Numéro 7 - Juillet 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2020

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

2e Civ., 2 juillet 2020, n° 19-11.624, (P)

Rejet

Article 6, § 1 – Droit d'accès au juge – Compatibilité – Procédure à jour fixe imposée pour l'appel de toute décision statuant exclusivement sur la compétence – Violation – Sanction – Caducité de l'appel

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 20 décembre 2018), la société Areva et la société Orano cycle, anciennement dénommée Areva NC, ont relevé appel de l'ordonnance du juge de la mise en état d'un tribunal de grande instance, rendue le 6 février 2018, ayant dit ce tribunal compétent pour connaître du litige opposant ces sociétés à M. T..., la société Opérations et organisations spéciales (la société OPOS) et M. R....

Sur l'application de l'article 688 du code de procédure civile

2. Le mémoire ampliatif a été transmis en vue de sa notification à M. R..., résidant au Mali, le 7 juin 2019. Il résulte des démarches que la société Areva et la société Orano cycle justifient avoir accomplies depuis lors auprès des autorités chargées de cette transmission, que ce mémoire n'a pas pu être remis à M. R....

3. Un délai de six mois s'étant écoulé depuis la transmission du mémoire ampliatif, il y a lieu de statuer sur le pourvoi.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société Areva et la société Orano cycle font grief à l'arrêt de déclarer caduque leur déclaration d'appel formée à l'encontre de l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nanterre le 6 février 2018 (RG n° 16/11570), en ce qu'elle vise le chef de décision disant le tribunal de grande instance de Nanterre compétent pour connaître du litige les opposant à M. T..., la société OPOS et M. R..., alors :

« 1°/ que l'ordonnance du juge de la mise en état statuant sur une exception de procédure tirée de l'incompétence de la juridiction saisie n'est susceptible que d'un appel dans les formes et modalités fixées par les articles 776 et 905 du code de procédure civile, à l'exclusion de celles applicables à l'appel d'un jugement statuant exclusivement sur la compétence et visées aux articles 83 et suivants du même code, selon lesquels l'appelant doit notamment solliciter par voie de requête une autorisation d'assigner à jour fixe les intimés ; qu'en déclarant néanmoins caduque la déclaration d'appel de l'ordonnance du 6 février 2018, motif pris que la société Areva et la Société Orano cycle n'ayant pas sollicité par voie de requête une autorisation d'assigner à jour fixe les intimés, elles n'avaient pas respecté les formes et modalités de l'appel d'un jugement statuant exclusivement sur la compétence, telles qu'elles résultent des articles 83 et suivants susvisés, la cour d'appel a violé les articles 776 et 905 du code de procédure civile, ensemble les articles 83 et suivants, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, du même code ;

2°/ que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ; que le droit d'accès à un tribunal doit être concret et effectif : que les limitations à ce droit ne doivent pas restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tel que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même, notamment en raison d'un formalisme excessif en ce qui concerne les exigences procédurales ; que ne satisfont pas à cette exigence, les dispositions qui, par leur ambiguïté, ne mettent pas le justiciable en mesure de déterminer les modalités de la voie de recours qui lui est ouverte ; qu'en déclarant néanmoins caduque la déclaration d'appel de l'ordonnance du 6 février 2018, motif pris qu'elle ne respectait pas les formes de l'appel d'un jugement statuant exclusivement sur la compétence, telle qu'elles résultent des articles 83 et suivants du code de procédure civile, bien que la société Areva et la société Orano cycle aient pu légitimement considérer que l'appel relevait des modalités fixées par les articles 776 et 905 du code de procédure civile, dès lors que ces articles visent l'appel des ordonnances du juge de la mise en état statuant sur une exception de procédure, la cour d'appel, qui a privé les appelants de leur droit d'accès au juge d'appel, en leur opposant des dispositions dont l'ambiguïté était de nature à les induire en erreur, a violé l'article 6, §1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des articles 83, 84 et 85 du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, que, nonobstant toute disposition contraire, l'appel dirigé contre la décision de toute juridiction du premier degré se prononçant sur la compétence sans statuer sur le fond du litige relève, lorsque les parties sont tenues de constituer un avocat, de la procédure à jour fixe et qu'en ce cas, l'appelant doit saisir, dans le délai d'appel, le premier président de la cour d'appel en vue d'être autorisé à assigner l'intimé à jour fixe.

