Numéro 7 - Juillet 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2020

SEPARATION DES POUVOIRS

Tribunal des conflits, 6 juillet 2020, n° 20-04.192, (P)

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Impôts et taxes – Contestations relatives à l'impôt de solidarité sur la fortune – Limite – Contestation relative à la détermination du droit à restitution

La juridiction judiciaire, compétente en matière de droits d'enregistrement, est également compétente pour connaître des contestations relatives à l'impôt de solidarité sur la fortune et la juridiction administrative, compétente en matière d'impôt sur le revenu, est également compétente pour connaître de toutes les contestations relatives à la détermination du droit à restitution.

Dès lors, la juridiction judiciaire est compétente pour statuer sur une demande de décharge de rappels d'impôt de solidarité sur la fortune. Toutefois, s'il est soulevé devant elle une contestation relative au montant de la créance de restitution imputable sur cet impôt, il lui incombe, en cas de difficulté sérieuse, de saisir, à titre préjudiciel, la juridiction administrative afin qu'il soit statué sur cette contestation.

Vu la requête présentée pour M. Z... I..., domicilié [...], tendant à ce que le Tribunal, en application de l'article 37 du décret du 27 février 2015, déclare la juridiction administrative compétente pour statuer sur sa demande tendant à être déchargé des rappels d’impôt de solidarité sur la fortune mis à sa charge au titre des années 2012 et 2013 ainsi que des pénalités et intérêts y afférents, à la suite du conflit négatif résultant de ce que :

1°) par une ordonnance du 26 septembre 2019, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris a déclaré la juridiction judiciaire incompétente pour connaître du litige ;

2°) par une ordonnance du 23 janvier 2020, le président du tribunal administratif de Paris a déclaré la juridiction administrative incompétente pour en connaître ;

Vu les ordonnances précitées ;

Vu le mémoire produit pour le ministre de l’action et des comptes publics, tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente pour connaître du litige, par les motifs que la réclamation concerne non pas le calcul de l’impôt de solidarité sur la fortune mais la réévaluation du montant du droit à restitution fondée sur la réintégration de moins-values dans les revenus pris en compte pour déterminer le « bouclier fiscal » ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Considérant ce qui suit :

1. M. I..., estimant avoir acquis sur le fondement des articles 1er et 1649-0 A du code général des impôts un droit à restitution né du plafonnement des impositions au titre de ses revenus de l'année 2010 d'un montant de 88 424 euros, a utilisé cette créance pour le paiement de l'impôt de solidarité sur la fortune, à hauteur de 37 227 euros au titre de l'année 2012 et 51 197 euros au titre de l'année 2013.

2. Par une proposition de rectification du 5 octobre 2015, l’administration fiscale a rectifié le montant total des revenus à prendre en compte au titre du plafonnement et ramené, en conséquence, à 11 761 euros le montant de la restitution due à M. I....

Par deux avis d’imposition du 30 avril 2016, elle a mis à sa charge des rappels d'impôt de solidarité sur la fortune d'un montant de 25 466 euros au titre de l'année 2012 et 51 197 euros au titre de l'année 2013.

3. Après rejet de sa réclamation contentieuse, M. I... a saisi le tribunal de grande instance de Paris d’une demande de décharge de ces impositions supplémentaires et des pénalités et intérêts y afférents.

4. Par ordonnance du 26 septembre 2019, le juge de la mise en état a décliné la compétence de l’ordre judiciaire en retenant qu’il résultait des articles L. 199 du livre des procédures fiscales et 1649-0 A du code général des impôts que le législateur avait conféré à la juridiction administrative la compétence pour connaître des litiges afférents aux demandes ou créances de restitution.

5. Saisi ensuite par M. I... de la même contestation, le président du tribunal administratif de Paris, par ordonnance du 23 janvier 2020, a décliné la compétence de la juridiction administrative en estimant que, l’impôt de solidarité sur la fortune étant au nombre des droits d’enregistrement dont le contentieux ressortit à la juridiction judiciaire en application de l’article L. 199 du livre des procédures fiscales, la demande tendant à la décharge des rappels de cet impôt au titre des années 2012 et 2013 devait être portée devant le juge judiciaire.

