Numéro 7 - Juillet 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2020

SEPARATION DES POUVOIRS

1re Civ., 1 juillet 2020, n° 19-17.030, (P)

Cassation

Compétence du juge judiciaire – Exclusion – Cas – Interprétation des lois et actes administratifs d'un contentieux relevant exclusivement de la juridiction administrative – Applications diverses – Question relative à la taxe sur le chiffre d'affaires dans le cadre d'un litige non fiscal

Il résulte de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III et des articles L. 199 du livre des procédures fiscales et 49 du code de procédure civile que la juridiction judiciaire, saisie d'un litige non fiscal, n'a pas compétence pour interpréter les lois et actes administratifs en matière de taxes sur le chiffre d'affaires, dont le contentieux ressortit exclusivement à la juridiction administrative.

Dès lors, excède ses pouvoirs et viole ces textes une cour d'appel qui rejette l'action en responsabilité engagée par une société civile immobilière contre un notaire ayant instrumenté des ventes qui auraient à tort été soumises au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, alors qu'il lui appartenait de transmettre à la juridiction administrative la question portant sur la possibilité de retenir, comme point de départ du délai de cinq ans au-delà duquel la vente d'un immeuble neuf n'est plus soumise à cette taxe, une autre date que celle de la déclaration prévue à l'article L. 462-1 du code de l'urbanisme, et de surseoir à statuer jusqu'à la décision sur cette question, dont dépendait la solution du litige.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 26 février 2019), la société civile immobilière Renov'matériaux (la SCI) a fait l'acquisition, en 2009, d'un terrain sur lequel elle a construit des bâtiments à usage commercial et qu'elle a ensuite divisé en plusieurs lots. Ceux-ci ont été vendus par actes des 30 mars, 22 juin, 27 novembre et 10 décembre 2015, les deux premiers ayant été reçus par M. C... (le notaire), notaire au sein de la SCP [...] (la SCP).

2. Reprochant au notaire d'avoir, d'une part, considéré à tort que les deux cessions intervenues le 30 mars 2015 étaient soumises au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), d'autre part, omis de l'en informer et de lui prodiguer les conseils lui permettant d'en être exonérée, la SCI l'a assigné, ainsi que la SCP, en responsabilité et indemnisation.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que les dispositions de l'article L. 199 du livre des procédures fiscales attribuent aux seules juridictions administratives la compétence pour statuer en matière de taxe sur la valeur ajoutée ; qu'en retenant que la seule date d'achèvement susceptible d'être retenue pour déterminer l'assujettissement à la TVA d'une vente immobilière était celle de la déclaration d'achèvement et que la preuve contraire par le vendeur maître de l'ouvrage n'était pas possible, cependant qu'il lui appartenait de transmettre à la juridiction administrative, exclusivement compétente pour en connaître, la question préjudicielle portant sur la date d'achèvement susceptible d'être retenue pour l'application de la TVA à la vente immobilière, question dont dépendait la solution du litige opposant le notaire au vendeur, et de surseoir à statuer jusqu'à la décision sur cette question, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article L. 199 du livre des procédures fiscales. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. Le notaire et la SCP contestent la recevabilité du moyen, qui serait contraire à ceux développés par la SCI dans ses conclusions d'appel.

5. Cependant, devant les juges du fond, la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de la question fiscale en cause n'avait pas été discutée par les parties.

6. Le moyen, qui n'est pas contraire mais seulement nouveau, est donc recevable, comme étant de pur droit.

Bien-fondé du moyen

Vu la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et les articles L. 199 du livre des procédures fiscales et 49 du code de procédure civile :

7. Il résulte de ces textes que la juridiction judiciaire, saisie d'un litige non fiscal, n'a pas compétence pour interpréter les lois et actes administratifs en matière de taxes sur le chiffre d'affaires, dont le contentieux ressortit exclusivement à la juridiction administrative.

8. Pour rejeter les demandes de la SCI, après avoir relevé que la déclaration attestant l'achèvement et la conformité des travaux, datée du 24 juin 2010, indiquait que le chantier était achevé au 31 janvier 2009, l'arrêt retient que, si, antérieurement à la réforme de la TVA immobilière, le propriétaire d'un bien pouvait rapporter la preuve de l'achèvement autrement que par une déclaration en mairie, ce n'est désormais que dans le cas où le maître de l'ouvrage n'a pas procédé à cette formalité que l'administration pourra invoquer toutes circonstances de fait utiles lui permettant de recouvrer l'imposition due.

9. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de transmettre à la juridiction administrative, exclusivement compétente pour en connaître, la question portant sur la possibilité de retenir, comme point de départ du délai de cinq ans au-delà duquel la vente d'un immeuble neuf n'est plus soumise à la TVA, une autre date que celle de la déclaration prévue à l'article L. 462-1 du code de l'urbanisme, et de surseoir à statuer jusqu'à la décision sur cette question, dont dépendait la solution du litige opposant la SCI au notaire et à la SCP, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; article L. 199 du livre des procédures fiscales ; article 49 du code de procédure civile.

Soc., 8 juillet 2020, n° 18-11.977, (P)

Cassation partielle

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Fonctionnaire mis à disposition d'un organisme privé – Fin de la mise à disposition – Expiration à son terme normal – Demande de réintégration du fonctionnaire au sein de l'organisme privé – Applications diverses – Portée

Le juge judiciaire n'est pas compétent pour ordonner la réintégration du fonctionnaire au sein de l'organisme de droit privé auprès duquel il avait été mis à disposition, quand bien même la décision de ne pas solliciter le renouvellement de la mise à disposition est le fait de cet organisme et qu'aucune autorisation administrative de non-renouvellement de la mise à disposition du fonctionnaire exerçant au sein de l'organisme de droit privé un mandat de représentant syndical n'a été sollicitée.

