Numéro 7 - Juillet 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2020

POUVOIRS DES JUGES

2e Civ., 2 juillet 2020, n° 19-16.501, (P)

Cassation

Applications diverses – Référé – Mesure d'instruction – Mission prétendument insuffisamment remplie – Nouvelle mesure (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 14 mars 2019), M. P... a été victime d'un accident de la circulation, impliquant le véhicule conduit par M. K..., assuré auprès de la société Filia-Maif.

2. Par ordonnance du 6 mars 2017, rectifiée le 13 mars 2017, le juge des référés d'un tribunal de grande instance a ordonné une mesure d'expertise médicale et a condamné in solidum M. K... et la société Filia-Maif à payer à M. P... une certaine somme à titre de provision.

3. L'expert a déposé son rapport le 31 janvier 2018.

4. Contestant ce rapport sur certains points relatifs notamment à l'incidence professionnelle de l'accident, M. P... a saisi le juge des référés d'un tribunal de grande instance afin de voir ordonner une nouvelle mesure d'expertise médicale judiciaire.

5. Par ordonnance du 22 juin 2018, le juge des référés a dit n'y avoir lieu à référé et a débouté M. P... de ses demandes.

6. M. P... a interjeté appel de cette ordonnance.

Sur le moyen

Enoncé du moyen

7. M. K... fait grief à l'arrêt, infirmant l'ordonnance, d'ordonner une expertise judiciaire et de désigner pour y procéder : le docteur N... E..., médecin spécialiste en médecine physique et réadaptation [...], Tél. : [...], mail : [...] – [...], assisté d'un professeur de trombone émérite ou d'un tromboniste de l'Opéra de Paris de son choix, avec pour mission de : 1° – convoquer les parties et procéder à l'examen de M. P..., prendre avec son autorisation connaissance de tous les documents médicaux le concernant, y compris le dossier du médecin traitant, 2° – décrire la nature, la gravité et les conséquences des blessures ou infirmités occasionnées par les faits dommageables en date du 23 juillet 2015, en précisant si ces lésions sont bien en relation directe et certaine avec les faits, 3° – déterminer les éléments de l'incidence professionnelle subie par M. P... en relation directe avec ces faits, les soins prodigués, les séquelles présentées, 4° – préciser ainsi : * la durée et le taux de l'incapacité temporaire totale ou partielle, * la durée des arrêts de travail au regard des organismes sociaux, si elle est supérieure à l'incapacité temporaire retenue, dire si ces arrêts sont imputables au fait dommageable, * si malgré son incapacité, M. P... est médicalement apte à reprendre dans les conditions antérieures l'activité professionnelle exercée avant les faits, et préciser si les séquelles constatées entraînent une simple gêne, un changement d'emploi ou un reclassement complet, donner toutes les précisions disponibles dans le cadre des compétences de l'expert pour chiffrer l'éventuel préjudice professionnel de M. P..., 5° – donner tout autre élément qui paraîtra utile à la solution d'un éventuel litige sur le fond ; d'avoir dit que l'expert pourra en cas de besoin avoir recours à un technicien autrement qualifié ; d'avoir dit que M. P... versera par chèque libellé à l'ordre du régisseur d'avances de la cour d'appel de Nîmes une consignation de 1 700 euros à valoir sur la rémunération de l'expert et ce avant le 14 avril 2019 et que ce chèque sera adressé, avec les références du dossier (n° RG. 18/2619) au greffe de la cour d'appel de Nîmes, service des référés, de rappeler qu'à défaut de consignation dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque selon les modalités fixées par l'article 271 du code de procédure civile, de dire que l'expert devra déposer auprès du greffe de la cour d'appel de Nîmes, service des référés, un rapport détaillé de ses opérations dans les quatre mois de sa saisine et qu'il adressera copie complète de ce rapport, y compris la demande de fixation de rémunération à chacune des parties, conformément aux dispositions de l'article 173 du code de procédure civile, alors « que lorsqu'un expert judiciaire a déposé son rapport et a répondu à toutes les questions qui lui étaient posées, le juge des référés ne peut ordonner une nouvelle expertise, identique à la première, au prétexte que la pertinence des conclusions du premier expert pourrait être discutée ; qu'en l'espèce, l'ordonnance du 6 mars 2017 ayant fait droit à la première demande d'expertise de M. P... avait confié au docteur L... la mission d'« indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si le déficit fonctionnel permanent entraîne l'obligation pour la victime de cesser totalement ou partiellement son activité professionnelle ou de changer d'activité professionnelle » ou s'il « entraîne d'autres répercussions sur son activité professionnelle actuelle ou future (obligation de formation pour un reclassement professionnel, pénibilité accrue dans son activité, dévalorisation sur la marché du travail, etc.) » ; que le docteur L... a transmis son rapport le 30 janvier 2018, dans lequel il concluait que « le déficit fonctionnel permanent n'entraîne pas l'obligation de cesser totalement son activité de tromboniste. Une reprise d'activité professionnelle sera possible, après une période de préparation technique. » et que « le déficit fonctionnel permanent entraîne une pénibilité, non susceptible de s'aggraver dans le temps » ; que la cour d'appel a relevé que le « docteur L... a correctement exécuté la mission qui lui avait été confiée » ; qu'en ordonnant néanmoins une nouvelle expertise ayant pour objet de « déterminer les éléments de l'incidence professionnelle subie par M. P... » et de préciser « si malgré son incapacité, M. P... est médicalement apte à reprendre dans les conditions antérieures l'activité professionnelle exercée avant les faits, et préciser si les séquelles constatées entraîne une simple gêne, un changement d'emploi ou un reclassement complet », au prétexte qu' « un médecin, a priori non doté de capacités techniques musicales particulières, ne saurait évaluer seul la spécificité » de la situation professionnelle de M. P..., la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé l'article 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile :

8. Il résulte de ce texte que la demande de désignation d'un nouvel expert, motivée par l'insuffisance des diligences accomplies par l'expert précédemment commis en référé, relève de la seule appréciation du juge du fond.

9. Pour ordonner une nouvelle expertise médicale, l'arrêt, statuant en référé, retient que s'il n'est pas contesté que l'expert judiciaire a correctement exécuté la mission qui lui avait été confiée, les conclusions de son rapport n'en demeurent pas moins insuffisantes au regard des spécificités de la profession de M. P... et de l'incidence professionnelle qui peut découler de ses séquelles, l'activité professionnelle de la victime, virtuose du trombone, nécessitant des gestes techniques très spécifiques, mobilisant son épaule avec un port de charge d'environ 6 kg plusieurs heures par jour.

10. L'arrêt retient encore qu'un médecin, a priori non doté de capacités techniques musicales particulières, ne saurait évaluer seul la spécificité de cette situation à sa juste mesure et que la mesure d'expertise ordonnée ne saurait s'analyser en une contre-expertise.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les pouvoirs que le juge des référés tient de l'article 145 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 145 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 24 juin 1998, pourvoi n° 97-10.638, Bull. 1998, II, n° 224 (rejet et cassation sans renvoi).

Soc., 8 juillet 2020, n° 18-24.320, (P)

Cassation partielle

Appréciation souveraine – Contrat de travail – Harcèlement sexuel – Preuve – Eléments produits par chacune des parties

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 12 septembre 2018), Mme O... a été engagée le 2 juin 2003 par la société Bayard Retraite Prévoyance, aux droits de laquelle vient le groupement d'intérêt économique (GIE) AG2R Réunica, en qualité de gestionnaire carrières.

2. La salariée a, le 26 septembre 2015, pris acte de la rupture de son contrat de travail et, le 23 octobre 2015, saisi la juridiction prud'homale aux fins de voir dire que sa prise d'acte produisait les effets d'un licenciement nul et condamner le groupement d'intérêt économique AG2R Réunica à lui payer des sommes à titre de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur les deuxième et quatrième moyens, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel et, en conséquence, de dire que sa prise d'acte s'analysait comme une démission et de la débouter de ses demandes en paiement d'indemnités de rupture, de dommages-intérêts pour licenciement nul et de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat, alors :

