Numéro 7 - Juillet 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2018

INTERETS

Com., 4 juillet 2018, n° 17-13.128, (P)

Rejet

Anatocisme – Possibilité – Cas – Crédit immobilier – Déchéance du droit aux intérêts du prêteur

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 10 novembre 2016), que selon une offre du 13 juin 2007, acceptée le 25 suivant, la société Crédit immobilier de France Rhône-Alpes Auvergne, aux droits de laquelle vient la société Crédit immobilier de France développement (la banque), a, par acte authentique du 25 juillet 2007 reçu par M. A... (le notaire), consenti à M. et Mme Y... un prêt d'un montant de 243 974 euros, destiné à financer l'acquisition en l'état futur d'achèvement d'un appartement à usage locatif, réalisée, dans le cadre d'une opération de défiscalisation, par l'intermédiaire de la société Apollonia ; que les emprunteurs ayant interrompu le remboursement des échéances du prêt, la banque, après en avoir prononcé la déchéance du terme, les a assignés en paiement ; qu'ils ont conclu à la déchéance de la banque à son droit à intérêt et se sont opposés à la demande de capitalisation des intérêts ; qu'à titre reconventionnel, ils ont recherché la responsabilité de la banque en raison, d'une part, de son dol et de son manquement à ses obligations de contrôle, mise en garde, information, conseil, et, d'autre part, des agissements frauduleux de la société Apollonia ; qu'ils ont assigné en déclaration de jugement commun et appel en cause le notaire et la SCP de notaires G... -B...-A...-C...-D... ; que ces instances ont été jointes ;

Sur le premier moyen, pris en ses première, troisième, quatrième, cinquième et sixième branches :

Attendu que M. et Mme Y... font grief à l'arrêt de les condamner à payer à la banque la somme de 231 097,18 euros, avec intérêts au taux légal capitalisés, et de rejeter leur demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts alors, selon le moyen :

1°/ que l'obligation de mise en garde du banquier à l'égard d'un emprunteur non averti lui impose de vérifier les capacités financières et de remboursement de celui-ci avant de lui apporter son concours et de l'alerter sur les risques d'endettement nés de l'octroi des prêts ; qu'en considérant que la banque n'aurait pas été tenue à un devoir de mise en garde à l'égard des époux Y... car elle aurait été en droit de se fier à la fiche de renseignements signée par ces derniers et accompagnée de documents justificatifs, sans s'expliquer sur le moyen par lequel les emprunteurs faisaient valoir que la banque ne pouvait prétendre connaître l'état de leur endettement faute de leur avoir demandé leurs relevés de comptes bancaires, qui lui auraient permis de vérifier les mouvements de remboursement d'emprunts et de découvrir que la fiche de renseignements, qui n'avait pas été remplie par les emprunteurs, ne comportait pas l'indication d'un prêt qu'ils avaient souscrit auprès de la BNP en février 2007 et pour lequel ils devaient rembourser des mensualités de 1 717 euros, venant s'ajouter aux mensualités de 946 euros dues au titre du prêt leur ayant permis l'acquisition de leur domicile, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

2°/ que les agissements dolosifs du préposé engagent la responsabilité civile du commettant ; que la relation de préposition, qui ne naît pas nécessairement d'un rapport de droit, résulte du pouvoir du commettant de faire acte d'autorité en donnant à ses préposés des ordres et instructions sur la manière de remplir, fut-ce à titre temporaire et sans contrepartie financière, la tâche confiée ; qu'en l'espèce, les époux Y... soutenaient dans leurs conclusions que la banque était le commettant de la société Apollonia, le premier ayant délégué à la seconde la gestion du processus de formation de l'offre de prêt et étant mesure de lui donner des ordres à cet égard ; que pour écarter la demande des époux Y... fondée sur le dol, la cour d'appel a retenu qu'Apollonia n'était pas le mandataire de la banque et qu'aucun lien de subordination n'existait entre ces sociétés ; qu'en statuant ainsi, sans aucunement rechercher si la banque avait donné à la société Apollonia des ordres pour l'accomplissement de sa mission d'intermédiaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1116 et 1384, alinéa 5, du code civil, dans leur rédaction applicable en la cause ;

3°/ que les agissements dolosifs commis par l'intermédiaire qui démarche une clientèle et propose de conclure des contrats avec un établissement de crédit engagent la responsabilité de celui-ci ; qu'en l'espèce, il n'était pas contesté que la société Apollonia a joué un rôle d'intermédiaire entre les époux Y... et la banque ; qu'en déboutant les époux Y... en retenant que ne seraient pas établies de manoeuvres dolosives directement imputables à la banque, sans s'expliquer sur les agissements dolosifs commis par la société Apollonia en qualité d'intermédiaire pour le compte de la banque, la cour d'appel a violé les articles 1116 et 1382 du code civil, dans leur rédaction applicable en la cause ;

