Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

VENTE

3e Civ., 8 juin 2023, n° 22-12.302, (B), FS

Cassation

Conseiller en gestion de patrimoine – Responsabilité – Obligation d'éclairer les parties – Etendue – Intervention d'un autre professionnel – Absence d'influence

Le conseil en gestion de patrimoine n'est pas dispensé de son devoir d'information et de conseil par l'intervention d'un autre professionnel.

Conseiller en gestion de patrimoine – Responsabilité – Obligation d'éclairer les parties – Etendue – Information sur les caractéristiques de l'opération et des risques qui lui sont associés

Le conseil en gestion de patrimoine doit recueillir auprès de la personne qu'il conseille l'ensemble des éléments lui permettant d'assurer l'adéquation du projet à sa situation, doit informer son client des conditions de succès de l'opération projetée, en particulier quant à la condition de résider fiscalement en métropole pendant toute la durée du dispositif, et des risques qui découlent du défaut de réalisation de ces conditions.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 28 octobre 2021), M. et Mme [W] ont conclu le 20 juillet 2012 avec la société Hérios finance un contrat de mandat portant sur la recherche de biens immobiliers afin de procéder à un investissement à but de défiscalisation dit « Scellier Pacifique ».

2. Par l'intermédiaire de M. [T], avec lequel la société Hérios finance les avait mis en contact, ils ont conclu, le même jour, un contrat de réservation d'un appartement situé en Nouvelle-Calédonie, investissement éligible au dispositif Scellier Pacifique à la condition d'être résident métropolitain.

3. Se plaignant de ne pouvoir bénéficier du dispositif en raison de leur nouvelle résidence fiscale en Nouvelle-Calédonie, ils ont assigné M. [T] aux fins d'indemnisation.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. et Mme [W] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande d'indemnisation, alors « que tenu à l'égard de son client d'une obligation de conseil et d'information, le conseil en gestion de patrimoine qui propose à celui-ci de souscrire à une opération de défiscalisation immobilière doit lui délivrer une information sincère et complète sur les conditions du bénéfice de l'avantage fiscal escompté ; que l'intervention d'un autre conseiller ne saurait dispenser le conseil en gestion de patrimoine de son devoir d'information et de conseil ; qu'en décidant néanmoins que M. [T] n'était pas débiteur à l'égard de M. et Mme [W] d'une obligation d'information et de conseil portant sur l'avantage fiscal « Scellier Pacifique », attaché à l'investissement auquel il leur proposait de souscrire, motifs pris qu'il appartenait à la société Hérios finance, en sa qualité de mandataire de M. et Mme [W], qui l'avaient saisie avant M. [T], de délivrer à ces derniers une information précontractuelle afférente aux conditions de bénéfice de ce dispositif, de sorte que M. [T] n'était tenu qu'à la recherche d'un bien correspondant aux critères de choix de M. et Mme [W], après avoir pourtant constaté que M. [T] ne contestait pas avoir été saisi en vue de proposer à ces derniers un investissement dans le cadre du dispositif « Scellier Pacifique », afin de leur permettre de procéder à une opération de défiscalisation, ce dont il résultait qu'il était tenu à un devoir d'information et de conseil sur les conditions requises pour bénéficier de ce dispositif, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, en violation de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, devenu l'article 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

5. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

6. Pour rejeter la demande d'indemnisation formée par M. et Mme [W], l'arrêt retient que l'information précontractuelle relative à l'avantage fiscal « Scellier Pacifique » devait être donnée par la société Hérios finance au moment de la signature du mandat à l'occasion de laquelle avaient été définies les caractéristiques du bien recherché. Il relève que M. [T] est intervenu ensuite, dans un cadre prédéterminé, pour identifier un bien correspondant aux critères de choix de M. et Mme [W] inscrits au mandat.

