Numéro 7 - Juillet 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2020

CONCURRENCE

Com., 8 juillet 2020, n° 18-24.441, (P)

Cassation partielle

Transparence et pratiques restrictives – Rupture brutale des relations commerciales – Prescription – Point de départ – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué et les productions (Paris, 27 juin 2018), la société Hamel, spécialisée dans le commerce de gros de matériel agricole, commercialisait des produits fabriqués par la société Etablissements Denis. A la suite d'un différend les ayant opposées au sujet de désordres apparus sur un ouvrage monté par la première avec des matériels fournis par elle, la société Etablissements Denis, par une lettre du 2 septembre 2009, a mis un terme à ses relations commerciales avec la société Hamel aux conditions antérieures.

2. Dans l'instance engagée, devant le tribunal de commerce de Montauban, contre les deux sociétés par le client qui avait commandé l'ouvrage litigieux, la société Hamel a formé contre la société Etablissements Denis, à titre reconventionnel, une demande d'indemnisation de son préjudice commercial, sur le fondement de l'article 1147 du code civil. Cette demande ayant été rejetée par un arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 18 novembre 2014, la société Hamel a, le 2 avril 2015, assigné la société Etablissements Denis devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture brutale d'une relation commerciale établie, en application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

3. La société Hamel fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable, comme prescrite, la demande indemnitaire formée par elle contre la société Etablissements Denis sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce alors :

« 1°/ que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'il s'ensuit que l'action en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales se prescrit à compter du jour où le contractant évincé avait eu connaissance du préjudice en résultant, lequel dépend de la durée du préavis jugé nécessaire et qui n'a pas été respecté ; qu'en affirmant que la société Hamel a eu connaissance de la brutalité de la rupture au jour de sa notification et de l'existence du préjudice en résultant, dès lors que la durée du préavis nécessaire est appréciée au jour de la rupture, quand cette date n'était pas celle de la manifestation du dommage dont la société Hamel poursuivait la réparation, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

2°/ que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'il s'ensuit que la prescription ne court pas lorsque la victime ignore l'imputabilité du dommage subi à son auteur ; qu'il s'ensuit que le point de départ de la prescription n'était pas repoussé au dépôt du rapport d'expertise judiciaire démontrant que la livraison de matériel défectueux à la société Silo des quatre chemins n'était pas imputable à la faute de la société Hamel, dès lors que la société Hamel ignorait, avant cette date, si la société Denis pouvait se prévaloir d'une telle faute pour justifier la rupture sans préavis des relations commerciales établies ; qu'en affirmant que ce rapport d'expertise ne pouvait pas caractériser la connaissance par la victime de son droit, et « que le désaccord entre les parties sur les fautes alléguées par la société Denis qu'elle [la société Hamel]aurait commise au moment de la rupture est sans incidence sur son action » et que « l'existence de ces fautes ne peut être invoquée par l'auteur de la rupture pour s'exonérer de sa responsabilité », quand le cours de la prescription était subordonnée à la condition que la victime ait connaissance de l'imputabilité de la brutalité de la rupture à son cocontractant, laquelle dépendait de l'administration par l'expert judiciaire de la preuve qu'elle n'avait commis aucune faute justifiant que la société Denis mette un terme à leurs relations d'affaire sans préavis, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte de l'article 2224 du code civil que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

5. C'est à bon droit qu'en application de ce texte, la cour d'appel a retenu que la prescription de l'action en responsabilité engagée par la société Hamel avait couru à compter de la notification de la rupture dès lors qu'elle avait eu connaissance, à cette date, de l'absence de préavis et du préjudice en découlant, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de l'éventualité d'une faute ayant pu justifier que la société Etablissements Denis ait mis un terme à la relation sans préavis.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en ses troisième et cinquième branches

Enoncé du moyen

7. La société Hamel fait le même grief à l'arrêt alors :

« 3°/ que l'interruption de la prescription s'étend d'une action à une autre, dès lors que les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; qu'en décidant que la prescription de l'action fondée sur l'article L 442-6, I, 5° du code de commerce n'avait pas été interrompue par l'action que la société Hamel avait formée, dans un premier temps, sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle, afin d'obtenir réparation du préjudice commercial qu'elle avait subi, en raison du courrier 2 septembre 2009, et du dénigrement dont elle avait été victime de la part de la société Denis, dès lors que la réparation d'un préjudice commercial causé par des manquements contractuels et des actes de dénigrement ne peut tendre à la même fin et au même but que la réparation de la marge perdue en raison de l'absence de préavis alloué suite à la rupture des relations commerciales l'empêchant ainsi de se réorganiser, quand la société Hamel avait obtenu sur le fondement du droit commun, du tribunal de commerce de Montauban, l'allocation d'une indemnité de 300 000 euros correspondant à la perte de marge dont elle sollicitait la réparation sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil.