« 1°/ que lorsque la personne invoquant un harcèlement sexuel à son encontre établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon elle un tel harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; que, pour débouter Mme O... de ses demandes au titre du harcèlement sexuel, la cour d'appel a retenu que « l'analyse des pièces susvisées montre donc que les agissements imputés à M. W... reposent sur les seules déclarations de Mme O..., lesquelles ne sont pas suffisantes pour établir des faits permettant de présumer l'existence du harcèlement sexuel considéré » ; qu'en statuant ainsi, cependant que, pris dans leur ensemble, le courriel de M. W... invitant la salariée à déjeuner et insistant, en dépit de ses refus, pour qu'ils aient un rendez-vous privé, les courriels de dénonciation des agissements de harcèlement sexuel de M. W... adressés à l'employeur, aux délégués du personnel, à une déléguée syndicale, à l'inspecteur du travail et au procureur de la République, ainsi que le procès-verbal d'audition de plainte pour harcèlement sexuel du 24 juillet 2015, dont elle constatait l'existence, laissaient présumer l'existence du harcèlement sexuel invoqué, la cour d'appel a violé les articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

2°/ subsidiairement, qu'en se déterminant de la sorte, cependant que le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même étant inapplicable à la preuve des faits juridiques, l'adminicule de preuve mis à la charge de la salariée pouvait être rapporté par la dénonciation des agissements de M. W... que Mme O... avait faite à l'employeur, à plusieurs reprises, ainsi qu'aux délégués du personnel, à une déléguée syndicale, à l'inspecteur du travail, aux services de police et au procureur de la République, la cour d'appel a, derechef, violé les articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

3°/ plus subsidiairement, qu'en l'espèce, l'échange de courriels du 9 octobre 2009, intitulé par M. W... « privé », mentionne explicitement « est-ce que tu veux on mange ensemble midi. Réponde par mail et supprime », ce à quoi l'exposante avait répondu « à midi je mange avec Q... », M. W... insistant alors en ces termes « OK, mais j'ai prendre une rendez-vous avec toi », ce que la salariée avait une fois de plus poliment décliné en lui répondant « suis pas loguée car je fais de l'interlocution », M. W... revenant néanmoins une nouvelle fois à la charge, en ces termes « oui, j'ai compris ; et pour la rendez-vous », ce à quoi Mme O... a préféré ne pas répondre ; qu'après avoir constaté que « l'échange de courriels du 9 octobre 2009 est relatif à une proposition de repas faite par M. K... W... pour le midi même, refusée par Mme M... O..., au motif qu'elle était déjà engagée à l'égard de quelqu'un d'autre », la cour d'appel a retenu « qu'une telle proposition, courante entre collègues de travail, n'est pas caractéristique par elle-même d'agissements de nature sexuelle » et que « le reste de cet échange, écrit par M. K... W... en français approximatif, est trop peu explicite pour en tirer une quelconque conclusion quant au comportement de l'intéressé » ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il résultait des termes de cet échange que M. W... avait insisté pour prendre un rendez-vous « privé » avec Mme O..., et ce, dans une volonté de discrétion incompatible avec des relations courantes entre collègues et manifestement destinée à obtenir le rendez-vous en question à l'insu de l'épouse de l'intéressé, également salariée de l'entreprise, ce qui ne laissait aucun doute quant à la nature des rapports envisagés par M. W..., la cour d'appel a violé le principe faisant interdiction au juge de dénaturer les documents de la cause. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des dispositions des articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement sexuel, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

