Numéro 7 - Juillet 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2018

UNION EUROPEENNE

1re Civ., 11 juillet 2018, n° 17-18.177, (P)

Renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne

Cour de justice de l'Union européenne – Question préjudicielle – Interprétation des actes pris par les institutions de l'Union – Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 – Artiste-interprète – Droits patrimoniaux et droits moraux – Exploitation des prestations – Exercice des droits d'exploitation des archives audiovisuelles par l'Institut national de l'audiovisuel – Régime dérogatoire – Compatibilité

Il convient de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre à la question suivante :

Les articles 2, sous b), 3, paragraphe 2, a), et 5 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à ce qu'une réglementation nationale, telle que celle issue de l'article 49, II, de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, modifiée par l'article 44 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006, instaure, au profit de l'Institut national de l'audiovisuel, bénéficiaire, sur les archives audiovisuelles, des droits d'exploitation des sociétés nationales de programme, un régime dérogatoire prévoyant que les conditions d'exploitation des prestations des artistes interprètes et les rémunérations auxquelles cette exploitation donne lieu sont régies par des accords conclus entre les artistes interprètes eux-mêmes ou les organisations de salariés représentatives des artistes interprètes et cet institut, ces accords devant notamment préciser le barème des rémunérations et les modalités de versement de ces rémunérations ?

Reçoit le Syndicat indépendant des artistes interprètes et le Syndicat français des artistes interprètes en leur intervention ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 10 mars 2017), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 14 octobre 2015, pourvoi n° 14-19.917, Bull. 2015, I, n° 244), que, reprochant à l'Institut national de l'audiovisuel (INA) de commercialiser sur son site Internet, sans leur autorisation, des vidéogrammes et un phonogramme reproduisant les prestations de B... Y... Z..., dit C... A..., batteur de jazz décédé le [...], MM. X... et Z... A..., ses ayants droit, l'ont assigné pour obtenir réparation de l'atteinte ainsi prétendument portée aux droits d'artiste-interprète dont ils sont titulaires, en invoquant l'article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, aux termes duquel sont soumises à l'autorisation écrite de l'artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l'image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l'image ; que, devant la cour d'appel de renvoi, la Société de perception et de distribution des droits des artistes interprètes de la musique et de la danse (Spedidam) est intervenue volontairement, tant à l'appui des prétentions de MM. X... et Z... A..., qu'à titre principal en sollicitant la condamnation de l'INA à lui payer des dommages-intérêts en réparation du préjudice collectif subi par la profession d'artiste-interprète ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la Spedidam fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son intervention à titre principal, alors, selon le moyen, qu'aux termes de l'article L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 22 décembre 2016 applicable au litige, « les sociétés de perception et de répartition des droits d'auteur et des droits des artistes interprètes [...] ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge » ; que le législateur a ainsi accordé aux sociétés de gestion collective des droits des artistes interprètes la faculté de déterminer, dans leurs statuts, l'étendue de leur droit d'action en justice ; que l'article 3 des statuts de la Spedidam énonce à cet égard que : « La société a pour objet l'exercice et l'administration dans tous pays, de tous les droits reconnus aux artistes interprètes par le code de la propriété intellectuelle et par toute disposition nationale, communautaire ou internationale et notamment : [...] 5 – [...] la défense des intérêts matériels et moraux des ayants droit en vue et dans les limites de l'objet social de la société, ainsi que la détermination de règles de morale professionnelle en rapport avec l'activité de ses membres. A cette fin, la société a qualité pour ester en justice tant dans l'intérêt individuel des artistes interprètes que dans l'intérêt collectif de la profession pour faire respecter les droits reconnus aux artistes interprètes par le code de la propriété intellectuelle ainsi que par toute disposition nationale, communautaire ou internationale » ; qu'il en résulte que la Spedidam dispose, en vertu de ses statuts auxquels renvoie le code de la propriété intellectuelle, du droit d'agir tant pour la défense des intérêts individuels de ses membres que pour l'intérêt collectif de la profession ; qu'en décidant le contraire pour déclarer irrecevable l'intervention de la Spedidam à titre principal, la cour d'appel a violé les articles susvisés, ensemble les articles 554, 325 et 329 du code de procédure civile ;

Mais attendu que sont irrecevables les interventions volontaires en cause d'appel qui ont pour objet de demander des condamnations personnelles non soumises aux premiers juges ; que, par ce motif de pur droit suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, la décision se trouve légalement justifiée de ce chef ;

Sur le second moyen :

Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Attendu que MM. X... et Z... A... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que l'article 2, sous b) et l'article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE disposent respectivement que les Etats membres attribuent aux artistes interprètes le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la reproduction directe ou indirecte des fixations de leurs exécutions par quelque moyen que ce soit et sous quelque forme que ce soit ainsi que le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la communication au public de ces fixations ; que, sous réserve des exceptions et limitations prévues de façon exhaustive à l'article 5 de la directive, toute utilisation de la fixation d'une interprétation effectuée par un tiers sans le consentement préalable de l'artiste-interprète doit être regardée comme portant atteinte à ses droits ; qu'aux termes de l'article 49, II, de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction issue de l'article 44 de la loi du 1er août 2006, « l'institut exerce les droits d'exploitation mentionnés au présent paragraphe dans le respect des droits moraux et patrimoniaux des titulaires de droits d'auteurs ou de droits voisins du droit d'auteur et de leurs ayants droit. Toutefois, par dérogation aux articles L. 212-3 et L. 212-4 du code de la propriété intellectuelle, les conditions d'exploitation des prestations des artistes interprètes des archives mentionnées au présent article et les rémunérations auxquelles cette exploitation donne lieu sont régies par des accords conclus entre les artistes interprètes eux-mêmes ou les organisations de salariés représentatives des artistes interprètes eux-mêmes et l'institut. Ces accords doivent notamment préciser le barème des rémunérations et les modalités de versement de ces rémunérations » ; que, si l'applicabilité du régime dérogatoire institué au profit de l'INA n'est pas subordonnée à la preuve de l'autorisation par l'artiste-interprète de la première exploitation de sa prestation, les dispositions en cause n'instaurent aucune présomption simple d'autorisation préalable de l'artiste-interprète à l'exploitation par l'INA des archives qui contiennent son interprétation ; qu'en affirmant le contraire pour dispenser l'INA de rapporter la preuve de ce consentement et ainsi débouter les héritiers de C... A... de leurs demandes de dommages-intérêts, la cour d'appel a violé l'article 49, II, de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction issue de l'article 44 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 et les articles 2, 3, 5 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information ;