6. L'application de ces textes spécifiques à l'appel d'une ordonnance d'un juge de la mise en état statuant sur la compétence du tribunal de grande instance se fonde sur la lettre et la finalité de l'ensemble du dispositif, dont l'objectif, lié à la suppression du contredit, était de disposer d'une procédure unique et rapide pour l'appel de tous les jugements statuant sur la compétence.

7. L'application de ces dispositions, sanctionnées par la caducité de l'appel, sauf cas de force majeure, ne pouvait être exclue pour une partie représentée par un avocat, professionnel avisé.

En outre, ces dispositions poursuivent un but légitime au sens de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en l'occurrence la célérité et l'efficacité de la procédure d'appel des jugements statuant sur la compétence sans se prononcer sur le fond du litige, la compétence du juge appelé à connaître d'une affaire pouvant être définitivement déterminée dans les meilleurs délais. Elles ne portent pas une atteinte disproportionnée à l'accès au juge d'appel, un rapport raisonnable de proportionnalité existant entre les moyens employés et le but visé.

8. Dès lors, ayant relevé que les sociétés appelantes, qui ne se prévalaient d'aucun moyen pris d'un risque d'atteinte portée à leur droit à un procès équitable, ne s'étaient pas conformées à ces prescriptions, c'est à bon droit que la cour d'appel a prononcé la caducité de leur déclaration d'appel.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Richard ; Me Carbonnier -

Textes visés :

Articles 83, 84 et 85 du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 11 juillet 2019, pourvoi n° 18-23.617, Bull. 2019, (rejet), et l'avis cité.

2e Civ., 2 juillet 2020, n° 19-13.947, (P)

Cassation sans renvoi

Article 6, § 1 – Droit d'accès au juge – Violation – Cas – Déclaration d'appel déclarée irrecevable comme tardive – Demande d'aide juridictionnelle en cours

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 12 septembre 2017), M. X... a été condamné au paiement d'un certaine somme au profit de la société Pages jaunes, par un jugement signifié le 28 septembre 2015.

2. En vue de relever appel de ce jugement, M. X... a sollicité le bénéfice de l'aide juridictionnelle le 19 octobre 2015, qui lui a été accordé partiellement, à hauteur de 55 %, par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 14 janvier 2016. Saisi d'un recours contre cette admission partielle, le premier président de la cour d'appel, par une décision du 10 mai 2016, lui a accordé l'aide juridictionnelle à hauteur de 70 %.

3. Entre-temps, M. X... a formé un appel par un acte du 3 mars 2016.

Le conseiller de la mise en état ayant déclaré cet appel irrecevable comme tardif, M. X... a déféré cette décision à la cour d'appel.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. M. X... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme tardif son appel interjeté le 3 mars 2016 contre le jugement rendu le 21 août 2015 par le tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône, signifié le 28 septembre 2015, alors « que le droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6, §1, est un droit concret et effectif et non pas théorique et illusoire ; que la cour d'appel, qui a apprécié la recevabilité de l'appel au regard des dispositions de l'article 38-1, alinéa 2, c) du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, a fait courir le nouveau délai d'appel à compter du 19 janvier 2016, date de la désignation de M. I... intervenue après l'admission le 14 janvier précédent de M. X... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à 55 % ; qu'en statuant ainsi, quand la désignation de M. I... était antérieure à l'ordonnance du 10 mai 2016 du premier président de la cour d'appel de Dijon statuant sur le recours formé contre la décision du bureau d'aide juridictionnelle du 16 janvier 2016, visée par l'article 38-1, alinéa 2, b, du décret précité, qui rendait la décision d'admission de M. X... à l'aide juridictionnelle définitive en lui allouant cette aide à 70 %, la cour d'appel a porté une atteinte injustifiée et disproportionnée à la substance même du droit d'accès de M. X... à un tribunal et a ainsi violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble le droit d'accès effectif à un tribunal. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, § 1, de Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

5. Si, en vertu de l'article 38-1, alors applicable, du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, la demande d'aide juridictionnelle n'interrompt pas le délai d'appel, le droit d'accès au juge exclut que ce délai puisse courir tant qu'il n'a pas été définitivement statué sur une demande d'aide juridictionnelle formée dans ce délai (CEDH, 9 octobre 2007, requête n° 9375/02, Saoud c. France ; CEDH, 6 octobre 2011, requête n° 52124/08, Staszkow c. France).

