Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

UNION EUROPEENNE

Com., 28 juin 2023, n° 22-13.317, (B), FRH

Rejet

Règlement (UE) n° 517/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux gaz à effet de serre fluorés et abrogeant le règlement (CE) n° 842/2006 – Applicabilité directe – Mesures d'application nécessaires (non)

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qu'en vertu de l'article 288, alinéa 2, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et en raison même de la nature des règlements et de leur fonction dans le système des sources du droit de l'Union européenne, les dispositions des règlements ont, en général, un effet immédiat dans les ordres juridiques nationaux, sans qu'il soit besoin, pour les autorités nationales, de prendre des mesures d'application, mais que certaines de ces dispositions peuvent néanmoins nécessiter, pour leur mise en oeuvre, l'adoption de mesures d'application par les États membres.

C'est donc à bon droit qu'une cour d'appel, ayant retenu que l'obligation prévue à l'article 11, § 5, du règlement (UE) n° 517/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux gaz à effet de serre fluorés, ne nécessitait pas, pour sa mise en oeuvre, l'adoption de mesures d'application, en déduit qu'elle était directement applicable en France à compter du 1er janvier 2015.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 12 janvier 2022), la société Ets Bellucci (la société Bellucci), qui a pour objet le commerce de détail, gros et demi-gros d'appareils sanitaires, plomberie, chauffage, électroménager et climatisation, a assigné la société Richardson, dont l'objet comprend le négoce de matériel de chauffage, sanitaire et produits sidérurgiques, afin de voir juger qu'en se dispensant de respecter la réglementation applicable à la vente de climatiseurs « prêts à poser » préchargés en gaz fluoré, à système « split » ou « bi-bloc », constitués d'une unité externe et d'une unité interne, à raccorder lors de leur installation, cette société s'est placée dans une situation anormalement favorable par rapport à elle, et que ces faits sont constitutifs d'une faute caractérisant des actes de concurrence déloyale, demandant sa condamnation à lui payer des dommages et intérêts en réparation du préjudice économique subi du fait de ces actes.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société Richardson fait grief à l'arrêt de dire que les dispositions du règlement (UE) n° 517/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 étaient applicables sur le territoire français dès le 1er janvier 2015, de dire qu'en se dispensant, à compter du 1er janvier 2015, de respecter la réglementation applicable à la vente des climatiseurs préchargés à système « split » ou « bi bloc », elle s'est placée dans une situation anormalement favorable par rapport à la société Bellucci, de dire que les faits reprochés sont constitutifs d'une faute caractérisant des actes de concurrence déloyale, de dire qu'il s'en infère nécessairement un trouble commercial, générateur de préjudice et d'ordonner en conséquence une mesure d'expertise, alors « que faute de définir précisément et concrètement les obligations qui découlent, pour le vendeur, de l'interdiction générale qu'il pose, l'article 11, 5°, du règlement (UE) n° 517/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014, aux termes duquel « les équipements non hermétiquement scellés chargés de gaz à effet de serre fluorés ne sont vendus à l'utilisateur final que lorsqu'il est établi que l'installation sera effectuée par une entreprise certifiée conformément à l'article 10 », n'a pas d'effet direct et ne peut être invoqué à l'encontre des personnes de droit privé tant que les mesures d'application nécessaires n'ont pas été adoptées par les États membres, qu'en retenant le contraire, pour dire que la société Richardson était tenue de s'assurer dès le 1er janvier 2015 que les climatiseurs vendus à des particuliers seraient installés par une personne disposant de la certification requise et qu'en ne satisfaisant pas à cette obligation elle s'était placée dans une situation anormalement favorable par rapport à la société Bellucci, la cour d'appel a violé l'article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), ensemble l'article 11, 5°, du règlement (UE) n° 517/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article 288, alinéa 2, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), un règlement est obligatoire dans tous ses éléments et est directement applicable dans tout État membre.

5. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qu'en vertu de cette disposition et en raison même de la nature des règlements et de leur fonction dans le système des sources du droit de l'Union européenne, les dispositions des règlements ont, en général, un effet immédiat dans les ordres juridiques nationaux, sans qu'il soit besoin, pour les autorités nationales, de prendre des mesures d'application. Néanmoins, certaines de ces dispositions peuvent nécessiter, pour leur mise en oeuvre, l'adoption de mesures d'application par les États membres (notamment CJUE, arrêt du 11 janvier 2001, Monte Arcosu, C-403/98 ; CJUE, arrêt du 24 juin 2004, Handlbauer, C-278/02 ; CJUE, arrêt du 28 octobre 2010, Belgisch Interventie-en Restitutiebureau et SGS Belgium, C-367/09 ; CJUE, arrêt du 14 avril 2011, Vlaamse Dierenartsenvereniging et Janssens, C-42/10, C-45/10 et C-57/10 ; CJUE, arrêt du 15 mars 2017, Al Chodor, C-528/15 ; CJUE, arrêt du 15 juin 2021, Facebook, C-645/19).

6. Après avoir énoncé que l'article 11, § 5, du règlement (UE) n° 517/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux gaz à effet de serre fluorés, lequel modifie et complète le règlement (CE) n° 842/2006 du 17 mai 2006 qu'il abroge, dispose que « les équipements non hermétiquement scellés chargés de gaz à effet de serre fluorés ne sont vendus à l'utilisateur final que lorsqu'il est établi que l'installation sera effectuée par une entreprise certifiée conformément à l'article 10 », l'arrêt retient que l'applicabilité de ce règlement n'est pas conditionnée à la mise en place ou l'adaptation par la France de programmes de certification, de formation et de procédures d'évaluation concernant l'installation desdits équipements, dès lors que, d'une part, le paragraphe 7 de l'article 10 du règlement prévoit que « les certificats et les attestations de formation existants, délivrés conformément au règlement (CE) n° 842/2006, demeurent valides, conformément aux conditions dans lesquelles ils ont été initialement délivrés » et que, d'autre part, l'article 5 du règlement n° 842/2006 organisait déjà la mise en place de programmes de formation et de certification, destinés tant aux entreprises qu'au personnel concernés par l'installation, la maintenance ou l'entretien des équipements en cause.

7. Il ajoute que l'interdiction, énoncée par l'article 11, § 5, du règlement précité n° 517/2014, de vente des équipements non hermétiquement scellés chargés de gaz à effet de serre fluorés à l'utilisateur final sans qu'il soit établi que l'installation sera effectuée par une entreprise certifiée, est claire et inconditionnelle et qu'elle n'est assortie d'aucune réserve subordonnant sa mise en oeuvre à un acte de droit interne.

8. Ayant ensuite relevé que le décret n° 2015-1790 du 28 décembre 2015 s'était borné à ajouter à l'article R. 543-84 du code de l'environnement la précision selon laquelle la cession par les distributeurs des équipements préchargés contenant des fluides frigorigènes et nécessitant, pour leur assemblage ou mise en service, le recours à un opérateur disposant d'une attestation de capacité, n'était autorisée qu'auprès des autres distributeurs, des opérateurs disposant de l'attestation de capacité, et des personnes justifiant avoir conclu, pour l'assemblage et la mise en service des équipements, un contrat auprès d'un opérateur disposant de l'attestation de capacité, l'arrêt en déduit, d'une part, que ce décret n'est pas, comme le soutient la société Richardson, le texte national permettant l'application du règlement n° 517/2014 et imposant, pour la vente des équipements en cause, que l'installation soit effectuée par une entreprise certifiée, mais qu'il a seulement eu pour objet de définir avec précision les modalités requises pour la preuve de ce fait, d'autre part, que si l'exigence de la production d'un tel contrat pour la vente aux particuliers de ces équipements n'est entrée en vigueur qu'au 31 décembre 2015, l'obligation de ne pas vendre des équipements non hermétiquement scellés chargés de gaz à effet de serre fluorés à un utilisateur final sans qu'il soit établi que l'installation soit effectuée par une entreprise certifiée, telle qu'imposée par le règlement n° 517/2014, était déjà applicable en France, à partir du 1er janvier 2015, conformément à l'article 27 de ce règlement.

9. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, dont il résulte que l'obligation prévue à l'article 11, § 5, du règlement précité n° 517/2014 ne nécessitait pas, pour sa mise en oeuvre, l'adoption de mesures d'application, la cour d'appel a exactement retenu que cette disposition était directement applicable en France à compter du 1er janvier 2015.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bellino - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Boutet et Hourdeaux -

Textes visés :

Article 11, § 5, du règlement (UE) n° 517/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux gaz à effet de serre fluorés et abrogeant le règlement (CE) n° 842/2006.

Soc., 28 juin 2023, n° 22-14.834, n° 22-14.835, n° 22-14.836, n° 22-14.837, n° 22-14.838, n° 22-14.839, n° 22-14.840, n° 22-14.841, n° 22-14.843, n° 22-14.844 et suivants, (B), FS

Rejet

Travail – Transfert d'entreprise – Directive n° 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 – Domaine d'application – Etendue – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-14.834, 2-14.835, 22-14.836, 22-14.837, 22-14.838, 22-14.839, 22-14.840, 22-14.841, 22-14.843, 22-14.844, 22-14.845, 22-14.846, 22-14.847, 22-14.848 et 22-14.849 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Toulouse, 18 février 2022), MM. [C], [W], [M], [K], [T], [U], [Z], [S], [L], [Y], [F], [N], [D] et [O] ont été engagés par la société Intel Corporation (Intel). M. [X] a été engagé par la société Intel Mobile Communications France (IMC).

3. Les sociétés Intel et IMC appartenaient au groupe Intel lequel a procédé, courant 2016, à une réorganisation de ses activités au niveau mondial. Compte tenu des suppressions d'emplois envisagées, un plan de sauvegarde de l'emploi a été mis en oeuvre au sein des deux sociétés françaises.

4. Le 1er juillet 2017, l'activité de recherche et développement des logiciels embarqués, exploitée par les sociétés IMC et Intel Corp, a été reprise par la société Newco, créée pour cette opération puis devenue la société Renault Software Labs, appartenant au groupe Renault.

5. Les contrats de travail de quatre-cent-soixante salariés employés par les sociétés IMC et Intel ont été transférés à la société Newco.

6. Les salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour contester l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail et obtenir la condamnation de leur employeur à leur payer diverses sommes liées à la rupture injustifiée de leur contrat de travail ainsi que des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte d'une prime projet et d'actions gratuites.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

7. Les salariés font grief aux arrêts de juger l'article L. 1224-1 du code du travail applicable et de les débouter de leurs demandes fondées sur la contestation de la validité du transfert des contrats de travail, notamment celles visant à condamner l'employeur au paiement de différentes sommes à titre de dommages-intérêts liés à la perte du bénéfice de l'indemnité du plan de sauvegarde de l'emploi ou à la perte du bénéfice de l'indemnité de reclassement dans le cadre de ce plan, indemnité sur préavis, congés payés sur préavis, indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et indemnité pour licenciement irrégulier, alors :

« 1° / que le transfert de plein droit du contrat de travail en application de l'article L. 1224-1 du code du travail suppose l'existence et le transfert à un nouvel employeur d'une entité économique autonome, définie comme un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre ; que l'existence d'une entité économique autonome ne peut être caractérisée et admise qu'au sein d'une même société et non par référence à l'activité exercée au niveau d'un groupe de sociétés ; qu'en jugeant au contraire que le fait que l'activité transférée provienne de deux entreprises juridiquement distinctes mais faisant partie d'un même groupe de sociétés ne fait pas obstacle par principe à l'application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail et en retenant en conséquence l'existence d'une entité économique autonome correspondant à l'activité « Recherche & Développement des logiciels embarqués » au sein des sociétés IMC et Intel Corporation, la cour d'appel a violé l'article L. 1224-1 du code du travail ;