5°/ que l'interruption de la prescription s'étend d'une action à une autre, dès lors que les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; qu'en affirmant, par des motifs adoptés des premiers juges, que la société Hamel avait agi sur un autre fondement sans solliciter la réparation d'un préjudice né de la brutalité de la rupture, quand la société Hamel sollicitait dans un cas comme dans l'autre, l'indemnisation du préjudice constitué par la perte de marge en raison du courrier du 2 septembre 2009, de sorte que l'objet de la seconde action était compris dans la première, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2241 du code civil :

8. Si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque deux actions, quoiqu'ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but, de telle sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.

9. Pour écarter le moyen tiré par la société Hamel de l'interruption de la prescription par la demande reconventionnelle qu'elle avait formée contre la société Etablissements Denis dans la précédente instance qui les avait opposées, et déclarer prescrite sa demande de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie, l'arrêt relève que les griefs invoqués par la société Hamel en première instance devant le tribunal de commerce de Montauban étaient fondés sur les dispositions de l'article 1147 ancien du code civil, que, dans ses conclusions du 25 septembre 2014 devant la cour d'appel de Toulouse, elle a spécialement précisé qu'elle ne formulait aucune demande sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, que cette cour d'appel l'a déboutée de sa demande reconventionnelle qui portait sur des manquements à des obligations contractuelles et sur des actes de dénigrement, les motifs développés dans le corps de la décision n'ayant pas de portée en l'espèce et ne pouvant lier la cour, seul le dispositif de la décision ayant autorité de la chose jugée, pour en déduire que l'objet de la précédente action était distinct de celui dont la cour d'appel est saisie, la réparation d'un préjudice commercial causé par des manquements contractuels et des actes de dénigrement ne pouvant tendre à la même fin et au même but que la réparation de la marge perdue en raison de l'absence de préavis alloué à la suite de la rupture des relations commerciales l'empêchant ainsi de se réorganiser.

10. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, pris du fondement exclusivement contractuel de la précédente demande formée par la société Hamel, sans vérifier si les faits que cette dernière avait alors dénoncés pour réclamer l'indemnisation de la perte de marge commerciale qu'elle prétendait avoir subie par suite de la modification unilatérale des conditions commerciales que lui avait imposée la société Etablissements Denis dans sa lettre de rupture, que la cour d'appel de Toulouse avait écartés comme relevant de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, n'étaient pas les mêmes que ceux qu'elle invoquait au soutien de sa demande fondée sur ce texte, de sorte que les actions tendaient toutes deux à la réparation du préjudice résultant de la modification unilatérale des conditions commerciales, éventuellement constitutive d'une rupture, fût-elle seulement partielle, de la relation commerciale unissant les parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement, il rejette les demandes reconventionnelles de la société Etablissements Denis et en ce que, y ajoutant, il déclare recevable la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la société Etablissements Denis, l'arrêt rendu le 27 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Mouillard (président) - Rapporteur : Mme Poillot-Peruzzetto - Avocat général : Mme Pénichon - Avocat(s) : SCP Boullez ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 2224 du code civil.

Com., 8 juillet 2020, n° 17-31.536, (P)

Cassation partielle

Transparence et pratiques restrictives – Sanctions des pratiques restrictives – Action du ministre de l'économie – Loi applicable – Lois de police – Prestataires signataires de contrats comportant des clauses arguées de nullité situés sur le territoire français – Lien de rattachement – Caractérisation

Le régime spécifique commun aux délits civils prévus par l'article L. 442-6 du code de commerce se caractérise par l'intervention, prévue au III de cet article, du ministre chargé de l'économie pour la défense de l'ordre public, et les instruments juridiques dont celui-ci dispose, notamment pour demander le prononcé de sanctions civiles, illustrent l'importance que les pouvoirs publics accordent à ces dispositions. L'article L. 442-6, I, 2° et II, d, du code de commerce prévoit des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d'une certaine égalité des armes et loyauté entre partenaires économiques et qui s'avèrent donc indispensables pour l'organisation économique et sociale de la France, de sorte qu'elles constituent des lois de police dont l'application, conformément tant à l'article 9 du règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) qu'à l'article 16 du règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II), s'impose au juge saisi, sans qu'il soit besoin de rechercher la règle de conflit de lois conduisant à la détermination de la loi applicable.