7. En statuant ainsi, alors que l'intervention d'un autre professionnel ne saurait dispenser le conseil en gestion de patrimoine de son devoir d'information et de conseil, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

8. M. et Mme [W] font le même grief à l'arrêt, alors « que tenu à l'égard de son client d'une obligation de conseil et d'information, le conseil en gestion de patrimoine qui propose à celui-ci de souscrire à une opération de défiscalisation immobilière doit lui délivrer spontanément une information sincère et complète sur les conditions du bénéfice de l'avantage fiscal escompté ; qu'en décidant néanmoins que M. [T] n'était pas tenu d'informer M. et Mme [W] de ce qu'un changement de résidence fiscale en dehors du territoire métropolitain leur ferait perdre l'avantage fiscal attaché à leur investissement, au motif inopérant que M. [T] n'avait pas été informé du projet de déménagement de M. et Mme [W] en Nouvelle-Calédonie et donc d'un changement de résidence fiscale, bien qu'il ait été tenu d'informer d'office M. et Mme [W] de l'ensemble des conditions requises pour continuer à bénéficier de l'avantage fiscal attaché à l'investissement, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, devenu l'article 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

9. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

10. Pour rejeter la demande d'indemnisation formée par M. et Mme [W], l'arrêt retient qu'il n'était pas établi qu'ils aient informé M. [T] de leur projet d'établissement familial à [Localité 3] à la date à laquelle celui-ci a exécuté sa mission.

11. En statuant ainsi, alors que le conseil en gestion de patrimoine, qui doit recueillir auprès de la personne qu'il conseille l'ensemble des éléments lui permettant d'assurer l'adéquation du projet à sa situation, doit informer son client des conditions de succès de l'opération projetée, en particulier quant à la condition de résider fiscalement en métropole pendant toute la durée du dispositif, et des risques qui découlent du défaut de réalisation de ces conditions, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Brun - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Richard ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 1382, devenu 1240, du code civil.

1re Civ., 28 juin 2023, n° 21-21.181, (B), FS

Cassation partielle

Nullité – Effets – Restitution du prix – Préjudice indemnisable – Faute de l'agent immobilier – Insolvabilité du vendeur – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 30 novembre 2020), le 17 octobre 2009, Mme [W] (l'acquéreur) a conclu avec la société [Adresse 7] (le vendeur) un contrat de réservation en vue de l'acquisition d'une « habitation légère de loisirs » au sein d'un ensemble immobilier.

2. Le contrat prévoyait un engagement de location du bien à usage de résidence de tourisme par l'acheteuse au profit d'une société exploitante, selon un projet de bail commercial joint en annexe.

3. Il a été conclu par l'intermédiaire de la société Winner-Winner, agent immobilier mandaté par le vendeur (l'agent immobilier).

4. L'acquisition a été financée au moyen d'un crédit souscrit par l'acquéreur auprès de la Caisse d'épargne et de prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes (le prêteur), suivant offre acceptée le 12 décembre 2009.

5. Le 21 décembre 2009, M. [I], notaire associé au sein de la SCP de notaires [C] [I] - François Chayla, devenue Edouard Montagut et Romain Moles (la SCP notariale), a reçu l'acte de vente de cet immeuble.

6. La société locataire a cessé de payer les loyers et a fait l'objet d'un redressement judiciaire.

Le 4 mars 2013, son administrateur judiciaire a informé l'acquéreur de son intention de ne pas poursuivre le bail conclu avec elle.

7. L'acquéreur a assigné le vendeur, l'agent immobilier et son assureur, la société Allianz IARD, le prêteur, la SCP notariale et son assureur, la société MMA IARD, en nullité de la vente pour vices du consentement et, consécutivement, du prêt immobilier, ainsi qu'en responsabilité et indemnisation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes formées contre la SCP notariale, alors :

« 1°/ que le notaire tenu d'une obligation de conseil est tenu d'éclairer les parties et d'attirer leur attention de manière complète et circonstanciée sur la portée, les effets et risques des actes qu'il reçoit ; qu'en l'espèce, il appartenait au notaire qui a reçu l'acte authentique de vente d'un lot d'une résidence de tourisme dont l'acquisition était réalisée dans le cadre d'une opération de défiscalisation, d'attirer l'attention de l'acquéreur sur les risques de cette opération et notamment sur la possibilité d'une défaillance de l'exploitant ; qu'en se fondant pour écarter la responsabilité du notaire qui n'a pas exécuté son obligation de conseil, sur la circonstance inopérante qu'il ne serait pas intervenu au stade de la négociation, dans l'élaboration de la plaquette d'information dans le cadre de la commercialisation du projet, et n'aurait pas établi le contrat de réservation et le bail commercial, et sans constater que le notaire dont elle a relevé qu'il était le notaire choisi par le vendeur promoteur pour recevoir tous les actes authentiques de vente de tous les lots de l'ensemble immobilier litigieux et qui avait établi le règlement de copropriété du « parc résidentiel de tourisme » des [Adresse 6], ignorait cependant que l'acquisition de l'acheteuse relevait d'une opération de défiscalisation, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