2°/ que l'article 2, sous b), et l'article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE disposent respectivement que les Etats membres attribuent aux artistes interprètes le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la reproduction directe ou indirecte des fixations de leurs exécutions par quelque moyen que ce soit et sous quelque forme que ce soit ainsi que le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la communication au public de ces fixations ; que, sous réserve des exceptions et limitations prévues de façon exhaustive à l'article 5 de la directive 2001/29, toute utilisation de la fixation d'une interprétation effectuée par un tiers sans le consentement préalable de l'artiste-interprète doit être regardée comme portant atteinte à ses droits ; que, si les dispositions des articles 2, sous b), et 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE permettent la prise en compte d'un consentement exprimé de manière implicite et non seulement par écrit, l'objectif de protection élevé des artistes interprètes auquel se réfère le considérant 9 de la directive implique que les conditions dans lesquelles une présomption de consentement peut être admise soient strictement définies afin de ne pas priver de portée le principe même du consentement préalable de l'artiste-interprète ; qu'en particulier, tout artiste-interprète doit être effectivement informé de la future utilisation de la fixation de son interprétation par un tiers, des hypothèses dans lesquelles son consentement à cette utilisation peut être présumé ainsi que des moyens mis à sa disposition en vue de l'interdire s'il le souhaite ; qu'en considérant que l'article 49, II, de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction issue de l'article 44 de la loi du 1er août 2006 instituait valablement au bénéfice de l'INA une présomption simple de consentement préalable de l'artiste-interprète à l'exploitation commerciale de la fixation de ses prestations figurant dans les archives de l'institut sans rechercher si les dispositions en cause aménageaient des garanties assurant l'information effective et individualisée des artistes interprètes sur l'éventualité d'une telle exploitation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 49, II, de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction issue de l'article 44 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006, 2, 3, 5 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information ;

3°/ que, si la mission de conserver et mettre en valeur le patrimoine audiovisuel national assumée par l'INA est d'intérêt général, la poursuite de cet objectif et de cet intérêt ne saurait justifier une dérogation non prévue par le législateur de l'Union à la protection assurée aux artistes interprètes par la directive 2001/29/CE permettant à l'INA d'exploiter commercialement les supports sur lesquels ont été fixées leurs interprétations ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 49, II, de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction issue de l'article 44 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 et les articles 2, 3, 5 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information ;

Attendu que, selon l'article L. 212-3, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle, sont soumises à l'autorisation écrite de l'artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l'image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l'image ; que l'article L. 212-4 du même code dispose que la signature du contrat conclu entre un artiste-interprète et un producteur pour la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle vaut autorisation de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de l'artiste-interprète ; que ce contrat fixe une rémunération distincte pour chaque mode d'exploitation de l'œuvre ;

Attendu qu'il résulte de l'article 49 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 que l'INA, établissement public de l'Etat à caractère industriel et commercial, est chargé de conserver et de mettre en valeur le patrimoine audiovisuel national ; que, notamment, il assure la conservation des archives audiovisuelles des sociétés nationales de programme et contribue à leur exploitation ; qu'à ce titre, il bénéficie des droits d'exploitation des extraits des archives audiovisuelles des sociétés nationales de programme ; qu'il exerce ces droits dans le respect des droits moraux et patrimoniaux des titulaires de droits d'auteurs ou de droits voisins du droit d'auteur, et de leurs ayants droit ;

Attendu, cependant, que l'INA s'est trouvé dans l'impossibilité d'exploiter une partie de son fonds, faute pour lui de détenir, dans les dossiers de production des programmes en cause, les contrats de travail conclus avec les artistes interprètes concernés, ce qui, d'une part, lui interdisait de se prévaloir de la présomption de cession prévue à l'article L. 212-4 précité, d'autre part, lui imposait d'obtenir l'autorisation écrite des artistes interprètes ou de leurs ayants droit, dont l'identification et la recherche pouvaient s'avérer difficile, voire impossible ;

Qu'afin de permettre à l'INA de remplir sa mission de service public, la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 a modifié l'article 49 de la loi du 30 septembre 1986 en prévoyant, au II de ce texte, que, « par dérogation aux articles L. 212-3 et L. 212-4 du code de la propriété intellectuelle, les conditions d'exploitation des prestations des artistes interprètes des archives mentionnées au présent article et les rémunérations auxquelles cette exploitation donne lieu sont régies par des accords conclus entre les artistes interprètes eux-mêmes ou les organisations de salariés représentatives des artistes interprètes et l'institut. Ces accords doivent notamment préciser le barème des rémunérations et les modalités de versement de ces rémunérations » ; que ce régime dérogatoire n'est pas subordonné à la preuve de l'autorisation par l'artiste-interprète de la première exploitation de sa prestation (1re Civ., 14 octobre 2015, pourvoi n° 14-19.917, Bull. 2015, I, n° 244, précité) ;

Attendu, par ailleurs, que, selon l'article 2, b), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, les États membres prévoient le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie, pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions ;

Que l'article 3, paragraphe 2, a), dispose que les États membres prévoient le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement, pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions ;

Que les articles 2, c) et d), et 3, paragraphe 2, b) et c), imposent aux Etats membres de prévoir des droits identiques à ceux des artistes interprètes, pour les producteurs de phonogrammes et les producteurs des premières fixations de films ;

Que l'article 5 énonce, en ses paragraphes 2 et 3, que les États membres ont la faculté de prévoir différentes exceptions et limitations au droit de reproduction et au droit de communication au public prévus aux articles 2 et 3 de la même directive, dans les cas qu'il énumère ; que le considérant 32 de la directive précise que cette liste des exceptions et limitations au droit de reproduction et au droit de communication au public est exhaustive ;

Attendu que le régime dérogatoire dont bénéficie l'INA n'entre dans le champ d'aucune des exceptions et limitations que les Etats membres ont la faculté de prévoir sur le fondement de l'article 5 précité ;

