivent obligatoirement faire procéder sur l'auteur présumé et le cas échéant sur la victime aux vérifications prévues à l'article L. 234-1 du code de la route relatives à la conduite sous l'empire d'un état alcoolique.

11. Aux termes de l'article R. 234-3 du code de la route, les vérifications médicales, cliniques et biologiques opérées en application des articles L. 234-4, L. 234-5 et L. 234-9 et destinées à établir la preuve de l'état alcoolique sont effectuées dans les conditions prévues au chapitre IV du titre V du livre III de la troisième partie du code de la santé publique.

12. Les articles R. 3354-1 et suivants du code de la santé publique assortissent cette procédure de vérification d'un ensemble de garanties qui comportent un examen clinique médical avec prise de sang, une analyse du sang et l'interprétation médicale des résultats recueillis.

En cas de décès de l'intéressé, le prélèvement de sang et l'examen du corps sont effectués soit par un médecin légiste, au cours de l'autopsie judiciaire, soit par un médecin ou, à défaut, par un interne ou par un étudiant en médecine autorisé à exercer la médecine à titre de remplaçant, requis à cet effet par l'officier ou agent de police judiciaire, lequel assiste au prélèvement sanguin.

En outre, les méthodes particulières de prélèvement et de conservation du sang ainsi que les techniques de recherche et de dosage d'alcool dans le sang sont prescrites par un arrêté du ministre chargé de la santé. Ces textes fixent, notamment, les modalités du prélèvement sanguin assurant la possibilité de solliciter une analyse de contrôle réalisée par un autre expert et, le cas échéant, le recueil de l'avis d'un troisième expert.

13. Ce dispositif législatif et réglementaire instaure un mode d'établissement de l'état alcoolique mis en oeuvre d'office par l'autorité publique.

14. En conséquence, c'est sans méconnaître le principe de la contradiction que la cour d'appel, pour apprécier si la preuve était rapportée de l'état alcoolique du conducteur au moment de l'accident, s'est fondée sur les seuls résultats obtenus à la suite de cette procédure de vérification, dès lors qu'ils avaient été régulièrement versés aux débats et soumis à la libre discussion des parties.

15. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Guého - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article L. 132-1, alinéa 7, devenu L. 212-1, alinéa 3, du code de la consommation ; article 16 du code de procédure civile ; article L. 234-1 du code de la route ; article L. 3354-1 du code de la santé publique.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 4 juillet 2019, pourvoi, n° 18-10.077, Bull. 2019, (rejet). Ch. mixte., 28 septembre 2012, pourvoi n° 11-18.710, Ch. mixte, Bull. 2012, n° 2 (rejet).

2e Civ., 1 juillet 2021, n° 20-11.706, (B)

Rejet

Fin de non-recevoir – Définition – Chose jugée – Domaine d'application – Demandes successives tendant au même objet par un moyen nouveau – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué, (Reims, 8 janvier 2019), la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Nord-Est (la banque) a consenti à la société Pompes funèbres [G] trois prêts professionnels, garantis par la caution personnelle de M. [G].

2. La société Pompes funèbres [G] a été placée en liquidation judiciaire et par jugement d'un tribunal de commerce du 29 novembre 2012, confirmé par un arrêt du 27 novembre 2014, M. [G] a été condamné à payer une certaine somme à la banque au titre de ses engagements de caution.

3. M. [G] a assigné la banque pour voir juger qu'elle avait failli à ses obligations de conseil et de mise en garde. Cette dernière a opposé la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. M. [G] fait grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable en ses prétentions, alors :

« 1°/ que l'autorité de chose jugée ne s'applique que si la demande est identique, fondée sur la même cause et formée entre les mêmes parties ; que le jugement du 29 novembre 2012 visé par l'arrêt attaqué ayant condamné M. [G], pris en sa qualité de caution de la société Pompes Funèbres [G], à verser diverses sommes au Crédit Agricole, la cour d'appel, en considérant que l'autorité de chose jugée par ce jugement s'opposait à la demande tendant à voir reconnaître la responsabilité de la banque au titre d'un manquement de celle-ci à son obligation de mise en garde et de conseil, cependant que les deux instances en cause avaient un objet différent, a violé l'article 1355 du code civil ;