2° / que le transfert de plein droit du contrat de travail en application de l'article L. 1224-1 du code du travail suppose l'existence et le transfert à un nouvel employeur d'une entité économique autonome, définie comme un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre ; que le transfert d'une entité économique autonome suppose ainsi l'identification d'une entité avant son transfert ; qu'en l'espèce, les salariés faisaient valoir et démontraient que les organigrammes des sociétés IMC et Intel Corporation avaient été modifiés à plusieurs reprises en 2016 et 2017 afin d'exclure certains salariés du champ du transfert des contrats de travail et que certains salariés affectés à des fonctions support essentielles n'avaient pas été transférées à la société Newco, notamment l'équipe Ressources Humaines, qui a fait l'objet d'un recrutement extérieur ultérieur de la part du nouvel exploitant de l'activité R&D des logiciels embarqués ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui s'est bornée à énoncer que des moyens en personnel, corporels et incorporels de l'activité Recherche & Développement des logiciels embarqués ont été effectivement transférés à la société Newco, notamment 460 salariés, ce qui permettait à l'activité R&D des logiciels embarqués de fonctionner de façon autonome, sans rechercher ni vérifier, d'une part, si les sociétés Intel Corporation et IMC avaient procédé à des changements d'organigramme modifiant l'identité de l'entité salariale pour créer artificiellement un ensemble de salariés « sur mesure », ce qui était de nature à exclure la condition d'un transfert concernant un ensemble organisé préexistant et autonome et si, d'autre part, l'équipe Ressources Humaines non transférée avait fait l'objet d'un recrutement extérieur ultérieur, quand il s'agissait d'une fonction support essentielle au fonctionnement de l'entité, de sorte qu'il en résultait que tous les contrats de travail des salariés nécessaires au fonctionnement de l'entité n'avaient pas été transférés à la société Newco, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail ;

3° / qu'en cas de litige, le juge doit vérifier que les conditions d'un transfert légal au sens de l'article L 1224-1 du code du travail sont réunies ; qu'en l'espèce, après avoir constaté tout d'abord que les salariés transférés étaient rattachés à deux business units internationales différentes et que 15 salariés d'entre eux avaient perdu leur ancien manager de premier niveau, ce dont il se déduisait que tous les contrats de travail rattachés à l'entité économique autonome n'avaient pas été transférés au nouvel exploitant, et ensuite que, d'autres des salariés attachés à l'activité avaient artificiellement été sortis du périmètre et n'avaient pas été transférés à Newco, la cour d'appel ne pouvait se borner à affirmer que, nonobstant l'intitulé de la fonction occupée, Intel Corp « explique » que les salariés non transférés « étaient affectés soit sur des postes concernant le hardware, c'est-à-dire hors périmètre, soit sur des postes mixtes sofware/hardware ou firmware avec une prédominance de ce dernier, ce qui justifie l'exclusion du périmètre », sans viser la moindre pièce qui aurait été produite par Intel, qui avait la charge de cette preuve, justifiant une telle affirmation, ni vérifier elle-même cette réalité, contestée par les exposants ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 1224-1 du code du travail ;

4° / que le transfert d'une entité économique autonome suppose la transmission des moyens corporels et/ou incorporels significatifs et nécessaires à la poursuite de l'activité ; qu'en l'espèce, les salariés faisaient valoir et démontraient que seule une minorité des éléments d'actifs des sociétés IMC et Intel Corporation avait été transférée à la société Newco, à l'exclusion du matériel le plus coûteux et le plus important pour l'exercice de l'activité R&D des logiciels embarqués et l'effacement des données sur les PC des ingénieurs affectés aux projets Intel, ce qui établissait l'absence de poursuite d'activité chez le cessionnaire et ce qui avait eu pour conséquence de priver d'activité plusieurs salariés postérieurement à leur transfert, de sorte que la cour d'appel ne pouvait se borner à affirmer que des moyens en personnel, corporels et incorporels de l'activité Recherche & Développement des logiciels embarqués ont été transférés à la société Newco et que des moyens significatifs, nécessaires et suffisants permettaient à l'activité R&D des logiciels embarqués de fonctionner de façon autonome et qu'il importait peu que les données informatiques aient été effacées dès lors que les serveurs et logiciels avaient été transférés, mais sans constater que ces données essentielles l'avaient été également ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher ni constater, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si l'exclusion d'une grande partie du matériel attachée à l'activité litigieuse avait privé de nombreux salariés de toute activité, ce qui était de nature à remettre en cause la réalité du transfert d'une entité économique autonome, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail ;

