Numéro 7 - Juillet 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2019

COMMUNE

1re Civ., 4 juillet 2019, n° 18-20.842, (P)

Rejet

Domaine privé – Bail d'un immeuble – Litige ayant pour objet sa résolution – Compétence judiciaire

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 4 juillet 2018), que la commune de Boissezon (la commune) a donné à bail à la société Terre d'Hautaniboul (la société) un immeuble à usage commercial dépendant de son domaine privé ; qu'après l'effondrement partiel du chemin rural desservant les locaux loués, un arrêté municipal y a interdit la circulation ; que, soutenant être dans l'impossibilité de poursuivre leur activité et invoquant un manquement du bailleur à son obligation de délivrance, la société et ses gérants, MM. G... et Z... N..., ont saisi la juridiction judiciaire pour voir prononcer la résolution du contrat et obtenir le paiement de dommages-intérêts ; que la société Allianz IARD est intervenue volontairement à l'instance, en sa qualité d'assureur de la société ; que la commune a soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative ;

Attendu que la commune fait grief à l'arrêt de rejeter cette exception, alors, selon le moyen :

1°/ que la clause exorbitante du droit commun est celle qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, implique, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ; que, dans ses conclusions d'appel, la commune faisait valoir que le contrat de bail litigieux devrait être requalifié en contrat administratif, relevant de la compétence du juge administratif, si l'engagement de la commune à entretenir le chemin rural qui dessert le fonds donné à bail à la société était regardé comme incorporé au contrat dans la mesure où cet engagement constituerait une clause exorbitante du droit commun ; qu'en se bornant à énoncer, pour rejeter l'exception d'incompétence soulevée, que le bail n'était soumis à aucune clause exorbitante du droit commun, sans expliquer, comme elle y était invitée, si elle considérait que l'engagement de la commune à entretenir le chemin rural était, ou non, incorporé au contrat et, ainsi, sans mettre la Cour de cassation en mesure de connaître les clauses qu'elle a examinées pour retenir cette solution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III ;

2°/ que, subsidiairement, la clause exorbitante du droit commun est celle qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, implique, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ; que, dans ses conclusions d'appel, la commune faisait valoir que le contrat de bail litigieux devrait être requalifié en contrat administratif, relevant de la compétence du juge administratif, si l'engagement de la commune à entretenir le chemin rural qui dessert le fonds donné à bail à la société était regardé comme incorporé au contrat dans la mesure où cet engagement constituerait une clause exorbitante du droit commun ; qu'en se bornant à énoncer, pour rejeter l'exception d'incompétence soulevée, que le bail n'était soumis à aucune clause exorbitante du droit commun, sans expliquer, comme elle y était invitée, en quoi l'engagement de la commune à entretenir le chemin rural pouvait être regardé comme incorporé au contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III ;

3°/ que, tout aussi subsidiairement, la clause par laquelle une commune s'engage à entretenir un chemin rural, appartenant à son domaine privé et ouvert à la circulation publique, constitue une clause exorbitante du droit commun ; qu'en retenant que l'engagement de la commune à entretenir le [...], qui appartient à son domaine privé et est ouvert à la circulation publique, ne constitue pas une clause exorbitante du droit commun, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article 1719 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée ; que cette obligation légale lui impose de délivrer un local conforme à la destination contractuelle ; que, dès lors, c'est à bon droit et sans avoir à procéder aux recherches visées par les deux premières branches du moyen, qu'après avoir relevé que l'action engagée par la société tendait à voir sanctionner la violation, par la commune, de son obligation de délivrance, en raison de l'impossibilité d'accéder aux locaux loués, la cour d'appel a retenu que le litige avait pour objet la résolution d'un contrat de bail portant sur un immeuble dépendant du domaine privé et dépourvu de clause exorbitante du droit commun et relevait, par suite, de la compétence de la juridiction judiciaire ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Sudre - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; SCP Baraduc, Duhamel et Rameix ; SCP Ohl et Vexliard -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; article 1719 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître du litige relatif à la résolution d'un contrat de bail portant sur un immeuble dépendant du domaine privé communal, cf. : Tribunal des conflits, 22 novembre 2010, pourvoi n° 10-03.764, Bull. 2010, T. conflits, n° 26 ; Tribunal des conflits, 12 décembre 2011, pourvoi n° 11-03.824, Bull. 2011, T. conflits, n° 34. Sur l'obligation de délivrance incombant au bailleur, à rapprocher : 3e Civ., 2 juillet 1997, pourvoi n° 95-14.151, Bull. 1997, III, n° 159 (rejet) ; 3e Civ., 19 décembre 2012, pourvoi n° 11-23.541, Bull. 2012, III, n° 190 (rejet), et l'arrêt cité.

