Numéro 7 - Juillet 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2020

ASSURANCE DE PERSONNES

2e Civ., 2 juillet 2020, n° 19-11.417, n° 19-13.636, (P)

Cassation

Assurance vie – Contrat non dénoué – Droit personnel du souscripteur – Faculté de rachat du contrat – Acte de nantissement – Droit exclusif du créancier gagiste – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° C 19-11.417 et Q 19-13.636 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 novembre 2018), le comptable responsable du service des impôts des particuliers de Paris 7e (le comptable public), agissant sur le fondement de titres exécutoires délivrés à l'encontre de M. B..., a notifié le 31 août 2016 entre les mains de la société Cardif assurance vie (l'assureur) un avis à tiers détenteur portant, notamment, sur un contrat rachetable n°305536 souscrit par le débiteur.

3. L'assureur a indiqué qu'il ne pouvait procéder à aucun paiement au titre de ce contrat.

4. Le comptable public a assigné l'assureur devant un juge de l'exécution en paiement des sommes, objet de l'avis à tiers détenteur, sur le fondement de l'article R. 211-9 du code des procédures civiles d'exécution.

L'assureur a fait valoir que le contrat en cause avait fait l'objet d'un nantissement le 2 décembre 2012 au profit de la société BNP Paribas (la banque).

5. Par jugement du 21 février 2018, le juge de l'exécution a accueilli la demande formée par le comptable public.

La banque et l'assureur ont formé chacun un pourvoi contre l'arrêt qui a confirmé le jugement.

Examen des moyens

Sur la deuxième branche du moyen du pourvoi Q 19-13.636 et la deuxième branche du moyen pourvoi C 19-11.417, qui sont similaires

Enoncé du moyen

6. L'assureur et la banque font grief à l'arrêt confirmatif attaqué de condamner la société Cardif assurance vie à payer au Service des impôts des particuliers de Paris 7e l'intégralité des fonds versés par M. B... sur le contrat n°... dans la limite de la valeur de rachat des droits à la date de la notification de l'avis à tiers détenteur, ainsi qu'une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, alors

« 1°/ que le nantissement du contrat confère au créancier nanti un droit exclusif sur la valeur de rachat ; qu'il en résulte que l'avis à tiers détenteur qui oblige l'assureur à payer le Trésor public « aux lieu et place du redevable », est sans effet attributif lorsque le contrat est donné en nantissement, le redevable ne disposant plus dans son patrimoine des droits qu'il a régulièrement transférés avant la notification de l'avis à tiers détenteur ; qu'en donnant cependant effet à l'avis à tiers détenteur notifié à l'assureur postérieurement à la constitution du nantissement, la cour d'appel a violé l'article 2363 du code civil par refus d'application et l'article 1920 du code général des impôts par fausse application, ensemble les articles L. 211-2 et R. 211-9 du code des procédures civiles d'exécution ;

2°/ que seul le créancier nanti reçoit valablement le paiement de la créance nantie tant en capital qu'en intérêts ; que la cour d'appel a constaté que M. B... avait donné en nantissement le 2 décembre 2012 à la société BNP Paribas les créances qu'il détenait contre la société Cardif assurance vie au titre du contrat d'assurance vie n°... ; qu'en condamnant la société Cardif assurance vie à verser l'intégralité de la valeur de rachat de ce contrat au Trésor public, au prétexte qu'il bénéficiait d'un privilège mobilier général s'exerçant avant tout autre, la cour d'appel a violé l'article 2363 du code civil, ensemble l'article R. 211-9 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2363 du code civil et l'article L. 132-10 du code des assurances :

7. Il résulte de ces textes que le créancier bénéficiaire d'un nantissement de contrat d'assurance vie rachetable, qui peut provoquer le rachat, dispose d'un droit exclusif au paiement de la valeur de rachat, excluant ainsi tout concours avec les autres créanciers du souscripteur, même privilégiés.

8. Pour condamner l'assureur à verser au comptable public le montant visé par l'avis à tiers détenteur, l'arrêt retient que, s'agissant des contributions directes, le privilège du Trésor, bien que général, doit, en raison de son rang, s'exercer avant tout autre et primer le nantissement de la créance du souscripteur sur l'assureur au profit de la banque, quelle que soit la date à laquelle ce dernier a été constitué et que le comptable peut exercer immédiatement la faculté de rachat, aux lieu et place de la banque ou du souscripteur.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Leroy-Gissinger - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles 2363 du code civil et L. 132-10 du code des assurances.

2e Civ., 16 juillet 2020, n° 19-16.922, (P)

Rejet

Assurance-vie – Contrat non dénoué – Contrat en unités de compte – Eligibilité – Conditions – Valeurs mobilières et actifs visés par décret en Conseil d'État – Protection suffisante de l'épargne investie – Condition autonome (non)

Selon l'article L. 131-1 du code des assurances, dans sa rédaction issue de la loi n° 92-665 du 16 juillet 1992, en matière d'assurance sur la vie ou d'opération de capitalisation, le capital ou la rente garantis peuvent être exprimés en unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d'actifs offrant une protection suffisante de l'épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d'État.

Il résulte de ce texte, interprété à la lumière des travaux préparatoires de la loi du 16 juillet 1992, que les valeurs mobilières et actifs visés par l'article R. 131-1 du code des assurances remplissent la condition de protection suffisante de l'épargne prévue par ce texte.

Selon l'article R. 131-1 du code des assurances, dans sa rédaction issue du décret n° 2005-875 du 25 juillet 2005, applicable au litige, les unités de compte visées à l'article L. 131-1 du code des assurances incluent les actifs énumérés au 1°, 2°, 2° bis, 2° ter, 3°, 4°, 5° et 8° de l'article R. 332-2 du code des assurances, au nombre desquels figurent les obligations négociées sur un marché reconnu.