2°/ en toute hypothèse, qu'en statuant comme elle l'a fait sans répondre aux conclusions de l'acheteuse qui faisait valoir que le notaire qui était intervenu de façon habituelle pour toutes les opérations de défiscalisation proposées par le vendeur et l'agent immobilier, aux autres investisseurs, qui avait été chargé de la vente des 83 chalets de la résidence ainsi que de l'établissement du règlement de copropriété de la résidence de tourisme, lequel règlement mentionne l'existence d'un bail commercial concédé à une société de gestion et qui a eu communication du contrat de réservation qui mentionne un engagement de location et précise que le bien est situé dans une résidence de tourisme classée, avait dès lors connaissance du but recherché par la vente du lot n° 67 de la résidence, à savoir la réalisation d'une opération de défiscalisation et devait attirer son attention sur les risques de l'opération, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

9. La SCP notariale conteste la recevabilité du moyen, en sa première branche, en raison de sa nouveauté, l'acquéreur n'ayant pas reproché au notaire de ne pas l'avoir mis en garde contre le risque de défaillance de l'exploitant.

10. Cependant, l'acquéreur a soutenu devant la cour d'appel que le notaire avait commis un manquement à son devoir de conseil quant aux risques de l'opération et aux risques propres au bail commercial.

11. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

12. La cour d'appel a relevé d'abord qu'il n'était justifié d'aucune circonstance qui aurait dû alerter le notaire sur une anomalie ou un déséquilibre contractuel lié à l'acte authentique à établir, de nature à l'amener à surseoir à ses opérations, à solliciter des précisions ou à réaliser des investigations complémentaires.

13. Elle a retenu ensuite que le notaire n'était pas intervenu au stade de la négociation au cours de laquelle la plaquette de présentation comprenant la formule « loyers garantis par le bail commercial de 9 ans fermes » avait été remise à l'acquéreur, que le contrat de réservation auquel était joint le projet de bail commercial n'avait pas été établi par le notaire mais par signatures privées et n'était pas annexé à l'acte authentique, et que le bail commercial avait été signé hors la présence du notaire le lendemain de l'acte authentique de vente qui ne faisait référence à aucun bail.

14. Elle a encore retenu que l'acte authentique d'acquisition précisait uniquement que, conformément à la législation applicable aux parcs résidentiels de loisirs, l'entretien, la gestion des parties communes, la surveillance et le gardiennage du parc étaient assurés par une société d'exploitation, laquelle facturait ses prestations à chaque copropriétaire, et que le fait que le notaire ait été chargé de la réalisation de tous les actes authentiques ainsi que de l'élaboration du règlement de copropriété ne permettait nullement d'établir son intervention dans l'élaboration de la plaquette de présentation du projet lors de la commercialisation menée par le vendeur par l'intermédiaire de l'agent immobilier et du contrat de réservation.

15. Ayant ainsi fait ressortir que le notaire n'avait pas eu connaissance du projet de défiscalisation de l'acquéreur, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées, a pu en déduire qu'il ne pouvait être reproché à celui-ci de ne pas avoir informé l'acquéreur sur les risques inhérents à un bail commercial auquel il était étranger ou sur l'absence de sécurité du placement et qu'il n'avait ainsi pas commis de faute.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

17. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir condamner l'agent immobilier à réparer le préjudice résultant du défaut de restitution du prix de vente en raison de l'insolvabilité du vendeur en liquidation judiciaire et en conséquence de limiter la condamnation prononcée contre lui au paiement de la somme de 3 678 euros au titre des frais de l'acte de vente et de celle de 69 629,33 euros outre intérêts au taux légal à compter du 22 septembre 2015, alors « que en énonçant que la perte du bien immobilier découle du seul choix procédural de l'acheteuse de maintenir sa demande de nullité de la vente nonobstant l'état de liquidation judiciaire de son vendeur insolvable, et serait étrangère à la faute imputable à l'agent immobilier, après avoir constaté que l'acheteuse avait été victime d'un dol, que l'exploitation du village [Adresse 6] était déjà déficitaire à la date de la signature du contrat de réservation, que l'agent immobilier ne l'avait pas informée des aléas financiers de l'opération et que si l'acheteuse avait été informée de ces aléas, elle ne se serait pas engagée dans cette opération, ce dont il résulte que la faute de l'agent immobilier constituait la cause directe du préjudice résultant pour l'acheteuse de l'impossibilité d'obtenir la restitution du prix de la vente en raison de l'insolvabilité du vendeur, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations au regard du principe de la réparation intégrale du préjudice et de l'article 1382, devenu 1240, du code civil qu'elle a violés. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

18. Il résulte de ce texte que, si la restitution du prix par suite de l'annulation du contrat de vente ne constitue pas en elle-même un préjudice indemnisable, l'agent immobilier dont la faute a concouru, au moins pour partie, à l'anéantissement de l'acte peut être condamné à en garantir le paiement en cas d'insolvabilité démontrée du vendeur.

19. Pour rejeter la demande de l'acquéreur formée contre l'agent immobilier et tendant à la réparation du préjudice lié à l'impossibilité d'obtenir la restitution du prix de vente du fait de l'insolvabilité du vendeur, l'arrêt retient que la perte du bien immobilier découle du seul choix procédural de l'acquéreur de maintenir sa demande de nullité de la vente nonobstant l'état de liquidation judiciaire de son vendeur et est étrangère à la faute imputable à l'agent immobilier.

20. En statuant ainsi, après avoir constaté que l'agent immobilier avait commis une faute sans laquelle l'acquéreur ne se serait pas engagé et que le vendeur était placé en liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

21. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnisation au titre de la perte du placement financier annulé et en conséquence de limiter à 131 560 euros et 3 678 euros, les sommes fixées au passif du vendeur et de limiter la condamnation prononcée à l'encontre de l'agent immobilier au paiement de la somme de 3 678 euros au titre des frais de l'acte de vente, et de celle 69 629,33 euros, alors « que le dommage causé doit être réparé intégralement sans perte ni profit ; que Mme [W] dont la cour d'appel constate qu'elle a été victime d'un dol commis par les sociétés Winner-Winner et [Adresse 7], responsables de la nullité de la vente du bien qu'elle destinait à la location dans le cadre d'une opération de défiscalisation, était fondée à obtenir l'indemnisation du préjudice résultant pour elle de la perte des loyers attendus, laquelle constituait une conséquence directe du dol ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice et l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

22. Il résulte de ce texte que le vendeur dont le dol est à l'origine de l'annulation de la vente et l'agent immobilier dont la faute a concouru à la nullité de la vente sont tenus de réparer toutes les conséquences dommageables qui en résultent pour l'acquéreur.

23. Pour rejeter la demande de l'acquéreur tendant à l'indemnisation de la perte des loyers escomptés, l'arrêt retient que, à la suite de l'annulation à effet rétroactif de la vente, l'acquéreur ne peut prétendre avoir subi un préjudice imputable à son vendeur au titre de loyers impayés, l'immeuble acquis étant censé n'être jamais entré dans son patrimoine, et que, à défaut de s'être engagé, il n'aurait pu prétendre à des loyers en exécution d'un bail qu'il n'aurait pas souscrit, de sorte que les indemnisations qu'il réclame au titre des loyers impayés ne constituent pas un préjudice en lien de causalité avec les manquements reprochés à l'agent immobilier.

24. En statuant ainsi, alors que la faute de l'agent immobilier avait contribué à l'annulation de l'acte qu'elle avait prononcée pour dol, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Mise hors de cause

25. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause, sur leur demande, la Caisse d'Epargne et de prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes, la SCP Edouard Montagut et Romain Moles et la société MMA IARD, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [W] tendant à voir condamner la société Winner-Winner à réparer le préjudice résultant du défaut de restitution du prix de vente et sa demande d'indemnisation contre la société [Adresse 7] et la société Winner-Winner au titre de la perte du placement financier annulé, l'arrêt rendu le 30 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Met hors de cause la Caisse d'épargne et de prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes, la SCP Edouard Montagut et Romain Moles et la société MMA IARD ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Bruyère - Avocat général : Mme Cazaux-Charles - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 1382, devenu 1240, du code civil.