Que, saisie par voie préjudicielle de la question de la conformité aux articles 2 et 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 de la loi du 1er mars 2012 relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé que la protection que ces dispositions confèrent aux auteurs doit se voir reconnaître une large portée et que, si la directive précitée ne s'oppose pas à ce qu'une réglementation nationale poursuive un objectif dans l'intérêt culturel des consommateurs et de la société dans son ensemble, la poursuite de cet objectif et de cet intérêt ne saurait justifier une dérogation non prévue par le législateur de l'Union à la protection assurée aux auteurs par cette directive (CJUE, arrêt du 16 novembre 2016, Soulier et Doke, C-301/15, points 29 et 45) ;

Que les demandeurs au pourvoi se prévalent de cette décision pour soutenir que, si la mission de conserver et mettre en valeur le patrimoine audiovisuel national assumée par l'INA est d'intérêt général, la poursuite de cet objectif et de cet intérêt ne saurait justifier une dérogation, non prévue par le législateur de l'Union, à la protection assurée aux artistes interprètes par la directive 2001/29, permettant à l'INA d'exploiter commercialement les supports sur lesquels ont été fixées leurs interprétations, sans qu'il soit démontré que ceux-ci aient donné leur consentement préalable ;

Que, cependant, la solution retenue par la CJUE dans son arrêt Soulier et Doke n'est pas transposable au présent litige ; qu'en effet, si la législation sur les livres indisponibles dérogeait à la protection assurée aux auteurs par la directive 2001/29, le régime dérogatoire institué au profit de l'INA dans un but d'intérêt général lui permettant d'exploiter les droits dont il est titulaire, a vocation à concilier les droits des artistes interprètes avec ceux des producteurs, d'égale valeur ;

Attendu que, dès lors, la question se pose de savoir si les articles 2, b), 3, paragraphe 2, a), et 5 de la directive doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent au régime dérogatoire dont bénéficie l'INA en application de l'article 49, II, de la loi du 30 septembre 1986 ; que cette question est déterminante pour la solution du litige que doit trancher la Cour de cassation ; qu'elle présente une difficulté sérieuse ; qu'il y a lieu, par suite, de la renvoyer à la CJUE et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le premier moyen du pourvoi ;

Renvoie à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre à la question suivante :

Les articles 2, sous b), 3, paragraphe 2, a), et 5 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à ce qu'une réglementation nationale, telle que celle issue de l'article 49, II, de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, modifiée par l'article 44 de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006, instaure, au profit de l'Institut national de l'audiovisuel, bénéficiaire, sur les archives audiovisuelles, des droits d'exploitation des sociétés nationales de programme, un régime dérogatoire prévoyant que les conditions d'exploitation des prestations des artistes interprètes et les rémunérations auxquelles cette exploitation donne lieu sont régies par des accords conclus entre les artistes interprètes eux-mêmes ou les organisations de salariés représentatives des artistes interprètes et cet institut, ces accords devant notamment préciser le barème des rémunérations et les modalités de versement de ces rémunérations ?

Sursoit à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;

Renvoie la cause et les parties à l'audience du 2 juillet 2019.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : Mme Legoherel - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer -

Textes visés :

Articles 2, b), 3, § 2, a), et 5 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 ; article 49, II, de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 14 octobre 2015, pourvoi n° 14-19.917, Bull. 2015, I, n° 244 (cassation partielle).

Soc., 11 juillet 2018, n° 16-27.825, (P)

Sursis à statuer et renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne

Cour de justice de l'Union européenne – Question préjudicielle – Interprétation des actes pris par les institutions de l'Union – Directive n° 96/34/CE du Conseil du 3 juin 1996 – Clause 2, § 4 et § 6, de l'accord-cadre sur le congé parental annexé à la directive – Article L. 3123-13 du code du travail – Dispositions – Compatibilité – Détermination

Il convient de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante :

La clause 2, § 4 et § 6, de l'accord-cadre sur le congé parental, qui figure en annexe de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES, doit-elle être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à l'application à un salarié en congé parental à temps partiel au moment de son licenciement d'une disposition de droit interne telle que l'article L. 3123-13 du code du travail, alors applicable, selon lequel « L'indemnité de licenciement et l'indemnité de départ à la retraite du salarié ayant été occupé à temps complet et à temps partiel dans la même entreprise sont calculées proportionnellement aux périodes d'emploi accomplies selon l'une et l'autre de ces deux modalités depuis leur entrée dans l'entreprise » ?

Cour de justice de l'Union européenne – Question préjudicielle – Interprétation des actes pris par les institutions de l'Union – Directive n° 96/34/CE du Conseil du 3 juin 1996 – Clause 2, § 4 et § 6, de l'accord-cadre sur le congé parental annexé à la directive – Article R. 1233-32 du code du travail – Dispositions – Compatibilité – Détermination

Il convient de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : La clause 2, § 4 et § 6, de l'accord-cadre sur le congé parental, qui figure en annexe de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES, doit-elle être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à l'application à un salarié en congé parental à temps partiel au moment de son licenciement d'une disposition de droit interne telle que l'article R. 1233-32 du code du travail selon lequel, pendant la période du congé de reclassement excédant la durée du préavis, le salarié bénéficie d'une rémunération mensuelle à la charge de l'employeur, dont le montant est au moins égal à 65 % de sa rémunération mensuelle brute moyenne soumise aux contributions mentionnées à l'article L. 5422-9 au titre des douze derniers mois précédant la notification du licenciement ?

Cour de justice de l'Union européenne – Question préjudicielle – Interprétation des Traités – Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne – Article 157 – Principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins – Détermination – Portée

Dans l'hypothèse où une réponse affirmative serait apportée à l'une ou l'autre des deux questions précédentes, l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à des dispositions de droit interne telles que celles des articles L. 3123-13 du code du travail, alors applicable, et R. 1233-32 du même code, dans la mesure où un nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes choisissent de bénéficier d'un congé parental à temps partiel et que la discrimination indirecte qui en résulte quant à la perception d'une indemnité de licenciement et d'une allocation de congé de reclassement minorées par rapport aux salariés n'ayant pas pris un congé parental à temps partiel n'est pas justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ?

Sur le troisième moyen, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile :

Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

1. Mme A... Z... a été engagée le 22 novembre 1999 par la société Material Research, devenue la société Praxair MRC, en qualité d'assistante commerciale par un contrat de travail à durée déterminée à temps complet.