6. La cour d'appel, par une appréciation souveraine des éléments de preuve et de fait qui lui étaient soumis, a, d'une part constaté que certains des éléments de fait invoqués par la salariée comme étant susceptibles de constituer un harcèlement sexuel n'étaient pas établis et, d'autre part estimé, sans dénaturation et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du code du travail, s'agissant des autres faits qu'elle a examinés dans leur ensemble, qu'ils ne permettaient pas de présumer l'existence d'un harcèlement sexuel.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat et, en conséquence, de dire que sa prise d'acte s'analysait comme une démission et de la débouter de ses demandes en paiement d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que tenu d'une obligation de sécurité de résultat quant à la santé physique et mentale de ses salariés dont il doit assurer l'effectivité, l'employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires à leur assurer des conditions de travail qui ne nuisent pas à leur santé ; qu'il incombe à l'employeur, dès lors que cela est contesté par le salarié dont il est objectivement établi une dégradation de son état de santé, de prouver qu'il a respecté son obligation de sécurité, en prenant en temps utile les mesures prévention et de protection nécessaires ; qu'à cet égard, la seule circonstance que le harcèlement moral invoqué par le salarié ne soit pas retenu ne suffit pas, en soi, à justifier du respect par l'employeur de son obligation de sécurité ; que, pour débouter Mme O... de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat, la cour d'appel a énoncé - après avoir retenu que la salarié n'établissait pas l'existence d'éléments laissant présumer qu'elle eût été victime de harcèlement sexuel ou moral - que, « dès lors, il n'y a pas lieu d'examiner si un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat est à l'origine de ce harcèlement sexuel et moral invoqué » ; qu'en statuant ainsi, quand l'absence – supposée – de harcèlement, n'était pas en soi de nature à justifier du respect par l'employeur de son obligation de sécurité, ni réciproquement à écarter tout manquement de sa part à cet égard, la cour d'appel a violé l'article 1353 du code civil, ensemble les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 4121-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 et l'article L. 4121-2 du même code dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

9. L'obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte des textes susvisés, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail et des agissements de harcèlement sexuel instituée par l'article L. 1153-1 du même code et ne se confond pas avec elle.

10. Pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt retient que dès lors que les seules déclarations de la salariée ne sont pas suffisantes pour établir des faits permettant de présumer l'existence du harcèlement sexuel et que celle-ci n'établit pas l'existence de faits qui, pris dans leur ensemble, seraient de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son égard, il n'y a pas lieu d'examiner si un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité est à l'origine de ce harcèlement sexuel et moral invoqué.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. La cassation du chef de dispositif relatif au manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité entraîne la cassation par voie de conséquence des chefs de dispositif relatifs à la prise d'acte et aux demandes en paiement d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du troisième moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la prise d'acte de Mme O... s'analyse comme une démission et déboute Mme O... de ses demandes en paiement d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt rendu le 12 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; Me Le Prado -

Textes visés :

Articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail ; article L. 4121-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 ; article L. 4121-2 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Rapprochement(s) :

Sur l'appréciation par le juge des éléments laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral ou sexuel, à rapprocher : Soc., 8 juin 2016, pourvoi n° 14-13.418, Bull. 2016, V, n° 128 (rejet), et l'arrêt cité. Sur la mise en oeuvre par l'employeur des mesures de prévention des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, à rapprocher : Soc., 1er juin 2016, pourvoi n° 14-19.702, Bull. 2016, V, n° 123 (cassation partielle), et les arrêts cités ; Soc., 17 mai 2017, pourvoi n° 15-19.300, Bull. 2017, V, n° 84 (1) (cassation) ; Soc., 17 octobre 2018, pourvoi n° 17-17.985, Bull. 2018, V, (1) (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Soc., 27 novembre 2019, pourvoi n° 18-10.551, Bull. 2019, (cassation partielle).

2e Civ., 2 juillet 2020, n° 19-13.616, (P)

Rejet

Appréciation souveraine – Procédure civile – Tierce opposition – Intérêt à agir

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 14 janvier 2019), le Groupement foncier agricole Bellevue-Darras (le GFA) a consenti à T... D... un bail rural à long terme expirant le 27 septembre 2007, portant sur une parcelle située sur le territoire de la commune de Lamentin.

L'assemblée générale extraordinaire du GFA, réunie le 24 juin 2010, a décidé d'attribuer cette parcelle à M. W....

2. T... D... a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en nullité de cette décision, en invoquant l'absence de résiliation conventionnelle du bail et en sollicitant sa poursuite par M. C... et la SCEA Saba (la SCEA), constituée à cette fin. Il a été débouté de cette demande par un jugement du 11 mai 2012, confirmé en appel par un arrêt du 17 juin 2013.

3. Par ordonnance du 31 mars 2017, le juge des référés d'un tribunal de grande instance a ordonné l'expulsion de M. C... de la parcelle en cause. Ce dernier a interjeté appel de cette décision.