5° / que l'entité transférée doit conserver son identité chez le nouvel exploitant ; qu'en l'espèce, les salariés démontraient par de nombreuses pièces qu'aucune entité économique autonome réelle n'avait été transférée à la société Newco puisque, préalablement à la reprise, l'activité économique des salariés avait été transférée à d'autres sociétés du groupe Intel à l'étranger ou à des sous-traitants, qu'ils n'avaient plus eu aucune activité pendant six mois à un an, que les conditions d'exploitation de l'activité avaient radicalement changé après le transfert, que l'activité R&D des logiciels embarqués avait en réalité été reprise par plusieurs repreneurs autres que Renault ; qu'en se bornant en l'espèce à affirmer que « les productions établissent que la société Newco, devenue Renault Software Labs, a continué à exploiter l'activité de R&D des logiciels embarqués des sociétés IMC et Intel Corp, dans des conditions analogues, avec une organisation des équipes basée sur l'encadrement de 1er niveau issu du transfert d'actif partiel de ces deux sociétés » et que peu importait la réorganisation ultérieure, quand le transfert était insuffisant à caractériser la poursuite, à l'identique, de l'activité dans les mêmes conditions, sans vérifier si l'absence de travail avérée de nombreux salariés transférés démontrait qu'il n'y avait pas de poursuite de la même activité, ce dont il se déduisait que l'entité économique transférée avait perdu son identité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail ;

6° / qu'en affirmant en l'espèce que « l'arrêt de projets Intel ou le transfert de projets Intel dans d'autres sociétés du groupe, associé à l'interruption temporaire de l'activité du salarié, n'est pas incompatible avec la validité du transfert ultérieur de l'entité économique autonome », que « l'activité R&D logiciels embarqués concerne en effet des projets qui se succèdent dans le temps », que « le fait que l'activité s'exerce désormais dans le cadre du projet de voiture autonome et non plus majoritairement sur des téléphones et tablettes, ne modifie pas l'activité exercée, laquelle reste bien la recherche et le développement des logiciels embarqués » et que « l'adaptation des salariés transférés à l'environnement spécifique de l'automobile et aux outils informatiques et langages de programmation utilisés chez Renault est similaire au déroulement d'un nouveau projet comportant un environnement différent du projet précédent », quand il résultait au contraire de ces constats que l'activité des salariés après le transfert à la société 843 Corporation n'était pas identique à celle exercée au sein des sociétés Intel Corporation et IMC, ce qui était de nature à remettre en cause le transfert de plein droit des contrats de travail, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 1224-1 du code du travail ;

7° / que la fraude corrompt tout ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a constaté, s'agissant de l'activité, l'arrêt de projets Intel ou le transfert dans d'autres sociétés, mais aussi, s'agissant des contrats de travail, l'absence de transfert d'une dizaine d'ingénieurs affectés à l'activité transférée et des mutations effectuées en amont ; s'agissant de la poursuite de l'activité, qu'après le transfert, il y avait eu à la fois l'effacement de données informatiques sur les projets Intel mais aussi des formations chez Renault aux outils informatiques et à la programmation, ce dont il résultait que l'activité n'était pas identique, elle ne pouvait exclure la fraude à l'article L. 1224-1, en analysant séparément chacune des conditions exigées pour permettre d'imposer un transfert automatique des contrats de travail alors surtout qu'elle constatait elle-même aussi, que les valeurs des actifs transférés par les sociétés IMC et Intel Corporation s'élevaient respectivement à 32 millions et à 34 millions d'euros, quand leur prix de cession a été fixé à seulement 2 euros au profit du cessionnaire apparent, la société Newco, utilisée pour masquer que le groupe Renault était le véritable bénéficiaire de l'opération, et elle ne pouvait pas plus retenir qu'Intel établit « qu'elle n'a pas fait d'économies en transférant les salariés à Renault au lieu de les licencier pour cause économique » ce qui était inopérant en l'absence de constat que les conditions d'un tel licenciement économique collectif étaient effectivement réunies, et alors surtout qu'elle a elle-même constaté que la société Renault Sofware Labs a été en outre « indemnisée » à hauteur de 55 millions d'euros, « compte tenu de la charge financière représentée par l'ancienneté, les droits à congés payés, les jours de repos et la rémunération variable des salariés transférés » ; qu'il en résultait que c'est le cessionnaire final, en réalité Renault, qui a bénéficié de la part des sociétés cédantes, d'une valeur de 121 millions d'euros (dont 118 millions de trésorerie et 3 millions de matériels) à l'occasion des apports partiels d'actifs litigieux ; qu'en cet état, la cour d'appel qui n'a pas tenu compte de l'ensemble de ces éléments constatés ou prouvés dans l'examen du moyen fondé sur la fraude à la loi d'ordre public française et aux droits des salariés n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé en conséquence l'article L. 1224-1 du code du travail ainsi que le principe selon lequel la fraude corrompt tout. »