6. Pour déclarer irrecevable comme tardif l'appel de M. X..., l'arrêt retient, par motifs propres, que M. X... a déposé sa demande d'aide juridictionnelle pendant le délai d'appel et qu'il n'a été statué sur cette demande que le 14 janvier 2016, date à laquelle l'aide juridictionnelle partielle a été accordée au requérant, qu'indépendamment du recours formé contre cette décision par M. X..., la désignation d'un avocat pour lui prêter son concours est intervenue le 19 janvier 2016 et que ce n'est que le 3 mars 2016, soit plus d'un mois après, que la déclaration d'appel de M. X... a été reçue au greffe.

L'arrêt retient en outre, par motifs adoptés, que M. X... a formalisé sa déclaration d'appel avant même de disposer de la décision statuant sur sa demande d'aide, ce qui démontre qu'il n'était pas tributaire de cette décision pour réaliser cet acte de procédure, et que l'article 38-1 précité suspend les délais pour conclure afin d'assurer au justiciable la réalité de son accès au juge d'appel.

7. En statuant ainsi, alors que M. X... avait formé un appel avant même qu'il ne soit définitivement statué sur sa demande d'aide juridictionnelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Infirme l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 18 octobre 2016 ;

Déclare recevable l'appel de M. X... ;

Dit que l'instance d'appel se poursuivra devant la cour d'appel de Dijon.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Ortscheidt ; SCP Marlange et de La Burgade -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 38-1, alors applicable, du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 2 décembre 2004, pourvoi n° 03-10.427, Bull. 2004, II, n° 509 (rejet).

Soc., 1 juillet 2020, n° 18-24.643, (P)

Cassation

Article 6, § 1 – Tribunal – Accès – Droit d'agir – Limitation – Immunité de juridiction des Etats étrangers – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 septembre 2018), l'Institut italien pour le commerce extérieur, agence pour la promotion et l'internationalisation des entreprises italiennes (l'ICE), est un organisme public, placé sous la tutelle du ministre italien du Commerce extérieur, qui a pour mission la promotion et le développement du commerce avec l'étranger et l'internationalisation du système productif italien, ainsi que la fourniture de services aux étrangers, en vue de développer les relations avec le marché national français et contribuer ainsi à la promotion des investissements étrangers en Italie.

2. Le 30 juin 2005, le ministre français des Affaires étrangères a reconnu que l'ICE faisait partie de la représentation diplomatique italienne à Paris.

3. M. N..., engagé par ledit institut le 6 février 1998 en qualité de « senior trade analyst », a été licencié, pour motif économique, par lettre du 18 février 2009.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de faire droit à la demande d'immunité de juridiction soulevée par l'ICE et, en conséquence, de déclarer irrecevables ses demandes, alors :

« 1°/ que les Etats étrangers et les organismes qui en constituent l'émanation ne bénéficient de l'immunité de juridiction qu'autant que l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces Etats et n'est donc pas un acte de gestion ; que le licenciement d'un salarié n'ayant ni un pouvoir de décision, ni accès à des documents confidentiels et n'ayant donc aucune responsabilité particulière dans l'exercice d'un service public étranger constitue un acte de gestion ; que pour faire droit à l'exception d'incompétence soulevée par l'ICE, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que M. N... accomplissait des actes dans l'intérêt d'un service public de l'Etat italien et qu'il participait, par ses rapports, à influencer la mise en oeuvre de la politique commerciale à l'extérieur de l'Etat ; qu'en statuant par de tels motifs impropres à caractériser que M. N... disposait d'un quelconque pouvoir de décision, ni n'avait accès de quelque manière que ce soit à des documents confidentiels en sorte qu'il n'était pas établi qu'il était investi de responsabilités particulières dans l'exercice du service public de l'Etat italien, la cour d'appel a violé le principe de l'immunité de juridiction des Etats étrangers ;

2°/ que les Etats étrangers et les organismes qui en constituent l'émanation ne bénéficient de l'immunité de juridiction qu'autant que l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces Etats et n'est donc pas un acte de gestion ; que le licenciement d'un salarié n'ayant aucune responsabilité particulière dans l'exercice d'un service public étranger constitue un acte de gestion ; qu'en ne recherchant pas concrètement si M. N... disposait d'un quelconque pouvoir de décision, ni n'avait accès de quelque manière que ce soit à des documents confidentiels en sorte qu'il était chargé de responsabilité particulière dans l'exercice du service public de l'Etat italien la cour d'appel, qui s'est bornée à la description abstraite du poste occupé par M. N... telle qu'elle figurait dans son contrat de travail, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du principe de l'immunité de juridiction des Etats étrangers ;