4. Le 27 mars 2017, M. C..., les consorts A... N... D..., héritiers d'T... D..., décédé entre temps, et la SCEA ont assigné en tierce opposition le GFA devant la même cour d'appel, en lui demandant de rétracter l'arrêt rendu le 17 juin 2013.

Les deux appels ont été joints.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. M. C..., les consorts A... N... D... et la SCEA font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la tierce opposition contre l'arrêt du 17 juin 2013 rendu par la cour d'appel de Basse-Terre et, en conséquence, de confirmer l'ordonnance du 31 mars 2017 rendue par le juge des référés de Pointe-à-Pitre alors :

« 1°/ que l'intérêt à agir en tierce opposition, qui est la condition de la recevabilité du recours, n'est pas subordonné à la démonstration du bien-fondé de l'action ; qu'en ayant jugé que M. C... et la SCEA Saba étaient irrecevables en leur recours en tierce opposition, car M. C... ne démontrait pas un droit sur la parcelle [...] au jour où M. T... D... avait notifié au bailleur par courrier du 10 septembre 2007 son intention de ne pas renouveler le bail parvenu à son terme et dont il était le seul titulaire, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile ;

2°/ que la recevabilité d'une tierce opposition ne se confond pas avec le bien-fondé de celle-ci ; qu'en ayant déclaré irrecevable la tierce opposition des exposants, au motif que M. C... ne pouvait se prévaloir du caractère équivoque de la notification du 10 septembre 2007 pour justifier une atteinte à ses droits et un intérêt à agir, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile ;

3°/ que la recevabilité de la tierce opposition formée contre un arrêt ne peut être appréciée en fonction de la motivation de la décision attaquée ; qu'en ayant déclaré irrecevable la tierce opposition formée par M. C... et la SCEA Saba, au motif que « le tribunal et la cour [il s'agit de l'arrêt du 17 juin 2013 frappé de tierce opposition] ont déjà rappelé à M. T... D... que le congé librement donné ne pouvait être rétracté et que le courrier du 3 décembre 2007 adressé par M. D... au GFA manifestant une intention contraire, est sans effet et, en tout état de cause, postérieur au terme du bail », la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile ;

4°/ que l'intérêt à agir en tierce opposition peut se déduire de ce qu'un bail rural n'avait jamais été rompu ; qu'en ayant jugé irrecevable la tierce opposition formée par M. C... et la SCEA Saba, sans rechercher si la contestation de la résiliation du bail rural prétendument opérée par courrier du 10 septembre 2007 n'était pas de nature à fonder l'intérêt à agir en tierce opposition de M. C... qui, après septembre 2007, avait fondé une SCEA avec son oncle pour permettre la transmission de l'exploitation agricole litigieuse, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 583 du code de procédure civile ;

5°/ que l'intérêt à agir en tierce opposition peut être établi, dans l'hypothèse d'une attribution de terres objet d'un bail rural à un tiers, si une convention de mise à disposition de ces mêmes parcelles avait été précédemment consentie ; qu'en ayant dénié tout intérêt à agir en tierce opposition à M. C... et à la SCEA Saba, faute de tout droit démontré sur la parcelle [...], sans rechercher si, sous l'égide de la chambre d'agriculture elle-même, la transmission de l'exploitation et du bail rural dont bénéficiait T... D... n'avait pas été organisée et qu'à cet effet, une SCEA Saba, dont M. I... C... était le gérant, avait été créée et avait bénéficié d'une mise à disposition des terres objet du bail rural, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 583 du code de procédure civile ;

6°/ que l'exploitation continue par une SCEA de terres objet d'un bail qui a été attribué à un tiers, fonde l'intérêt à agir en tierce opposition de cette SCEA qui avait continûment exploité les terres ; qu'en ayant jugé irrecevable la tierce opposition formée par M. C... et la SCEA Saba, sans rechercher si celle-ci n'avait pas continûment exploité les terres objet du bail rural et si T... D... n'en avait pas réglé les fermages, notamment en 2013, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 583 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. L'appréciation de l'existence d'un préjudice en matière de tierce opposition et de l'intérêt du demandeur à exercer cette voie de recours relève du pouvoir souverain des juges du fond.

