Numéro 7 - Juillet 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2021

ASTREINTE (loi du 9 juillet 1991)

2e Civ., 1 juillet 2021, n° 20-14.284, (B)

Cassation partiellement sans renvoi

Condamnation – Nature de l'astreinte – Créance non périodique

Selon l'article 2235 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, la prescription ne court pas ou est suspendue contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle, sauf pour les actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, pensions alimentaires, loyers, fermages, charges locatives, intérêts des sommes prêtées et, généralement, les actions en paiement de tout ce qui est payable par années ou à des termes périodiques plus courts.

La condamnation, assortie d'une astreinte, prononcée par un juge ne fait pas naître une action en paiement de sommes payables par années ou à des termes périodiques plus courts, mais confère à son bénéficiaire une action en liquidation de cette astreinte, à l'issue de laquelle celui-ci est susceptible de disposer d'une créance de somme d'argent. Il en résulte que cette action en liquidation n'entre pas dans le champ de l'exception apportée par l'article 2235 du code civil au principe selon lequel la prescription ne court pas ou est suspendue contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 19 décembre 2019), un jugement du 1er juillet 2010 rendu au profit de [E] [V] et confirmé en appel, a condamné M. et Mme [P] à supprimer des vues illicitement constituées depuis leur terrasse, sous une astreinte courant par jour de retard. [E] [V] a saisi un juge de l'exécution d'une demande de liquidation de cette astreinte puis, après son décès, survenu le [Date décès 1] 2013, l'affaire, enregistrée sous le numéro RG 13/11638, a été radiée.

2. Par un acte du 31 mai 2017, les héritières du défunt, Mmes [K] et [R] [V], cette dernière, mineure, représentée par sa mère Mme [A], ont assigné M. et Mme [P] à cette même fin de liquidation, l'affaire ayant été enregistrée sous le numéro RG 17/09307.

Par un jugement du 10 avril 2018, le juge de l'exécution a rejeté les incidents de M. et Mme [P] tendant au constat de la péremption des deux instances et déclaré irrecevable comme prescrite la demande de Mme [K] [V] et de Mme [A], es qualités.

3. Ces dernières ont relevé appel de ce jugement en ce qu'il avait déclaré irrecevable comme prescrite leur demande en liquidation de l'astreinte.

Le 27 juillet 2018, M. et Mme [P] ont notifié aux appelantes leurs conclusions d'intimé, comportant un appel incident tendant à l'infirmation du jugement en ce qu'il avait rejeté leur demande tendant au constat de la péremption des deux instances.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur la deuxième branche de ce moyen, qui est irrecevable, et sa troisième branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. et Mme [P] font grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de Mme [R] [V], de déclarer celle-ci recevable en son action et, en conséquence, de les condamner solidairement à payer à cette dernière la somme de 26 415 euros au titre de la liquidation de l'astreinte prononcée par jugement du 1er juillet 2010, pour la période du 1er août 2010 au 8 octobre 2018, alors « que la suspension de la prescription dont bénéficie un mineur n'est pas applicable aux actions en paiement de tout ce qui est payable par années ou à des termes périodiques plus courts ; qu'il en résulte que l'action en liquidation d'une astreinte prononcée par jour de retard ne peut être suspendue pendant la minorité de son auteur ; qu'en décidant néanmoins que l'action en liquidation de l'astreinte, prononcée à l'encontre de M. et Mme [P], de 100 euros par jour de retard, avait été suspendue à l'égard de Mme [K] (lire [R]) [V] pendant sa minorité, la cour d'appel a violé l'article 2235 du code civil, ensemble l'article 2224 dudit code. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article 2235 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, la prescription ne court pas ou est suspendue contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle, sauf pour les actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, pensions alimentaires, loyers, fermages, charges locatives, intérêts des sommes prêtées et, généralement, les actions en paiement de tout ce qui est payable par années ou à des termes périodiques plus courts.

7. La condamnation, assortie d'une astreinte, prononcée par un juge ne fait pas naître une action en paiement de sommes payables par années ou à des termes périodiques plus courts, mais confère à son bénéficiaire une action en liquidation de cette astreinte, à l'issue de laquelle celui-ci est susceptible de disposer d'une créance de somme d'argent. Il en résulte que cette action en liquidation n'entre pas dans le champ de l'exception apportée par l'article 2235 code civil au principe selon lequel la prescription ne court pas ou est suspendue contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle.