3e Civ., 8 juin 2023, n° 22-17.992, (B), FS

Cassation

Réméré – Demande en exercice de la faculté de rachat – Prescription – Délai – Détermination

L'action des vendeurs fondée sur l'exercice régulier de la faculté de rachat prévue à l'acte de vente est une action personnelle soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 12 avril 2022), par acte authentique du 8 juin 1995, Mme [P] [U], MM. [E] et [B] [U] et [R] [M], veuve [U] (les consorts [U]) ont vendu à la société civile immobilière [Adresse 7] (la SCI) deux parcelles de terrain cadastrées DT [Cadastre 4] et [Cadastre 5].

2. L'acte stipulait une faculté de réméré au profit des vendeurs sur la parcelle cadastrée DT [Cadastre 4] pendant cinq ans en contrepartie du paiement, à l'acquéreur, de la somme de 40 000 francs payable au terme des cinq ans.

3. La SCI a fait édifier, sur ces deux parcelles, un immeuble dénommé [Adresse 8], soumis au statut de la copropriété.

4. Par lettres recommandées avec demande d'avis de réception des 30 mars et 28 avril 2000, les consorts [U] ont informé la SCI et la société Foncia Andrevon, syndic de la copropriété, de leur volonté d'user de la faculté de réméré et de redevenir propriétaires de la parcelle cadastrée DT [Cadastre 4].

5. Le 10 juillet 2003, l'assemblée générale des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 8] a refusé la cession.

6. Le 18 février 2016, Mme [P] [U] et M. [E] [U], à titre personnel et comme héritiers de [R] [M], veuve [U] et de [B] [U], décédés, (les vendeurs) ont assigné le syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 8] (le syndicat des copropriétaires) pour faire constater qu'ils avaient régulièrement fait valoir leurs droits sur la parcelle cadastrée DT [Cadastre 4] et juger qu'ils en étaient les propriétaires.

7. Le syndicat des copropriétaires leur a opposé une fin de non-recevoir tirée de la prescription de leur action.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et quatrième branches

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

9. Le syndicat des copropriétaires fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action des vendeurs, alors « que l'action qui tend à faire juger qu'une partie a valablement exercé une faculté de rachat entraînant la résolution de la vente est de nature personnelle et se prescrit par cinq ans ; qu'en affirmant, pour écarter la fin de non-recevoir soulevée par le syndicat des copropriétaires, que l'action formée par les consorts [U] était imprescriptible, quand cette action, qui tendait à ce qu'il soit jugé « qu'ils avaient valablement exercé leur faculté de rachat et, en conséquence seulement, que leur soit reconnue la qualité de propriétaire, était une action personnelle qui se prescrivait par cinq ans », la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224 et 1659 du code civil :

10. Aux termes du premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

11. Selon le second, le contrat de vente peut être résolu par l'exercice de la faculté de rachat.

12. L'exercice du droit de réméré constitue l'accomplissement, par le vendeur qui en bénéficie, d'une condition résolutoire replaçant les parties dans le même état où elles se trouvaient avant la vente sans opérer une nouvelle mutation (3e Civ., 31 janvier 1984, pourvoi n° 82-13.549, Bull. 1984, III, n° 21).

13. Il en résulte que le vendeur ne retrouve la propriété de son bien, qui a été transférée à l'acquéreur par la vente avec faculté de rachat, que par l'effet de l'exercice régulier de son droit personnel de rachat qui entraîne la résolution de la vente.

14. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande des vendeurs tendant à voir constater qu'ils ont régulièrement usé de leur faculté de rachat et qu'en conséquence ils sont propriétaires de la parcelle cadastrée DT [Cadastre 4], l'arrêt retient que les consorts [U] sont redevenus propriétaires dès la notification de leur choix d'user de leur faculté de rachat et que leur action n'a d'autre objet qu'une revendication immobilière par nature imprescriptible.

15. En statuant ainsi, alors que l'action des vendeurs, en ce qu'elle était fondée sur l'exercice régulier de la faculté contractuelle de rachat prévue à l'acte de vente, était une action personnelle soumise à la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du code civil, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Farrenq-Nési - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles 2224 et 1659 du code civil.

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