Numéro 7 - Juillet 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2018

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE

1re Civ., 11 juillet 2018, n° 17-22.381, (P)

Cassation

Respect de la vie privée – Atteinte – Défaut – Cas – Révélation de l'orientation sexuelle d'une personnalité politique dans un ouvrage portant sur un sujet d'intérêt général

Si toute personne, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, a droit au respect de sa vie privée (1re Civ., 27 février 2007, pourvoi n° 06-10.393, Bull. 2007, I, n° 85), le fait d'exercer une fonction publique ou de prétendre à un rôle politique expose nécessairement à l'attention du public, y compris dans des domaines relevant de la vie privée, de sorte que certains actes privés de personnes publiques peuvent ne pas être considérées comme tels, en raison de l'impact qu'ils peuvent avoir, eu égard au rôle de ces personnes sur la scène politique ou sociale et de l'intérêt que le public peut avoir, en conséquence, à en prendre connaissance (CEDH, arrêt du 10 novembre 2015, Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France [GC], n° 40454/07, § 120).

Dès lors, viole les articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil une cour d'appel qui accueille la demande formée par le secrétaire général d'un parti politique aux fins d'obtenir réparation de l'atteinte à sa vie privée résultant de la révélation, dans un ouvrage, de son homosexualité, alors, selon ses propres constatations, que, d'une part, les interrogations de l'auteur de cet ouvrage sur l'évolution de la doctrine d'un parti politique, présenté comme plutôt homophobe à l'origine, et l'influence que pourrait exercer, à ce titre, l'orientation sexuelle de plusieurs de ses membres dirigeants, relevaient d'un débat d'intérêt général et que, d'autre part, l'intéressé était devenu un membre influent de ce parti dans la région Nord-pas-de-Calais.

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et 9 du code civil ;

Attendu que le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d'expression revêtent une même valeur normative ; qu'il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime ; que, pour procéder à la mise en balance des droits en présence, il y a lieu de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet de cette publication, le comportement antérieur de la personne concernée, ainsi que le contenu, la forme et les répercussions de la publication (CEDH, arrêt du 10 novembre 2015, Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France [GC], n° 40454/07, § 93 ; 1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 16-28.741, publié) ; qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que se rapportent à un débat d'intérêt général les questions qui touchent le public dans une mesure telle qu'il peut légitimement s'y intéresser, qui éveillent son attention ou le préoccupent sensiblement, notamment parce qu'elles concernent le bien-être des citoyens ou la vie de la collectivité (arrêt Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France, précité, § 103) ; que tel est le cas également des questions qui sont susceptibles de créer une forte controverse, qui portent sur un thème social important ou encore qui ont trait à un problème dont le public aurait intérêt à être informé (ibid.) ; que, si toute personne, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, a droit au respect de sa vie privée (1re Civ., 27 février 2007, pourvoi n° 06-10.393, Bull. 2007, I, n° 85), le fait d'exercer une fonction publique ou de prétendre à un rôle politique expose nécessairement à l'attention du public, y compris dans des domaines relevant de la vie privée, de sorte que certains actes privés de personnes publiques peuvent ne pas être considérés comme tels, en raison de l'impact qu'ils peuvent avoir, eu égard au rôle de ces personnes sur la scène politique ou sociale et de l'intérêt que le public peut avoir, en conséquence, à en prendre connaissance (arrêt Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France, précité, § 120) ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'invoquant l'atteinte portée à sa vie privée du fait de la révélation de son homosexualité dans l'ouvrage intitulé « Le Front national des villes et le Front national des champs », M. Z..., alors secrétaire général du Front national, a assigné M. Y..., son auteur, aux fins d'obtenir réparation du préjudice en résultant ;

Attendu que, pour accueillir sa demande, après avoir relevé que l'auteur de l'ouvrage litigieux s'interroge sur les motifs de l'évolution du Front national, s'agissant, notamment, de son positionnement dans le débat relatif au mariage des personnes de même sexe et, plus généralement, de la lutte contre l'homophobie, l'arrêt énonce que, pour illustrer sa démonstration, il ne pouvait choisir de révéler l'orientation sexuelle de M. Z... en partant du principe, pour le moins sommaire, que celui-ci avait participé, du fait de son appartenance à la communauté homosexuelle, à la prise de position du parti relative au projet de loi sur le mariage pour tous ; qu'il en déduit que cette révélation n'est pas justifiée par le droit à l'information légitime du public, ni proportionnée à la gravité de l'atteinte portée à la sphère la plus intime de sa vie privée ;

Qu'en statuant ainsi, alors, selon ses propres constatations, que, d'une part, les interrogations de l'auteur sur l'évolution de la doctrine d'un parti politique, présenté comme plutôt homophobe à l'origine, et l'influence que pourrait exercer, à ce titre, l'orientation sexuelle de plusieurs de ses membres dirigeants, relevaient d'un débat d'intérêt général et que, d'autre part, M. Z... était devenu un membre influent de ce parti dans la région Nord-Pas-de-Calais, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la deuxième branche, à laquelle M. Y... a déclaré renoncer, et sur la troisième branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 mai 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : Mme Legoherel - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau ; SCP Le Griel -

Textes visés :

Articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 9 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 9 avril 2015, pourvoi n° 14-14.146, Bull. 2015, I, n° 85 (rejet).

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