Numéro 7 - Juillet 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2019

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (loi du 26 juillet 2005)

Com., 10 juillet 2019, n° 18-17.820, (P)

Cassation partielle

Liquidation judiciaire – Nullité des actes de la période suspecte – Constitution de sûretés – Hypothèques – Paiement effectué en exécution de la sûreté

Est nul de droit le paiement reçu par préférence sur le prix de l'immeuble grevé en vertu d'une hypothèque elle-même nulle de droit pour avoir été consentie au cours de la période suspecte pour dettes antérieurement contractées.

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 632-1, 6°, du code de commerce, ensemble l'article L. 641-14 du même code ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que pour garantir sa créance d'honoraires dus en rémunération de prestations antérieures, la société d'avocats Winston & Strawn (le créancier) a obtenu de son client, la société Stanko France (le débiteur), une hypothèque qui lui a été consentie le 25 juin 2008 ; que l'immeuble grevé a été vendu ; que le 9 mars 2009, le notaire instrumentaire a versé au créancier le montant de sa créance et ce dernier a donné mainlevée de l'inscription ; que le débiteur a été mis en liquidation judiciaire le 2 novembre 2009 ; que la date de cessation des paiements ayant été fixée au 3 mai 2008, par une décision irrévocable du 27 mars 2014, le liquidateur a assigné le créancier en annulation, sur le fondement de l'article L. 632-1, 6°, du code de commerce, de l'hypothèque consentie le 25 juin 2008 et du paiement intervenu ;

Attendu que pour rejeter la demande d'annulation du paiement, l'arrêt retient que l'article L. 632-1, 6°, du code de commerce, sur lequel le liquidateur judiciaire fonde son action, ne vise que la nullité des hypothèques consenties pour des dettes antérieurement contractées et non le paiement de dettes échues, et pour lesquelles le créancier bénéficiait d'une hypothèque ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'est nul de droit le paiement reçu par préférence sur le prix de l'immeuble grevé en vertu d'une hypothèque elle-même nulle de droit pour avoir été consentie au cours de la période suspecte pour dettes antérieurement contractées, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de M. O..., en qualité de liquidateur de la société Stanko France, de sa demande de paiement de la somme 245 183,72 euros, l'arrêt rendu le 20 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Schmidt - Avocat général : M. Richard de la Tour (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin ; SCP Coutard et Munier-Apaire -

Textes visés :

Articles L. 632-1, 6°, et L. 641-14 du code de commerce.

Com., 10 juillet 2019, n° 18-16.867, (P)

Rejet

Organes – Liquidateur – Pouvoirs – Déclaration d'insaisissabilité publiée avant l'ouverture de la liquidation du coïndivisaire – Juge aux affaires familiales – Jugement de divorce – Partage et licitation d'un bien indivis – Demande du liquidateur – Nécessité (non)

Si le liquidateur ne représente pas le débiteur en ce qui concerne les droits de celui-ci sur l'immeuble qu'il a régulièrement déclaré insaisissable, lequel n'est, dès lors, pas entré dans le gage commun des créanciers, le juge aux affaires familiales, saisi d'une demande d'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l'indivision, peut, en exécution du jugement de divorce, ordonner sa licitation pour parvenir au partage de l'indivision sans avoir besoin d'une demande à cette fin du liquidateur.

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 8 février 2017), que, le 2 juin 2006, Mme L..., entrepreneur individuel, mariée à M. T..., a déclaré l'insaisissabilité de l'immeuble commun affecté à leur résidence principale ; que le 26 octobre 2007, Mme L... a été mise en liquidation judiciaire, M. W... étant désigné liquidateur ; que le divorce des époux ayant été prononcé le 12 janvier 2010, M. T... a, le 14 août 2014, assigné Mme L... devant le juge aux affaires familiales aux fins de partage judiciaire de l'indivision post-communautaire et demandé la désignation d'un notaire ; que le liquidateur est intervenu volontairement à l'instance ;