6. Ces deux décisions étant devenues irrévocables, M. I... a saisi le Tribunal sur le fondement de l’article 37 du décret du 27 février 2015 afin qu’il désigne la juridiction compétente.

7. Il résulte de l’article L. 199 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à l’espèce, que les contestations relatives aux impôts directs et aux taxes sur le chiffre d’affaires ou taxes assimilées sont portées devant la juridiction administrative et que la juridiction judiciaire est compétente en matière de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière, de droits de timbre, de contributions indirectes et de taxes assimilées.

8. En vertu des articles 885 D et 1723 ter OO A du code général des impôts, l’impôt de solidarité sur la fortune est assis et recouvré selon les mêmes règles et sous les mêmes sanctions que les droits de mutation par décès, qui sont au nombre des droits d’enregistrement.

9. Aux termes de l’article 1649-0 A du code général des impôts, dans sa version applicable aux impositions afférentes aux revenus perçus au cours de l’année 2010 : « 1.

Le droit à restitution de la fraction des impositions qui excède le seuil mentionné à l’article 1er est acquis par le contribuable au 1er janvier de la deuxième année suivant celle de la réalisation des revenus mentionnés au 4. (...) 8.

Les demandes de restitution doivent être déposées avant le 31 décembre de la deuxième année suivant celle de la réalisation des revenus mentionnés au 4.

Les dispositions de l'article 1965 L sont applicables.

Le reversement des sommes indûment restituées est demandé selon les mêmes règles de procédure et sous les mêmes sanctions qu’en matière d’impôt sur le revenu même lorsque les revenus pris en compte pour la détermination du droit à restitution sont issus d’une période prescrite.

Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles de procédure applicables en matière d’impôt sur le revenu. 9.

Par dérogation aux dispositions du 8, le contribuable peut, sous sa responsabilité, utiliser la créance qu’il détient sur l’Etat à raison du droit à restitution acquis au titre d’une année, pour le paiement des impositions mentionnées aux b à e du 2 exigibles au cours de cette même année. Cette créance, acquise à la même date que le droit à restitution mentionné au 1, est égale au montant de ce droit. (...) Ces déclarations sont contrôlées selon les mêmes règles, garanties et sanctions que celles prévues en matière d’impôt sur le revenu, même lorsque les revenus pris en compte pour la détermination du plafonnement sont issus d’une période prescrite. L’article 1783 sexies est applicable (...) ».

10. Il résulte de ce qui précède que la juridiction judiciaire, compétente en matière de droits d’enregistrement, est également compétente pour connaître des contestations relatives à l’impôt de solidarité sur la fortune et que la juridiction administrative, compétente en matière d’impôt sur le revenu, est également compétente pour connaître de toutes les contestations relatives à la détermination du droit à restitution.

11. Il s’ensuit que la juridiction judiciaire est compétente pour statuer sur une demande de décharge de rappels d’impôt de solidarité sur la fortune. Toutefois, s’il est soulevé devant elle une contestation relative au montant de la créance de restitution imputable sur cet impôt, il lui incombe, en cas de difficulté sérieuse, de saisir, à titre préjudiciel, la juridiction administrative afin qu’il soit statué sur cette contestation.

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction judiciaire est compétente pour connaître de la demande de M. I... tendant à être déchargé des rappels d’impôt de solidarité sur la fortune mis à sa charge au titre des années 2012 et 2013 ainsi que des pénalités et intérêts y afférents, sauf à surseoir à statuer dans l’attente de la décision de la juridiction administrative compétente, saisie à titre préjudiciel, sur la contestation portant sur le montant de la créance de restitution imputable sur cet impôt.

Article 2 :

L'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris du 26 septembre 2019 est déclarée nulle et non avenue.

La cause et les parties sont renvoyées devant ce tribunal.

- Président : M. Ménéménis - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : M. Pellissier (Rapporteur public) - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; le code général des impôts et le livre des procédures fiscales.