2°/ que s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits ; qu'en considérant qu'en vertu du principe de concentration des moyens, M. [G] aurait dû invoquer la responsabilité de la banque dès l'instance engagée par celle-ci en vue de l'exécution du contrat de cautionnement, cependant que M. [G], en application du principe susvisé, n'était nullement tenu de présenter sa demande fondée sur la responsabilité de la banque lors de l'instance engagée par celle-ci en vue de l'exécution du contrat de cautionnement, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. Ayant relevé que, poursuivi en exécution de son engagement de caution, M. [G] avait seulement demandé des délais de paiement qui lui avaient été accordés par jugement du tribunal de commerce de Soissons du 29 janvier 2012 et n'avait invoqué la responsabilité civile de la banque et demandé sa condamnation à lui verser des dommages-intérêts venant en compensation des condamnations prononcées à son encontre qu'à titre subsidiaire devant la cour d'appel, laquelle avait déclaré sa demande irrecevable comme nouvelle en appel et confirmé le jugement, la cour d'appel en a exactement déduit que la demande dont elle était saisie, qui tendait à remettre en cause, par un moyen nouveau, la condamnation irrévocable de M. [G] au paiement des sommes dues au titre de ses engagements de caution et se heurtait à l'autorité de chose jugée attachée au jugement du tribunal de commerce de Soissons confirmé par la cour d'appel d'Amiens, était irrecevable.

6. Le moyen est, dès lors, mal fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bohnert - Avocat(s) : Me Balat ; SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller -

Textes visés :

Article 1351 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 1er juillet 2010, pourvoi n° 09-10.364, Bull. 2010, I, n° 150 (rejet), et l'arrêt cité.

2e Civ., 1 juillet 2021, n° 20-12.303, (B)

Cassation

Procédure orale – Conclusions – Dépôt de conclusions non soutenues à l'audience – Compatibilité à l'article 446-1 CPC

Selon l'article 446-1, alinéa 1, du code de procédure civile, régissant la procédure orale, les parties présentent oralement à l'audience leurs prétentions et les moyens à leur soutien et peuvent également se référer aux prétentions et aux moyens qu'elles auraient formulés par écrit. En l'absence de formalisme particulier pour se référer à des écritures, satisfait aux prévisions de ce texte, la partie qui, hors le cas d'un refus opposé par le tribunal, dépose un dossier comportant ses écritures au cours d'une audience des débats à laquelle elle est présente ou représentée.

Encourt par conséquent la censure le jugement d'un tribunal d'instance qui, tout en constatant que les parties avaient déposé à l'audience des dossiers contenant leurs écritures respectives, déclare irrecevables les demandes comme non soutenues oralement.

Procédure orale – Conclusions – Conclusions déposées par une partie représentée non comparante – Portée

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Lyon, 19 novembre 2019), rendu en dernier ressort, Mme [P] a saisi un tribunal d'instance par déclaration au greffe du 27 juin 2018, de diverses demandes en paiement, d'un montant total inférieur à 4.000 euros, dirigées contre la société Lascer - Les Déménageurs bretons (la société Lascer).

Examen du moyen

Sur le moyen relevé d'office

2. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article 446-1, alinéa 1er, du code de procédure civile :

3. Selon ce texte, régissant la procédure orale, les parties présentent oralement à l'audience leurs prétentions et les moyens à leur soutien et peuvent également se référer aux prétentions et aux moyens qu'elles auraient formulés par écrit.

4. En l'absence de formalisme particulier pour se référer à des écritures, satisfait aux prévisions de ce texte, la partie qui, hors le cas d'un refus opposé par le tribunal, dépose un dossier comportant ses écritures au cours d'une audience des débats à laquelle elle est présente ou représentée.