3°/ que, en principe, un Etat ne peut invoquer l'immunité de juridiction devant un tribunal d'un autre Etat, compétent en l'espèce, dans une procédure se rapportant à un contrat de travail entre lui et une personne physique pour un travail accompli ou devant être accompli, en totalité ou en partie, sur le territoire de cet autre Etat ; qu'il n'en va autrement que si, notamment, l'employé a été engagé pour s'acquitter de fonctions particulières dans l'exercice de la puissance publique ; qu'en statuant par des motifs impropres à caractériser des fonctions particulières de M. N... dans l'exercice de la puissance publique de l'Etat italien, la cour d'appel a violé le droit international coutumier, tel que reflété par la Convention des Nations Unies, du 2 décembre 2004, sur l'immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens et en particulier son article 11 ;

4°/ que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal ; qu'en faisant droit à l'exception d'incompétence soulevée par l'ICE et fondée sur l'immunité de juridiction sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette immunité ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit de M. N... d'accéder à un tribunal, la cour d'appel a violé l'article 6, §1, de la Convention européenne des droits de l'Homme, ensemble l'article 14, §1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

5°/ que, en statuant ainsi, sans rechercher si l'immunité de juridiction ne portait pas également atteinte au droit à un recours effectif en cas de violation du droit de propriété, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de l'immunité de juridiction des Etats étrangers et l'article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

5. Le droit d'accès à un tribunal, tel que garanti par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et dont l'exécution d'une décision de justice constitue le prolongement nécessaire, ne s'oppose pas à une limitation de ce droit d'accès, découlant de l'immunité des Etats étrangers, dès lors que cette limitation est consacrée par le droit international et ne va pas au-delà des règles généralement reconnues en la matière.

6. Selon le droit international coutumier, tel que reflété par l'article 11, §2, a), de la Convention des Nations unies, du 2 décembre 2004, sur l'immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens, un Etat et les organismes qui en constituent l'émanation peuvent invoquer, devant la juridiction d'un autre Etat, dans une procédure se rapportant à un contrat de travail entre le premier Etat et une personne physique pour un travail accompli ou devant être accompli, en totalité ou en partie, sur le territoire de cet autre Etat, l'immunité de juridiction si l'employé a été engagé pour s'acquitter de fonctions particulières dans l'exercice de la puissance publique.

7. Pour faire droit à la fin de non-recevoir soulevée par l'ICE tirée du principe de l'immunité de juridiction, l'arrêt retient que le salarié, diplômé de l'enseignement supérieur avait comme fonctions l'exécution et l'élaboration de textes complexes dans les langues italienne et française, la rédaction de correspondances requérant un approfondissement et des recherches spécifiques ainsi que l'élaboration de statistiques complexes, la fourniture d'une assistance directe à des sociétés italiennes et françaises, la réalisation d'études de marché sectorielles sur la base de programmes établis périodiquement, l'entretien de relations privilégiées avec les ministères français et les associations du secteur, la participation à des foires, colloques, séminaires pour approfondir la connaissance de secteurs et pour acquérir les noms de sociétés et des informations de marché, la rédaction de rapports à la suite de chaque participation, la réalisation d'enquêtes sur les agents importateurs et sur les formes de collaboration industrielle afin de développer la présence de produits italiens en France, l'utilisation du système informatique, l'organisation de la participation des sociétés italiennes aux foires et expositions et l'organisation, pour le secteur de sa compétence, d'expositions, foires et colloques, de sorte que, ayant un rôle déterminant dans la politique économique de développement des relations commerciales et d'investissement de l'Etat italien, influençant par ses études, ses rapports et ses enquêtes la mise en oeuvre de la politique commerciale de cet Etat et, en tant qu'interlocuteur des ministères et associations françaises, intervenant comme porte-parole de ce dernier, ce salarié exerçait des fonctions qui lui conféraient une responsabilité particulière dans l'exercice et la mise en oeuvre d'un service public dudit Etat.

8. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ces constatations que les fonctions du salarié ne lui conféraient pas une responsabilité particulière dans l'exercice de prérogatives de puissance publique, de sorte que les actes litigieux relatifs aux conditions de travail et à l'exécution du contrat constituaient des actes de gestion excluant l'application du principe d'immunité de juridiction, la cour d'appel a violé le principe et le texte susvisés ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Le Masne de Chermont - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Principe de l'immunité de juridiction des Etats étrangers ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur la qualification par le juge d'un acte analysé comme participant de la souveraineté d'un Etat, à rapprocher : Soc., 27 novembre 2019, pourvoi n° 18-13.790, Bull. 2019, (rejet), et les arrêts cités.

2e Civ., 2 juillet 2020, n° 19-16.336, (P)

Cassation

Article 6, § 1 – Violation – Défaut – Cas – Déclaration d'appel – Caducité – Caducité non prescrite – Notification d'une déclaration d'appel à l'avocat de l'intimé préalablement constitué faite hors le délai fixé par l'article 905-1 du code de procédure civile

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 4 juillet 2018), M. Q... a interjeté appel le 8 novembre 2017 du jugement d'un tribunal d'instance ordonnant, sur la requête de Mme O..., la saisie de ses rémunérations pour un certain montant.

2. Un avis de fixation de l'affaire à bref délai a été émis par le greffe le 6 décembre 2017.

3. Mme O... a soulevé, le 18 janvier 2018, la caducité de la déclaration d'appel faute pour M. Q... d'avoir, dans le délai de dix jours suivant l'avis de fixation, notifié la déclaration d'appel à l'avocat qu'elle avait constitué.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. M. Q... fait grief à l'arrêt de prononcer la caducité de la déclaration d'appel alors « que l'obligation faite à l'appelant de notifier la déclaration d'appel à l'avocat que l'intimé a préalablement constitué, dans le délai de dix jours de réception de l'avis de fixation adressé par le greffe, n'est pas prescrite à peine de caducité de cette déclaration ; qu'en prononçant la caducité de l'a déclaration d'appel de M. Q... au motif qu'elle n'avait pas été notifiée à l'avocat de Mme O... dans le délai de dix jours à compter de l'avis de fixation, la cour d'appel a violé l'article 905-1 du code de procédure civile ensemble l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 905-1 du code de procédure civile et l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales :

5. Il résulte de ces textes que l'obligation faite à l'appelant de notifier la déclaration d'appel à l'avocat que l'intimé a préalablement constitué, dans le délai de dix jours de la réception de l'avis de fixation adressé par le greffe, n'est pas prescrite à peine de caducité de la déclaration d'appel.

6. Pour prononcer la caducité de la déclaration d'appel, l'arrêt retient que la sanction de la caducité prévue à l'article 905-1 s'applique de manière identique selon que l'appelant procède par voie de signification de la déclaration d'appel ou par voie de simple notification entre avocats, de sorte que la caducité était encourue en l'espèce, à défaut de la notification à l'avocat de l'intimée de la déclaration d'appel, qui devait intervenir dans le délai de dix jours de la réception de l'avis de fixation à bref délai, soit au plus tard le 16 décembre 2017.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Kermina - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Gaschignard -

Textes visés :

Article 905-1 du code de procédure civile ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Avis de la Cour de cassation, 12 juillet 2018, n° 18-70.008, Bull. 2018, Avis, n° 8, et l'arrêt cité.

2e Civ., 2 juillet 2020, n° 19-16.954, (P)

Rejet

Article 6, § 1 – Violation – Défaut – Cas – Déclaration d'appel – Effet dévolutif – Absence – Déclaration d'appel ne mentionnant pas les chefs du jugement critiqués

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 20 mars 2019), un jugement du 21 septembre 2017 a condamné la société Siloge à payer une certaine somme à la société Normafi et a débouté ces deux sociétés de leurs autres demandes.

2. La société Normafi ayant interjeté appel de cette décision, la société Siloge a soutenu que la cour d'appel n'était saisie d'aucune demande, faute pour l'appelante d'avoir indiqué dans la déclaration d'appel les chefs du jugement critiqués.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses cinquième et sixième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais, sur le moyen, pris en ses quatre premières branches

Enoncé du moyen

4. La société Normafi fait grief à l'arrêt de « constater l'absence d'effet dévolutif de l'appel, la cour n'étant saisie d'aucune demande de la société Normafi tendant à voir réformer ou infirmer telle ou telle disposition du jugement entrepris », et dire en conséquence n'y avoir lieu de statuer sur son appel principal, alors :