7. C'est donc dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de l'intérêt à agir, et justifiant sa décision par ces seuls motifs au regard de l'article 583 du code de procédure civile, que la cour d'appel, après avoir relevé que M. C... ne démontrait pas l'existence d'un droit sur la parcelle en cause au jour où T... D... avait notifié au bailleur son intention de ne pas renouveler le bail à son terme, que l'exercice par ce dernier de son droit personnel de ne pas renouveler le bail n'ouvrait pas à M. C... un droit à en contester la validité du seul fait que cet acte serait de nature à contrecarrer ses projets, et que M. C... et la SCEA ne démontraient pas l'existence, à leur profit, d'une convention de bail précaire ou d'une cession opposable au bailleur, a jugé que la tierce opposition n'était pas recevable.

8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Leroy-Gissinger - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Le Bret-Desaché ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article 583 du code de procédure civile.

2e Civ., 2 juillet 2020, n° 18-26.213, (P)

Rejet

Appréciation souveraine – Protection des consommateurs – Surendettement – Demande d'ouverture – Conditions – Bonne foi – Absence

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (juge du tribunal d'instance de Martigues, 19 octobre 2018), rendu en dernier ressort, deux créanciers, dont la société CNH Industrial Financial Services, ont chacun formé un recours contre la décision d'une commission de surendettement ayant déclaré recevable la demande de Mme N... tendant au traitement de sa situation financière.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

3. Mme N... fait grief au jugement de la déclarer irrecevable à la procédure de surendettement des particuliers alors que « le bénéfice des mesures de traitement des situations de surendettement est ouvert aux personnes physiques de bonne foi ; que la condition de bonne foi doit être appréciée au vu de l'ensemble des éléments soumis au juge au jour où il statue ; qu'en déduisant la mauvaise foi de la débitrice de ce que son endettement était le produit d'actes délictueux et de ce qu'elle ne justifiait ni d'un emploi ni d'une recherche d'emploi, le tribunal d'instance, qui s'est déterminé par des motifs impropres à caractériser la mauvaise foi, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 711-1 du code de la consommation ».

Réponse de la Cour

4. En matière de surendettement, l'appréciation de la bonne foi du débiteur relève du pouvoir souverain du juge du fond.

5. Ayant relevé que Mme N... ne justifiait d'aucun revenu et d'aucune recherche d'emploi, stage ou reconversion, qu'elle avait été condamnée pénalement pour des infractions qui étaient à l'origine d'au moins la moitié de son endettement et par diverses décisions commerciales pour ses engagements de caution, ces actes délictueux étant directement à l'origine de la totalité de son endettement, c'est sans encourir les griefs du moyen que le juge du tribunal d'instance en a déduit, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, l'absence de bonne foi de la débitrice.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Cardini - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : Me Haas ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 711-1 du code de la consommation.

2e Civ., 16 juillet 2020, n° 19-18.145, (P)

Cassation

Premier président – Avocat – Honoraires – Contestation – Existence d'une faute professionnelle (non)

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 19 avril 2019), la société Immobilière Parc Montmorency (SIPM) a confié la défense de ses intérêts dans un litige relatif au recouvrement d'appels de fonds à la société [...] (l'avocat). A la suite d'un différend sur le montant des honoraires, la SIPM a saisi le bâtonnier de l'ordre d'une contestation de ceux-ci.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. L'avocat fait grief à l'ordonnance de fixer à la seule somme de 26 163,59 euros hors-taxes le reliquat des honoraires dus par la SIPM et, en conséquence, de la condamner à lui verser cette somme, majorée des intérêts au taux légal à compter du 29 février 2016 et de la TVA au taux de 20 %, alors « que le juge de l'honoraire n'est pas habilité à se prononcer sur une éventuelle responsabilité de l'avocat envers son client, qui serait liée à un prétendu manquement à son devoir de conseil et d'information quant aux conditions de sa rémunération et à l'évolution prévisible de ses honoraires ; que dès lors, en retenant, pour réduire les honoraires dus par SIPM au cabinet... au titre du dossier F... à la somme de 20 000 euros, que ce dernier n'avait pas informé sa cliente, autrement qu'à réception des factures, de l'évolution prévisible du montant des honoraires et que ce manquement à son obligation d'information pouvait conduire à une réfection des honoraires réclamés dans une proportion appréciée par le juge, le premier Président de la cour d'appel a violé, ensemble, l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 et l'article 174 du décret du 27 novembre 1991. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et l'article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 :

