Numéro 7 - Juillet 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2020

PRESCRIPTION CIVILE

Com., 1 juillet 2020, n° 18-24.979, (P)

Rejet

Interruption – Acte interruptif – Déclaration des créances – Bénéficiaire – Garant hypothécaire – Conditions – Notification de la déclaration (non)

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 20 septembre 2018), la société Caisse de crédit agricole du Nord-Est, qui avait, le 20 septembre 2009, consenti deux prêts à la société World marine assistance, garantis par l'affectation hypothécaire d'un immeuble par la SCI 53 boulevard JF Kennedy, a, le 4 juin 2009, déclaré ses créances au passif de la liquidation judiciaire de la société World Marine Assistance, puis les a cédées le 22 décembre 2010 au Fonds commun de titrisation Hugo créances I (le Fonds commun de titrisation).

2. La clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la société World marine assistance a été prononcée par un jugement du 30 novembre 2012.

3.Par un acte du 22 décembre 2017, le Fonds commun de titrisation a délivré à la SCI un commandement de saisie-vente.

Examen du moyen unique

Enoncé du moyen

4. Le Fonds commun de titrisation, représenté par la société GTI Asset Management, fait grief à l'arrêt d'annuler le commandement valant saisie du 22 décembre 2017et d'ordonner la radiation de l'inscription d'hypothèque, alors « que la force de chose jugée attachée à une décision judiciaire dès son prononcé ne peut avoir pour effet de priver une partie d'un droit tant que cette décision ne lui a pas été notifiée ; que, par ailleurs, l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ; qu'il suit de là que l'interruption du délai de la prescription résultant de la déclaration d'une créance au passif du débiteur assujetti à une procédure de liquidation judiciaire, produit ses effets jusqu'à la publication du jugement de clôture pour insuffisance d'actif au Bodacc, puisque, ce jugement étant signifié au seul débiteur, le créancier déclarant n'en est averti que par la publicité à laquelle il donne légalement lieu ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 503 du code de procédure civile, 2234 et 2242 du code civil, ensemble les articles L. 643-9 et R. 643-18 du code de commerce.»

Réponse de la Cour

5. La déclaration de créance au passif du débiteur principal en liquidation judiciaire interrompt la prescription à l'égard du garant hypothécaire, sans qu'il y ait lieu à notification de la déclaration à l'égard de ce dernier, et cet effet interruptif se prolonge jusqu'au jugement prononçant la clôture de la procédure.

6. Le créancier, qui n'était pas empêché d'agir contre le garant hypothécaire pendant le cours de la liquidation judiciaire, ne s'est vu privé d'aucun droit par le jugement de clôture pour insuffisance d'actif qui a seulement eu pour effet à son égard, et dès son prononcé, de mettre fin à l'interruption du délai de prescription et de faire courir un nouveau délai de prescription de cinq ans.

7. Après avoir constaté que le jugement prononçant la clôture pour insuffisance d'actif avait été rendu le 30 novembre 2012, l'arrêt retient exactement, peu important la date de sa publication au BODACC, que la prescription de cinq ans était acquise lorsque le créancier a délivré le commandement aux fins de saisie-vente le 22 décembre 2017.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Vaissette - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Yves et Blaise Capron ; SARL Corlay -

Textes visés :

Article 503 du code de procédure civile ; articles 2234 et 2242 du code civil ; articles L. 643-9 et R. 643-18 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur l'interruption du délai de prescription pendant la durée de la procédure collective du débiteur principal, sous l'empire de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, à rapprocher : Com., 23 octobre 2019, pourvoi n° 18-16.515, Bull. 2019, (rejet).

Soc., 8 juillet 2020, n° 18-26.585, n° 18-26.586, n° 18-26.587, n° 18-26.588, n° 18-26.589, n° 18-26.590, n° 18-26.591, n° 18-26.592, n° 18-26.593, n° 18-26.594 et suivants, (P)

Cassation

Prescription quinquennale – Actions personnelles ou mobilières – Point de départ – Connaissance des faits permettant l'exercice de l'action – Cas – Action en réparation du préjudice d'anxiété – Détermination

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 18-26.585 à 18 26-634, et 18-26.636 à 18-26.655 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Reims, 5 septembre 2018), M. E... et d'autres agents de la SNCF, devenue SNCF mobilités, travaillant au sein du Technicentre de [...], ont saisi la juridiction prud'homale, le 28 mai 2015, aux fins d'obtenir la condamnation de leur employeur au paiement de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice d'anxiété et pour violation de l'obligation de sécurité.