Tribunal des conflits, 6 juillet 2020, n° 20-04.191, (P)

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige entre personnes privées – Litige entre une société et une association régie par la loi du 1er juillet 1901 dont aucune des personnes publiques qui en sont membres ne contrôle son organisation et son fonctionnement – Association investie d'une mission de service public – Absence d'influence

Si une association, créée à l'initiative de l'État et de la ville de Paris pour assurer la maîtrise d'ouvrage de la construction d'un équipement culturel et son exploitation, a exercé une mission de service public, elle est une association régie par la loi du 1er juillet 1901 dont aucune de ces personnes publiques ne contrôle, seule ou conjointement avec l'autre, son organisation et son fonctionnement ni ne lui procure l'essentiel de ses ressources, et, par ailleurs, elle n'agit pas au nom et pour le compte de ces dernières mais en son nom et pour son propre compte.

Dès lors, le litige relatif à l'exécution d'un marché signé avec un groupement d'entreprises est un contrat de droit privé et la demande en paiement formé par le sous-traitant à l'encontre du maître d'ouvrage qui l'a accepté relève de la compétence de la juridiction judiciaire.

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige relatif à un contrat conclu entre personnes privées – Applications diverses

Vu l'expédition de la décision du 28 février 2020 par laquelle le Conseil d’Etat, saisi du pourvoi formé par la société [...] tendant à l'annulation de l'arrêt rendu le 5 mars 2019 par la cour administrative d'appel de Paris dans le litige l'opposant à l’association la Philharmonie de Paris, a renvoyé au Tribunal, en application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de la compétence ;

Vu le mémoire présenté par l'établissement public Cité de la musique - Philharmonie de Paris, venant aux droits et obligations de l’association Philharmonie de Paris, qui conclut à la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de l'action directe du sous-traitant par le motif que le marché de travaux a été passé par une association autonome agissant pour son propre compte ;

Vu le mémoire présenté par la société [...] qui conclut à la compétence de la juridiction administrative par les motifs que l'association Philharmonie de Paris, contrôlée et financée conjointement par l'Etat et la ville de Paris, est transparente et que, subsidiairement, elle a agi au nom et pour le compte de ces deux personnes publiques ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à la ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre de la culture, qui n'ont pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015

Considérant ce qui suit :

1. L'association Philharmonie de Paris, aux droits de laquelle vient l’établissement public de la Cité de la musique-Philharmonie de Paris qui lui a succédé en 2015, a signé, le 25 janvier 2011, avec un groupement d’entreprises constitué par les sociétés V... Bâtiment Île-de-France, Belgo-Metal et Kyotec Group, un marché de travaux pour la construction, la maintenance et l’entretien d'un équipement musical dénommé la Philharmonie sur le site du parc de la Villette à Paris.

Par un acte spécial en date du 19 février 2015, l’association Philharmonie de Paris a accepté l’intervention de la société [...] en tant que sous-traitante de la société Belgo-Metal pour la « pose de tôles pare fumée + cheminements pompier + garde-corps ».

Par le même acte, la société Belgo-Metal a délégué au maître d’ouvrage, l’association Philharmonie de Paris, le paiement à la société [...] des sommes dues au titre de la sous-traitance.

La société [...], estimant que seuls 20 000 euros lui avaient été payés sur les 150 000 euros prévus à l’acte du 19 février 2015, a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la Philharmonie de Paris à lui verser une somme de 130 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal.

Par un jugement du 18 mai 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Par arrêt du 5 mars 2019, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté sa requête en annulation de ce jugement.

La société [...] a formé un pourvoi contre cet arrêt.

Par une décision du 28 février 2020, le Conseil d'Etat a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de la compétence.

2. Si l'association Philharmonie de Paris, créée à l'initiative de l'Etat et de la ville de Paris pour assurer la maîtrise d'ouvrage de la construction d'un équipement culturel et son exploitation, a exercé une mission de service public, elle était une association régie par la loi du 1er juillet 1901 dont aucune de ces personnes publiques ne contrôlait, seule ou conjointement avec l'autre, l'organisation et le fonctionnement ni ne lui procurait l'essentiel de ses ressources ; par ailleurs, elle n'a pas agi au nom et pour le compte de ces dernières mais en son nom et pour son propre compte.

3. Le marché signé entre l’association Philharmonie de Paris et le groupement d’entreprises est dès lors un contrat de droit privé et la demande en paiement formé par le sous-traitant à l'encontre du maître d'ouvrage qui l'a accepté relève de la compétence de la juridiction judiciaire.

