Numéro 7 - Juillet 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2021

LOIS ET REGLEMENTS

2e Civ., 1 juillet 2021, n° 20-10.694, (B)

Annulation

Application dans le temps – Loi de forme ou de procédure – Application immédiate – Domaine d'application – Décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 – Interprétation nouvelle par la Cour de cassation – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 8 novembre 2019), un litige oppose les héritiers [U] sur le partage de la succession de leurs parents.

2. Par jugement du 6 avril 2018, un tribunal de grande instance a, notamment, dit n'y avoir lieu à rapport de donations déguisées ou de dons manuels au profit d'un ou plusieurs héritiers de [I] [U], ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et de partage de la succession de [I] [U], décédé le [Date décès 1] 2007, et désigné pour y procéder le président de la chambre des notaires, et rejeté les demandes plus amples ou contraires.

3. Par déclaration du 16 mai 2018, M. [F] [U] a relevé appel de cette décision sur l'ensemble des dispositions du jugement précité, sauf celles rejetant les demandes reconventionnelles présentées par M. [K] [U] et Mmes [B] et [Z] [U].

4. Ces derniers ont, par conclusions notifiées le 8 novembre 2018, déclaré former appel incident et demandé la confirmation du jugement uniquement en ce qu'il a écarté les conclusions tardives déposées le 25 janvier 2018, dit n'y avoir lieu à rapport de donations déguisées ou de dons manuels à leur profit et rejeté la demande indemnitaire de M. [F] [U].

5.Par ordonnance du 15 mai 2019, le conseiller de la mise en état, saisi d'un incident par M. [F] [U], a déclaré recevable l'appel incident formé par les intimés et les demandes formées dans leurs conclusions du 8 novembre 2018.

6. M. [F] [U] a déféré cette ordonnance à la cour d'appel.

Recevabilité du pourvoi contestée par la défense

7. M. [F] [U] demande de dire que le pourvoi est irrecevable sur le fondement des articles 606 et 608 du code de procédure civile.

8. Pour infirmer l'ordonnance déclarant recevable l'appel incident, l'arrêt dit que Mmes [Z] et [B] [U] et M. [K] [U] n'ont pas valablement formé appel incident dans le délai imparti à l'article 909 du code de procédure civile, apprécié au regard des dispositions de l'article 954 du même code, ce dont il résultait que les demandes tendant à la faire trancher sur les prétentions déjà soumises aux premiers juges qui avaient statué en réponse, étaient irrecevables.

9. En privant Mmes [Z] et [B] [U] et M. [K] [U] de leur appel incident, la cour d'appel a tranché une partie du principal.

10. Dès lors, le pourvoi est recevable.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

11. Mmes [Z] et [B] [U] et M. [K] [U] font grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance rendue le 5 mai 2019 par le magistrat chargé de la mise en état, dire que Mmes [Z] et [B] [U] et M. [K] [U], intimés sur l'appel principal de M. [F] [U], n'ont pas valablement formé appel incident à l'encontre du jugement du 6 avril 2018 rendu par le tribunal de grande instance de Bergerac et dire que leurs demandes tendant à faire statuer la cour sur des prétentions déjà soumises aux premiers juges qui ont statué en réponse, et à l'égard desquelles ils n'ont pas valablement formé appel incident, sont irrecevables alors :

« 1°/ que vaut demande de réformation du jugement, le dispositif des écritures d'une partie demandant à la cour d'appel de statuer à nouveau sur des demandes qui ont été rejetées par les premiers juges et de les accueillir ; qu'en jugeant que les intimés ne sollicitaient pas la réformation du jugement dans le dispositif de leurs écritures, tout en constatant qu'ils sollicitaient de la cour d'appel qu'elle « statue à nouveau sur les points suivants », ce dont il résultait que les consorts [U] demandaient la réformation du jugement sur ces demandes, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles 954, 542 et 562 du code de procédure civile ;

2°/ que les juridictions ne peuvent, dans l'application, de règles de procédure, faire preuve d'un formalisme excessif susceptible de porter atteinte à l'équité de la procédure ; qu'en exigeant que les intimés fassent explicitement figurer au dispositif de leurs conclusions les mots « infirmer » ou « réformer », quand ces derniers sollicitaient que la cour d'appel statue à nouveau sur plusieurs points, dans un sens contraire à la décision des premiers juges, la cour d'appel a fait montre d'un formalisme excessif portant atteinte au droit d'accès à un juge et, partant, a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542, 909 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

12. Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement. Cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui a été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626) pour la première fois dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

13. Rappelant que l'appel incident n'est pas différent de l'appel principal par sa nature ou son objet, que les conclusions de l'appelant, qu'il soit principal ou incident, doivent déterminer l'objet du litige porté devant la cour d'appel, que l'étendue des prétentions dont est saisie la cour d'appel étant déterminée dans les conditions fixées par l'article 954 du code de procédure civile, le respect de la diligence impartie par l'article 909 du code de procédure civile est nécessairement apprécié en considération des prescriptions de cet article 954, l'arrêt retient que les conclusions des intimés ne comportant aucune prétention tendant à l'infirmation ou à la réformation du jugement attaqué, ne constituaient pas un appel incident valable, quelle que soit, par ailleurs, la recevabilité en la forme de leurs conclusions d'intimés.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 16 mai 2018, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure dans l'instance en cours aboutissant à priver M. [U] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Maunand - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Yves et Blaise Capron -

Textes visés :

Articles 542, 909 et 954 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, Bull., (rejet).