Par un avenant du 21 juillet 2000, son contrat de travail est devenu à durée indéterminée à compter du 1er août 2000. Elle exerçait en dernier lieu en qualité de responsable CSD (« customer service department »). Après avoir bénéficié d'un premier congé de maternité du 4 février 2001 au 19 août 2001 suivi d'un congé parental d'éducation du 6 septembre 2001 au 6 septembre 2003, elle a bénéficié d'un second congé de maternité du 6 novembre 2007 au 6 juin 2008 suivi d'un congé parental d'éducation à compter du 1er août 2008 devant se terminer le 29 janvier 2011 sous la forme d'une réduction d'un cinquième de sa durée de travail. Elle a été licenciée pour motif économique le 6 décembre 2010 dans le cadre d'un licenciement collectif et a accepté un congé de reclassement de neuf mois. Elle a renoncé à compter du 1er janvier 2011 à la réduction de sa durée du travail et a quitté définitivement l'entreprise le 7 septembre 2011. Elle a saisi la juridiction prud'homale le 30 septembre 2011 en contestant son licenciement et en formant diverses demandes, notamment en paiement d'une somme de 941,15 euros au titre d'un rappel d'indemnité de licenciement et d'une somme de 1 423,79 euros au titre d'un rappel de l'allocation de congé de reclassement. Ces deux demandes ont été rejetées par jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse du 12 septembre 2013.

2. Par arrêt du 14 octobre 2016, la cour d'appel de Toulouse a confirmé le rejet de ces demandes en énonçant, par motifs adoptés des premiers juges, sur la demande au titre d'un rappel d'indemnité de licenciement, que Mme Z... fait valoir que, selon une jurisprudence communautaire, lorsqu'un salarié en congé parental à temps partiel est licencié, l'indemnité de licenciement qui lui est due ne doit pas être déterminée sur la base d'un temps partiel, que c'est pourtant ce que la société Praxair MRC a fait en lui versant cette indemnité qui s'avère en conséquence insuffisante, laquelle devra lui verser un complément de 941,15 euros à ce titre ; que, cependant, selon la cour d'appel, l'article L. 3123-13 du code du travail dispose que « l'indemnité de licenciement et l'indemnité de départ à la retraite du salarié ayant été occupé à temps complet et à temps partiel dans la même entreprise sont calculées proportionnellement aux périodes d'emploi accomplies selon l'une et l'autre de ces deux modalités depuis leur entrée dans l'entreprise », qu'en droit français aucun autre texte légal ni aucun arrêt de la Cour de cassation ne fixe des règles différentes de celles énoncées par cet article et qu'en conséquence, il s'applique au calcul de l'indemnité de licenciement versée à Mme Z... qui sera déboutée de cette demande.

Sur la demande de rappel d'allocation de congé de reclassement, la cour d'appel a énoncé, par motifs également adoptés des premiers juges, que la salariée fait encore grief à la société Praxair MRC de ne pas avoir retenu sa rémunération habituelle sur la base de son temps complet tel que prévu au contrat de travail pour le calcul de l'allocation de reclassement qui lui a été versée de mars à septembre 2011 et réclame, à ce titre, un complément d'allocation d'un montant de 1423,79 euros, qu'elle se fonde à nouveau sur la même jurisprudence européenne évoquée à propos de l'indemnité de licenciement pour établir sa demande mais, selon la cour d'appel, qu'il n'y a pas plus de texte légal ou jurisprudentiel français fixant des règles autorisant un tel calcul et que Mme Z... sera également déboutée de cette demande.

3. Mme Z... a formé un pourvoi en cassation le 14 décembre 2016 à l'encontre de cet arrêt. Elle fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en paiement d'un rappel d'indemnité de licenciement et d'un complément d'allocation de congé de reclassement pour la période du 7 mars au 7 septembre 2011, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en application de la clause 2 point 6 de l'accord-cadre sur le congé parental conclu le 14 décembre 1995, mis en oeuvre par la directive 96/34/CE du Conseil le 3 juin 1996, l'indemnité de licenciement due à un salarié en congé parental à temps partiel, doit être déterminée sur la base de son contrat de travail à temps plein ; qu'en énonçant, pour débouter Mme Z... de sa demande en paiement d'un complément d'indemnité de licenciement, qu'en droit français, aucun autre texte légal que celui de l'article L. 3123-13 du code du travail ni aucun arrêt de la Cour de cassation ne fixait des règles différentes de celles énoncées par ce dernier article, la cour d'appel a violé la clause 2 point 6 de l'accord-cadre sur le congé parental conclu le 14 décembre 1995, mis en oeuvre par la directive 96/34/CE du Conseil le 3 juin 1996 ;

2°/ de la même manière, qu'en énonçant, pour débouter Mme Z... de sa demande en paiement d'un complément d'allocation de reclassement, qu'il n'y a pas de texte légal ni de jurisprudence en droit français, fixant des règles autorisant le calcul de l'allocation de reclassement sur la base du temps plein prévu par le contrat de travail d'un salarié en congé parental à temps partiel lors de son licenciement, la cour d'appel a de nouveau violé la clause 2 point 6 de l'accord-cadre sur le congé parental conclu le 14 décembre 1995, mis en oeuvre par la directive 96/34/CE du Conseil le 3 juin 1996.

4. La directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES, applicable au présent litige, devait être transposée en droit interne par les Etats membres au plus tard le 6 juin 1998. Elle a été abrogée à compter du 8 mars 2012 par la directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010 portant application de l'accord-cadre révisé sur le congé parental conclu par BUSINESSEUROPE, l'UEAPME, le CEEP et la CES, entrée en vigueur le 7 avril 2010 et dont le délai de transposition expirait le 8 mars 2012.

5. La clause 2, § 4, § 5, § 6 et § 7, de l'accord-cadre sur le congé parental dispose ainsi :

« 4. Afin d'assurer que les travailleurs puissent exercer leur droit au congé parental, les États membres et/ou les partenaires sociaux prennent les mesures nécessaires pour protéger les travailleurs contre le licenciement en raison de la demande ou de la prise de congé parental, conformément à la législation, aux conventions collectives ou aux pratiques nationales.

5. A l'issue du congé parental, le travailleur a le droit de retrouver son poste de travail ou, en cas d'impossibilité, un travail équivalent ou similaire conforme à son contrat ou à sa relation de travail.

6. Les droits acquis ou en cours d'acquisition par le travailleur à la date du début du congé parental sont maintenus dans leur état jusqu'à la fin du congé parental. À l'issue du congé parental, ces droits, y compris les changements provenant de la législation, de conventions collectives ou de la pratique nationale, s'appliquent.

