Numéro 7 - Juillet 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2018

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

1re Civ., 11 juillet 2018, n° 17-21.457, (P)

Cassation

Article 10 – Liberté d'expression – Exercice – Presse – Droit d'exercice normal d'une critique – Propos s'inscrivant dans le cadre d'un débat d'intérêt général – Conditions – Base factuelle suffisante – Propos ne dépassant pas les limites admissibles de la liberté d'expression – Compatibilité

Viole les articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1382, devenu 1240 du code civil une cour d'appel qui retient que des publications relatives à la dangerosité d'un médicament excèdent le droit d'exercice normal d'une critique, alors qu'il résultait de ses propres constatations, d'une part, que ces publications s'inscrivaient dans un débat d'intérêt général portant sur la santé publique, d'autre part, que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé avait, à la suite de malaises de nourrissons, pris des décisions de suspension du médicament litigieux, puis émis une note d'information de pharmacovigilance, de sorte que les critiques en cause, même sévères, ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Laboratoires Crinex fabrique et commercialise, sous la dénomination « Uvestérol », un complément en vitamine D destiné aux nourrissons ; que, reprochant à la société Santé Port Royal d'avoir publié, sur le site Internet de la revue « Alternative Santé », qu'elle édite, un article intitulé « Uvestérol : un complément empoisonné pour vos enfants », ensuite remplacé par « Uvestérol : un complément inquiétant pour vos enfants », ainsi que d'avoir diffusé, auprès de ses abonnés, un bulletin d'information électronique intitulé « Uvestérol, un poison pour vos enfants », elle l'a assignée aux fins d'obtenir la suppression de l'article litigieux et des commentaires l'accompagnant, la cessation de la diffusion du bulletin d'information et la réparation de son préjudice ;

Sur le moyen unique, pris en ses première et troisième branches, ci-après annexé :

Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur la deuxième branche du moyen :

Vu les articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1382, devenu 1240 du code civil ;

Attendu que, même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre, peut constituer un acte de dénigrement ; que, cependant, lorsque l'information en cause se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, cette divulgation relève du droit à la liberté d'expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait, dès lors, être regardée comme fautive, sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure ;

Attendu que, pour accueillir les demandes de la société Laboratoires Crinex, l'arrêt énonce qu'en matière de dénigrement, il importe peu que la société Santé Port Royal ait ou non disposé d'une base factuelle suffisante pour s'exprimer ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur la quatrième branche du moyen :

Vu les articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1382, devenu 1240 du code civil ;

Attendu que, pour statuer comme il le fait, après avoir relevé que la publication de critiques sévères est admissible, sous réserve que les propos tenus ne soient pas outranciers et que le traitement des informations soit fait avec la prudence nécessaire, l'arrêt retient que les termes employés dans l'article litigieux sont extrêmement virulents et que, quand bien même les expressions « complément empoisonné », « produits nocifs » et « criminel produit de santé » ont été modifiées, l'affirmation de la dangerosité du produit reste péremptoire et sans nuance, excédant ainsi le droit d'exercice normal d'une critique ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations, d'une part, que les publications litigieuses s'inscrivaient dans un débat d'intérêt général portant sur la santé publique, d'autre part, que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé avait, à la suite de malaises de nourrissons, pris des décisions de suspension de l'Uvestérol, puis émis une note d'information de pharmacovigilance relative à ce médicament, de sorte que les critiques en cause, même sévères, ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 avril 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : Mme Legoherel - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 1382, devenu 1240 du code civil.

Rapprochement(s) :

Ass. plén., 16 décembre 2016, pourvoi n° 08-86.295, Bull. crim. 2016, Ass. plén., n° 1 (2) (cassation partielle sans renvoi).

1re Civ., 11 juillet 2018, n° 18-10.062, (P)

Rejet

Article 6, § 1 – Tribunal – Impartialité – Domaine d'application – Etrangers – Rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire – Prolongation de la rétention – Conditions – Brefs délais imposés par la loi – Salle d'audience aménagée à proximité immédiate du lieu rétention – Proportionnalité

Ayant apprécié les conditions d'exercice de la justice au regard de la nature du contentieux du maintien en zone d'attente soumis à de brefs délais imposés par la loi, estimé que rien n'établissait que ces conditions étaient meilleures au siège du tribunal, et constaté l'existence d'un juste équilibre entre les objectifs poursuivis par l'Etat et les moyens utilisés par ce dernier pour les atteindre, le premier président retient exactement que le juge, qui tient l'audience dans la salle située à proximité de la zone d'attente, statue publiquement et dans le respect des prescriptions légales et conventionnelles.

Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 30 octobre 2017), et les pièces de la procédure, que M. X..., ressortissant vénézuélien, est arrivé le 22 octobre 2017 à l'aéroport de Roissy, sans être autorisé à entrer sur le territoire national et a reçu notification, d'une part, d'un refus d'admission sur le territoire français, d'autre part, d'une décision de maintien en zone d'attente, prise sur le fondement des articles L. 221-3 et R. 221-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ; que le juge des libertés et de la détention, statuant dans une salle d'audience attribuée au ministère de la justice, a ordonné le maintien de M. X... en zone d'attente pour une durée de huit jours, après avoir reçu les interventions volontaires présentées par le Syndicat des avocats de France, l'association Groupe d'information et de soutien des immigrés, l'association la Cimade, l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, le Syndicat de la magistrature et l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (les parties intervenantes) ;

Sur les premier et deuxième moyens réunis :

Attendu que M. X... et les parties intervenantes font grief à l'ordonnance de confirmer son maintien en zone d'attente, alors, selon le moyen :

1°/ que le droit pour tout justiciable d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial implique que la localisation d'une salle d'audience délocalisée du palais de justice garantisse son indépendance et son impartialité ou, à tout le moins, donne l'apparence d'une justice indépendante et impartiale ; que la localisation d'une salle d'audience sur une emprise ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire où se situe également la zone d'attente dans l'enceinte de laquelle sont maintenus les ressortissants étrangers susceptibles d'être jugés dans cette salle d'audience délocalisée ne donne pas l'apparence d'une justice indépendante et impartiale ; qu'en considérant toutefois en l'espèce que l'audience délocalisée avait été tenue dans des conditions régulières et ordonné le maintien de M. X... en zone d'attente, le premier président de la cour d'appel a violé l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble les articles 5 et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 14, § 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

2°/ que, s'il devait exister un doute sur l'interprétation de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux, il appartiendrait à la Cour de cassation, conformément à l'article 267 du TFUE, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : « l'article 47, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, aux termes duquel toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial, doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'une disposition de droit national autorise la localisation d'une salle d'audience sur une emprise ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire où se situe également la zone d'attente dans l'enceinte de laquelle sont maintenus les ressortissants étrangers susceptibles d'être jugés dans cette salle d'audience délocalisée ? » ;

3°/ que si une salle d'audience attribuée au ministère de la justice peut être spécialement aménagée sur une emprise ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire, elle ne peut être située dans l'enceinte de la zone d'hébergement d'une zone d'attente ; que le premier président a relevé qu'une partie des locaux d'hébergement de la zone d'attente était située à l'aplomb de l'annexe judiciaire ; qu'en outre, il résulte des pièces de la procédure et de la décision n° 2017-211 du 6 octobre 2017 du défenseur des droits que l'annexe judiciaire dans laquelle se situe la salle d'audience est accolée et pour partie imbriquée au centre d'hébergement sis sur la zone d'attente ; qu'en énonçant toutefois, pour considérer que l'audience délocalisée avait été tenue dans des conditions légales et régulières, que l'annexe judiciaire du tribunal de grande instance de Bobigny était située à proximité des locaux de la zone d'attente et non pas dans leur enceinte, lors même qu'il résultait des énonciations de la décision attaquée, de la décision du 6 octobre 2017 du défenseur des droits et des pièces de la procédure qu'elle était située dans leur enceinte, le premier président de la cour d'appel a violé l'article L. 222-4 du CESEDA lu à la lumière de la décision du 20 novembre 2003 du Conseil constitutionnel ;

4°/ que si une salle d'audience attribuée au ministère de la justice peut être spécialement aménagée sur une emprise ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire, elle ne peut être située dans l'enceinte de la zone d'hébergement d'une zone d'attente ; que le premier président a relevé qu'une partie des locaux d'hébergement de la zone d'attente est située à l'aplomb de l'annexe judiciaire ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, pour se déterminer sur la question de savoir si l'annexe dans laquelle se situe la salle d'audience est dans l'enceinte du centre d'hébergement sis sur la zone d'attente, si elle n'est pas imbriquée à ce dernier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 222-4 du CESEDA lu à la lumière de la décision du 20 novembre 2003 du Conseil constitutionnel ;