Une cour d'appel, qui relève que les prestataires signataires de contrats comportant des clauses arguées de nullité au regard des textes susvisés étaient situés sur le territoire français, caractérise un lien de rattachement de l'action du Ministre exerçant les pouvoirs qui lui sont dévolus au regard de l'objectif de préservation de l'organisation économique poursuivi par les lois de police en cause.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 juin 2017), la société Expedia Inc. et les sociétés Expedia France, Travelscape LLC, Vacationspot SL ainsi que Hotels.com LP (les sociétés du groupe Expedia) exploitent plusieurs agences de voyage en ligne qui proposent aux internautes de réserver, via leurs moteurs de recherche, des hébergements dans un grand nombre d'hôtels en France et à l'étranger.

2. Les relations commerciales entre les sociétés du groupe Expedia et les hôteliers pour les ventes de nuitées sont régies par des contrats organisant la mise en ligne de l'offre des hôteliers sur les canaux de réservation des sociétés du groupe Expedia.

3. En février 2011, dans le cadre d'une enquête diligentée par les services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (la DGCCRF), cinquante-trois contrats conclus entre 2008 et 2011 par les sociétés Travelscape LLC, Hotels.com LP et Vacationspot SL avec des hôteliers ont été communiqués aux enquêteurs, à leur demande.

4. En 2013, le ministre chargé de l'économie a assigné les sociétés Expedia Inc., Travelscape LLC, Vacationspot SL, Expedia France et Hotels.com LP en annulation des clauses de parité tarifaires, non tarifaires et promotionnelles présentes dans quarante-sept des contrats précités sur le fondement de l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce et, subsidiairement, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2°, du même code, en annulation de la clause dite « de la dernière chambre disponible » présente dans quarante-sept de ces contrats sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, et aux fins qu'il soit enjoint aux sociétés en cause de faire cesser les pratiques consistant à mentionner de telles clauses dans leurs contrats et qu'elles soient condamnées au paiement d'une amende civile de deux millions d'euros.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, pris en ses deux premières branches, et le quatrième moyen, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Les sociétés du groupe Expedia font grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté leur demande tendant à voir écarter de la procédure les contrats retenus comme pièces à la procédure alors :

« 1°/ que le principe de loyauté impose à la DGCCRF d'indiquer précisément à la société visée par une enquête l'objet de celle-ci ; qu'il en résulte que des pièces recueillies à l'occasion d'une enquête portant sur un contexte donné ne peuvent être utilisées dans un contexte différent ; qu'au cas présent, les contrats ont été recueillis par la DGCCRF dans le cadre d'une enquête portant sur de prétendues pratiques trompeuses à l'égard des consommateurs ; qu'elles ne pouvaient donc être utilisées dans le cadre de la présente procédure, qui portait exclusivement sur de prétendues pratiques restrictives de concurrence ; qu'en admettant la recevabilité des contrats, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble le principe de loyauté de la preuve ;

2°/ que le principe de loyauté impose à la DGCCRF d'indiquer précisément à la société visée par une enquête l'objet de celle-ci ; qu'au cas présent, la cour d'appel a observé que le procès-verbal de 2011 ne comportait pas la mention écrite littérale de l'objet de l'enquête, mais une mention pré-imprimée selon laquelle les enquêteurs ont justifié de leur qualité et indiqué l'objet de l'enquête ; que la cour d'appel a considéré que cette mention « faisait foi jusqu'à preuve contraire » ; qu'en statuant ainsi cependant que si une telle mention pouvait faire foi de l'existence d'une information donnée par les enquêteurs, elle ne fournissait aucun élément quant au contenu de ladite information, de laquelle dépendait la recevabilité des pièces recueillies par les enquêteurs de la DGCCRF ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble le principe de loyauté de la preuve ;