7. Les États membres et/ou les partenaires sociaux définissent le régime du contrat ou de la relation de travail pour la période du congé parental. »

6. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (CJUE, 22 octobre 2009, Meerts, aff. C-116/08) que la clause 2, points 6 et 7, de l'accord-cadre sur le congé parental, conclu le 14 décembre 1995, qui figure en annexe de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES, telle que modifiée par la directive 97/75/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à ce que, en cas de résiliation unilatérale par l'employeur, sans motif grave ou sans respecter le délai légal de préavis, du contrat de travail d'un travailleur engagé à durée indéterminée et à temps plein alors que ce dernier bénéficie d'un congé parental à temps partiel, l'indemnité à verser à ce travailleur soit déterminée sur la base de la rémunération réduite qu'il perçoit lorsque le licenciement intervient.

La Cour de justice a précisé dans les motifs de cette même décision qu'il résulte des objectifs de l'accord-cadre sur le congé parental, que la notion de « droits acquis ou en cours d'acquisition » au sens de la clause 2, point 6, dudit accord-cadre recouvre l'ensemble des droits et des avantages, en espèces ou en nature, dérivés directement ou indirectement de la relation de travail, auxquels le travailleur peut prétendre à l'égard de l'employeur à la date du début du congé parental. Parmi de tels droits et avantages figurent tous ceux relatifs aux conditions d'emploi, tel le droit d'un travailleur à temps plein bénéficiant d'un congé parental à temps partiel à une période de préavis en cas de résiliation unilatérale par l'employeur d'un contrat à durée indéterminée, dont la durée est fonction de l'ancienneté du travailleur dans l'entreprise et dont le but est de faciliter la recherche d'un nouvel emploi (points 43 et 44).

7. Par ailleurs, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, s'agissant d'une indemnité forfaitaire « de protection », égale à six mois de rémunération, versée au salarié en cas de rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur sans motif grave ou suffisant (CJUE, 27 février 2014, Lyreco Belgium, aff. C-588/12), que la clause 2, point 4, de l'accord-cadre sur le congé parental, conclu le 14 décembre 1995, qui figure en annexe de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES, telle que modifiée par la directive 97/75/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, lue à la lumière tant des objectifs poursuivis par cet accord-cadre que du point 6 de la même clause, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à ce que l'indemnité forfaitaire de protection due à un travailleur bénéficiant d'un congé parental à temps partiel, en cas de résiliation unilatérale par l'employeur, sans motif grave ou suffisant, du contrat de ce travailleur qui a été engagé à durée indéterminée et à temps plein, soit déterminée sur la base de la rémunération réduite perçue par ce dernier à la date de son licenciement.

La Cour de justice a précisé dans les motifs de cette même décision, que, lorsqu'un travailleur engagé dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée et à temps plein a été licencié illégalement, comme dans l'affaire au principal, pendant la durée du congé parental à temps partiel dont il bénéficiait, une indemnité forfaitaire de protection, telle que celle prévue par la réglementation belge, doit, pour être conforme aux exigences de l'accord-cadre, être déterminée sur la base de la rémunération afférente aux prestations de travail à temps plein de ce travailleur (point 47).

8. Aucune mesure de transposition de la directive 96/34/CE du Conseil du 3 juin 1996 n'a été communiquée par la France selon le site EUR-Lex. Toutefois, s'agissant de l'indemnité de licenciement, l'article L. 1234-9 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, dispose :

« Le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte une année d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. »

Est applicable également l'article R. 1234-4 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n° 2008-244 du 7 mars 2008, aux termes duquel :

« Le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :

1° Soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement ;

2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion ».

Par ailleurs, l'article L. 3123-13 du code du travail, applicable au présent litige (anciennement L. 212-4-5 et désormais L. 3123-5, dernier alinéa, du code du travail), dispose :

« L'indemnité de licenciement et l'indemnité de départ à la retraite du salarié ayant été occupé à temps complet et à temps partiel dans la même entreprise sont calculées proportionnellement aux périodes d'emploi accomplies selon l'une et l'autre de ces deux modalités depuis leur entrée dans l'entreprise ».

Il en résulte, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, que, pour déterminer le montant de l'indemnité de licenciement, il convient de tenir compte de la période de travail à temps complet et de calculer cette indemnité proportionnellement aux périodes de travail à temps complet et à temps partiel (Soc., 16 avril 2015, pourvoi n° 13-27.905 ; Soc., 1 avril 2003, pourvoi n° 00-41.428).

Les articles du code du travail relatifs au congé parental d'éducation et au passage à temps partiel (articles L. 1225-47 à L. 1225-60 et R. 1225-12 à R. 1225-13) ne contiennent pas de dispositions spécifiques relatives au calcul de l'indemnité de licenciement.

9. S'agissant de l'allocation de congé de reclassement, l'article L. 1233-71 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, dispose :

« Dans les entreprises ou les établissements de mille salariés et plus, ainsi que dans les entreprises mentionnées à l'article L. 2331-1 et celles mentionnées à l'article L. 2341-4, dès lors qu'elles emploient au total au moins mille salariés, l'employeur propose à chaque salarié dont il envisage de prononcer le licenciement pour motif économique un congé de reclassement qui a pour objet de permettre au salarié de bénéficier d'actions de formation et des prestations d'une cellule d'accompagnement des démarches de recherche d'emploi.

La durée du congé de reclassement ne peut excéder neuf mois.

Ce congé débute, si nécessaire, par un bilan de compétences qui a vocation à permettre au salarié de définir un projet professionnel et, le cas échéant, de déterminer les actions de formation nécessaires à son reclassement. Celles-ci sont mises en oeuvre pendant la période prévue au premier alinéa.

L'employeur finance l'ensemble de ces actions. »

L'article L. 1233-72 du code du travail prévoit quant à lui :

« Le congé de reclassement est pris pendant le préavis, que le salarié est dispensé d'exécuter.

Lorsque la durée du congé de reclassement excède la durée du préavis, le terme de ce dernier est reporté jusqu'à la fin du congé de reclassement.

Le montant de la rémunération qui excède la durée du préavis est égal au montant de l'allocation de conversion mentionnée au 3° de l'article L. 5123-2.

Les dispositions des articles L. 5123-4 et L. 5123-5 sont applicables à cette rémunération ».