5°/ que si une salle d'audience attribuée au ministère de la justice peut être spécialement aménagée sur une emprise ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire, à proximité immédiate d'une zone d'attente, elle ne peut être située dans l'enceinte d'une zone d'attente, sauf à violer le droit pour tout justiciable d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial ; qu'une salle d'audience est située dans l'enceinte d'une zone d'attente dès lors qu'elle est située dans le même bâtiment qu'une partie des locaux d'hébergement d'une zone d'attente ou dans un bâtiment accolé, imbriqué à ceux-ci, de sorte que l'étranger ne peut prendre conscience qu'il quitte un lieu de privation de liberté pour entrer dans un tribunal, peu important qu'il n'existe pas de voie de communication directe entre le centre d'hébergement et les salles d'audience et le parcours permettant d'accéder de l'un à l'autre ; qu'en retenant que l'absence de communication possible entre l'annexe judiciaire du tribunal de grande instance de Bobigny située sur l'emprise aéroportuaire de Roissy-Charles-de-Gaulle et les locaux de la zone d'attente et le parcours pour y accéder caractérisent une proximité immédiate exclusive d'une installation dans l'enceinte de la zone d'hébergement de la zone d'attente, le premier président de la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision et a ainsi violé l'article L. 222-4 du CESEDA lu à la lumière de la décision du 20 novembre 2003 du Conseil constitutionnel ;

6°/ que si une salle d'audience attribuée au ministère de la justice peut être spécialement aménagée sur une emprise ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire, c'est à la condition qu'elle soit sise à proximité, fut-elle immédiate, du centre d'hébergement de la zone d'attente, ce qui exclut qu'elle forme avec lui un ensemble commun ; qu'ainsi, la salle d'audience ne peut être imbriquée et accolée au centre d'hébergement sis sur la zone d'attente ; qu'il résulte des pièces de la procédure et de la décision n° 2017-211 du 6 octobre 2017 du Défenseur des droits que l'annexe judiciaire dans laquelle se trouve la salle d'audience est accolée et pour partie imbriquée au centre d'hébergement sis sur la zone d'attente et que ce dernier se situe à l'aplomb de l'annexe judiciaire ; qu'en jugeant toutefois que l'annexe judiciaire du tribunal de grande instance de Bobigny est située à proximité immédiate des locaux de la zone d'attente, le premier président de la cour d'appel a violé l'article L. 222-4 du CESEDA lu à la lumière de la décision du 20 novembre 2003 du Conseil constitutionnel ;

7°/ que le droit pour tout justiciable d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial implique que la localisation d'une salle d'audience délocalisée du palais de justice garantisse son indépendance et son impartialité ou, à tout le moins, donne l'apparence d'une justice indépendante et impartiale ; que la localisation sur une emprise ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire d'une salle d'audience, accolée et imbriquée au centre d'hébergement, sis sur la zone d'attente, dans lequel sont maintenus les ressortissants étrangers susceptibles d'être jugés dans cette salle d'audience délocalisée ne donne pas l'apparence d'une justice indépendante et impartiale ; qu'il résulte des pièces de la procédure et de la décision n° 2017-211 du 6 octobre 2017 du Défenseur des droits que l'annexe judiciaire dans laquelle se trouve la salle d'audience est accolée et pour partie imbriquée au centre d'hébergement sis sur la zone d'attente et que ce dernier se situe à l'aplomb de l'annexe judiciaire ; qu'en considérant toutefois que l'audience délocalisée avait été tenue dans des conditions régulières, le premier président de la cour d'appel a violé l'article L. 222-4 du CESEDA, ensemble les articles 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 5 et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 14, § 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

8°/ que, s'il devait exister un doute sur l'interprétation de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux, il appartiendrait à la Cour de cassation, conformément à l'article 267 du TFUE, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : « l'article 47, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, aux termes duquel toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial, doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'une salle d'audience délocalisée sur une emprise ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire soit accolée et imbriquée au centre d'hébergement d'une zone d'attente, situé en aplomb de celle-ci, dans lequel les ressortissants étrangers susceptibles d'être jugés dans cette salle d'audience délocalisée sont privés de liberté ? » ;

9°/ que le droit pour tout justiciable d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial implique que les conditions d'accès à une salle d'audience délocalisée du palais de justice garantissent son indépendance et son impartialité ou, à tout le moins, donnent l'apparence d'une justice indépendante et impartiale ; qu'en se bornant à relever, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance du droit pour tout justiciable d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial, que l'entrée dans l'annexe du tribunal de grande instance de Bobigny située sur l'emprise aéroportuaire de Roissy-Charles-de-Gaulle se fait, pour les personnes maintenues en zone d'attente, par une sortie obligatoire de cette zone internationale par un portail et un accès à la salle d'audience par un passage extérieur désigné par l'apposition de panneaux « Tribunal » traduit dans les six langues de l'ONU, sans rechercher, comme il y était invité, si ce parcours d'à peine cinq mètres permet aux maintenus de prendre conscience qu'ils pénètrent dans une enceinte judiciaire et confère ainsi au tribunal une apparence d'indépendance et d'impartialité, le premier président de la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 5 et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de l'article 14, § 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