Réponse de la Cour

8. Il résulte de l'article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la Directive n° 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001, que l'entité économique autonome dont le transfert entraîne la poursuite de plein droit avec le cessionnaire des contrats de travail des salariés qui y sont affectés s'entend d'un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre.

9. Il s'en déduit que l'existence d'une entité économique autonome est indépendante des règles d'organisation, de fonctionnement et de gestion du service exerçant une activité économique, en sorte qu'une entité économique autonome au sens des dispositions du texte susvisé peut résulter de deux parties d'entreprises distinctes d'un même groupe.

10. La cour d'appel a constaté que l'activité de recherche et développement sur les logiciels embarqués, développée par les sociétés IMC et Intel, constituait une activité autonome, distincte des autres activités exercées par le groupe Intel France relatives à la conception de circuits intégrés, vente/marketing, support client, que cette activité était dotée d'équipes de salariés dédiées dont l'expertise était spécifique et poursuivant un objectif propre, que les fonctions supports - services finances, services généraux, administration générale des sites - nécessaires à l'exercice de cette activité avaient été transférées, ainsi que les moyens corporels et incorporels spécifiquement affectés à l'activité de recherche et développement des logiciels embarqués, tels les équipements et les licences informatiques, le matériel de laboratoire audio encore utilisé, les baux et les contrats de maintenance, de sous-traitance ainsi que les contrats conclus avec les fournisseurs.

11. Elle a également relevé que l'activité de recherche et de développement des logiciels embarqués transférée à la société Newco en vue de sa reprise ultérieure par la société Renault Software Labs avait conservé son identité et avait été effectivement poursuivie dans des conditions analogues, la modification ultérieure de l'organisation des équipes au sein de Renault Software Labs ne remettant pas en cause le transfert de droit.

12. Elle a enfin estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que la fraude alléguée par les salariés n'était pas établie.

13. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire le transfert d'une entité économique autonome dont l'activité de recherche et développement des logiciels embarqués développée par les sociétés IMC et Intel était poursuivie par le cessionnaire et, par voie de conséquence, le maintien de plein droit des contrats de travail des salariés relevant de cette activité avec le nouvel employeur.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

15. Les salariés font grief aux arrêts de rejeter leurs demandes de dommages-intérêts pour perte de chance d'obtenir des « restricted stocks units » (RSU) au titre de l'année 2017, alors « que par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation qui sera prononcée sur le premier moyen de cassation entraînera nécessairement la censure de l'arrêt s'agissant des chefs de dispositif ayant débouté les salariés de leurs demandes de dommages-intérêts au titre des RSU. »

Réponse de la Cour

16. Le rejet du premier moyen rend sans portée la demande de cassation par voie de conséquence du second moyen.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les pourvois incidents, qui ne sont qu'éventuels, la Cour :

REJETTE les pourvois principaux.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Barincou - Avocat général : M. Gambert - Avocat(s) : SARL Cabinet Munier-Apaire ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 1224-1 du code du travail ; directive n° 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001.

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