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant la société [...] à l’association Philharmonie de Paris.

- Président : M. Ménéménis - Rapporteur : Mme Taillandier-Thomas - Avocat général : M. Polge (Rapporteur public) - Avocat(s) : SCP Potier-de-la-Varde, Buck-Lament, Robillot ; Cabinet Briard -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015.

Rapprochement(s) :

Sur la compétence judiciaire en matière de litige entre une société et une association, à rapprocher : Tribunal des conflits, 16 novembre 2015, pourvoi n° 15-04.032, Bull. 2015, T. conflits, n° 26, et les arrêts cités.

Tribunal des conflits, 6 juillet 2020, n° 20-04.188, (P)

Postes et communications électroniques – La Poste – Exercice du droit syndical – Litige relatif aux moyens matériels prévus pour les syndicats – Compétence administrative

Les articles 29 et 31 de la loi du 2 juillet 1990 doivent être interprétés comme traduisant la volonté du législateur, depuis 1990, d'écarter l'application à La Poste non seulement des dispositions du code du travail relatives aux institutions représentatives du personnel et aux délégués syndicaux, mais aussi de celles qui sont relatives à la définition des règles relatives aux conditions matérielles d'exercice du droit syndical, qui n'en sont pas séparables. Dès lors, hors le cas où elle ferait l'objet d'un accord conclu sur le fondement de l'article 31-2 de la loi du 2 juillet 1990, la définition des conditions matérielles d'exercice du droit syndical, qui demeurent régies par la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et le décret du 28 mai 1982 relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique, ne peut être contestée que devant le juge administratif.

Postes et communications électroniques – La Poste – Litige relatif aux accords conclus sur le fondement de l'article 32-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 – Compétence judiciaire – Exclusion – Dispositions relatives à l'organisation du service public

Vu, enregistrée à son secrétariat le 10 février 2020, l'expédition de l'arrêt du 22 janvier 2020 par lequel la Cour de cassation (chambre sociale), saisie du pourvoi formé par la société La Poste tendant à l'annulation de l'arrêt rendu le 22 novembre 2018 par la cour d'appel de Paris dans le litige opposant la société au Syndicat pour la défense des postiers, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu, enregistré le 24 février 2020, le mémoire présenté pour le Syndicat pour la défense des postiers, tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente, par les motifs que la société La Poste est une société anonyme et que le litige est étranger aux missions de service public qui lui sont dévolues ; qu'en vertu des articles 31 et 31-2 de la loi du 2 juillet 1990, l'exercice du droit syndical à La Poste relève de la compétence judiciaire ; que la contestation d'un accord collectif sur l'exercice du droit syndical, qui est étranger à l'organisation du service public, relève de la compétence judiciaire ; que la décision rendue par le Conseil d'Etat le 15 mai 2009 est intervenue avant la loi du 9 février 2010 et a été abandonnée ;

Vu, enregistrée le 6 mars 2020, l'intervention présentée par la Fédération des syndicats solidaires, unitaires et démocratiques des activités postales et de télécommunications, tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente, par les motifs qu'elle justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour intervenir dans le litige ; que l'exercice du droit syndical à La Poste, société anonyme, est étranger à l'organisation du service public ; que la contestation d'un accord collectif sur l'exercice du droit syndical relève de la compétence judiciaire ; que la décision rendue par le Conseil d'Etat le 15 mai 2009 est intervenue avant la loi du 9 février 2010 et a été abandonnée ;

Vu, enregistré le 11 mars 2020, le mémoire présenté par le ministre de l'économie et des finances, tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente, par les motifs que l'article 31 de la loi du 2 juillet 1990, qui a été édicté alors que La Poste était un exploitant de droit public dont le personnel était essentiellement composé de fonctionnaires et qui n'a pas été modifié par la loi du 9 février 2010, a maintenu l'application du droit public pour la représentation du personnel et l'exercice du droit syndical à La Poste ; que l'accord-cadre du 4 décembre 1998, antérieur à la loi du 21 mai 2005, est dépourvu de force juridique et ne relève pas du droit privé des accords collectifs ;