Ayant retenu qu'un produit financier s'analysait en une obligation au sens de l'article L. 213-5 du code monétaire et financier, soit un titre négociable conférant les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale dans une même émission, en dépit de l'absence de garantie de remboursement intégral du capital, puis relevé qu'il avait été officiellement admis à la cote de la Bourse de Luxembourg, marché réglementé figurant sur la liste établie par la Commission européenne et reconnu au sens de l'article R. 232-2, 2°, du code monétaire et financier et que sa liquidité effective était établie par 5 220 négociations, une cour d'appel en a exactement déduit qu'il était éligible comme unité de compte dans un contrat d'assurance sur la vie.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 avril 2019), M. G... a souscrit, le 21 février 1997, par l'intermédiaire de son courtier, un contrat d'assurance sur la vie, libellé en unités de compte, auprès de la société Fédération continentale, aux droits de laquelle vient désormais la société Generali vie (l'assureur).

2. Le 12 décembre 2016, M. G... a procédé à l'arbitrage de l'intégralité des sommes investies sur un unique support, dénommé « Optimiz presto 2 », produit structuré indexé sur un panier d'actions de référence, émis par une filiale du groupe Société générale et coté sur le marché de la Bourse de Luxembourg.

3. A la suite des mauvaises performances de ce support, M. G..., soutenant que celui-ci n'était pas éligible à l'assurance sur la vie et reprochant à l'assureur et au courtier d'avoir manqué à leur obligation d'information et de conseil, a assigné ces derniers en paiement de dommages-intérêts.

Examen des moyens :

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

6. M. G... fait grief à l'arrêt de le débouter de toutes ses demandes dirigées contre l'assureur, alors :

« 1°/ que le capital investi sur un contrat d'assurance-vie ou de capitalisation peut être exprimé en unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d'actifs offrant une protection suffisante de l'épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d'Etat ; que la seule circonstance que la valeur mobilière ou l'actif en cause figure parmi les unités de compte éligibles énumérées par les articles R. 131-1 et R. 332-2 du code des assurances ne suffit pas à établir que cette valeur mobilière ou cet actif offre une protection suffisante de l'épargne ; qu'en se bornant à retenir, pour dire que le produit Optimiz Presto 2 était éligible en tant qu'unité de compte du contrat d'assurance-vie souscrit par M. W... G..., que « l'article L. 131-1, alinéa 2, du code des assurances, mentionnant des unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d'actifs offrant une protection suffisante de l'épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d'Etat renvoie, par l'article R. 131-1-1° à l'article R. 332-2 A 2° visant les obligations », quand les conditions d'éligibilité posées par l'article L. 131-1 du code des assurances – faire partie de la liste prévue à l'article R. 131-1 du code des assurances, et offrir une protection suffisante de l'épargne – sont cumulatives, la cour d'appel a violé l'article L. 131-1 du code des assurances ;

2°/ que le respect de l'exigence de protection suffisante de l'épargne que doivent remplir les valeurs mobilières ou actifs éligibles en qualité d'unités de comptes d'un contrat d'assurance-vie ou de capitalisation s'apprécie au regard de la probabilité de perte en capital et de l'importance de celle-ci ; qu'en se bornant à retenir, pour dire que la liquidité et la sécurité des actifs sur lesquels M. G... avait investi ses fonds étaient assurées au sens de l'article L. 131-1 du code des assurances, qu' « au surplus, étaient prévues la possibilité annuelle de remboursement anticipé du capital investi, ainsi que l'assurance de ce remboursement jusqu'au seuil de 40 % de la valeur du panier de référence », la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser la protection suffisante de l'épargne assurée par le produit Optimiz Presto 2, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 131-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

7. Selon l'article L. 131-1 du code des assurances, dans sa rédaction applicable au litige, en matière d'assurance sur la vie ou d'opération de capitalisation, le capital ou la rente garantis peuvent être exprimés en unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d'actifs offrant une protection suffisante de l'épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d'Etat.

8. Il résulte de ce texte, interprété à la lumière des travaux préparatoires de la loi n° 92-665 du 16 juillet 1992, que les valeurs mobilières et actifs visés par l'article R. 131-1 du code des assurances remplissent la condition de protection suffisante de l'épargne prévue par ce texte.

9. Selon l'article R. 131-1 du code des assurances, dans sa rédaction applicable au litige, les unités de compte visées à l'article L. 131-1 du code des assurances incluent les actifs énumérés au 1°, 2°, 2° bis, 2° ter, 3°, 4°, 5° et 8° de l'article R. 332-2 du code des assurances, au nombre desquels figurent les obligations négociées sur un marché reconnu.

10. Ayant retenu que le produit Optimiz Presto 2 s'analysait en une obligation au sens de l'article L. 213-5 du code monétaire et financier, soit un titre négociable conférant les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale dans une même émission, en dépit de l'absence de garantie de remboursement intégral du capital, puis relevé qu'il avait été officiellement admis à la cote de la Bourse de Luxembourg, marché réglementé figurant sur la liste établie par la Commission européenne et reconnu au sens de l'article R. 232-2 2° du code monétaire et financier et que sa liquidité effective était établie par cinq mille deux-cent-vingt négociations par les clients de la société Generali vie, intervenues de 2007 à 2013, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il était éligible comme unité de compte dans un contrat d'assurance sur la vie.

11. Le moyen, inopérant en sa seconde branche comme s'attaquant à des motifs surabondants, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Touati - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles L. 131-1 et R. 131-1 du code des assurances.

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