4°/ qu'engage sa responsabilité civile le banquier qui consent à l'emprunteur un crédit présentant un risque excessif d'endettement dont son préposé a connaissance ; que la relation de préposition, qui ne naît pas nécessairement d'un rapport de droit, résulte du pouvoir du commettant de faire acte d'autorité en donnant à ses préposés des ordres et instructions sur la manière de remplir, fut-ce à titre temporaire et sans contrepartie financière, la tâche confiée ; qu'en l'espèce, les époux Y... soutenaient dans leurs conclusions que la banque était le commettant de la société Apollonia, la première ayant délégué à la seconde la gestion du processus de formation de l'offre de prêt et étant mesure de lui donner des ordres à cet égard ; qu'en écartant la demande des époux Y... fondée sur le devoir de mise en garde en retenant qu'Apollonia n'était pas le mandataire de la banque et qu'aucun lien de subordination n'existait entre ces sociétés sans rechercher si la banque avait donné à la société Apollonia des ordres pour l'accomplissement de sa mission d'intermédiaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 5, du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;

5°/ qu'engage sa responsabilité civile le banquier qui consent à l'emprunteur un crédit présentant un risque excessif d'endettement dont son intermédiaire a connaissance ; qu'en l'espèce, il n'était pas contesté que la société Apollonia a joué un rôle d'intermédiaire entre les époux Y... et la banque ; que la cour d'appel a pourtant retenu, pour débouter ces derniers de leur demande indemnitaire fondée sur le manquement au devoir de conseil, que la banque était en droit de se fonder sur les fiches de renseignements bancaires dont la société Apollonia connaissait parfaitement les inexactitudes pour les avoir elle-même provoquées ; qu'en statuant ainsi sans s'expliquer sur le fait que la société Apollonia avait agi en qualité d'intermédiaire pour le compte de la banque, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté que la banque produisait une fiche de renseignements datée du 7 juin 2007, signée par M. et Mme Y..., et différents documents justificatifs, l'arrêt relève que cette fiche ne comporte aucune anomalie apparente et que la réalité des éléments qui y figurent n'est pas contestée ; qu'il retient que l'argumentation de ces derniers, selon laquelle cette fiche n'est pas complète, leur dossier ayant été falsifié par la société Apollonia qui a occulté le prêt BNP pour l'acquisition d'une maison, doit être rejetée, dès lors qu'il n'est pas démontré que la banque connaissait les pratiques utilisées par la société Apollonia pour dissimuler aux organismes prêteurs la situation des emprunteurs potentiels et éviter un refus de financement ; qu'il en déduit que la banque était en droit de se fier aux éléments figurant sur la fiche signée par M. et Mme Y... et que, compte tenu de leur situation financière et patrimoniale, telle qu'elle ressort des éléments qu'ils ont ainsi communiqués à la banque, le crédit octroyé n'était pas de nature à constituer pour eux un risque d'endettement, de sorte que la banque n'était pas tenue à un devoir de mise en garde ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, rendant inopérante la recherche prétendument omise dès lors que, sauf anomalie apparente, la banque n'est pas tenue de vérifier l'exactitude des éléments déclarés par l'emprunteur, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en deuxième lieu, que, dès lors que le moyen ne soutient pas que les époux Y... avaient invoqué l'existence d'ordres donnés par la banque à la société Apollonia, mais seulement qu'elle était en mesure de lui donner des ordres quant à la gestion du processus de formation de l'offre de prêt qu'elle lui avait déléguée à cet égard, la cour d'appel n'était pas tenue d'effectuer une recherche qui ne lui avait pas été demandée ;

Et attendu, enfin, qu'ayant retenu qu'il n'était pas établi que la société Apollonia ait accompli un quelconque acte juridique au nom et pour le compte de la banque, la cour d'appel a recherché, en y répondant par la négative, si la société Apollonia n'avait pas agi en qualité d'intermédiaire pour le compte de la banque ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen :

Attendu que M. et Mme Y... font grief à l'arrêt de les condamner à payer à la banque la somme de 231 097,18 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 27 avril 2010, et de dire que les intérêts se capitaliseront dans les termes de l'article 1154, devenu 1343-2 du code civil, alors, selon le moyen, que la règle édictée par l'article L. 312-23 du code de la consommation, en sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2016-351 du 25 mars 2016, selon lequel aucune indemnité ni aucun coût autres que ceux qui sont mentionnés aux articles L. 312-21 et L. 312-22 du code de la consommation ne peuvent être mis à la charge de l'emprunteur dans les cas de remboursement par anticipation ou de défaillance prévue par ces articles, fait obstacle à l'application de la capitalisation des intérêts prévue par l'article 1154 du code civil, en sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; qu'en ordonnant la capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1154 du code civil à compter du 27 avril 2010, la cour d'appel a violé le premier de ces textes par refus d'application et le second par fausse application ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que la banque n'avait pas respecté les dispositions des articles L. 312-7 et L. 312-10 du code de la consommation, l'arrêt prononce, en application de l'article L. 312-33 dudit code, la déchéance totale du droit de la banque à percevoir les intérêts au taux conventionnel, impute sur le capital ceux qui ont été versés, et, en conséquence, condamne les emprunteurs à payer à la banque le montant de la créance, qui s'élève, indemnité contractuelle comprise en application de l'article L. 312-22 dudit code, à la somme de 231 097,18 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 27 avril 2010 ; que n'ayant pas mis à la charge de l'emprunteur un intérêt de retard à un taux égal à celui du prêt comme le prévoit l'article L. 312-22 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016, mais uniquement un intérêt moratoire au taux légal, la cour d'appel a, à bon droit, dit que les intérêts au taux légal se capitaliseront dans les termes de l'article 1154, devenu 1343-2, du code civil ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Robert-Nicoud - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Delamarre et Jehannin ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Raybaudo, Dutrevis, Brines ; SCP Gaschignard -

