Numéro 7 - Juillet 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2018

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

1re Civ., 4 juillet 2018, n° 17-22.934, (P)

Rejet

Article 1 du Protocole additionnel n° 1 de la Convention européenne des droits de l'homme – Droit au respect des biens – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Droit d'acquérir des biens par voie de succession ab intestat ou de libéralités

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nancy, 23 mai 2017), que Bernard Z... est décédé le [...], laissant pour lui succéder sa mère, Odette Z... ainsi que ses soeurs et son frère, Arlette, Michèle et Vincent Z... (les consorts Z...) ; que ceux-ci ont assigné en partage judiciaire de sa succession Mme X..., avec laquelle le défunt avait conclu le 23 décembre 1999 un pacte civil de solidarité complété par un document stipulant la mise en commun de tous leurs biens mobiliers et immobiliers en indivision et, en cas de décès de l'un ou l'autre, le legs de l'ensemble de ses biens au partenaire survivant ;

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de dire que l'acte du 23 décembre 1999 n'a pas valeur de testament et de juger qu'elle n'est pas l'unique héritière de Bernard Z... avec toutes conséquences de droit, alors, selon le moyen :

1°/ que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ; qu'il appartient au juge d'apprécier si concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, la mise en oeuvre des dispositions du droit français applicables ne porte pas au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par la Convention une atteinte disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ; qu'en l'espèce, Mme X... faisait valoir devant la cour d'appel que l'application de l'article 968 du code civil, prohibant le testament conjonctif, portait atteinte à sa vie privée et familiale ; qu'elle produisait à cette fin de nombreux témoignages attestant de ce que la volonté de Bernard Z... de lui léguer l'ensemble des biens qu'ils avaient acquis en indivision était libre, certaine, et avait perduré jusqu'à son décès ; qu'en jugeant que l'acte du 23 décembre 1999 ne pouvait avoir la valeur d'un testament, en raison des termes de l'article 968 prohibant le testament conjonctif, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il résultait des circonstances de l'espèce que la volonté de Bernard Z... de léguer ses biens à Mme X... en cas de décès était certaine et avait perduré jusqu'à son décès, de sorte que l'application de la prohibition du testament conjonctif, laquelle repose sur la volonté d'éviter le risque que le testateur ait agi sous influence et de préserver sa faculté de révocation unilatérale, portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme X... au regard du but légitime poursuivi par cette prohibition, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que toute personne a droit au respect de ses biens ; qu'une espérance légitime de créance est un bien au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il appartient au juge d'apprécier si concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, la mise en oeuvre des dispositions du droit français applicables ne porte pas au droit au respect des biens protégé par le premier protocole additionnel à la Convention européenne une atteinte disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ; qu'en l'espèce, Mme X... faisait valoir que l'application de l'article 968 du code civil prohibant le testament conjonctif porte atteinte à son droit au respect de ses biens ; qu'elle produisait à cette fin de nombreux témoignages attestant de ce que la volonté de Bernard Z... de lui léguer l'ensemble des biens qu'ils avaient acquis en indivision était libre, certaine, et avait perduré jusqu'à son décès et faisait encore valoir que Bernard Z... et elle-même avaient légitimement pu croire à l'efficacité d'un tel acte en l'état de la notice qui leur avait été remise par le greffe du tribunal de Nancy lors de la conclusion de leur pacte civil de solidarité ; qu'en faisant application de l'article 968 du code civil pour juger que l'acte du 23 décembre 1999 n'avait pas la valeur d'un testament, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il résultait des circonstances invoquées par Mme X... que l'application de cette disposition portait une atteinte disproportionnée à l'espérance légitime de créance dont elle disposait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu qu'après avoir rappelé que l'article 968 du code civil prohibe les testaments conjonctifs et exige le recueil des dernières volontés dans un acte unilatéral, afin de préserver la liberté de tester et d'assurer la possibilité de révoquer des dispositions testamentaires, l'arrêt retient que l'acte litigieux, signé par deux personnes qui se léguaient mutuellement tous leurs biens, ne peut valoir testament, et constate que l'exigence de forme édictée par le texte précité ne porte atteinte ni au droit à la vie privée et familiale ni au droit de propriété, dès lors que le testateur conserve la libre disposition de ses biens ; que, par ces seuls motifs, la cour d'appel, qui, n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, dès lors que l'article 1er du Protocole n° 1 additionnel à la Convention ne garantit pas le droit d'acquérir des biens par voie de succession ab intestat ou de libéralités, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Reygner - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade ; Me Le Prado -