10°/ que le droit pour tout justiciable d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial implique que les conditions d'accès à une salle d'audience délocalisée du palais de justice garantissent son indépendance et son impartialité ou, à tout le moins, donnent l'apparence d'une justice indépendante et impartiale ; qu'en se bornant à relever, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance du droit pour tout justiciable d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial, que la sécurité et la sûreté des audiences sont assurées par des compagnies républicaines de sécurité et, passé une certaine heure, par des effectifs de police ne dépendant pas organiquement de la police aux frontières, sans rechercher, comme il y était invité, si des agents de la police aux frontières n'étaient pas également présents pour surveiller l'accès à l'annexe judiciaire, conformément aux dispositions de l'article 5 du décret n° 2003-734 du 1er août 2003 mais en violation des exigences d'indépendance et d'impartialité de la justice, le premier président de la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 5 et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de l'article 14, § 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

11°/ que le droit pour tout justiciable d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial implique que les conditions administratives et financières de fonctionnement d'une salle d'audience délocalisée du palais de justice garantissent son indépendance et son impartialité ou, à tout le moins, donnent l'apparence d'une justice indépendante et impartiale ; qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'il y était invité, si l'administration et le financement par le ministère de l'intérieur de l'annexe judiciaire du tribunal de grande instance de Bobigny située sur l'emprise aéroportuaire de Roissy-Charles-de-Gaulle n'était pas de nature à créer un doute légitime sur son indépendance et son impartialité, le premier président de la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 5 et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de l'article 14, § 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'ordonnance constate que l'accès au bâtiment judiciaire ne peut se faire, pour le public, que par la porte principale au-dessus de laquelle figure en lettres majuscules la mention « TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BOBIGNY ANNEXE », et, pour les personnes maintenues en zone d'attente, par un passage extérieur situé en territoire français, conduisant à une porte signalée par l'inscription « TRIBUNAL » dans les six langues officielles de l'Organisation des Nations unies ; que le premier président en a exactement déduit que la proximité immédiate entre les locaux de la zone d'attente et la salle d'audience était exclusive d'une installation de celle-ci dans l'enceinte de la zone d'attente ;

Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant relevé que cette salle était placée sous l'autorité fonctionnelle du ministère de la justice et, localement, des chefs de juridiction, seuls à décider des modalités du contrôle des entrées confié à des agents des compagnies républicaines de sécurité, il a légalement justifié sa décision sur ce point ;

Attendu, en troisième lieu, que l'ordonnance énonce que la localisation de la salle d'audience dans la zone aéroportuaire est prévue par la loi qui a été validée par la décision du Conseil constitutionnel n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 sous la réserve d'aménagement de la salle devant garantir la clarté, la sécurité, la sincérité et la publicité des débats et retient exactement que, dans ces conditions, l'installation de cette salle à proximité de la zone d'attente de l'aéroport de Roissy répond aux exigences légales de l'article L. 222-4 du CESEDA ;

Attendu, en quatrième lieu, qu'après avoir précisé que les avocats et les parties ont accès au dossier pour préparer la défense des personnes en zone d'attente dès l'ouverture de la salle, disposent de locaux garantissant la confidentialité des entretiens, ainsi que d'une salle de travail équipée qui leur est réservée, l'ordonnance retient à bon droit que les droits de la défense peuvent s'exercer effectivement ;

Attendu, en dernier lieu, qu'ayant apprécié les conditions d'exercice de la justice au regard de la nature de ce contentieux soumis à de brefs délais imposés par la loi, et estimé que rien n'établissait que ces conditions étaient meilleures au siège du tribunal, le premier président, constatant l'existence d'un juste équilibre entre les objectifs poursuivis par l'État et les moyens utilisés par ce dernier pour les atteindre, a exactement retenu que le juge, qui avait tenu l'audience dans la salle située à proximité de la zone d'attente, avait statué publiquement et dans le respect des prescriptions légales et conventionnelles ;

Et attendu qu'en l'absence de doute raisonnable sur l'interprétation des dispositions relatives à l'exercice d'une justice indépendante et impartiale prévues à l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur les troisième et quatrième moyens, ci-après annexés :

Attendu que ces moyens ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Gargoullaud - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; SCP Foussard et Froger ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Articles 5 et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'union européenne ; article L. 222-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 12 octobre 2011, pourvoi n° 10-24.205, Bull. 2011, I, n° 167 (rejet), et l'arrêt cité. Sur les conditions de la tenue d'une audience dans une salle située sur l'emprise ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire, cf. : Cons. const., 20 novembre 2003, décision n° 2003-484 DC, Loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.

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