Attendu que Mme L... fait grief à l'arrêt d'ordonner, pour parvenir au partage, la vente sur licitation de l'immeuble alors, selon le moyen, que lorsque a été régulièrement publiée la déclaration d'insaisissabilité avant le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire du débiteur, les droits indivis de ce dernier ne sont pas appréhendés par la procédure collective, de sorte que le liquidateur n'a pas qualité pour agir en partage et licitation du bien immobilier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté qu'antérieurement au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire de Mme L... en date du 17 mars 2008, « le 2 juin 2006, Mme L... a procédé à une déclaration d'insaisissabilité de la parcelle [...] affectée à la résidence principale » ; qu'en retenant pourtant que la déclaration « ne prive pas le droit des indivisaires à obtenir le partage au besoin par licitation à la barre du bien indivis » et que « Me W... a qualité pour former cette demande en qualité de représentant de Mme L... », la cour d'appel a violé l'article L. 641-9 du code de commerce, ensemble l'article L. 526-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;

Mais attendu que si le liquidateur ne représente pas le débiteur en ce qui concerne les droits de celui-ci sur l'immeuble qu'il a régulièrement déclaré insaisissable, lequel n'est, dès lors, pas entré dans le gage commun des créanciers, le juge aux affaires familiales, saisi par M. T... d'une demande d'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l'indivision, pouvait, en exécution du jugement de divorce et après avoir rejeté la demande d'attribution préférentielle du bien litigieux dont il était également saisi, ordonner sa licitation pour parvenir au partage de l'indivision sans avoir besoin d'une demande à cette fin du liquidateur ; que le moyen, qui critique un motif erroné mais surabondant relatif à la recevabilité de l'action de ce dernier, est inopérant ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Vallansan - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Delamarre et Jehannin ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Rapprochement(s) :

Com., 14 mars 2018, pourvoi n° 16-27.302, Bull. 2018, IV, n° 32 (cassation).

Com., 9 juillet 2019, n° 18-16.008, (P)

Cassation partielle

Procédure (dispositions générales) – Frais de procédure – Rémunération de l'administrateur judiciaire – Rémunération hors tarif – Désignation de deux administrateurs judiciaires – Requête en fixation des honoraires et recours – Mandat spécial et écrit – Nécessité – Irrégularité de fond – Régularisation – Possibilité

Si, dans l'hypothèse où le jugement d'ouverture a désigné deux administrateurs judiciaires, l'un ne peut, au nom de l'autre, demander la fixation des honoraires dus en application de l'article R. 663-13 du code de commerce et former un recours contre la décision ayant déclaré sa requête irrecevable qu'à la condition qu'il justifie d'un mandat spécial et écrit de la part de celui pour le compte duquel il agit, l'irrégularité de fond résultant de l'absence d'un tel mandat peut être régularisée avant que le juge statue.

Il résulte de l'article R. 663-38 du code de commerce que la décision statuant sur la rémunération de l'administrateur judiciaire n'a pas à lui être notifiée mais simplement communiquée, de sorte que les règles posées par ce texte sur le contenu de la notification de cette décision, qu'il réserve au débiteur, ainsi que celles posées par l'article 713 du code de procédure civile auquel l'article R. 663-39 du code de commerce renvoie, ne sont pas applicables.

Procédure (dispositions générales) – Frais de procédure – Rémunération de l'administrateur judiciaire – Simple communication – Décision statuant sur la rémunération de l'administrateur judiciaire – Notification – Nécessité (non)

