Numéro 7 - Juillet 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2019

CONVENTIONS INTERNATIONALES

Avis de la Cour de cassation, 17 juillet 2019, n° 19-70.010, (P)

Avis sur saisine

Accords et conventions divers – Charte sociale européenne révisée – Article 24 – Applicabilité directe – Défaut – Portée

Les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Accords et conventions divers – Convention internationale du travail n° 158 – Article 10 – Applicabilité directe – Portée

Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire et 1031-1 et 1031-2 du code de procédure civile ;

Vu la demande d'avis formulée le 10 avril 2019 par le conseil de prud'hommes de Louviers, reçue le 23 avril 2019, dans une instance opposant M. H... C... à la société Sanofi Pasteur, et ainsi libellée :

« L'article L.1235-3 du code du travail, qui prévoit, en cas d'ancienneté du salarié licencié égale ou supérieure à une année complète et inférieure à deux années complètes, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse minimale d'un mois et une indemnité maximale de deux mois, est-il compatible avec les articles 24 de la Charte sociale européenne et 10 de la Convention n° 158 de l'OIT, en ce qu'ils prévoient le droit pour le salarié licencié de percevoir une indemnité adéquate, ainsi qu'avec le droit au procès équitable protégé par la Convention Européenne des Droits de l'Homme ? » ;

Vu l'ordonnance du 3 juillet 2019 du premier président ;

Le Syndicat des avocats de France et l'association Avosial ne justifiant pas d'un intérêt, au sens de l'article 330 du code de procédure civile, à intervenir dans la procédure d'avis qui n'est pas susceptible d'entraîner des conséquences pour l'ensemble de leurs adhérents, leurs interventions volontaires sont irrecevables.

MOTIFS :

- I - Sur la recevabilité de la demande d'avis :

La compatibilité d'une disposition de droit interne avec les dispositions de normes européennes et internationales peut faire l'objet d'une demande d'avis, dès lors que son examen implique un contrôle abstrait ne nécessitant pas l'analyse d'éléments de fait relevant de l'office du juge du fond.

- II - Sur le fond :

Selon l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, dont les dispositions sont applicables aux licenciements prononcés postérieurement à la publication de ladite ordonnance, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux.

Il en résulte notamment que cette indemnité, pour un salarié ayant une année complète d'ancienneté dans une entreprise employant au moins onze salariés, est comprise entre un montant minimal d'un mois de salaire brut et un montant maximal de deux mois de salaire brut.

1.- S'agissant de la conventionnalité de ce texte au regard de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qu'il convient de distinguer entre ce qui est d'ordre procédural et ce qui est d'ordre matériel, cette distinction déterminant l'applicabilité et, le cas échéant, la portée des garanties de l'article 6 de la Convention, lequel, en principe, ne peut s'appliquer aux limitations matérielles d'un droit consacré par la législation interne (CEDH, 29 novembre 2016, Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie, n° 76943/11).

Dès lors, les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, qui limitent le droit matériel des salariés quant au montant de l'indemnité susceptible de leur être allouée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne constituent pas un obstacle procédural entravant leur accès à la justice, de sorte qu'elles n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 6, § 1, précité.

2.- S'agissant de la compatibilité de l'article L. 1235-3 du code du travail avec l'article 24 de la Charte sociale européenne révisée, selon la partie II de ce dernier texte :

« Les Parties s'engagent à se considérer comme liées, ainsi que prévu à la partie III, par les obligations résultant des articles et des paragraphes ci-après.

[...]

Article 24 – Droit à la protection en cas de licenciement

En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître :

a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ;

b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

A cette fin les Parties s'engagent à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial ».

Eu égard à l'importance de la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes par les termes précités de la Charte sociale européenne révisée, rapprochés de ceux des parties I et III du même texte, les dispositions de l'article 24 de ladite Charte ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

3.- Selon l'article 10 de la Convention internationale du travail n° 158 sur le licenciement de l'Organisation internationale du travail (OIT), qui est d'application directe en droit interne :

« Si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.»

Le terme « adéquat » doit être compris comme réservant aux Etats parties une marge d'appréciation.

En droit français, si le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise. Lorsque la réintégration est refusée par l'une ou l'autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur dans les limites de montants minimaux et maximaux.

Le barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail est écarté en cas de nullité du licenciement, par application des dispositions de l'article L.1235-3-1 du même code.

Il s'en déduit que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, qui prévoient notamment, pour un salarié ayant une année complète d'ancienneté dans une entreprise employant au moins onze salariés, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal d'un mois de salaire brut et un montant maximal de deux mois de salaire brut, sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.

En conséquence,

LA COUR EST D'AVIS QUE :

Les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui prévoient notamment, pour un salarié ayant une année complète d'ancienneté dans une entreprise employant au moins onze salariés, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal d'un mois de salaire brut et un montant maximal de deux mois de salaire brut, n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Les dispositions précitées de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail.