3. Par arrêts infirmatifs du 5 septembre 2018, la cour d'appel a déclaré leur action irrecevable.

4. La société SNCF voyageurs est venue aux droits de la société SNCF mobilités.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et sur le second moyen pris en sa seconde branche, les moyens étant réunis Enoncé du moyen

5. Les salariés font grief aux arrêts de dire irrecevable leur action tendant à l'indemnisation de leur préjudice d'anxiété et de leur préjudice résultant de la violation de l'obligation de sécurité et de l'obligation de bonne foi alors :

« 1°/ que la prescription des actions ouvertes aux salariés aux fins d'indemnisation du préjudice lié à l'exposition à l'amiante ne court qu'à compter du jour où ces salariés ont eu connaissance du risque à l'origine de l'anxiété, c'est-à-dire à compter du jour où ils détiennent l'ensemble des éléments nécessaires à la connaissance de la dangerosité de l'exposition à laquelle ils ont été soumis ; qu'en refusant de fixer le point de départ du délai de prescription de l'action des agents à la date à laquelle avait été mis en service le local de confinement de l'amiante le 1er janvier 2014, c'est-à-dire à la date à laquelle ils avaient été mis en possession de l'ensemble des éléments nécessaires à la connaissance du risque à l'origine de leur anxiété, la cour d'appel a violé l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'Homme.

2°/ que la prescription des actions des salariés aux fins d'indemnisation du préjudice résultant d'un manquement de leur employeur à ses obligations de sécurité et de bonne foi en matière d'amiante ne court qu'à compter du jour où les salariés ont cessé d'être exposés à l'amiante ; qu'en refusant de fixer le point de départ du délai de prescription de l'action des agents à la date à laquelle avait été mis en service le local de confinement de l'amiante le 1er janvier 2014, c'est-à-dire à la date à laquelle leurs conditions de travail avaient été mises en conformité avec le régime de protection en matière d'amiante dit du retrait et à laquelle ils avaient eu connaissance de la déloyauté avec laquelle la SNCF Mobilités les avaient jusqu'alors exposés à l'amiante, la cour d'appel a violé l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'Homme. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :

6. Aux termes de ce texte, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

7. Par ailleurs, en application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, et d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.

8. Le point de départ du délai de prescription de l'action par laquelle un salarié demande à son employeur, auquel il reproche un manquement à son obligation de sécurité, réparation de son préjudice d'anxiété, est la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante. Ce point de départ ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin.

9. Pour déclarer prescrite l'action des salariés, les arrêts retiennent que le 30 janvier 2001, lors de la réunion du CHSCT, les représentants du personnel ont fait grief à l'employeur de ne pas appliquer le décret n° 96/98 du 7 février 1998 traitant de la protection des travailleurs exposés aux fibres d'amiante, après la découverte par des agents d'un produit amiantifère lors d'une intervention sous le plancher d'un chaudron, qu'en 2004, une cabine de désamiantage a été installée dans le bâtiment N, et que donc au plus tard en 2004, les salariés avaient ou auraient dû avoir conscience d'un risque d'exposition à l'amiante, présente sur le site où ils exerçaient leur activité professionnelle, qu'a confirmé en 2005, l'interdiction d'utilisation des enduits Becker, compte tenu de la concentration en fibres d'amiante qu'ils contenaient, puis les interventions particulièrement fermes à compter de 2011 de la DIRECCTE.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher à quelle date les salariés avaient cessé d'être exposés à un risque élevé de développer une pathologie grave résultant d'une exposition à l'amiante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur la première branche du second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus le 5 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Van Ruymbeke - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Colin-Stoclet -

Textes visés :

Article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

Rapprochement(s) :

Sur le point de départ du délai de prescription de l'action en indemnisation du préjudice d'anxiété pour les salariés relevant du régime de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA), à rapprocher : Soc., 29 janvier 2020, pourvoi n° 18-15.388, Bull. 2020, (cassation), et les arrêts cités.