Vu, enregistré le 21 avril 2020, le mémoire présenté par la société La Poste, tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente, par les motifs que l'accord-cadre du 4 décembre 1998, qui a été conclu dans le cadre de la loi du 13 juillet 1983 et du décret du 28 mai 1982, ne présente pas le caractère d'un accord collectif régi par le code du travail mais celui d'un acte administratif comme la décision unilatérale du 26 janvier 1999 qui en a repris la teneur ; que l'abrogation de ces actes présente également le caractère d'un acte administratif ; que l'article 31 de la loi du 2 juillet 1990 fait relever du droit public la représentation collective des personnels au sein de La Poste, ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat en 2009, sans que cette solution n'ait été abandonnée ni remise en cause par la loi du 9 février 2010 ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été communiquée à la ministre du travail, qui n'a pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n°2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code des postes et des communications électroniques ;

Vu le code du travail ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

Vu la loi n° 2005-516 du 20 mai 2005 ;

Vu la loi n° 2010-123 du 9 février 2010 ;

Vu le décret n° 82-447 du 28 mai 1982 ;

Considérant ce qui suit :

Sur l'intervention :

1. La Fédération des syndicats solidaires, unitaires et démocratiques des activités postales et de télécommunications justifie d'un intérêt de nature à l'autoriser à intervenir dans le présent litige. Son intervention est, en conséquence, recevable.

Sur le litige :

2. Le Syndicat pour la défense des postiers, après avoir demandé à la société La Poste en 2015 le bénéfice de moyens matériels prévus pour les syndicats par l'accord du 4 décembre 1998 et l'instruction du 26 janvier 1999 relatifs à l'exercice du droit syndical à La Poste, a saisi, en 2016, du refus qui lui a été opposé le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, qui a statué par une ordonnance du 23 février 2017. Alors que la cour d'appel de Paris était saisie d'un appel formé contre cette ordonnance, l'accord du 4 décembre 1998 et l'instruction du 26 janvier 1999 ont été abrogés par une décision du 5 avril 2017 de la directrice des ressources humaines de La Poste.

Le Syndicat pour la défense des postiers a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris d'une nouvelle action dirigée contre cette décision du 5 avril 2017.

Par une ordonnance du 3 novembre 2017, le juge des référés a dit que l'accord du 4 décembre 1998 devait être maintenu jusqu'à son abrogation éventuelle par dénonciation conventionnelle ou par une procédure contentieuse de fond.

Par arrêt du 22 novembre 2018, la cour d'appel de Paris a confirmé cette ordonnance. Saisie par La Poste d'un pourvoi en cassation contre ce dernier arrêt, la Cour de cassation, par arrêt du 22 janvier 2020, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence.

Sur les dispositions applicables à La Poste :

3. La loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications a créé, à compter du 1er janvier 1991, deux personnes morales de droit public, prenant respectivement le nom de La Poste et de France Télécom, en lieu et place des services de l'administration de l'Etat précédemment en charge de la poste et des télécommunications.

En vertu de cette loi,

La Poste et France Télécom présentaient alors, sous l'appellation d'exploitants publics, le caractère d'établissements publics industriels et commerciaux. Leurs personnels, qui avaient précédemment la qualité de fonctionnaire, ont conservé cette qualité de par la loi et sont demeurés régis par la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, sous réserve des dispositions particulières de la loi du 2 juillet 1990, et par les statuts particuliers de leurs corps.

La loi du 2 juillet 1990 a toutefois permis aux exploitants publics, lorsque les exigences particulières de l'organisation de certains services ou la spécificité de certaines fonctions le justifiaient, d'employer des agents contractuels sous le régime des conventions collectives. Ultérieurement, la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales a, pour La Poste, élargi cette possibilité d'employer des agents de droit privé, en supprimant la condition tenant aux exigences de l'organisation du service ou à la spécificité des fonctions.

