Numéro 7 - Juillet 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2018

Partie III - Décisions du Tribunal des conflits

JUGEMENTS ET ARRETS

Tribunal des conflits, 2 juillet 2018, n° 18-04.123, (P)

Voies de recours – Loi applicable – Loi en vigueur au jour où la décision a été rendue – Portée – Détermination

Vu l'expédition de l'arrêt du 21 mars 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, saisie d'une demande de la Fédération nationale du personnel de l’encadrement de l’informatique, des études, du conseil et de l'ingénierie CFE-CGC (FIECI CFE-CGC), du Syndicat national de l’encadrement des professions de l'ingénierie (SNEPSSI CFE-CGC) et du syndicat CGT Sopra Steria tendant à l’annulation de la décision du 30 juillet 2015 de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) de la région Ile-de-France, en ce qu’elle considère que la société Sopra Steria Group forme un seul établissement pour les élections du comité d’entreprise, et de la décision implicite de rejet de leur recours hiérarchique par le ministre du travail,a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 32 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu le jugement du 29 janvier 2016, devenu irrévocable à la suite du rejet du pourvoi par arrêt de la Cour de cassation du 1er février 2017, par lequel le tribunal d'instance du 16ème arrondissement de Paris s’est déclaré incompétent pour connaître de ce litige ;

Vu le mémoire déposé pour la société Sopra Steria Group tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente pour connaître du litige, par les motifs que les dispositions des articles 267 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 et 18 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ne sont pas applicables aux recours introduits antérieurement à leur entrée en vigueur, dès lors que, d’une part, elles ont eu pour effet de modifier les voies de recours ouvertes aux parties intéressées et les délais impartis pour contester une décision prise par l'autorité administrative en application de l'article L. 2322-5 du code du travail, qui, selon elle, constitue le fondement de la partie critiquée de la décision litigieuse, comme de l'article L. 2327-7 du même code, et que, d'autre part, les dispositions d’une loi nouvelle qui opèrent une modification de la juridiction compétente pour connaître d'un recours en supprimant le droit d’exercer un recours administratif préalable ne sont pas applicables aux décisions prises avant leur entrée en vigueur ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée au ministre du travail, au syndicat CGT Sopra Steria, au SNEPSSI CFE-CGC, à la FIECI CFE-CGC et à la DIRECCTE de la région Ile-de-France, qui n’ont pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code du travail ;

Considérant que des négociations ont été ouvertes avec les organisations syndicales, après qu'une unité économique et sociale regroupant les sociétés Sopra Steria Group, Sopra Banking Software, Sopra HR Software, Sopra Steria Infrastructure & Security Services, Beamap et Axway Software a été reconnue par convention ; que ces négociations n’ayant pas abouti, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de la région Ile-de-France a été saisie pour déterminer le nombre et les périmètres des établissements distincts, tant pour les élections du comité d’entreprise que pour celles des délégués du personnel ; que, par décision du 30 juillet 2015, notifiée le 3 août suivant, elle a, notamment, dit que la société Sopra Steria Group devait être regardée comme un seul établissement pour les élections du comité d’entreprise ; que la Fédération nationale du personnel de l’encadrement de l’informatique, des études, du conseil et de l’ingénierie CFE-CGC (FIECI CFE-CGC), le Syndicat national de l’encadrement des professions de l’ingénierie (SNEPSSI CFE-CGC) et le syndicat CGT Sopra Steria ont formé un recours hiérarchique, puis ont saisi la juridiction judiciaire aux fins d’annulation de cette décision, en tant qu’elle a dit que la société Sopra Steria Group ne constituait qu’un seul établissement ; que, par jugement du 29 janvier 2016, devenu irrévocable à la suite du rejet du pourvoi par arrêt de la Cour de cassation du 1er février 2017, le tribunal d’instance du 16ème arrondissement de Paris a constaté son incompétence et renvoyé les parties à mieux se pourvoir ; que, par requête du 7 février 2016, la FIECI CFE-CGC, le SNEPSSI CFE-CGC et le syndicat CGT Sopra Steria ont saisi le tribunal administratif de Paris d’une demande en annulation de la partie critiquée de la décision du 30 juillet 2015, ainsi que de la décision implicite de rejet de leur recours hiérarchique ; que, par ordonnance du 9 août 2016, cette requête a été rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ; que, par arrêt du 21 mars 2018, la cour administrative d’appel de Paris a, par application de l'article 32 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, renvoyé au Tribunal le soin de décider sur la question de compétence ;

Considérant que, si le droit de former un recours contre une décision est définitivement fixé au jour où cette décision est rendue, les règles qui régissent les formes dans lesquelles le recours doit être introduit et jugé, y compris celles relatives à la compétence des juridictions et aux pouvoirs des juges, ne sont pas, à la différence des voies selon lesquelles ce droit peut être exercé ainsi que des délais qui sont impartis à cet effet aux intéressés, des éléments constitutifs de ce droit ; qu’ainsi, et à moins qu’une disposition expresse y fasse obstacle, un texte modifiant les règles qui déterminent la juridiction compétente s'applique, dès son entrée en vigueur, aux recours introduits avant cette date ;

Considérant que la décision de la DIRECCTE de la région Ile-de-France en date du 30 juillet 2015, en tant qu'elle a dit que la société Sopra Steria Group constituait un seul établissement pour les élections du comité d’entreprise, a été prise sur le fondement non pas de l'article L. 2327-7 du code du travail, mais de l'article L. 2322-5 du même code qui, jusqu’à son abrogation par l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, s’appliquait à la détermination, par l’autorité administrative, de l’existence et du nombre d’établissements distincts nécessaires à la constitution des comités d’établissement ;

Considérant que l'article 18, III, de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, entrée en vigueur le 10 août suivant, a complété ce texte par un alinéa rédigé en ces termes : « La décision de l'autorité administrative peut faire l'objet d'un recours devant le juge judiciaire, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux » ; que cette règle nouvelle, qui transfère de l’ordre administratif vers l’ordre judiciaire la compétence pour connaître des recours contre les décisions prises par l’autorité administrative sur le fondement de l'article L. 2322-5 du code du travail, ne porte pas en elle-même atteinte à la substance du droit au recours des parties intéressées ; que, dès lors, elle s’applique au recours formé contre la décision prise par la DIRECCTE de la région Ile-de-France le 30 juillet 2015 ; qu’il résulte de ce qui précède qu’il appartient à la juridiction judiciaire de connaître du litige ;

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant la FIECI CFE-CGC, le SNEPSSI CFE-CGC et le syndicat CGT Sopra Steria à la société Sopra Steria Group et à la DIRECCTE de la région Ile-de-France.

Article 2 :

Le jugement du tribunal d'instance du 16ème arrondissement de Paris en date du 29 janvier 2016 est déclaré nul et non avenu.

La cause et les parties sont renvoyées devant ce tribunal.

Article 3 :

La procédure suivie devant la cour administrative d’appel de Paris est déclarée nulle et non avenue, à l’exception de l’arrêt rendu par cette cour le 21 mars 2018.

- Président : M. Maunand - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Daumas (Rapporteur public) - Avocat(s) : SCP Capron -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret du 26 octobre 1849 modifié ; articles L. 2327-7 et L. 2322-5 du code du travail.

Rapprochement(s) :

CE, 26 janvier 2015, n° 373715, mentionné aux tables du Recueil Lebon ; Avis de la Cour de cassation, 29 novembre 1993, n° 09-30.014, Bull. 1993, Avis, n° 17 ; Com., 12 avril 2016, pourvoi n° 14-17.439, Bull. 2016, IV, n° 63 (cassation), et les arrêts cités.

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