Attendu, selon l'ordonnance attaquée, que le 27 février 2015, la société Bergère de France a été mise en redressement judiciaire, les sociétés N...-D...-M... et E...-B...-G..., étant désignées en qualité d'administrateurs judiciaires ; que par une requête du 2 novembre 2016, la société E...-B...-G..., agissant tant en son nom que pour le compte de la société N...-D...-M..., a demandé la fixation de leur rémunération en application de l'article R. 663-13 du code de commerce, celle calculée en application du tarif excédant la somme de 100 000 euros, ainsi que le remboursement de leurs frais ; que la demande a été déclarée irrecevable par une ordonnance du 27 mars 2017 ; que la société E...-B...-G... a formé un recours contre cette décision par une lettre du 12 avril 2017 puis un second recours par une lettre du 7 novembre 2017 en son nom et au nom de la société N...-D...-M... ; que la société Bergère de France a contesté la recevabilité du premier recours au motif qu'il ne lui avait pas été dénoncé, en méconnaissance de l'article 715 du code de procédure civile, et la régularité du second au motif qu'il avait été formé au nom de la société N...-D...-M... par la société E...-B...-G..., sans que celle-ci justifie d'un mandat spécial ;

Sur le moyen unique :

Attendu que la société Bergère de France fait grief à l'ordonnance de déclarer recevable le second recours alors, selon le moyen, que quiconque entend représenter ou assister une partie doit justifier qu'il en a reçu le mandat ou la mission et ce, par écrit, à défaut de dispense légale ; que n'est pas dispensé de cette obligation l'administrateur judiciaire d'un débiteur qui, prétendant exercer un recours au nom du deuxième administrateur judiciaire de celui-ci, doit disposer d'un mandat à cette fin et en justifier ; qu'en admettant en l'espèce la validité du recours exercé par le premier administrateur au nom également du second sans exiger de lui la justification d'un mandat écrit et spécial de la part de celui-ci, le premier président de la cour d'appel a violé l'article 416 du code de procédure civile, ensemble l'article 117 du même code ;

Mais attendu que si, dans l'hypothèse où le jugement d'ouverture a désigné deux administrateurs judiciaires, l'un ne peut, au nom de l'autre, demander la fixation des honoraires dus en application de l'article R. 663-13 du code de commerce et former un recours contre la décision ayant déclaré sa requête irrecevable qu'à la condition qu'il justifie d'un mandat spécial et écrit de la part de celui pour le compte duquel il agit, l'irrégularité de fond résultant de l'absence d'un tel mandat peut être régularisée avant que le juge statue ; que l'ordonnance constate que devant la juridiction du premier président, les deux administrateurs judiciaires étaient représentés par le même avocat qui avait conclu en leur nom, ce dont il résulte que la société N...-D...-M... était régulièrement représentée, et que l'irrégularité de fond affectant tant la requête initiale que le recours avait été couverte avant que le juge statue ; que par ce motif de pur droit, suggéré par la défense, substitué à ceux critiqués, la décision se trouve justifiée ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le moyen relevé d'office, après avertissement délivré aux parties :

Vu les articles R. 663-38 et R. 663-39 du code de commerce, dans leur rédaction antérieure au décret du 26 février 2016, ensemble l'article 126 du code de procédure civile ;

Attendu qu'il résulte du premier de ces textes que la décision statuant sur la rémunération de l'administrateur judiciaire n'a pas à lui être notifiée mais simplement communiquée, de sorte que les règles posées par ce texte sur le contenu de la notification de cette décision, qu'il réserve au débiteur, ainsi que celles posées par l'article 713 du code de procédure civile auquel le second renvoie, ne sont pas applicables ;

Attendu que, pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du recours formé le 7 novembre 2017, le premier président retient que la notification de la décision de première instance faite par le greffe à la société E...-B...-G... ne reproduisait pas les dispositions des articles 714 et 715 du code de procédure civile, en méconnaissance de l'article 713 dudit code, de sorte qu'elle n'avait pas pu faire courir le délai de recours ;

Qu'en statuant ainsi, alors que cette notification faite le 30 mars, qui valait simple communication à la société E...-B...-G..., avait fait courir, à son égard, le délai de contestation, le premier président a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en qu'elle déclare irrecevable le recours formé le 12 avril 2017, l'ordonnance rendue le 2 mars 2018, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Nancy ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et, pour être fait droit, les renvoie devant le premier président de la cour d'appel de Reims.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Schmidt - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Delvolvé et Trichet ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Articles R. 663-13, R. 663-38 et R. 663-39 du code de commerce ; article 713 du code de procédure civile.

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