Enfin, les modalités de rémunération du congé de reclassement sont fixées par l'article R. 1233-32 du code du travail aux termes duquel :

« Pendant la période du congé de reclassement excédant la durée du préavis, le salarié bénéficie d'une rémunération mensuelle à la charge de l'employeur.

Le montant de cette rémunération est au moins égal à 65 % de sa rémunération mensuelle brute moyenne soumise aux contributions mentionnées à l'article L. 5422- 9 au titre des douze derniers mois précédant la notification du licenciement.

Il ne peut être inférieur à un salaire mensuel égal à 85 % du produit du salaire minimum de croissance prévu à l'article L. 3231-2 par le nombre d'heures correspondant à la durée collective de travail fixée dans l'entreprise.

Il ne peut non plus être inférieur à 85 % du montant de la garantie de rémunération versée par l'employeur en application des dispositions de l'article 32 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail.

Chaque mois, l'employeur remet au salarié un bulletin précisant le montant et les modalités de calcul de cette rémunération ».

10. Se pose dès lors la question de savoir si la clause 2, § 4 et § 6 de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à l'application à un salarié en congé parental à temps partiel au moment de son licenciement d'une disposition de droit interne telle que l'article L. 3123-13 du code du travail, alors applicable, selon lequel « L'indemnité de licenciement et l'indemnité de départ à la retraite du salarié ayant été occupé à temps complet et à temps partiel dans la même entreprise sont calculées proportionnellement aux périodes d'emploi accomplies selon l'une et l'autre de ces deux modalités depuis leur entrée dans l'entreprise ».

11. Se pose également la question de savoir si la clause 2, § 4 et § 6 de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à l'application à un salarié en congé parental à temps partiel au moment de son licenciement d'une disposition de droit interne telle que l'article R. 1233-32 du code du travail selon lequel, pendant la période du congé de reclassement excédant la durée du préavis, le salarié bénéficie d'une rémunération mensuelle à la charge de l'employeur, dont le montant est au moins égal à 65 % de sa rémunération mensuelle brute moyenne soumise aux contributions mentionnées à l'article L. 5422-9 au titre des douze derniers mois précédant la notification du licenciement.

12. En effet, il n'apparaît pas certain que la clause 2 § 6 de la directive précitée soit applicable à l'allocation de congé de reclassement qui est versée postérieurement au licenciement du salarié. Néanmoins, la Cour de justice a précisé dans les motifs de l'arrêt Meerts précité que parmi les droits et avantages dérivés directement ou indirectement de la relation de travail, auxquels le travailleur peut prétendre à l'égard de l'employeur à la date du début du congé parental, figurent tous ceux relatifs aux conditions d'emploi, tel le droit d'un travailleur à temps plein bénéficiant d'un congé parental à temps partiel à une période de préavis en cas de résiliation unilatérale par l'employeur d'un contrat à durée indéterminée, dont la durée est fonction de l'ancienneté du travailleur dans l'entreprise et dont le but est de faciliter la recherche d'un nouvel emploi (point 44).

13. Dans l'hypothèse où la Cour de justice de l'Union européenne estimerait que la réponse à l'une ou l'autre des questions précitées est positive, compte tenu de l'absence d'effet direct des directives dans les litiges entre particuliers, la Cour de cassation serait tenue de prendre en considération l'ensemble de son droit national aux fins d'une interprétation conforme (CJCE, 16 juillet 2009, Mono Car Styling, aff. C-12/08). Toutefois, une interprétation conforme de l'article L. 3123-13 du code du travail à la lumière de la directive 96/34 pourrait se heurter à l'impossibilité de faire une interprétation contra legem.

Par ailleurs, bien que la Cour de cassation ait jugé (Soc., 23 mai 2017, pourvoi n° 15-22.223, publié), s'agissant des dispositions de l'article R. 1234-4 du code du travail, rédigées de façon similaire à celles de l'article R. 1233-32 du même code, qu'eu égard au principe de non-discrimination en raison de l'état de santé, le salaire de référence à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité légale ou conventionnelle de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, celui des douze ou des trois derniers mois précédant l'arrêt de travail pour maladie, la possibilité d'une interprétation conforme de l'article R. 1233-32 du code du travail à la lumière de la clause 2 § 4 et 6 de la directive 96/34 n'est pas certaine.

14. Par ailleurs, est applicable au présent litige l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dans la mesure où, aux termes du deuxième alinéa de ce texte, on entend par rémunération le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimal, et tous les avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier. Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne (notamment CJCE, 17 mai 1990, Barber, aff. C-262/88), que les indemnités octroyées au travailleur à l'occasion de son licenciement constituent une forme de rémunération à laquelle le travailleur a droit en raison de son emploi, qui lui est versée au moment de la cessation de la relation de travail, qui permet de faciliter son adaptation aux circonstances nouvelles résultant de la perte de son emploi et qui lui assure une source de revenus pendant la période de recherche d'un nouveau travail, et qu'il s'ensuit que des indemnités octroyées au travailleur à l'occasion de son licenciement entrent dans la notion de rémunération au sens de l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

15. Cet article 157 a été déclaré d'effet direct par la Cour de justice (CJCE, 8 avril 1976, Defrenne II, aff. 43/75, Rec. p. 455). Cette disposition prohibe les discriminations tant directes qu'indirectes (CJCE, 13 juillet 1989, Rinner-Kühn, aff. 171/88, Rec. p. 2743 ; 13 décembre 1989, Ruzius-Wilbrink, aff. C-102/88, Rec. p. 4311).

Selon l'avocat général à la Cour de cassation, il résulte des statistiques nationales de mars 2016 qu'en France, 96 % des salariés prenant un congé parental sont des femmes.

Par ailleurs, la Cour de justice, dans un arrêt du 20 juin 2013, relatif au congé parental, a déjà identifié l'existence d'une discrimination indirecte en la matière (CJUE, 20 juin 2013, Nadezda Riezniece, aff. C-7/12) en rappelant que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il y a discrimination indirecte lorsque l'application d'une mesure nationale, bien que formulée de façon neutre, désavantage en fait un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d'hommes (point 39).