8. Par conséquent, le moyen, qui manque en droit, ne peut être accueilli.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. M. et Mme [P] font grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir qu'il ont soulevée à l'encontre des conclusions notifiées par Mmes [V] le 23 octobre 2018 et, en conséquence, de rejeter la demande tendant à voir ordonner la jonction des instances et constater leur péremption, de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de Mme [R] [V], de déclarer celle-ci recevable en son action et de les condamner solidairement à payer à Mme [R] [V] la somme de 26 415 euros au titre de la liquidation de l'astreinte prononcée par jugement du 1er juillet 2010, pour la période du 1er août 2010 au 8 octobre 2018, alors « qu'il résulte de l'article R. 121-20 du code des procédures civiles d'exécution que la procédure d'appel des décisions du juge de l'exécution est soumise de plein droit aux dispositions de l'article 905 du code de procédure civile, nonobstant l'absence d'avis de fixation à bref délai ; qu'en application de l'article 905-2, alinéa 3, du code de procédure civile, l'intimé à un appel incident dispose, à peine d'irrecevabilité, d'un délai d'un mois à compter de la notification de l'appel incident pour remettre ses conclusions au greffe ; que ce délai commence à courir même en l'absence d'avis de fixation à bref délai ; qu'en décidant néanmoins, pour déclarer recevables des conclusions d'intimé à un appel incident déposées plus d'un mois après la notification de l'appel incident, que les conclusions échangées avant l'avis de fixation n'étaient pas soumises aux délais fixés à l'article 905-2 du code de procédure civile, et ce bien que l'appelant ait déposé ses conclusions sans attendre l'avis de fixation, faisant ainsi courir les délais prévus à l'article précité, la cour d'appel a violé les articles 905 et 905-2 du code de procédure civile ainsi que l'article R. 121-20 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

Vu les articles R. 121-20, alinéa 2, du code des procédures civiles d'exécution et 905-2 et 911 du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 :

10. Il résulte, d'abord, du premier de ces textes que lorsque l'appel est relatif à une décision du juge de l'exécution, sauf autorisation d'assigner à jour fixe, l'instruction à bref délai s'applique de plein droit, même en l'absence d'ordonnance de fixation en ce sens.

11. Il résulte, ensuite, des articles 905-2, alinéa 1er, et 911 susvisés, qu'à peine de caducité de la déclaration d'appel, l'appelant doit, au plus tard dans le délai d'un mois à compter de la réception de l'avis de fixation de l'affaire à bref délai, remettre ses conclusions au greffe et les notifier à l'avocat de l'intimé.

12. Par conséquent, en application de l'article 905-2, alinéas 2 et 3, susvisé lorsqu'il est relevé appel d'une décision du juge de l'exécution, le délai d'un mois imparti à l'intimé pour conclure et former, le cas échéant, un appel incident court de plein droit dès la notification des conclusions de l'appelant, puis la notification de ces conclusions comportant un appel incident fait courir le délai d'un mois imparti à l'intimé à cet appel incident pour remettre ses conclusions, de sorte que les conclusions tardives de l'appelant, intimé à un appel incident, sont irrecevables en tant qu'elles ne développent pas son appel principal.

13. Pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée par les intimés à l'encontre des conclusions notifiées par Mmes [V] le 23 octobre 2018, l'arrêt retient que les délais fixés par l'article 905-2 du code de procédure civile forment un ensemble indissociable dont le point de départ, quelle que soit la nature de l'instance, est fixé par l'avis de fixation adressé par la cour d'appel, qu'en l'espèce l'avis de fixation ayant été adressé le 12 mars 2019, l'ensemble des échanges antérieurs notifiés entre les parties ne relèvent pas des dispositions spécifiques de l'article 905-2, qui ne peut dès lors fonder aucune fin de non-recevoir à leur encontre.

14. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que les conclusions de Mmes [V] n'avaient pas été remises et notifiées dans le mois suivant la notification par M. et Mme [P] de leurs conclusions comportant appel incident, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

17. Il résulte de ce qui est dit aux paragraphes 12 et 14, que doivent être déclarées irrecevables les conclusions de Mmes [V] du 23 octobre 2018 en tant qu'elles ne développent pas leur appel principal.

18. En revanche, la cassation du chef de l'arrêt ayant rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. et Mme [P] se limite à ce chef, sans s'étendre aux dispositions de l'arrêt ayant confirmé, au terme de motifs non affectés par la cassation, le jugement qui avait ordonné la jonction des instances et constaté leur péremption au profit de Mmes [V].