3. La procédure spéciale prévue par le second de ces textes ne s'applique qu'aux contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires des avocats. Il en résulte que le bâtonnier et, sur recours, le premier président, n'ont pas le pouvoir de connaître, même à titre incident, de la responsabilité de l'avocat à l'égard de son client résultant d'un manquement à son devoir de conseil et d'information.

4. Pour fixer à la somme de 20 000 euros hors-taxes les honoraires dus dans le dossier SIPM/F..., soit un reliquat à devoir de 7 925 euros après versement des provisions, l'ordonnance énonce que dans ce dossier, la SIPM n'a jamais été informée, autrement qu'à réception des factures, de l'évolution prévisible du montant des honoraires et que ce manquement à l'obligation d'information préalable du client concernant le tarif horaire pratiqué ne peut aboutir à priver l'avocat de toute rémunération mais peut conduire à une réfaction des honoraires réclamés dans une proportion appréciée par le juge.

5. En statuant ainsi, le premier président a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. L'avocat fait grief à l'ordonnance de fixer à la seule somme de 26 163,59 euros hors-taxes le reliquat des honoraires dus par la SIPM et de la condamner, en conséquence à lui verser seulement cette somme, majorée des intérêts au taux légal à compter du 29 février 2016 et de la TVA au taux de 20 %, alors « que le juge de l'honoraire n'a pas le pouvoir de se prononcer sur une éventuelle responsabilité de l'avocat à l'égard de son client liée au manquement à son devoir de conseil et d'information quant aux conditions de sa rémunération et à l'évolution prévisible de ses honoraires ; que dès lors, en retenant, pour réduire les honoraires dus par SIPM au cabinet... au titre du dossier « Divers » à la somme de 35 000 euros, que ce dernier n'avait pas informé sa cliente, autrement qu'à la réception des factures, de l'évolution prévisible du montant des honoraires et que ce manquement à son obligation d'information pouvait conduire à une réfection des honoraires réclamés dans une proportion appréciée par le juge, le premier Président de la cour d'appel a violé, ensemble, l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 et l'article 174 du décret du 27 novembre 1991. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 et l'article 174 du décret du 27 novembre 1991 :

7. La procédure spéciale prévue par le second de ces textes ne s'applique qu'aux contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires des avocats. Il en résulte que le bâtonnier et, sur recours, le premier président, n'ont pas le pouvoir de connaître, même à titre incident, de la responsabilité de l'avocat à l'égard de son client résultant d'un manquement à son devoir de conseil et d'information.

8. Pour fixer à la somme de 35 000 euros hors-taxes les honoraires dus dans le dossier « Divers » soit un reliquat à devoir de 16 310 euros après versement des provisions, l'ordonnance énonce que dans ce dossier, la SIPM n'a jamais été informée, autrement qu'à réception des factures, de l'évolution prévisible du montant des honoraires et que ce manquement à l'obligation d'information préalable du client concernant le tarif horaire pratiqué ne peut aboutir à priver l'avocat de toute rémunération mais peut conduire à une réfaction des honoraires réclamés dans une proportion appréciée par le juge.

9. En statuant ainsi, le premier président a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 19 avril 2019, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bohnert - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SARL Cabinet Munier-Apaire ; SCP Richard -

Textes visés :

Article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ; article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

Rapprochement(s) :

Sur le domaine d'application de la procédure de contestation d'honoraires d'avocat, à rapprocher : 2e Civ., 26 mai 2011, pourvoi n° 10-12.728, Bull. 2011, II, n° 116 (cassation), et l'arrêt cité ; 2e Civ., 30 juin 2016, pourvoi n° 15-22.152, Bull. 2016, II, n° 179 (cassation).

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