Soc., 7 juillet 2021, n° 19-23.989, (B)

Rejet

Interprétation – Code du travail – Recodification – Recodification à droit constant – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 septembre 2019), M. [Q] a été engagé du 10 juin 2013 au 14 février 2014 par la société Laboratoires Juva santé (la société) par un contrat à durée déterminée.

2. Le salarié détenait un mandat de conseiller du salarié qui expirait le 31 août 2015.

3. Soutenant l'existence d'une violation de son statut protecteur, le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 22 janvier 2016 pour obtenir paiement de diverses sommes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche et le second moyen, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

5. La société fait grief à l'arrêt de déclarer abusif le licenciement et de la condamner à payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur, de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail et d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, alors :

« 1°/ que l'article L. 2412-1 du code du travail, auquel renvoie l'article L. 2421-8 relatif à la « procédure applicable au salarié titulaire d'un contrat à durée déterminée », ne mentionne pas, parmi les mandats ouvrant droit à la protection, celui de conseiller du salarié ; que, pour considérer que M. [Q], titulaire d'un contrat à durée déterminée pour la période du 10 juin 2013 au 14 février 2014, aurait dû, eu égard à son mandat de conseiller du salarié, bénéficier d'un statut protecteur, dire que la cessation des relations contractuelles intervenue par l'échéance du terme sans saisine préalable de l'administration du travail était nulle, et condamner l'exposante au paiement de sommes à titre de dommages et intérêts pour méconnaissance du statut protecteur, rupture abusive, indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, la cour d'appel a successivement retenu que le conseiller du salarié bénéficiait d'une protection contre le licenciement, ce tant en application de l'actuel code du travail que des dispositions antérieures à sa recodification, l'ancien article L. 122-14-16 du code du travail renvoyant à cet égard à la protection, prévue par l'article L. 412-18 dont bénéficiaient les délégués syndicaux, que l'article L. 412-18 soumettait à autorisation de l'inspecteur du travail, non seulement le licenciement, mais aussi l'interruption du contrat de mission par l'entrepreneur de travail temporaire et la notification du non-renouvellement de la mission, que si les dispositions relatives au conseiller du salarié ne faisaient plus référence à la protection dont bénéficiaient les délégués syndicaux, la recodification étant intervenue à droit constant, le conseiller du salarié bénéficiait toujours de la même protection, et enfin qu'aux termes de l'article L. 2421-8 du code du travail, l'arrivée du terme du contrat à durée déterminée n'entraînait la rupture de ce dernier qu'après saisine de l'inspection du travail en application de l'article L. 2412-1, peu important que cet article, énumérant la liste des mandats permettant de bénéficier d'une telle protection, ne cite pas celui de conseiller du salarié ; qu'en statuant ainsi, par référence à des dispositions portant sur le licenciement ou la rupture de contrats de mission, les seules dispositions relatives au contrat à durée déterminée renvoyant à une liste qui, ainsi qu'elle l'a relevé, ne mentionnaient pas le mandat de conseiller du salarié, la cour d'appel a violé les articles L. 2421-8, L. 2412-1, L. 2411-1, et L. 1232-14 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige ;

2°/ qu'en admettant même que l'on puisse se référer, ainsi que l'a retenu la cour d'appel, aux dispositions applicables aux délégués syndicaux pour déterminer la protection dont bénéficient les conseillers des salariés, l'article L. 2412-2 du code du travail n'impose d'autorisation de l'administration du travail qu'en cas de rupture du contrat à durée déterminée avant l'échéance de son terme ou de non renouvellement du contrat à durée déterminée comportant une clause de renouvellement ; qu'en l'espèce, il était constant que le contrat de M. [Q] n'avait pas été rompu avant l'échéance du terme et la cour d'appel a constaté qu'il ne comportait pas de clause de renouvellement ; qu'en statuant néanmoins comme elle l'a fait, elle a violé les articles L. 2421-8 et L. 2412-1, L. 2412-2, L. 2411-1, et L. 1232-14 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige.

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'ancien article L. 122-14-16 du code du travail, le licenciement par l'employeur du salarié inscrit sur une liste dressée par le représentant de l'Etat dans le département, chargé d'assister les salariés convoqués par leur employeur en vue d'un licenciement, est soumis à la procédure prévue par l'article L. 412-8 du présent code.

7. Aux termes de l'ancien article L. 412-8, le délégué syndical lié à l'employeur par un contrat de travail à durée déterminée bénéficie des mêmes garanties et protections que celles accordées aux délégués du personnel et aux membres du comité d'entreprise, conformément aux articles L. 425-2 et L. 436-2.

8. Il en résulte que, la recodification étant intervenue à droit constant, le conseiller du salarié bénéficie de la protection prévue à l'article L. 2421-8 du code du travail imposant que, lorsque le contrat à durée déterminée arrive à son terme, l'inspecteur du travail autorise préalablement la cessation du lien contractuel.

9. Ayant constaté que l'inspecteur du travail n'avait pas été saisi préalablement à l'arrivée du terme du contrat à durée déterminée, la cour d'appel en a exactement déduit que la rupture des relations contractuelles, intervenue en violation de l'article L. 2421-8 du code du travail, était nulle et que l'intéressé pouvait de ce fait prétendre à une indemnité au titre de la violation du statut protecteur dont le montant est égal aux salaires qu'il aurait dû percevoir entre le jour suivant le terme de son contrat et la fin de la période de protection.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Joly - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 412-8, L. 425-2, L. 436-2, L. 122-14-16, anciens, et L. 2421-8 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'obligation faite à l'employeur de saisir l'inspection du travail au terme du contrat à durée déterminée du salarié protégé, à rapprocher : Soc., 23 octobre 2012, pourvoi n° 11-19.210, Bull. 2012, V, n° 270 (Rejet).

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