Donne acte à M. C... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'union départementale des syndicats CFTC de la Moselle et le syndicat CFTC – Territoriaux de la Moselle.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. C..., fonctionnaire territorial de la communauté d'agglomération de Metz métropole, a été, selon convention du 30 septembre 2005, renouvelée pour trois ans le 25 juillet 2008, mis à disposition de la régie de la communauté d'agglomération de Metz métropole Haganis (la régie), établissement public industriel et commercial, au sein de laquelle il a été élu délégué du personnel le 2 avril 2009, puis désigné le 17 avril 2009 en qualité de délégué syndical ; que, par lettre du 20 janvier 2011, le [...] de la régie l'a informé que sa mise à disposition ne serait pas renouvelée et que, par lettre du 8 août 2011, le président de la communauté d'agglomération de Metz métropole lui a indiqué que ne disposant pas de poste vacant correspondant à son grade au sein de la collectivité il y serait maintenu en surnombre durant un an à compter du 1er octobre 2011 ; que M. C... a saisi la juridiction prud'homale le 24 septembre 2014 d'une demande tendant à obtenir sa réintégration dans ses fonctions antérieures et le rétablissement de ses fonctions syndicales ainsi que d'une demande d'indemnisation de son préjudice au titre de la violation du statut protecteur ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. C... fait grief à l'arrêt de se déclarer incompétent pour connaître de ses demandes tendant à obtenir sa réintégration dans ses fonctions antérieures et le rétablissement de ses fonctions syndicales dans ce cadre, le versement de cotisations au régime de retraite additionnelle et le bénéfice ou le paiement des jours de congés ou RTT et d'inviter les parties à mieux se pourvoir sur ces chefs de demandes alors, selon le moyen, que lorsque le non-renouvellement du contrat de travail d'un salarié protégé n'a pas fait l'objet d'une demande d'autorisation administrative par l'employeur, le juge prud'homal est seul compétent pour statuer sur la régularité des conditions dans lesquelles ce non-renouvellement est intervenu ; qu'en considérant que le juge judiciaire était incompétent, au profit du juge administratif, pour connaître de la demande de M. C..., fonctionnaire territorial détaché auprès de la Régie Haganis, titulaire d'un contrat de travail et salarié protégé, tendant à sa réintégration dans l'entreprise à la suite du non-renouvellement de son contrat intervenue sans autorisation administrative, cependant que le juge prud'homal était seul compétent pour connaître d'une telle demande précisément en raison de l'absence de décision administrative autorisant ce non-renouvellement, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article L. 1411-3 du code du travail, ensemble la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et le principe de séparation des pouvoirs ;

Mais attendu que la cour d'appel a décidé exactement que le juge judiciaire n'était pas compétent pour ordonner la réintégration du fonctionnaire au sein de l'organisme de droit privé auprès duquel il avait été mis à disposition, quand bien même la décision de ne pas solliciter le renouvellement de la mise à disposition est le fait de cet organisme et qu'aucune autorisation administrative de non-renouvellement de la mise à disposition du fonctionnaire exerçant au sein de l'organisme de droit privé un mandat de représentant syndical n'a été sollicitée ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 5, II, du décret n° 2008-580 du 18 juin 2008 relatif au régime de la mise à disposition applicable aux collectivités territoriales et aux établissements publics administratifs locaux, ensemble les articles L. 2411-3 et L. 2412-2 du code du travail ;

Attendu que selon le premier de ces textes, lorsque cesse la mise à disposition, le fonctionnaire qui ne peut être affecté aux fonctions qu'il exerçait précédemment dans son service d'origine reçoit une affectation dans l'un des emplois que son grade lui donne vocation à occuper, dans le respect des règles fixées au deuxième alinéa de l'article 54 de la loi du 26 janvier 1984 ; qu'il en résulte que l'employeur privé n'est pas tenu à l'expiration de la mise à disposition à son terme normal de solliciter une autorisation administrative de mettre fin au contrat, sauf lorsqu'il s'est opposé au renouvellement de la mise à disposition, ou que ce non-renouvellement est dû à son fait ;

Attendu que, pour rejeter la demande d'indemnisation au titre du défaut d'autorisation administrative de non-renouvellement de la mise à disposition, l'arrêt retient que, dès lors que cette mise à disposition a pris fin à son échéance normale et non de manière anticipée cet agent ne peut donc plus invoquer à son profit les dispositions des articles L. 2412-2 et L. 2412-3 du code du travail prévoyant une autorisation de l'inspecteur du travail pour la rupture à l'arrivée de son terme du contrat à durée déterminée d'un délégué syndical ou d'un délégué du personnel, comportant une clause de renouvellement, si l'employeur n'envisage pas un tel renouvellement et qu'il importe peu que la régie ait fait savoir par avance à M. C... qui l'interrogeait à ce sujet, en l'occurrence par un courrier du 26 janvier 2011, qu'elle n'entendait pas signer une nouvelle convention de mise à disposition le concernant, puisque sa liberté de souscrire ou non à un renouvellement de sa mise à disposition une fois la convention en cours arrivée à son terme était pleine et entière ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'indemnité au titre de la violation du statut protecteur, l'arrêt rendu le 12 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Joly - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : Me Balat ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; articles L. 2411-3 et L. 2412-2, dans sa version applicable au litige, du code du travail ; article 5, II, du décret n° 2008-580 du 18 juin 2008 relatif au régime de la mise à disposition applicable aux collectivités territoriales et aux établissements publics administratifs locaux.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.