Textes visés :

Article 968 du code civil ; article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 1 du Protocole n° 1 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

1re Civ., 11 juillet 2018, n° 17-22.381, (P)

Cassation

Article 8 – Respect de la vie privée et familiale – Atteinte – Défaut – Cas

Article 10 – Liberté d'expression – Exercice – Caractère abusif – Défaut – Cas

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et 9 du code civil ;

Attendu que le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d'expression revêtent une même valeur normative ; qu'il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime ; que, pour procéder à la mise en balance des droits en présence, il y a lieu de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet de cette publication, le comportement antérieur de la personne concernée, ainsi que le contenu, la forme et les répercussions de la publication (CEDH, arrêt du 10 novembre 2015, Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France [GC], n° 40454/07, § 93 ; 1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 16-28.741, publié) ; qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que se rapportent à un débat d'intérêt général les questions qui touchent le public dans une mesure telle qu'il peut légitimement s'y intéresser, qui éveillent son attention ou le préoccupent sensiblement, notamment parce qu'elles concernent le bien-être des citoyens ou la vie de la collectivité (arrêt Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France, précité, § 103) ; que tel est le cas également des questions qui sont susceptibles de créer une forte controverse, qui portent sur un thème social important ou encore qui ont trait à un problème dont le public aurait intérêt à être informé (ibid.) ; que, si toute personne, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, a droit au respect de sa vie privée (1re Civ., 27 février 2007, pourvoi n° 06-10.393, Bull. 2007, I, n° 85), le fait d'exercer une fonction publique ou de prétendre à un rôle politique expose nécessairement à l'attention du public, y compris dans des domaines relevant de la vie privée, de sorte que certains actes privés de personnes publiques peuvent ne pas être considérés comme tels, en raison de l'impact qu'ils peuvent avoir, eu égard au rôle de ces personnes sur la scène politique ou sociale et de l'intérêt que le public peut avoir, en conséquence, à en prendre connaissance (arrêt Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France, précité, § 120) ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'invoquant l'atteinte portée à sa vie privée du fait de la révélation de son homosexualité dans l'ouvrage intitulé « Le Front national des villes et le Front national des champs », M. Z..., alors secrétaire général du Front national, a assigné M. Y..., son auteur, aux fins d'obtenir réparation du préjudice en résultant ;

Attendu que, pour accueillir sa demande, après avoir relevé que l'auteur de l'ouvrage litigieux s'interroge sur les motifs de l'évolution du Front national, s'agissant, notamment, de son positionnement dans le débat relatif au mariage des personnes de même sexe et, plus généralement, de la lutte contre l'homophobie, l'arrêt énonce que, pour illustrer sa démonstration, il ne pouvait choisir de révéler l'orientation sexuelle de M. Z... en partant du principe, pour le moins sommaire, que celui-ci avait participé, du fait de son appartenance à la communauté homosexuelle, à la prise de position du parti relative au projet de loi sur le mariage pour tous ; qu'il en déduit que cette révélation n'est pas justifiée par le droit à l'information légitime du public, ni proportionnée à la gravité de l'atteinte portée à la sphère la plus intime de sa vie privée ;

Qu'en statuant ainsi, alors, selon ses propres constatations, que, d'une part, les interrogations de l'auteur sur l'évolution de la doctrine d'un parti politique, présenté comme plutôt homophobe à l'origine, et l'influence que pourrait exercer, à ce titre, l'orientation sexuelle de plusieurs de ses membres dirigeants, relevaient d'un débat d'intérêt général et que, d'autre part, M. Z... était devenu un membre influent de ce parti dans la région Nord-Pas-de-Calais, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la deuxième branche, à laquelle M. Y... a déclaré renoncer, et sur la troisième branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 mai 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : Mme Legoherel - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau ; SCP Le Griel -

Textes visés :

Articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 9 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 9 avril 2015, pourvoi n° 14-14.146, Bull. 2015, I, n° 85 (rejet).

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