4. La loi du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales a transformé, à compter du 1er mars 2010, la personne morale de droit public La Poste en une société anonyme dénommée La Poste, dont le capital est détenu par l'Etat et par la Caisse des dépôts et consignations. Sans remettre en cause le statut des fonctionnaires de La Poste, demeurés régis sans modification par les lois du 13 juillet 1983, du 11 janvier 1984 et du 2 juillet 1990, la loi du 9 février 2010 a, sans limitation, ouvert la possibilité pour La Poste d'employer des agents de droit privé sous le régime des conventions collectives.

5. Aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 : « Les personnels de La Poste (...) sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, qui comportent des dispositions spécifiques dans les conditions prévues aux alinéas ci-après (...) ».

En vertu de l'article 29-4 de la même loi : « A compter du 1er mars 2010, les corps de fonctionnaires de La Poste sont rattachés à la société anonyme La Poste et placés sous l'autorité de son président qui dispose des pouvoirs de nomination et de gestion à leur égard. Ce dernier peut déléguer ses pouvoirs de nomination et de gestion et en autoriser la subdélégation dans les conditions de forme, de procédure et de délai déterminées par décret en Conseil d'Etat. / (...) Les personnels fonctionnaires de La Poste demeurent soumis aux articles 29 et 30 de la présente loi ».

6. Aux termes de l'article 31 de la loi du 2 juillet 1990 : « La Poste emploie des agents contractuels sous le régime des conventions collectives. / L'emploi des agents soumis au régime des conventions collectives n'a pas pour effet de rendre applicables à La Poste les dispositions du code du travail relatives aux comités sociaux et économiques et aux délégués syndicaux. / Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles les agents de La Poste sont représentés dans des instances de concertation chargées d'assurer l'expression collective de leurs intérêts, notamment en matière d'organisation des services, de conditions de travail et de formation professionnelle. Il précise en outre, en tenant compte de l'objectif d'harmoniser au sein de La Poste les institutions représentatives du personnel, les conditions dans lesquelles la représentation individuelle des agents de droit privé est assurée, et établit les règles de protection, au moins équivalentes à celles prévues par le code du travail pour les délégués du personnel, dont bénéficient leurs représentants ».

7. En vertu de l'article 31-2 de la même loi : « (...) La Poste recherche par la négociation et la concertation la conclusion d'accords avec les organisations syndicales dans tous les domaines sociaux afférents à l'activité postale.

Sont appelées à participer à ces négociations les organisations syndicales disposant d'au moins un siège dans les comités techniques au sein desquels s'exerce la participation des agents de La Poste et qui sont déterminés en fonction de l'objet et du niveau de la négociation. / La validité des accords collectifs conclus à La Poste est subordonnée à leur signature par une ou plusieurs organisations syndicales ayant recueilli au total au moins 30 % des suffrages exprimés et à l'absence d'opposition d'une ou de plusieurs organisations syndicales parties prenantes à la négociation représentant au total une majorité des suffrages exprimés. / Pour l'application de l'alinéa précédent, sont prises en compte les voix obtenues par les organisations syndicales lors des dernières élections aux comités techniques, au niveau où l'accord est négocié. / Si la négociation couvre un champ plus large que celui d'un seul comité technique, les résultats des élections sont agrégés pour permettre l'appréciation respective de l'audience de chaque organisation syndicale. / Si la négociation couvre un champ plus restreint que celui d'un comité technique, il est fait référence aux résultats des élections de ce comité technique, le cas échéant, dépouillés au niveau considéré, pour apprécier l'audience respective de chaque organisation syndicale. / L'opposition est exprimée dans un délai de huit jours à compter de la date de notification de l'accord. Elle est écrite et motivée. Elle est notifiée aux signataires (...) ».

8. Aux termes de l'article 31-3 de la même loi : « La quatrième partie du code du travail s'applique à l'ensemble du personnel de La Poste, sous réserve des adaptations, précisées par un décret en Conseil d'Etat, tenant compte des dispositions particulières relatives aux fonctionnaires et à l'emploi des agents contractuels. / Toutefois, les dispositions du titre Ier du livre VI de la quatrième partie du code du travail relatives au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dans leur rédaction en vigueur à la date de la publication de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales, demeurent en vigueur, en tant qu'elles s'appliquent à La Poste, jusqu'au prochain renouvellement des instances ».

