Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

TRAVAIL REGLEMENTATION, DUREE DU TRAVAIL

Soc., 7 juin 2023, n° 21-12.841, (B), FS

Cassation partielle

Travail effectif – Temps assimilé à du travail effectif – Cas – Centrales nucléaires – Règlement intérieur imposé par le propriétaire du site de la centrale nucléaire à l'employeur – Temps de déplacement entre l'entrée du site de la centrale nucélaire et les pointeuses – Office du juge – Examen des sujétions imposées au salarié à peine de sanction disciplinaire – Détermination – Portée

Prive sa décision de base légale la cour d'appel qui se détermine par des motifs inopérants tirés de ce que le règlement intérieur était imposé par le propriétaire du site de la centrale nucléaire, sans rechercher si, du fait des sujétions qui lui étaient imposées à peine de sanction disciplinaire, sur le parcours, dont la durée était estimée à quinze minutes, entre le poste de sécurité à l'entrée du site de la centrale et les bureaux où se trouvaient les pointeuses, le salarié était à la disposition de l'employeur et se conformait à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 29 octobre 2020), M. [N] a été engagé en qualité de préparateur chargé d'affaires par la société Arkadia ingénierie et affecté dans des bureaux implantés sur le site du centre de production d'électricité de [Localité 3] (Vienne), exploité par la société Electricité de France.

2. Le salarié a été licencié le 21 janvier 2016.

3. Il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes de rappel de salaire pour heures supplémentaires et congés payés et de dommages-intérêts, alors « que les déplacements entre l'entrée de l'enceinte de l'entreprise et les locaux de celle-ci constituent, lorsque le salarié se trouve à la disposition de l'employeur et dans l'impossibilité de vaquer à des occupations personnelles, un temps de travail effectif ; que, pour débouter le salarié de sa demande de rappel de salaire, la cour d'appel s'est bornée à énoncer qu'« avant d'atteindre les bureaux de la société Arkadia, dans lesquels se situent les pointeuses, le salarié n'était pas à disposition de cette société, pouvant vaquer entre le poste d'accès principal et son propre bureau, sans contrôle de la part de l'employeur » ; qu'en se déterminant ainsi, sans expliquer concrètement comment M. [N] - qui soutenait être tenu, lors de ses déplacements dans l'enceinte du site, de pointer au poste d'accès principal, de se soumettre à des contrôles de pratiques, de respecter toutes les consignes de sécurité en présence de brigades d'intervention, de respecter un protocole long et minutieux de sécurité pour arriver à son poste de travail et de respecter chacune des consignes du règlement intérieur sous peine de sanction disciplinaire - pouvait encore, en l'état de telles contraintes et sujétions se succédant sur une durée de seulement quinze minutes, vaquer à des occupations personnelles pendant ce temps de déplacement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-1 et L. 3121-4 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3121-1 du code du travail :

6. Aux termes de ce texte, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

7. Pour rejeter la demande en rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, l'arrêt retient que le règlement intérieur sur le site de la centrale de [Localité 3] mentionne, d'une part, que ces règles ne sont pas édictées par l'entreprise, c'est-à-dire par la société Arkadia, mais imposées par la société propriétaire du site, et, d'autre part, qu'avant d'atteindre les bureaux de la société Arkadia, dans lesquels se situent les pointeuses, le salarié n'était pas à la disposition de cette société, pouvant vaquer entre le poste d'accès principal et son propre bureau, sans contrôle de la part de l'employeur.

L'arrêt en déduit qu'il s'agit d'un temps de trajet ne pouvant être considéré comme du temps de travail effectif.

8. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants tirés de ce que le règlement intérieur était imposé par le propriétaire du site de la centrale, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, du fait des sujétions qui lui étaient imposées à peine de sanction disciplinaire, sur le parcours, dont la durée était estimée à quinze minutes, entre le poste de sécurité à l'entrée du site de la centrale nucléaire et les bureaux où se trouvaient les pointeuses, le salarié était à la disposition de l'employeur et se conformait à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [N] de sa demande en paiement d'un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents et de sa demande en dommages-intérêts pour travail dissimulé et en ce qu'il condamne M. [N] au paiement de la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu, le 29 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bourges.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Monge (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Spinosi -

Textes visés :

Article L. 3121-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'office du juge lors de la qualification du temps de déplacement dans l'enceinte de l'entreprise, à rapprocher : Soc., 13 juillet 2004, pourvoi n° 02-15.142, Bull. 2004, V, n° 205 (cassation) ; Soc., 7 juin 2006, pourvoi n° 04-43.456 (rejet) ; Soc., 31 octobre 2007, pourvoi n° 06-13.232, Bull. 2007, V, n° 182 (cassation partielle) ; Soc., 13 janvier 2009, pourvoi n° 07-40.638 (rejet) ; Soc., 4 novembre 2009, pourvoi n° 07-44.690 (rejet) ; Soc., 9 mai 2019, pourvoi 17-20.740, Bull., (cassation partielle).

Soc., 7 juin 2023, n° 21-22.445, (B), FS

Cassation partielle

Travail effectif – Temps assimilé à du travail effectif – Cas – Travailleur n'ayant pas de lieu de travail fixe ou habituel – Déplacements entre deux lieux de travail successifs entre lesquels le salarié réside à l'hôtel – Conditions – Temps de déplacement répondant à la définition du temps de travail effectif – Office du juge – Détermination – Portée

Aux termes de l'article L. 3121-1 du code du travail, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

Ne donne pas de base légale au regard de ce texte la cour d'appel qui, pour condamner l'employeur au paiement d'un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, retient que doivent être assimilés à un temps de travail effectif les temps de trajets effectués par le salarié entre deux lieux de travail successifs différents dans le cadre de déplacements prolongés sans retour au domicile, nécessité par l'organisation du travail selon des plannings d'interventions déterminés par l'employeur, alors qu'elle constatait que le salarié ne visitait qu'une concession par jour et sans vérifier si les temps de trajets effectués par le salarié pour se rendre à l'hôtel pour y dormir, et en repartir, constituaient, non pas des temps de trajets entre deux lieux de travail, mais de simples déplacements professionnels non assimilés à du temps de travail effectif, ni caractériser que, pendant ces temps de déplacement en semaine, et en particulier pendant ses temps de trajets pour se rendre à l'hôtel afin d'y dormir, et en repartir, le salarié était tenu de se conformer aux directives de l'employeur sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 juillet 2021), M. [R] a été engagé en qualité d'enquêteur mystère par la société Dekra Automotive Solutions France, suivant contrats à durée déterminée, entre 2008 et 2014.

2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 26 juin 2017 de diverses demandes relatives à l'exécution de son contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser au salarié diverses sommes à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre congés payés afférents, et d'indemnités pour travail dissimulé et pour exécution fautive du contrat de travail, et de lui ordonner de remettre un bulletin de salaire et les documents de fin de contrat rectifiés, alors :

« 1°/ que le lieu d'hébergement dans lequel un salarié se repose et peut vaquer librement à des occupations personnelles, sans se tenir à la disposition de l'employeur, ne constitue pas un lieu de travail ; qu'en conséquence, le trajet effectué par un salarié de ce lieu d'hébergement à son lieu de travail, et inversement, constitue un simple temps de déplacement professionnel non assimilé à un temps de travail effectif ; qu'en l'espèce, dès lors que l'employeur contestait la qualification de lieux de travail aux hôtels où le salarié se rendait pour y dormir et que la cour d'appel constatait elle-même « qu'une seule visite de concession était effectuée par jour et que le salarié partait en déplacement pour la semaine avec des frais d'hôtel pris en charge par l'employeur », en sorte que les trajets en semaine effectués par le salarié hors domicile-temps de travail comprenaient nécessairement, et principalement, des déplacements hôtels-lieu de travail, la cour d'appel ne pouvait accorder à M. [R] un rappel d'heures supplémentaires au titre de ses heures de déplacement effectuées en semaine sur la base de son décompte hors trajets domicile-travail, en se bornant à énoncer que les trajets effectués par le salarié entre deux lieux de travail successifs dans le cadre de déplacements prolongés sans retour au domicile devaient être assimilés à du temps de travail effectif, sans vérifier, comme elle y était invitée, si les temps de trajets effectués par le salarié pour se rendre à l'hôtel pour y dormir et y repartir constituaient, non pas des temps de trajets entre deux lieux de travail, mais des simples déplacements professionnels non assimilés à du temps de travail effectif ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-1, L. 3121-4 et L. 3171-4 du code du travail ;