Com., 8 juillet 2020, n° 18-24.441, (P)

Cassation partielle

Prescription quinquennale – Article 2224 du code civil – Point de départ – Connaissance des faits permettant l'exercice de l'action – Cas – Action fondée sur la rupture brutale d'une relation commerciale établie – Notification de la rupture à celui qui s'en prétend victime

Le point de départ de la prescription d'une action fondée sur la rupture brutale d'une relation commerciale établie est constitué par la notification de la rupture à celui qui s'en prétend victime, dès lors que celui-ci a connaissance, à cette date, de l'absence de préavis et du préjudice en découlant, et sans qu'il y ait lieu de tenir compte de l'éventualité d'une faute de sa part ayant pu justifier que l'auteur de la rupture ait mis un terme à la relation sans préavis.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué et les productions (Paris, 27 juin 2018), la société Hamel, spécialisée dans le commerce de gros de matériel agricole, commercialisait des produits fabriqués par la société Etablissements Denis. A la suite d'un différend les ayant opposées au sujet de désordres apparus sur un ouvrage monté par la première avec des matériels fournis par elle, la société Etablissements Denis, par une lettre du 2 septembre 2009, a mis un terme à ses relations commerciales avec la société Hamel aux conditions antérieures.

2. Dans l'instance engagée, devant le tribunal de commerce de Montauban, contre les deux sociétés par le client qui avait commandé l'ouvrage litigieux, la société Hamel a formé contre la société Etablissements Denis, à titre reconventionnel, une demande d'indemnisation de son préjudice commercial, sur le fondement de l'article 1147 du code civil. Cette demande ayant été rejetée par un arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 18 novembre 2014, la société Hamel a, le 2 avril 2015, assigné la société Etablissements Denis devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture brutale d'une relation commerciale établie, en application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

3. La société Hamel fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable, comme prescrite, la demande indemnitaire formée par elle contre la société Etablissements Denis sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce alors :

« 1°/ que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'il s'ensuit que l'action en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales se prescrit à compter du jour où le contractant évincé avait eu connaissance du préjudice en résultant, lequel dépend de la durée du préavis jugé nécessaire et qui n'a pas été respecté ; qu'en affirmant que la société Hamel a eu connaissance de la brutalité de la rupture au jour de sa notification et de l'existence du préjudice en résultant, dès lors que la durée du préavis nécessaire est appréciée au jour de la rupture, quand cette date n'était pas celle de la manifestation du dommage dont la société Hamel poursuivait la réparation, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

2°/ que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'il s'ensuit que la prescription ne court pas lorsque la victime ignore l'imputabilité du dommage subi à son auteur ; qu'il s'ensuit que le point de départ de la prescription n'était pas repoussé au dépôt du rapport d'expertise judiciaire démontrant que la livraison de matériel défectueux à la société Silo des quatre chemins n'était pas imputable à la faute de la société Hamel, dès lors que la société Hamel ignorait, avant cette date, si la société Denis pouvait se prévaloir d'une telle faute pour justifier la rupture sans préavis des relations commerciales établies ; qu'en affirmant que ce rapport d'expertise ne pouvait pas caractériser la connaissance par la victime de son droit, et « que le désaccord entre les parties sur les fautes alléguées par la société Denis qu'elle [la société Hamel]aurait commise au moment de la rupture est sans incidence sur son action » et que « l'existence de ces fautes ne peut être invoquée par l'auteur de la rupture pour s'exonérer de sa responsabilité », quand le cours de la prescription était subordonnée à la condition que la victime ait connaissance de l'imputabilité de la brutalité de la rupture à son cocontractant, laquelle dépendait de l'administration par l'expert judiciaire de la preuve qu'elle n'avait commis aucune faute justifiant que la société Denis mette un terme à leurs relations d'affaire sans préavis, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte de l'article 2224 du code civil que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

5. C'est à bon droit qu'en application de ce texte, la cour d'appel a retenu que la prescription de l'action en responsabilité engagée par la société Hamel avait couru à compter de la notification de la rupture dès lors qu'elle avait eu connaissance, à cette date, de l'absence de préavis et du préjudice en découlant, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de l'éventualité d'une faute ayant pu justifier que la société Etablissements Denis ait mis un terme à la relation sans préavis.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en ses troisième et cinquième branches