Sur la compétence :

9. Il résulte des dispositions précitées que le personnel de La Poste comprend, en vertu de la loi et alors même qu'elle présente depuis 2010 le caractère d'une personne morale de droit privé, des fonctionnaires et des agents de droit privé.

En vertu des règles de répartition des compétences juridictionnelles dont la mise en œuvre dépend du statut de droit public ou de droit privé des agents en cause, le juge administratif est seul compétent pour connaître des litiges portant sur la situation individuelle des agents de droit public et le juge judiciaire seul compétent pour connaître des litiges de même nature intéressant les agents de droit privé.

10. S'agissant des actes fixant les règles qui s'appliquent aux agents de La Poste, le juge administratif est compétent pour apprécier la légalité des actes réglementaires émanant des autorités de l'Etat ainsi que ceux pris par La Poste qui sont relatifs à la situation statutaire des fonctionnaires de La Poste, lesquels présentent le caractère d'actes administratifs.

11. Par ailleurs,

La Poste peut conclure, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 20 mai 2005, des accords avec les organisations syndicales dans tous les domaines sociaux afférents à l'activité postale, sur le fondement de l'article 31-2 de la loi du 2 juillet 1990, issu de la loi du 20 mai 2005 et modifié par la loi du 7 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique. Alors même que certaines stipulations de l'accord ne s'appliqueraient qu'aux fonctionnaires en activité au sein de La Poste, toute contestation portant sur la validité, les conditions d'application et la dénonciation d'un accord collectif conclu après l'entrée en vigueur de la loi du 20 mai 2005 en application des dispositions de l'article 31-2, selon les règles particulières qu'il prévoit, relève de la compétence judiciaire, hormis le cas où la contestation concerne des dispositions qui n'ont pas pour objet la détermination des conditions d'emploi, de formation professionnelle et de travail ou des garanties sociales des personnels mais régissent l'organisation du service public.

12. Enfin, si la contestation des actes unilatéraux pris par La Poste, à l'exception de ceux relatifs à la situation statutaire des fonctionnaires, qui présentent le caractère d'actes administratifs, relève en principe de la compétence de la juridiction judiciaire, la juridiction administrative demeure compétente pour apprécier la légalité de ceux de ces actes qui, présentant un caractère règlementaire et touchant à l'organisation du service public, sont des actes administratifs.

13. Toutefois, pour ce qui concerne spécialement la définition des règles relatives aux conditions matérielles d'exercice du droit syndical au sein de La Poste, faisant l'objet du présent litige, il résulte des dispositions des articles 29 et 31 de la loi du 2 juillet 1990, qui ont été initialement adoptées en 1990 alors que le personnel de La Poste était composé de fonctionnaires et n'ont pas été remises en cause par la suite, notamment pas par la loi du 9 février 2010, que le législateur a entendu écarter l'application à La Poste des dispositions du code du travail relatives aux institutions représentatives du personnel et aux délégués syndicaux ainsi que de celles qui, relatives aux conditions matérielles de l'exercice du droit syndical, n'en sont pas séparables. Il s'ensuit que, en l'état de la législation applicable, la définition des conditions matérielles de l'exercice du droit syndical à La Poste, qui demeurent régies par la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et le décret du 28 mai 1982 relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique, relève de la compétence administrative, hors le cas où elle ferait l'objet d'un accord conclu sur le fondement de l'article 31-2 de la loi du 2 juillet 1990 modifiée.

14. Il résulte de ce qui précède que le litige relève de la compétence de la juridiction administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er :

L'intervention de la Fédération des syndicats solidaires, unitaires et démocratiques des activités postales et de télécommunications est admise.

Article 2 :

La juridiction administrative est compétente pour connaître du litige.

- Président : M. Ménéménis - Rapporteur : M. Stahl - Avocat général : M. Chaumont (rapporteur public) - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Meier-Bourdeau, Lécuyer -

Textes visés :

Loi des 16 et 24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872, article 15 ; décret n°2015-233 du 27 février 2015 ; code des postes et des communications électroniques ; code du travail ; loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ; loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ; loi n° 2005-516 du 20 mai 2005 ; loi n° 2010-123 du 9 février 2010 ; décret n° 82-447 du 28 mai 1982.

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