5. Pour rejeter toutes les demandes formulées par écrit par Mme [P], le jugement retient qu'en vertu de cet article 446-1, devant le tribunal d« instance la procédure est orale et que l'oralité de la procédure impose à la partie de comparaître ou de se faire représenter pour formuler valablement ses prétentions et les justifier, que de nombreuses demandes de renvois ont été formulées et accordées par le tribunal qui, le 20 septembre 2019, n'a pu que constater qu'il était opéré un dépôt de dossier, que dès lors les demandes formulées par écrit par Mme [P], mais non soutenues oralement, seront déclarées irrecevables.

6. En statuant ainsi, alors qu'il constatait que les parties avaient déposé à l'audience des dossiers contenant leurs écritures respectives, le tribunal a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

7. Mme [P] fait le même grief au jugement, alors « qu'à peine d'irrecevabilité que le juge peut prononcer d'office, la saisine du tribunal d'instance par déclaration au greffe doit être précédée d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf (...) 2° Si les parties justifient d'autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige ; qu'en jugeant que Mme [P] n'aurait pas justifié de diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable au litige sans expliquer en quoi n'auraient pas constitué de telles diligences le fait, démontré au moyen des pièces versées aux débats, pour Mme [P] d'avoir entamé une négociation amiable avec la société Lascer, qui aux termes de plusieurs échanges, entre le 7 août 2017 et le 18 janvier 2018, lui avait proposé un montant d'indemnisation, de 300, puis de 400 euros, qu'elle a jugé partiellement insuffisant, et à la suite de ce désaccord d'avoir sollicité le médiateur de la consommation désigné par le contrat, qui lui avait répondu ne pas pouvoir intervenir dans la mesure où la société Lascer n'avait pas adhéré à ses services, à la suite de quoi, cette dernière ne lui avait plus répondu, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard de l'article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, en sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 :

8. Aux termes de ce texte, à peine d'irrecevabilité, que le juge peut prononcer d'office, la saisine du tribunal d'instance par déclaration au greffe doit être précédée d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf :

1° Si l'une des parties au moins sollicite l'homologation d'un accord ;

2° Si les parties justifient d'autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige ;

3° Si l'absence de recours à la conciliation est justifiée par un motif légitime.

9. Pour rejeter toutes les demandes formulées par écrit par Mme [P], le jugement retient encore que, les dispositions de l'article 4 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, entrée en vigueur le 19 novembre 2016, font obligation au demandeur de solliciter une tentative de conciliation, qu'en l'espèce, Mme [P] opère un dépôt de dossier qui ne contient pas la preuve d'un respect du formalisme requis, que le moyen noté dans ses écritures, de ce qu'elle aurait été empêchée de recourir à un médiateur par le comportement de son contradicteur, étant inopérant sur le respect de cette obligation légale opposable à toute saisine du tribunal réalisée par voie de déclaration au greffe, la demanderesse ne faisant état, dans ses écritures, que d'un « médiateur de la consommation », qu'en conséquence, il appert que les demandes formulées par Mme [P], par déclaration au greffe, sans justification de diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, sont irrecevables.

10. En se déterminant ainsi, sans répondre aux écritures de Mme [P], qui faisait valoir et offrait de prouver diverses tentatives de résolutions amiables, le tribunal d'instance n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 19 novembre 2019, entre les parties, par le tribunal d'instance de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Lyon.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Delamarre et Jehannin ; SCP de Nervo et Poupet -

Textes visés :

Article 446-1, alinéa 1, du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur le dépôt d'écritures en procédure orale, à rapprocher : Soc., 17 juillet 1997, pourvoi n° 96-44.672, Bull. 1997, V, n° 281 (cassation) ; 1re Civ., 13 mai 2015, pourvoi n° 14-14.904, Bull. 2015, I, n° 110 (cassation). Sur le pouvoir du juge de refuser un tel dépôt, à rapprocher : 2e Civ., 15 mai 2014, pourvoi n° 12-27.035, Bull. 2014, II, n° 111 (rejet).

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