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. [W] [P] et Mme [E] [E] épouse [P] à l'encontre des conclusions d'appelant notifiées le 23 octobre 2018, l'arrêt rendu le 19 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DÉCLARE IRRECEVABLES les conclusions de Mmes [V] du 23 octobre 2018 en tant qu'elles ne développent pas leur appel principal.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia ; SCP Marlange et de La Burgade -

Textes visés :

Article 2235 du code civil ; articles 905-2, alinéa 1, et 911 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 14 juin 2005, pourvoi n° 01-11.741, Bull. 2005, I, n° 260 (cassation). 2e Civ., 22 octobre 2020, pourvoi n° 18-25.769, Bull. (cassation partielle) ; 3e Civ., 2 juin 2016, pourvoi n° 15-12.834, Bull. 2016, III, n° 70 (cassation).

2e Civ., 8 juillet 2021, n° 20-12.005, (B)

Rejet

Liquidation – Action en liquidation d'astreinte – Prescription – Délai – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 17 septembre 2019) et les pièces de la procédure, M. [J], qui avait conclu un contrat d'agent commercial avec la société Sobefi immobilier, a assigné cette société devant un juge des référés afin, notamment, qu'il lui soit enjoint, sous astreinte, de communiquer divers documents nécessaires à la vérification du montant de ses commissions.

L'ordonnance, qui a accueilli sa demande, a été signifiée le 11 février 2010.

2. M. [J], invoquant des manquements réitérés de la société Sobefi immobilier à ses obligations contractuelles, à l'origine, selon lui, de la rupture du contrat d'agent commercial, a par ailleurs assigné celle-ci en responsabilité contractuelle et indemnisation.

3. Invoquant l'inexécution par la société Sobefi immobilier de l'obligation de communication des documents ordonnée sous astreinte, par le juge des référés, M. [J] a saisi le 12 juin 2018 un juge de l'exécution d'une demande de liquidation de l'astreinte.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. M. [J] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite l'action tendant à la liquidation de l'astreinte prononcée le 21 janvier 2010, alors :

« 1°/ que M. [J], dans ses conclusions d'incident de communication de pièces du 15 novembre 2011, après avoir rappelé le dispositif de l'ordonnance de référé du 21 janvier 2010, précisait que la communication était insuffisante, seuls certains mandats de commercialisation étant communiqués mais non l'ensemble de ceux-ci, aucun des mandats communiqués n'étant assorti de son annexe faisant pourtant partie intégrante du contrat et définissant les conditions particulières du commissionnement, les pièces communiquées portant sur la seule période 2009, et sollicitait la condamnation de la société Sobefi immobilier à lui communiquer l'ensemble des pièces comptables demandées, à savoir la totalité des mandats et annexes sur les programmes immobiliers commercialisés par la société, les copies certifiées conformes par le gérant du registre des mandats et du registre répertoire, les attestations notariées et les décomptes remis par les notaires, pour la période du 14 mai 2007 au 15 mars 2010 ; qu'en énonçant néanmoins, pour dire que l'existence d'un incident de communication de pièces dans l'instance au fond n'avait pas eu pour effet d'interrompre la prescription de l'action en liquidation de l'astreinte ordonnée par le juge des référés et juger, en conséquence, cette action irrecevable comme prescrite, que l'existence de cet incident portait sur des pièces distinctes des pièces visées dans l'ordonnance de référé, la cour d'appel a ainsi dénaturé les termes clairs et précis des conclusions d'incident de communication de pièces du 15 novembre 2011 et violé le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

2°/ que l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, sauf lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; qu'en se bornant, pour juger irrecevable comme prescrite l'action en liquidation de l'astreinte assortissant l'obligation de communication de pièces, à énoncer que cette action était une action autonome et distincte de l'instance au fond pour les besoins de laquelle les pièces devaient être communiquées et que la mise en oeuvre et la poursuite de l'instance au fond n'était pas susceptible d'interrompre la prescription, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si l'action en paiement de dommages-intérêts intentée par M. [J] contre la société Sobefi Immobilier et l'action en liquidation de l'astreinte ne tendaient pas toutes les deux au même but, à savoir l'indemnisation du préjudice subi par l'agent commercial à raison du même fait dommageable, de sorte que la poursuite de la première avait interrompu la prescription de la seconde, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2241 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. L'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre que lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins.

6. C'est dès lors à juste titre que la cour d'appel a considéré que l'action qui tend à la liquidation, et non à la fixation, de l'astreinte assortissant une obligation de communication de pièces est une action autonome et distincte de l'instance au fond pour les besoins de laquelle ces pièces devaient être communiquées, et qu'elle en a conclu que l'engagement de l'instance au fond n'avait pas interrompu le délai de prescription de l'action en liquidation de l'astreinte.

7. Le rejet de la seconde branche du moyen rend sans objet l'examen de la première branche.

8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Besson - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Buk Lament-Robillot ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article 2241 du code civil.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 28 juin 2012, pourvoi n° 11-20.011, Bull. 2012, II, n° 123 (rejet), et les arrêts cités.

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