2°/ qu'un salarié ne peut prétendre à un rappel de salaire à titre d'heures supplémentaires pour des temps de déplacement qu'à la condition que ceux-ci constituent du temps de travail effectif, entendu comme le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; qu'en l'espèce, dès lors qu'elle constatait elle-même « qu'une seule visite de concession était effectuée par jour et que le salarié partait en déplacement pour la semaine avec des frais d'hôtel pris en charge par l'employeur », et relevait elle-même que « le salarié disposait d'une certaine liberté dans l'organisation de son temps de travail », qu'« en l'état des pièces produites, il ne pouvait être déterminé de manière certaine que l'organisation des visites de concessions s'établissait à partir d'un planning impératif et sur un quota de concessions par semaine », la cour d'appel ne pouvait accorder à M. [R] un rappel d'heures supplémentaires au titre des heures de déplacement effectuées en semaine sur la base de son décompte hors trajets domicile-travail, en se bornant simplement à affirmer que devaient être assimilés à du temps de travail effectif les trajets effectués entre deux lieux de travail successifs différents dans le cadre de déplacements prolongés sans retour au domicile, nécessités par l'organisation du travail selon des plannings d'intervention déterminés par l'employeur du travail qui plaçaient le salarié dans une situation où il restait à la disposition de l'employeur, sans caractériser que, pendant l'ensemble de ses heures de déplacement en semaine, et en particulier pendant ses temps de trajets pour se rendre à l'hôtel afin d'y dormir, et y repartir, le salarié était tenu de se conformer aux directives de l'employeur et dans l'impossibilité de pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-1, L. 3121-4 et L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3121-1 du code du travail :

4. Aux termes de ce texte, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

5. Pour condamner l'employeur au paiement d'un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, l'arrêt, après avoir relevé qu'il n'était pas contesté qu'une seule visite de concession était effectuée par jour et que le salarié partait en déplacement pour la semaine avec des frais d'hôtel pris en charge par l'employeur, retient que doivent être assimilés à un temps de travail effectif les trajets effectués par le salarié entre deux lieux de travail successifs différents dans le cadre de déplacements prolongés sans retour au domicile, nécessité par l'organisation du travail selon des plannings d'interventions déterminés par l'employeur qui plaçaient le salarié dans une situation où il restait à sa disposition.

6. En se déterminant ainsi, alors qu'elle constatait que le salarié ne visitait qu'une concession par jour et sans vérifier si les temps de trajets effectués par le salarié pour se rendre à l'hôtel pour y dormir, et en repartir, constituaient, non pas des temps de trajets entre deux lieux de travail, mais de simples déplacements professionnels non assimilés à du temps de travail effectif, ni caractériser que, pendant ces temps de déplacement en semaine, et en particulier pendant ses temps de trajets pour se rendre à l'hôtel afin d'y dormir, et en repartir, le salarié était tenu de se conformer aux directives de l'employeur sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Portée et conséquences de la cassation

7. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif de l'arrêt portant sur l'indemnité de précarité, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

8. En revanche, elle n'atteint pas les chefs de dispositif de l'arrêt ayant condamné l'employeur au titre des frais irrépétibles et des dépens, qui sont justifiés par une autre condamnation prononcée à l'encontre de celui-ci et non remise en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Dekra Automotive Solutions France à payer à M. [R] les sommes de 4 400 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre congés payés afférents, 440 euros à titre de rappel de prime de précarité, 6 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail et 11 824 euros à titre d'indemnité de travail dissimulé, l'arrêt rendu le 2 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Monge (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Techer - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SARL Cabinet Munier-Apaire ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Rapprochement(s) :

Sur les conditions de prise en compte, dans le temps de travail effectif, des temps de trajet d'un travailleur itinérant, à rapprocher : Soc., 1 mars 2023, pourvoi n° 21-12.068, Bull., (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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