1re Civ., 4 juillet 2019, n° 19-13.494, (P)

Cassation partielle

Finances communales – Recettes – Redevance d'enlèvement des ordures ménagères – Redevable – Usager du service public – Nature du lien avec le service – Nature contractuelle (non) – Portée

Sur le moyen unique, pris en sa première branche, qui est recevable comme étant de pur droit :

Vu l'article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation, ensemble l'article L. 2333-76 du code général des collectivités territoriales ;

Attendu qu'aux termes du premier de ces textes, l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ; qu'une telle prescription est applicable uniquement à l'action des professionnels pour les biens et services qu'ils fournissent contractuellement aux consommateurs (1re Civ., 9 juin 2017, pourvoi n° 16-21.247, Bull. 2017, I, n° 140) ;

Que, selon le second, les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et les syndicats mixtes qui bénéficient de la compétence prévue à l'article L. 2224-13 peuvent instituer une redevance d'enlèvement des ordures ménagères calculée en fonction du service rendu dès lors qu'ils assurent au moins la collecte des déchets des ménages ;

Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort, que, suivant délibération du 8 octobre 2013, la communauté de communes Arc Sud Bretagne (la communauté de communes) a institué, à compter du 1er janvier 2014, une redevance d'enlèvement des ordures ménagères, dont le tarif a été fixé par une délibération du 17 décembre 2013 ; que, par jugement du 9 septembre 2015, la juridiction de proximité de Vannes a annulé le titre de perception émis à l'encontre de Mme T... pour l'exercice 2014 ; que, par arrêt du 6 octobre 2017, devenu définitif, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté la requête, présentée par plusieurs usagers, tendant à l'annulation de la délibération du 17 décembre 2013 ; que la communauté de communes a établi, le 26 février 2018, une nouvelle facture correspondant à la redevance d'enlèvement des ordures ménagères due pour l'exercice 2014, puis a émis, le 8 mars suivant, aux fins de recouvrement de cette facture, un titre exécutoire à l'encontre de Mme T... ; que celle-ci a saisi le tribunal d'instance pour en voir prononcer l'annulation ;

Attendu que, pour accueillir sa demande, après avoir énoncé que, lorsqu'elle assure l'enlèvement des ordures ménagères, la communauté de communes exerce une activité industrielle et commerciale, dont le service est facturé à l'usager proportionnellement à son usage, le jugement retient que celle-ci doit être regardée comme un professionnel qui s'adresse à des consommateurs et que, dès lors, son action en paiement est soumise au délai biennal de prescription prévu à l'article L. 218-2 du code de la consommation ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'usager, bénéficiaire du service public de l'enlèvement des ordures ménagères, n'est pas lié à ce service par un contrat, de sorte que le délai dont dispose une collectivité publique pour émettre un titre exécutoire, aux fins d'obtenir paiement de la redevance qu'elle a instituée, n'est pas soumis aux dispositions dérogatoires prévues à l'article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation, le tribunal d'instance a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la fin de non-recevoir tirée de l'absence de recours préalable à la conciliation, le jugement rendu le 13 février 2019, entre les parties, par le tribunal d'instance de Vannes ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d'instance de Vannes, autrement composé.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation ; article L. 2333-76 du code général des collectivités territoriales.

Rapprochement(s) :

Sur la qualité d'usager d'un service public non subordonnée à l'existence d'un contrat, à rapprocher : 1re Civ., 1er octobre 1985, pourvoi n° 84-13.270, Bull. 1985, I, n° 240 (cassation) ; 1re Civ., 6 mars 2001, pourvoi n° 98-22.629, Bull. 2001, I, n° 62 (rejet). Sur l'exclusion de la prescription biennale en l'absence d'une relation contractuelle, à rapprocher : 1re Civ., 9 juin 2017, pourvoi n° 16-21.247, Bull. 2017, I, n° 140 (rejet).

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