16. La Cour de justice de l'Union européenne a par ailleurs jugé, dans l'arrêt Meerts précité, que l'accord-cadre sur le congé parental participe des objectifs fondamentaux inscrits au point 16 de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs relatif à l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, à laquelle renvoie cet accord-cadre et qui est également mentionnée à l'article 136 du traité CE, objectifs qui sont liés à l'amélioration des conditions de vie et de travail ainsi qu'à l'existence d'une protection sociale adéquate des travailleurs, en l'occurrence ceux ayant demandé ou pris un congé parental (point 37). Elle a de même jugé (CJUE, arrêt du 7 septembre 2017, H. Contre Land Berlin, aff. C-174/16), que le principe d'égalité entre femmes et hommes, notamment en matière d'emploi, de travail et de rémunération, d'une part, et le droit à un congé parental aux fins de pouvoir concilier vie familiale et professionnelle, d'autre part, sont respectivement consacrés aux articles 23 et 33, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (point 31).

17. Toutefois, on ne saurait exclure l'existence en la matière, s'agissant des dispositions de l'article L. 3123-13 du code du travail, d'éléments objectifs justifiant la discrimination indirecte dans la mesure où, selon la clause 4 § 1 et § 2 de l'accord-cadre sur le travail à temps partiel annexé à la directive 97/81/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant l'accord-cadre sur le travail à temps partiel conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES, pour ce qui concerne les conditions d'emploi, les travailleurs à temps partiel ne sont pas traités d'une manière moins favorable que les travailleurs à temps plein comparables au seul motif qu'ils travaillent à temps partiel, à moins qu'un traitement différent soit justifié par des raisons objectives (§ 1) et, lorsque c'est approprié, le principe du prorata temporis s'applique (§ 2).

L'article L. 3123-13 du code du travail intègre en droit français ce principe de proratisation, dans l'objectif d'assurer l'égalité de traitement entre salariés à temps plein et salariés à temps partiel. Néanmoins, dans son arrêt Meerts précité, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que si, pendant qu'il bénéficie d'un congé parental à temps partiel, un travailleur engagé dans le cadre d'un contrat de travail à temps plein n'accomplit pas le même nombre d'heures de travail qu'un travailleur qui est en activité à temps plein, toutefois cette circonstance ne signifie pas que l'un et l'autre se trouvent dans une situation différente par rapport au contrat de travail initial qui les lie à leur employeur, qu'en effet, pendant qu'il bénéficie d'un congé parental à temps partiel, le travailleur engagé à temps plein continue à acquérir de l'ancienneté dans l'entreprise, qui est prise en compte pour le calcul du délai légal de préavis en cas de licenciement, comme s'il n'avait pas réduit ses prestations (points 51 et 52). Elle a précisé par ailleurs que la période pendant laquelle un travailleur à temps plein qui bénéficie d'un congé parental à temps partiel effectue son travail est limitée dans le temps, et que, dans l'un et l'autre cas mis en parallèle par le gouvernement concerné, la résiliation unilatérale par l'employeur porterait sur un contrat de travail à temps plein (points 54 et 55).

18. Se pose dès lors la question de savoir si l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à des dispositions de droit interne telles que celles des articles L. 3123-13 du code du travail, alors applicable, et R. 1233-32 du même code, dans la mesure où un nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes choisissent de bénéficier d'un congé parental à temps partiel et que la discrimination indirecte qui en résulte quant à la perception d'une indemnité de licenciement et d'une allocation de congé de reclassement minorées par rapport aux salariés n'ayant pas pris un congé parental à temps partiel n'est pas justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

PAR CES MOTIFS :

RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne les questions suivantes :

1°) la clause 2, § 4 et § 6, de l'accord-cadre sur le congé parental, qui figure en annexe de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES, doit-elle être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à l'application à un salarié en congé parental à temps partiel au moment de son licenciement d'une disposition de droit interne telle que l'article L. 3123-13 du code du travail, alors applicable, selon lequel « L'indemnité de licenciement et l'indemnité de départ à la retraite du salarié ayant été occupé à temps complet et à temps partiel dans la même entreprise sont calculées proportionnellement aux périodes d'emploi accomplies selon l'une et l'autre de ces deux modalités depuis leur entrée dans l'entreprise » ?

2°) la clause 2, § 4 et § 6, de l'accord-cadre sur le congé parental, qui figure en annexe de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES, doit-elle être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à l'application à un salarié en congé parental à temps partiel au moment de son licenciement d'une disposition de droit interne telle que l'article R. 1233-32 du code du travail selon lequel, pendant la période du congé de reclassement excédant la durée du préavis, le salarié bénéficie d'une rémunération mensuelle à la charge de l'employeur, dont le montant est au moins égal à 65 % de sa rémunération mensuelle brute moyenne soumise aux contributions mentionnées à l'article L. 5422-9 au titre des douze derniers mois précédant la notification du licenciement ?

3°) dans l'hypothèse où une réponse affirmative serait apportée à l'une ou l'autre des deux questions précédentes, l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à des dispositions de droit interne telles que celles des articles L. 3123-13 du code du travail, alors applicable, et R. 1233-32 du même code, dans la mesure où un nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes choisissent de bénéficier d'un congé parental à temps partiel et que la discrimination indirecte qui en résulte quant à la perception d'une indemnité de licenciement et d'une allocation de congé de reclassement minorées par rapport aux salariés n'ayant pas pris un congé parental à temps partiel n'est pas justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ? ;

SURSOIT à statuer sur le pourvoi jusqu'à ce que la Cour de justice se soit prononcée.

- Président : M. Frouin - Rapporteur : Mme Leprieur - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot ; SCP Gatineau et Fattaccini -

Textes visés :

Directive n° 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996 ; article L. 3123-13 du code du travail dans sa rédaction applicable ; directive n° 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996 ; article R. 1233-32 du code du travail dans sa rédaction applicable ; article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; articles L. 3123-13 et R. 1233-32 du code du travail dans leur rédaction applicable.