3°/ que le principe de loyauté impose à la DGCCRF d'indiquer précisément à la société visée par une enquête l'objet de celle-ci ; que la simple mention, dans le procès-verbal de la DGCCRF, de l'article L. 450-3 du code de commerce, qui concerne de manière absolument générale les pouvoirs d'enquête de la DGCCRF, n'était pas de nature à satisfaire cette obligation ; qu'en estimant que la mention de l'article L. 450-3 du code de commerce dans le procès-verbal aurait permis aux personnes destinataires de déterminer l'objet de l'enquête, la cour d'appel a méconnu l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble le principe de loyauté de la preuve ;

4°/ que le principe de loyauté impose à la DGCCRF d'indiquer précisément à la société visée par une enquête l'objet de celle- ci ; que ce principe exclut donc une enquête à objet indéterminé ; qu'au cas présent, en considérant par motifs éventuellement adoptés des premiers juges que l'objet de l'enquête diligentée par la DGCCRF en 2011 portait sur la conformité des contrats « à l'ensemble des textes en vigueur », la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme, ensemble le principe de loyauté de la preuve. »

Réponse de la Cour

7. Après avoir rappelé que les enquêteurs de la DGCCRF mettent en oeuvre, pour la recherche des infractions et manquements au livre IV du code de commerce constitués par des pratiques anticoncurrentielles ou des pratiques restrictives de concurrence, les pouvoirs prévus à l'article L. 450-3 du même code et qu'ils disposent par ailleurs de pouvoirs d'enquête pour rechercher des infractions au code de la consommation sur le fondement des articles L. 215-1 et suivants du code de la consommation, la cour d'appel a constaté que c'est l'article L. 450-3 du code de commerce qui est mentionné sur le procès-verbal d'audition du 28 février 2011 de représentants de la société Expedia France et d'une société Expedia.com LTD.

Le grief de la première branche, qui soutient que l'enquête portait sur des pratiques contraires au droit de la consommation, procède donc d'un postulat erroné.

8. L'arrêt relève également que, si le procès-verbal de déclaration du 28 février 2011 et de prise de copie de documents ne comporte pas la mention écrite littérale de l'objet de l'enquête, il indique, par une mention pré-imprimée, que les enquêteurs ont justifié de leur qualité et indiqué l'objet de l'enquête et en déduit que les deux personnes entendues étaient parfaitement informées qu'elles étaient interrogées sur le modèle marchand des plate-formes en ligne, concernant leurs relations tant avec les clients finals qu'avec les hôtels partenaires, ainsi que sur la répartition des diverses responsabilités au sein du groupe. De cette appréciation, faisant ressortir que ces personnes connaissaient le contenu concret de l'objet de l'enquête, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la quatrième branche, la cour d'appel a pu déduire que l'obtention, à la demande d'un des enquêteurs ayant procédé à l'audition et postérieurement à celle-ci, des conditions générales de la société Expedia adressées aux hôteliers ainsi que des contrats signés avec ces derniers, transmis par les personnes ainsi entendues, n'était pas déloyale.

9. Le moyen, pour partie inopérant, n'est donc pas fondé pour le surplus.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

10. Les sociétés du groupe Expedia font grief à l'arrêt de dire que la loi française est applicable alors :

« 1°/ que si l'action du ministre, fondée sur de prétendues pratiques restrictives de concurrence, visant au retrait de clauses contractuelles et à la mise en jeu de la responsabilité d'un des contractants, relève d'une qualification délictuelle, l'appréciation des clauses contractuelles en cause relève d'une qualification contractuelle ; qu'au cas présent, en soumettant la question de la licéité des clauses contestées incluses dans les contrats litigieux à une qualification délictuelle et donc au règlement Rome II, cependant que cette question, tributaire d'une qualification contractuelle, relevait du règlement Rome I, la cour d'appel a méconnu l'article 1er du règlement CE n° 593/2008 dit Rome I ;

2°/ que subsidiairement, à supposer que la question aurait relevé d'une qualification délictuelle, la loi applicable à une obligation non contractuelle n'est la loi du lieu du dommage que si une autre loi n'entretient pas des liens manifestement supérieurs avec la situation ; que de tels liens peuvent se fonder, notamment, sur une relation contractuelle sous-jacente ; qu'au cas présent, les prétendus dommages résultaient de clauses insérées dans des contrats qui étaient tous soumis à la loi anglaise ; qu'à supposer que la question relevait d'une qualification non contractuelle, la loi anglaise, qui régissait les relations contractuelles sous-jacentes entretenait donc des liens manifestement plus étroits et devait donc être appliquée à la place de la loi du lieu du dommage ; qu'en appliquant la loi française en tant que loi du lieu du dommage, la cour d'appel a violé l'article 4 § 3 du règlement n° 864/2007 du 11 juillet 2007 (dit Rome II) ;