- Président : Mme Flise (président doyen faisant fonction de premier président) - Rapporteur : Mme Leprieur, assistée de Mme Aurélie Noël, auditeur au service de documentation, des études et du rapport - Avocat général : Mme Courcol-Bouchard (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; Me Haas ; SCP Gatineau et Fattaccini ; SCP Didier et Pinet ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire ; article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ; article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ; article 10 de la convention n° 158 sur le licenciement de l'Organisation internationale du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité d'examiner la compatibilité d'une disposition de droit interne avec des normes européennes et internationales, en sens contraire : Avis de la Cour de cassation, 12 juillet 2017, n° 17-70.009, Bull. 2017, Avis, n° 9, et les avis cités ; Avis de la Cour de cassation, 7 mars 2018, n° 17-70.039, Bull. 2018, Avis, n° 2 (2). Sur l'exclusion de l'application des garanties de l'article 6 de la Convention aux limitations matérielles d'un droit consacré par la législation interne, cf. : CEDH, 29 novembre 2016, Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie, n° 76943/11.

Avis de la Cour de cassation, 17 juillet 2019, n° 19-70.011, (P)

Avis sur saisine

Accords et conventions divers – Charte sociale européenne révisée – Article 24 – Applicabilité directe – Défaut – Portée

Les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Accords et conventions divers – Convention internationale du travail n° 158 – Article 10 – Applicabilité directe – Portée

Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire et 1031-1 et 1031-2 du code de procédure civile ;

Vu la demande d'avis formulée le 4 avril 2019 par le conseil de prud'hommes de Toulouse, reçue le 7 mai 2019, dans une instance opposant M. O... à la société B.V.H, et ainsi libellée :

« L'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017, instaurant un barème d'indemnisation du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse est-il compatible avec les dispositions de l'article 10 de la convention n° 158 de l'OIT et celles de l'article 24 de la Charte sociale européenne ? » ;

Vu l'ordonnance du 3 juillet 2019 du premier président ;

Le Syndicat des avocats de France et l'association Avosial ne justifiant pas d'un intérêt, au sens de l'article 330 du code de procédure civile, à intervenir dans la procédure d'avis qui n'est pas susceptible d'entraîner des conséquences pour l'ensemble de leurs adhérents, leurs interventions volontaires sont irrecevables.

MOTIFS

- I - Sur la recevabilité de la demande d'avis :

La compatibilité d'une disposition de droit interne avec les dispositions de normes européennes et internationales peut faire l'objet d'une demande d'avis, dès lors que son examen implique un contrôle abstrait ne nécessitant pas l'analyse d'éléments de fait relevant de l'office du juge du fond.

- II - Sur le fond :

Selon l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux.

1.- S'agissant de la compatibilité de ce texte avec l'article 24 de la Charte sociale européenne révisée, selon la partie II de ce dernier texte :

« Les Parties s'engagent à se considérer comme liées, ainsi que prévu à la partie III, par les obligations résultant des articles et des paragraphes ci-après.

[...]

Article 24 – Droit à la protection en cas de licenciement

En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître :

a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ;

b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

A cette fin les Parties s'engagent à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial ».

Eu égard à l'importance de la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes par les termes précités de la Charte sociale européenne révisée, rapprochés de ceux des parties I et III du même texte, les dispositions de l'article 24 de ladite Charte ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

2.- Selon l'article 10 de la Convention n° 158 sur le licenciement de l'Organisation internationale du travail (OIT), qui est d'application directe en droit interne :

« Si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.»

Le terme « adéquat » doit être compris comme réservant aux Etats parties une marge d'appréciation.

En droit français, si le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise. Lorsque la réintégration est refusée par l'une ou l'autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur dans les limites de montants minimaux et maximaux.

Le barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail est écarté en cas de nullité du licenciement, par application des dispositions de l'article L.1235-3-1 du même code.

Il s'en déduit que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, qui fixent un barème applicable à la détermination par le juge du montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.

En conséquence,

LA COUR EST D'AVIS QUE :

Les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, qui fixent un barème applicable à la détermination par le juge du montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail.

- Président : Mme Flise (président doyen faisant fonction de premier président) - Rapporteur : Mme Leprieur, assistée de Mme Aurélie Noël, auditeur au service de documentation, des études et du rapport - Avocat général : Mme Courcol-Bouchard (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Gatineau et Fattaccini ; SCP Didier et Pinet ; SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire ; article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ; article 10 de la convention n° 158 sur le licenciement de l'Organisation internationale du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité d'examiner la compatibilité d'une disposition de droit interne avec des normes européennes et internationales, en sens contraire : Avis de la Cour de cassation, 12 juillet 2017, n° 17-70.009, Bull. 2017, Avis, n° 9, et les avis cités ; Avis de la Cour de cassation, 7 mars 2018, n° 17-70.039, Bull. 2018, Avis, n° 2 (2). A rapprocher : Avis de la Cour de cassation, 17 juillet 2019, n° 19-70.010, Bull. 2019, Avis, (1). Sur l'absence d'effet direct de l'article 24 de la Charte sociale européenne, à rapprocher : Avis de la Cour de cassation, 17 juillet 2019, n° 19-70.010, Bull. 2019, Avis, (3). Sur la compatibilité des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail avec l'article 10 de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail, à rapprocher : Avis de la Cour de cassation, 17 juillet 2019, n° 19-70.010, Bull. 2019, Avis, (4).

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