« 1° / que l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément ; que la déclaration d'appel de la société Normafi indiquait expressément que ce dernier tendait à la « réformation et/ou annulation de la décision sur les chefs » relatifs aux demandes qu'elle énumérait, de sorte que l'appel avait déféré à la cour la connaissance de ces chefs du jugement ; qu'en retenant qu'elle n'aurait été saisie d'aucune demande de la société Normafi tendant à voir réformer « telle ou telle disposition du jugement entrepris », la cour d'appel a violé les articles 4 et 562 du code de procédure civile ;

2°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que la déclaration d'appel définissait expressément l'objet de l'appel dans les termes suivants : « réformation et/ou annulation de la décision sur les chefs suivants : appel aux fins de voir :

- prononcer le sursis à statuer - débouter la SA Siloge de toutes ses demandes - constater que les PV de réception ont été établis le 2 mars 2012 - prononcer la réception judiciaire du chantier au 2 mars 2012 - condamner la SA Siloge à transmettre les PV datés du 2 mars 2012, sous astreinte - constater que la SA Siloge reconnaît devoir 95 452,08 euros - écarter toute compensation - ordonner la consignation sous astreinte de 132 000 euros », soit les demandes de la société Normafi rejetées par le jugement et donc, les chefs du jugement par lesquels la société Normafi avait été déboutée de ces demandes ; qu'en retenant que la déclaration d'appel se serait bornée à énumérer certaines demandes de l'appelante, sans qu'il soit « aucunement fait référence » aux chefs du jugement critiqués, la cour d'appel a dénaturé cet acte et violé le principe susvisé ;

3°/ qu'en tout état de cause, la seule sanction attachée à l'absence de mention, dans la déclaration d'appel, des chefs du jugement critiqués, consiste dans la nullité de l'acte pour vice de forme, l'article 562 du code de procédure civile n'édictant aucune fin de non-recevoir ; qu'en déniant à l'appel tout effet dévolutif, sans avoir caractérisé la nullité de la déclaration d'appel, la cour d'appel a violé les articles 562 et 901 4° du code de procédure civile ;

4°/ qu'en toute hypothèse, les limitations apportées au droit d'accès au juge doivent être proportionnées à l'objectif visé ; qu'en retenant, pour dire qu'elle n'était saisie d'aucune demande tendant à voir réformer le jugement, que la déclaration d'appel se bornait à énumérer des demandes de l'appelante, sans qu'il soit fait référence aux chefs du jugement critiqués, quand le visa, au titre des chefs critiqués, des demandes dont l'appelante avait été déboutée par le tribunal de commerce, ne laissait subsister aucun doute sur l'objet de l'appel, qui critiquait ainsi sans ambiguïté le chef par lequel le jugement avait débouté la société Normafi de ces demandes, la cour d'appel, procédant à une application excessivement formaliste de l'article 562 du code de procédure civile, a porté une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, au point de l'atteindre dans sa substance même, et a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

5. En vertu de l'article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opérant pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

6. En outre, seul l'acte d'appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement.

7. Il en résulte que lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas, quand bien même la nullité de la déclaration d'appel n'aurait pas été sollicitée par l'intimé.

8. Par ailleurs, la déclaration d'appel affectée d'une irrégularité, en ce qu'elle ne mentionne pas les chefs du jugement attaqués, peut être régularisée par une nouvelle déclaration d'appel, dans le délai imparti à l'appelant pour conclure au fond conformément à l'article 910-4, alinéa 1, du code de procédure civile.

9. Ces règles encadrant les conditions d'exercice du droit d'appel dans les procédures dans lesquelles l'appelant est représenté par un professionnel du droit, sont dépourvues d'ambiguïté et concourent à une bonne administration de la justice en assurant la sécurité juridique de cette procédure. Elles ne portent donc pas atteinte, en elles-mêmes, à la substance du droit d'accès au juge d'appel.

10. Dès lors, la cour d'appel, ayant constaté que la déclaration d'appel se bornait à solliciter la réformation et/ou l'annulation de la décision sur les chefs qu'elle énumérait et que l'énumération ne comportait que l'énoncé des demandes formulées devant le premier juge, en a déduit à bon droit, sans dénaturer la déclaration d'appel et sans méconnaître les dispositions de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'elle n'était saisie d'aucun chef du dispositif du jugement.

11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Leroy-Gissinger - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles 562 et 901, 4,° du code de procédure civile ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 30 janvier 2020, pourvoi n° 18-22.528, Bull., 2020, (cassation partielle sans renvoi), et les avis cités.

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