3°/ qu'une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application ; que l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce n'a pas pour objet de défendre un intérêt public du pays, mais uniquement d'organiser des intérêts catégoriels, et que son application n'est pas cruciale pour la sauvegarde de l'organisation politique, économique et sociale ; qu'il ne s'agit par conséquent pas d'une loi de police ; qu'au cas présent, pour dire l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce applicable, la cour d'appel l'a qualifié de loi de police ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil, ensemble l'article 9 § 1 du règlement Rome I ;

4°/ qu'une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application ; que l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce n'a pas pour objet de défendre un intérêt public du pays, mais uniquement d'organiser des intérêts catégoriels, et que son application n'est pas cruciale pour la sauvegarde de l'organisation politique, économique et sociale ; qu'il ne s'agit par conséquent pas d'une loi de police ; qu'au cas présent, pour dire l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce applicable, la cour d'appel l'a qualifié de loi de police ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil, ensemble l'article 9 § 1 du règlement Rome I ;

5°/ que, en tout état de cause, les lois de police ne s'appliquent qu'aux situations entrant dans leur champ d'application, déterminé en considération de l'objectif qu'elles poursuivent ; qu'au cas présent, pour dire les articles L. 442-6, I, 2°, et L. 442-6, II, d) du code de commerce applicables, la cour d'appel s'est bornée à relever leur nature de lois de police ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser l'existence d'un lien de rattachement de la situation avec la France au regard de l'objectif poursuivi par ces deux textes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 du code civil, ensemble l'article 9 § 1 du règlement Rome I. »

Réponse de la Cour

11. Après avoir relevé que le régime spécifique commun aux délits civils prévus par l'article L. 442-6 du code de commerce se caractérise par l'intervention, prévue au III de cet article, du ministre chargé de l'économie pour la défense de l'ordre public, et souligné que les instruments juridiques dont celui-ci dispose, notamment pour demander le prononcé de sanctions civiles, illustrent l'importance que les pouvoirs publics accordent à ces dispositions, la cour d'appel a exactement retenu que l'article L. 442-6, I, 2° et II, d) du code de commerce prévoit des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d'une certaine égalité des armes et loyauté entre partenaires économiques et qui s'avèrent donc indispensables pour l'organisation économique et sociale de la France, ce dont elle a déduit, à bon droit, qu'elles constituent des lois de police dont l'application, conformément tant à l'article 9 du règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles qu'à l'article 16 du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, s'impose au juge saisi, sans qu'il soit besoin de rechercher la règle de conflit de lois conduisant à la détermination de la loi applicable.

12. Ayant ensuite relevé que les hôtels signataires des contrats en cause et victimes des pratiques alléguées étaient situés sur le territoire français, la cour d'appel a caractérisé un lien de rattachement de l'action du ministre au regard de l'objectif de préservation de l'organisation économique poursuivi par les lois de police en cause.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

14. Les sociétés du groupe Expedia font grief à l'arrêt de dire que la clause de parité de tarifs et de conditions ainsi que la clause de disponibilité et de dernière chambre disponible sont contraires à l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce, mais seulement en tant qu'elles visent l'alignement sur les meilleures conditions consenties aux concurrents tiers et non pratiquées par l'hôtelier lui-même, de dire que la clause de parité et la clause de disponibilité des chambres, par leurs effets cumulés, constituent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, de dire que les sociétés Expedia France et Expedia Inc. sont également responsables de la violation de l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, de prononcer la nullité de ces clauses dans les quarante-sept contrats du dossier, d'enjoindre aux sociétés Expedia France, Expedia Inc., Hotels.com LP, Vacationspot SL et Travelscape LLC de cesser les pratiques consistant à mentionner les clauses précitées dans leurs contrats signés avec les hôteliers adhérents de leur plate-forme et de condamner les sociétés Expedia France, Expedia Inc., Hotels.com LP, Vacationspot SL et Travelscape LLC in solidum, au paiement d'une amende d'un million d'euros au ministre de l'économie alors « que les clauses de disponibilité de la dernière chambre insérées dans les quarante-sept contrats litigieux prévoient uniquement que l'hôtelier devra nécessairement proposer aux plates-formes cocontractantes (Hotels.com, Vacationspot SL et Travelscape) sa dernière chambre disponible, qu'il n'est en aucun cas prévu qu'il devra la lui réserver, que, pour retenir le caractère fautif de cette clause, la cour d'appel a jugé que « cette clause dite « de la dernière chambre disponible » prévoit que, quel que soit le nombre de chambres disponibles à la vente, l'hôtel doit réserver à Expedia la dernière chambre qui serait disponible sur son site », qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil dans sa version applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