1re Civ., 11 juillet 2018, n° 17-20.154, (P)

Rejet

Responsabilité du fait des produits défectueux – Directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 – Domaine d'application – Rapports avec les autres régimes de responsabilité – Détermination – Portée

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 30 mars 2017), que, le 25 juin 2008, un incendie a détruit un bâtiment d'exploitation appartenant à M. X... et assuré par la société Mutuelles du Mans IARD (l'assureur) ; que, le dommage ayant été imputé à une surtension accidentelle sur le réseau électrique et à l'explosion d'un transformateur situé à proximité de la propriété de M. X..., ce dernier et l'assureur ont, par acte du 14 juin 2013, assigné sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1, devenu 1242, alinéa 1, du code civil, la société ERDF, qui leur a opposé la prescription de leur action, en se prévalant de l'application de la responsabilité du fait des produits défectueux, régie par les articles 1386-1 et suivants, devenus 1245-1 et suivants du même code ;

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche, qui est préalable et recevable comme étant de pur droit :

Attendu que M. X... et l'assureur font grief à l'arrêt de se fonder sur le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux et de déclarer leur action irrecevable comme prescrite, alors, selon le moyen, que la réparation des dommages causés à une chose destinée à l'usage professionnel et utilisée pour cet usage ne relevant pas du domaine de la directive du CEE du 25 juillet 1985, la victime est libre d'agir sur le fondement de la responsabilité de droit commun ; qu'en l'espèce, en écartant le fondement de la responsabilité du fait des choses qu'ils invoquaient au profit de celui de la responsabilité du fait des produits défectueux, quand elle constatait que les dommages nés de la surtension avaient été causés à un bâtiment d'exploitation agricole, c'est-à-dire à un bien affecté à un usage professionnel, la cour d'appel a violé les articles 1386-18 et 1384, alinéa 1, du code civil dans leur version applicable antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Mais attendu, d'abord, que, d'une part, selon l'article 9 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, les dispositions de celle-ci s'appliquent à la réparation du dommage causé par la mort ou par des lésions corporelles et au dommage causé à une chose ou la destruction d'une chose, autre que le produit défectueux lui-même, sous déduction d'une franchise, à condition que cette chose soit d'un type normalement destiné à l'usage ou à la consommation privés et ait été utilisée par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privés ; que, d'autre part, l'article 1386-2, devenu 1245-1 du code civil, issu de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998, transposant l'article 9 de cette directive, énonce que les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne ainsi qu'à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ; que, dès lors, le législateur national n'a pas limité le champ d'application de ce régime de responsabilité à la réparation du dommage causé à un bien destiné à l'usage ou à la consommation privés et utilisé à cette fin ;

Attendu, ensuite, que si, par une décision du 4 juin 2009 (Moteurs Leroy Somer, C-285/08), rendue sur une question préjudicielle renvoyée par la Cour de cassation (Com., 24 juin 2008, pourvoi n° 07-11.744, Bull. 2008, IV, n° 128), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la réparation des dommages causés à une chose destinée à l'usage professionnel et utilisée pour cet usage ne relève pas du champ d'application de la directive précitée, elle a précisé que celle-ci doit être interprétée en ce sens qu'elle ne s'oppose pas à l'interprétation d'un droit national ou à l'application d'une jurisprudence interne établie selon lesquelles la victime peut demander réparation du dommage causé à une chose destinée à l'usage professionnel et utilisée pour cet usage, dès lors que cette victime rapporte seulement la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage ;

Attendu qu'il en résulte qu'en l'absence de limitation du droit national, l'article 1386-2, devenu 1245-1 du code civil s'applique au dommage causé à un bien destiné à l'usage professionnel ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur la première branche du moyen :

Attendu que M. X... et l'assureur font grief à l'arrêt d'écarter le fondement de la responsabilité du fait des choses et de déclarer leur action irrecevable comme prescrite alors, selon le moyen, que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut l'application d'autres régimes de responsabilité que s'ils sont fondés sur le défaut d'un produit qui n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ; que le régime de la responsabilité du fait des choses n'est pas fondé sur le défaut d'un produit qui n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre mais sur le fait de la chose ; qu'en retenant que l'action en responsabilité du fait des produits défectueux et l'action en responsabilité du fait des choses présentaient le même fondement, à savoir la défectuosité de l'électricité à l'origine de l'incendie du bâtiment d'exploitation agricole appartenant à M. X..., la cour d'appel a violé les articles 1386-18 et 1384, alinéa 1, du code civil dans leur version applicable antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Mais attendu que si, selon l'article 1386-18, devenu l'article 1245-17 du code civil, le régime de responsabilité du fait des produits défectueux ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extra contractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents, tels la garantie des vices cachés ou la faute (CJCE, arrêt du 25 avril 2002, González Sánchez, C-183/00, point 31) ; que tel n'est pas le cas de l'action en responsabilité du fait des choses, prévue à l'article 1384, alinéa 1, devenu 1242, alinéa 1, du code civil qui, lorsqu'elle est invoquée à l'encontre du producteur après la mise en circulation du produit, procède nécessairement d'un défaut de sécurité ;

Et attendu qu'après avoir exactement énoncé que l'action en responsabilité du fait des choses intentée par M. X... et l'assureur ne pouvait être considérée comme reposant sur un fondement différent de l'action en responsabilité du fait des produits défectueux, de sorte qu'était applicable au litige ce régime de responsabilité, la cour d'appel n'a pu qu'en déduire que l'action, intentée plus de trois ans après la connaissance de l'origine électrique du sinistre, était prescrite ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Duval-Arnould - Avocat général : Mme Legoherel - Avocat(s) : Me Le Prado ; SCP Coutard et Munier-Apaire -

Textes visés :

Article 1386-2, devenu 1245-1 du code civil ; article 1386-18, devenu 1245-17 du code civil ; article 1384, alinéa 1, devenu 1242, alinéa 1, du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur l'extension, en vertu du droit national, du champ d'application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux à la réparation du dommage causé à un bien destiné à l'usage professionnel, cf. : CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Moteurs Leroy Somer, C-285/08. Sur le champ d'application de la responsabilité du fait des produits défectueux, à rapprocher : 1re Civ., 11 janvier 2017, pourvoi n° 16-11.726, Bull. 2017, I, n° 15 (1) (cassation partielle), et les arrêts cités. Sur l'articulation du régime spécial de la responsabilité du fait des produits défectueux avec les autres régimes de responsabilité, cf. : CJCE, arrêt du 25 avril 2002, González Sánchez, C-183/00. Sur les champs d'application respectifs des régimes de la responsabilité du fait des produits défectueux et des autres responsabilités, à rapprocher : Com., 26 mai 2010, pourvoi n° 08-18.545, Bull. 2010, IV, n° 99 (rejet) ; 1re Civ., 17 mars 2016, pourvoi n° 13-18.876, Bull. 2016, I, n° 68 (rejet), et l'arrêt cité.

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