Numéro 7 - Juillet 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 7 - Juillet 2018

CONFLIT DE LOIS

1re Civ., 4 juillet 2018, n° 17-16.515, n° 17-16.522, (P)

Cassation partielle

Dispositions testamentaires établies selon la loi du domicile du défunt – Homologation par une décision étrangère rendue exécutoire en France – Effets – Limites – Biens immobiliers situés en France – Loi française désignée par la règle de conflits de lois – Règle d'ordre public interne

En présence d'une succession internationale, ouverte avant le 17 août 2015, comprenant des biens immobiliers situés en France, la dévolution desdits immeubles, soumise à la loi française, par application de la règle de conflit édictée à l'article 3, alinéa 2, du code civil, doit tenir compte des règles de la réserve héréditaire, lesquelles, d'ordre public interne, ne peuvent être écartées par des dispositions testamentaires établies selon la loi du domicile du défunt régissant son statut personnel et homologuées par une décision étrangère rendue exécutoire en France.

Joint les pourvois n° 17-16.515 et 17-16.522, qui sont connexes ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Raphaël X..., de nationalité marocaine, domicilié [...], est décédé le [...] à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), laissant pour lui succéder ses trois fils, David, Stéphane et Samy ; que, par testament établi le 18 mars 2011 devant des rabbins-notaires à Casablanca (Maroc), il a consenti divers legs particuliers de sommes d'argent et institué légataires universels ses fils Stéphane et Samy ; que ce testament a été homologué par un jugement marocain qui a été déclaré exécutoire en France ; que M. Samy X... a assigné ses deux frères devant une juridiction française en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de leur père ; que M. Stéphane X..., contestant le don manuel à son frère de la somme de 100 000 euros par remise d'un chèque, en a sollicité la restitution à la succession ;

Sur le second moyen :

Attendu que M. Stéphane X... fait grief à l'arrêt de dire que le jugement d'exequatur de la décision marocaine qui homologue le testament doit s'exécuter dans la limite de la quotité disponible sur les biens immobiliers soumis à la loi française, alors, selon le moyen :

1°/ que le contenu du jugement étranger est reçu et incorporé à la décision d'exequatur laquelle est revêtue de l'autorité de la chose jugée ; qu'en retenant que l'exequatur donné par le jugement du 3 juin 2015 du tribunal de grande instance de Paris n'interdit nullement la mise en oeuvre de la réserve sur les biens immobiliers situés en France, quand ce jugement avait conféré autorité de la chose définitivement jugée à la décision du tribunal de Casablanca en date du 27 octobre 2012 aux termes de laquelle le testament de Raphaël X... a été homologué, y compris en ce qu'il exclut, en grande partie, M. David X... de sa succession, la cour d'appel a violé les articles 1355 du code civil et 509 du code de procédure civile, ensemble les principes relatifs à l'efficacité en France des jugements étrangers ;

2°/ que l'autorité de la chose jugée conférée à un jugement étranger par une décision d'exequatur fait obstacle à ce que le juge français fasse application de la règle de conflit de lois pour trancher le litige sur lequel il a déjà été statué ; qu'en retenant que l'exequatur donné par le jugement du 3 juin 2015 du tribunal de grande instance de Paris n'interdit nullement la mise en oeuvre de la réserve héréditaire sur les biens immobiliers situés en France en application de la loi française de lieu de situation des immeubles, la cour d'appel a violé l'article 509 du code de procédure civile, par refus d'application, et l'article 3 du code civil, par fausse application ;

Mais attendu que l'arrêt constate que la succession comprend des biens immobiliers situés en France et retient que ceux-ci sont soumis, par application de la règle de conflit édictée à l'article 3, alinéa 2, du code civil, à la loi française ; que, de ces constatation et énonciation, la cour d'appel a exactement déduit, par motifs propres et adoptés, sans méconnaître l'autorité attachée au jugement d'exequatur, que la dévolution successorale desdits immeubles devait tenir compte des règles de la réserve héréditaire, laquelle, d'ordre public interne, ne pouvait être écartée par des dispositions testamentaires établies selon la loi du domicile du défunt et régissant son statut personnel ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le premier moyen :

Vu l'article 894 du code civil ;

Attendu que le don manuel d'une somme d'argent fait au moyen de la remise d'un chèque suppose la volonté du tireur de se dessaisir de manière irrévocable au profit du bénéficiaire de la propriété de la provision ;

Attendu que, pour qualifier de don manuel la remise de la somme de 100 000 euros au moyen d'un chèque, l'arrêt relève que les parties ne contestent pas que celui-ci est signé de la main de leur père et retient que cette remise a réalisé la tradition irrévocable du tireur au profit du bénéficiaire, qui a acquis immédiatement la propriété de la provision ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, l'intention libérale du défunt, contestée par M. Stéphane X... qui soutenait, sans être contredit, que M. Samy X... avait lui-même porté la somme de 100 000 euros sur le chèque litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la remise du chèque de 100 000 euros n° 4080721 tiré sur le compte Barclays n° [...] au nom de Raphaël X... au bénéfice de M. Samy X... constitue un don manuel et dit que cette libéralité en avancement de part successorale doit être prise en compte dans les opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de Raphaël X..., l'arrêt rendu le 29 juin 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : Mme Batut (président) - Rapporteur : M. Acquaviva - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Bouzidi et Bouhanna ; SCP Zribi et Texier ; SCP Marlange et de La Burgade -

Textes visés :

Article 3, alinéa 2 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 27 septembre 2017, pourvoi n° 16-13.151, Bull. 2017, I, n° 198 (rejet).

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.