15. L'article L. 442-6, I, d) du code de commerce, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, dispose que sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour un producteur, un commerçant, un industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers, la possibilité de bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant.

La cour d'appel a prononcé l'annulation de la clause dite « de disponibilité de la dernière chambre » sur le fondement de ce texte, après avoir retenu qu'elle instituait une garantie d'alignement des conditions faites aux sociétés du groupe Expedia sur les meilleures conditions en terme d'accès à la dernière chambre disponible. Ainsi, il importe peu que la clause litigieuse ait pour objet de permettre la réservation de la dernière chambre disponible de l'hôtel partenaire par le biais des sociétés du groupe Expedia comme par d'autres canaux, mais aux meilleures conditions de ceux-ci, ou de contraindre les hôteliers partenaires à réserver à ces sociétés leur dernière chambre disponible, dès lors que, dans les deux cas, elle les fait bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes en matière de disponibilité des chambres, ce qui suffit à justifier son annulation en application du texte précité.

16. Le moyen est donc inopérant.

Mais sur le cinquième moyen, pris en sa première branche :

Enoncé du moyen

17. Les sociétés du groupe Expedia font le même grief à l'arrêt alors « que les clauses de disponibilité de la dernière chambre insérées dans les quarante-sept contrats litigieux prévoient uniquement que l'hôtelier devra nécessairement proposer aux plates-formes cocontractantes (Hotels.com, Vacationspot et Travelscape) sa dernière chambre disponible ; que ces clauses n'imposent aucunement aux hôteliers de la vendre par l'intermédiaire d'Expedia ; que, pour retenir l'existence d'un déséquilibre significatif, la cour d'appel a jugé que « la clause de la dernière chambre disponible impose aux hôteliers de la vendre par l'intermédiaire d'Expedia et donc de payer une commission sur elle ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil dans sa version applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

18. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

19. Pour retenir que la clause dite « de la dernière chambre disponible », corrélée à la clause de parité tarifaire, non tarifaire et promotionnelle, entraîne un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties, l'arrêt retient que cette clause oblige l'hôtelier qui dispose de chambres encore disponibles à les vendre par l'intermédiaire des sociétés du groupe Expedia.

20. En statuant ainsi, alors que les clauses relatives à la dernière chambre disponible imposaient seulement aux hôteliers de permettre la réservation de cette chambre par le canal des sociétés du groupe Expedia dans les conditions prévues pour d'autres canaux, la cour d'appel, qui a méconnu la volonté exprimée par les parties dans les clauses litigieuses, a violé le texte susvisé.

Portée de la cassation

21. Il résulte du rejet du troisième moyen que l'annulation de la clause de parité de tarifs et de conditions et de la clause dite « de la dernière chambre disponible » est justifiée sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce, avec les conséquences qui en résultent en termes d'injonction.

La cassation encourue sur le cinquième moyen ne porte donc que sur les chefs de dispositif de l'arrêt disant que ces clauses, par leurs effets cumulés, constituent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, que les sociétés Expedia Inc. et Expedia France sont responsables de la violation de l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce et les condamnant, in solidum, au paiement d'une amende d'un million d'euros au ministre de l'économie.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la clause de parité et la clause de disponibilité des chambres, par leurs effets cumulés, constituent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, dit que les sociétés Expedia France et Expedia Inc. sont également responsables de la violation de l'article L. 442-6, I, 2°, du code du commerce et les condamne, in solidum avec les sociétés Hotels.com LP, Vacationspot SL et Travelscape LLC, au paiement d'une amende d'un million d'euros au ministre de l'économie, l'arrêt rendu le 21 juin 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, en conséquence, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Champalaune - Avocat général : M. Douvreleur - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés -

Textes visés :

Article L. 442-6 du code de commerce ; article 9 du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 relatif à la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) ; article 16 du règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil relatif à la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II).

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