Textes visés :

Articles L. 312-7, L. 312-10, L. 312-22 et L. 312-33 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ; article 1154 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; article 1343-2 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la question de la capitalisation des intérêts, à rapprocher : 1re Civ., 9 février 2012, pourvoi n° 11-14.605, Bull. 2012, I, n° 27 (cassation partielle sans renvoi).

Com., 4 juillet 2018, n° 17-10.349, (P)

Rejet

Intérêts conventionnels – Taux – Taux effectif global – Calcul – Référence à l'année civile – Nécessité – Prêt consenti à un professionnel

Intérêts conventionnels – Taux – Taux effectif global – Calcul – Irrégularité – Preuve – Charge

Sur les premier et second moyens, pris en leur deuxième branche, rédigés en termes similaires, réunis :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 8 septembre 2016), que la société Banque nationale de Paris - Paribas Nouvelle Calédonie (la banque) a consenti à la société Nawita (l'emprunteur), le 25 septembre 2008, un prêt destiné à financer l'acquisition d'une pelle hydraulique, garanti, dans une certaine limite, par le cautionnement solidaire de M. X... (la caution), et, le 23 décembre 2008, un prêt destiné à financer l'acquisition d'un compacteur ; qu'assignés en paiement des prêts, l'emprunteur et la caution ont soutenu que le taux effectif global avait été calculé sur la base d'une année de 360 et non 365 jours et demandé qu'en conséquence le taux d'intérêt légal soit substitué au taux d'intérêt conventionnel et que la différence leur soit remboursée ; qu'ils ont également demandé qu'une expertise soit ordonnée quant au calcul du taux effectif global ;

Attendu que l'emprunteur et la caution font grief à l'arrêt de condamner le premier à payer à la banque diverses sommes, dont certaines avec intérêts au taux contractuel, au titre des prêts des 25 septembre et 23 décembre 2008 alors, selon le moyen, que le taux effectif global doit être calculé sur la base de l'année civile, laquelle comporte 365 ou 366 jours, et non sur la base de l'année bancaire de 360 jours ; qu'en se bornant à énoncer, pour débouter l'emprunteur et la caution de leur demande tendant à voir prononcer la déchéance du droit de la banque aux intérêts conventionnels à l'égard de l'emprunteur, que s'il résultait du décompte établi par la banque, que cette dernière avait arrêté sa créance au 22 juin 2015 sur la base de 360 jours, l'emprunteuse ne produisait aucune feuille de calcul permettant de penser que le taux effectif global annoncé pour chacun des prêts avait été calculé sur la base de l'année civile, sans rechercher, le cas échéant après avoir ordonné une mesure d'expertise, si le taux effectif global de chacun des prêts avait été effectivement calculé sur la base de l'année civile, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 313-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 ;

Mais attendu que si, dans un prêt consenti à un professionnel, les parties peuvent convenir d'un taux d'intérêt conventionnel calculé sur une autre base que l'année civile, le taux effectif global doit être calculé sur la base de l'année civile ; qu'il appartient à l'emprunteur, qui invoque l'irrégularité du taux effectif global mentionné dans l'acte de prêt, en ce qu'il aurait été calculé sur la base d'une année de 360 et non de 365 jours, de le démontrer ; qu'après avoir relevé que, s'il résulte de son décompte que la banque a arrêté sa créance sur une base de 360 jours, l'emprunteur ne produit aucune feuille de calcul permettant de penser que le taux effectif global annoncé, qui est distinct du taux d'intérêt contractuel pouvant, pour un prêt professionnel, être calculé sur une base de 360 jours, n'aurait pas été calculé sur la base de l'année civile, l'arrêt retient qu'il n'appartient pas au juge de pallier la défaillance de l'emprunteur dans l'administration de la preuve en ordonnant une expertise ; que par ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a fait qu'user de son pouvoir discrétionnaire en refusant de prescrire l'expertise demandée, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, ni sur le second moyen, pris en ses première, troisième, quatrième et cinquième branches, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Robert-Nicoud - Avocat général : M. Le Mesle (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Richard ; SCP Lévis -

Textes visés :

Article L. 313-4 du code monétaire et financier dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité de prévoir un taux d'intérêt conventionnel calculé sur une autre base que l'année civile en matière de prêt consenti à un professionnel, dans le même sens que : Com., 24 mars 2009, pourvoi n° 08-12.530, Bull. 2009, IV, n° 44 (rejet).

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