Enoncé du moyen

7. La société Hamel fait le même grief à l'arrêt alors :

« 3°/ que l'interruption de la prescription s'étend d'une action à une autre, dès lors que les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; qu'en décidant que la prescription de l'action fondée sur l'article L 442-6, I, 5° du code de commerce n'avait pas été interrompue par l'action que la société Hamel avait formée, dans un premier temps, sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle, afin d'obtenir réparation du préjudice commercial qu'elle avait subi, en raison du courrier 2 septembre 2009, et du dénigrement dont elle avait été victime de la part de la société Denis, dès lors que la réparation d'un préjudice commercial causé par des manquements contractuels et des actes de dénigrement ne peut tendre à la même fin et au même but que la réparation de la marge perdue en raison de l'absence de préavis alloué suite à la rupture des relations commerciales l'empêchant ainsi de se réorganiser, quand la société Hamel avait obtenu sur le fondement du droit commun, du tribunal de commerce de Montauban, l'allocation d'une indemnité de 300 000 euros correspondant à la perte de marge dont elle sollicitait la réparation sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil.

5°/ que l'interruption de la prescription s'étend d'une action à une autre, dès lors que les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; qu'en affirmant, par des motifs adoptés des premiers juges, que la société Hamel avait agi sur un autre fondement sans solliciter la réparation d'un préjudice né de la brutalité de la rupture, quand la société Hamel sollicitait dans un cas comme dans l'autre, l'indemnisation du préjudice constitué par la perte de marge en raison du courrier du 2 septembre 2009, de sorte que l'objet de la seconde action était compris dans la première, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2241 du code civil :

8. Si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque deux actions, quoiqu'ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but, de telle sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.

9. Pour écarter le moyen tiré par la société Hamel de l'interruption de la prescription par la demande reconventionnelle qu'elle avait formée contre la société Etablissements Denis dans la précédente instance qui les avait opposées, et déclarer prescrite sa demande de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie, l'arrêt relève que les griefs invoqués par la société Hamel en première instance devant le tribunal de commerce de Montauban étaient fondés sur les dispositions de l'article 1147 ancien du code civil, que, dans ses conclusions du 25 septembre 2014 devant la cour d'appel de Toulouse, elle a spécialement précisé qu'elle ne formulait aucune demande sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, que cette cour d'appel l'a déboutée de sa demande reconventionnelle qui portait sur des manquements à des obligations contractuelles et sur des actes de dénigrement, les motifs développés dans le corps de la décision n'ayant pas de portée en l'espèce et ne pouvant lier la cour, seul le dispositif de la décision ayant autorité de la chose jugée, pour en déduire que l'objet de la précédente action était distinct de celui dont la cour d'appel est saisie, la réparation d'un préjudice commercial causé par des manquements contractuels et des actes de dénigrement ne pouvant tendre à la même fin et au même but que la réparation de la marge perdue en raison de l'absence de préavis alloué à la suite de la rupture des relations commerciales l'empêchant ainsi de se réorganiser.

10. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, pris du fondement exclusivement contractuel de la précédente demande formée par la société Hamel, sans vérifier si les faits que cette dernière avait alors dénoncés pour réclamer l'indemnisation de la perte de marge commerciale qu'elle prétendait avoir subie par suite de la modification unilatérale des conditions commerciales que lui avait imposée la société Etablissements Denis dans sa lettre de rupture, que la cour d'appel de Toulouse avait écartés comme relevant de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, n'étaient pas les mêmes que ceux qu'elle invoquait au soutien de sa demande fondée sur ce texte, de sorte que les actions tendaient toutes deux à la réparation du préjudice résultant de la modification unilatérale des conditions commerciales, éventuellement constitutive d'une rupture, fût-elle seulement partielle, de la relation commerciale unissant les parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement, il rejette les demandes reconventionnelles de la société Etablissements Denis et en ce que, y ajoutant, il déclare recevable la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la société Etablissements Denis, l'arrêt rendu le 27 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Mouillard (président) - Rapporteur : Mme Poillot-Peruzzetto - Avocat général : Mme Pénichon - Avocat(s) : SCP Boullez ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 2224 du code civil.

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