Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

SOCIETE A RESPONSABILITE LIMITEE

Com., 21 juin 2023, n° 21-19.985, (B), FRH

Cassation partielle

Assemblée générale – Assemblée générale ordinaire – Délibération – Désignation irrégulière d'un commissaire aux comptes – Nullité d'ordre public

L'article L. 820-3-1 du code de commerce, applicable en Nouvelle-Calédonie, édicte une règle de nullité qui, d'une part, déroge, dans le domaine qu'il régit, à celle édictée à l'article L. 235-1 de ce code, d'autre part, est d'ordre public et s'applique que la désignation du commissaire aux comptes soit volontaire ou imposée par la loi ou les statuts.

Assemblée générale – Assemblée générale ordinaire – Délibération – Désignation irrégulière d'un commissaire aux comptes – Nullité d'ordre public – Délibération figurant dans le rapport du commissaire aux comptes sur les comptes annuels – Nécessité (non)

L'article L. 820-3-1 du code de commerce, applicable en Nouvelle-Calédonie, visant les délibérations de l'assemblée générale ordinaire sans distinguer selon leur objet, il en résulte que la nullité qu'il prévoit s'applique à toutes les délibérations des assemblées générales ordinaires, qu'elles doivent ou non figurer dans le rapport du commissaire aux comptes sur les comptes annuels.

Assemblée générale – Assemblée générale ordinaire – Délibération – Désignation irrégulière d'un commissaire aux comptes suppléant – Portée – Nullité (non)

Il résulte des articles L. 820-3-1 et L. 823-1 du code de commerce, applicable en Nouvelle-Calédonie, que la nullité des délibérations de l'assemblée générale ordinaire ne peut être prononcée, sur le fondement du premier de ces textes, qu'en l'absence de désignation ou en cas de désignation irrégulière de commissaires aux comptes titulaires.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nouméa,14 juin 2021), la société à responsabilité limitée Compagnie financière calédonienne (la société COFICAL), ayant son siège social à Nouméa, était détenue par les sociétés Ficbal, Etablissements [N] [E], Figespart SC et FP Invest. Elle avait pour cogérants Mmes [E] et [U] et MM. [S] et [N] [E].

2. Les statuts de la société avaient désigné M. [T] en qualité de commissaire aux comptes et stipulaient que les nominations ultérieures auraient lieu par décision collective ordinaire des associés.

3. Le 13 mai 2014, les associés de la société Cofical ont désigné M. [O] en qualité de commissaire aux comptes titulaire et M. [J] en qualité de commissaire aux comptes suppléant.

Le 23 juin 2017, M. [O] a démissionné de ses fonctions et a été remplacé par M. [J].

4. Le 31 juillet 2017, l'assemblée générale ordinaire de la société COFICAL a révoqué M. [N] [E] de ses fonctions de gérant.

5. Invoquant le défaut de désignation régulière d'un commissaire aux comptes, M. [N] [E] a assigné la société COFICAL ainsi que M. [S] [E], Mmes [E] et [U] et les sociétés Ficbal, Figespart SC, Etablissements [N] [E] et FP Invest en annulation de la délibération de l'assemblée générale du 31 juillet 2017.

La société COFICAL a été dissoute judiciairement, la SCP CBF & associés étant nommée liquidateur.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et sixième branches

Enoncé du moyen

6. La société FP Invest et Mme [U] font grief à l'arrêt de déclarer nulle la délibération du 31 juillet 2017 ayant décidé la révocation de M. [N] [E] de ses fonctions de gérant de la société COFICAL et de constater sa réintégration dans ses fonctions de gérant, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'article L. 235-1, alinéa 2, du code de commerce que la nullité des actes ou délibérations pris par les organes d'une société commerciale ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre II du même code ou des lois qui régissent les contrats, que, sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d'aménager statutairement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n'est pas sanctionné par la nullité, qu'en retenant en l'espèce qu'« aux termes de l'article 27 des statuts, les associés fondateurs ont désigné M. [T] en qualité de commissaire aux comptes », que les statuts prévoient que « les nominations qui interviendront ultérieurement auront lieu par décision collective ordinaire des associés pour une durée de trois exercices », qu'ils investissent le commissaire aux comptes désigné « des fonctions, pouvoirs et attributions que leur confèrent la loi » et que le sixième alinéa de l'article 27 stipule que « les commissaires aux comptes sont avisés, au plus tard en même temps que les associés, des assemblées ou consultations. Ils ont accès aux assemblées », pour en déduire que la délibération du 31 juillet 2017 était nulle à défaut de désignation régulière du commissaire aux comptes suppléant, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constations dont il résultait qu'une méconnaissance des statuts en la matière ne pouvait entraîner la nullité de la délibération, violant ainsi le texte susvisé ;

6°/ que l'article L. 820-3-1 du code de commerce ne vise que les délibérations d'assemblée générale devant figurer dans le rapport du commissaire aux comptes sur les comptes annuels, qu'en déclarant nulle la délibération du 31 juillet 2017 ayant décidé la révocation de M. [N] [E] de ses fonctions de gérant de la société COFICAL, étrangère au rapport du commissaire aux comptes, la cour d'appel a méconnu les articles L. 235-1, L. 820-3-1 et L. 823-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

7. Selon l'article L. 820-3-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, dans les personnes morales dotées d'une assemblée générale ordinaire, les délibérations de cette instance prises à défaut de désignation régulière de commissaires aux comptes, sont nulles.

8. En premier lieu, ce texte, inséré au livre VIII du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, édicte une règle de nullité qui, d'une part, déroge, dans le domaine qu'il régit, à celle édictée à l'article L. 235-1 de ce code, d'autre part, est d'ordre public et s'applique peu important que la désignation du commissaire aux comptes soit volontaire ou imposée par la loi ou les statuts.

9. En second lieu, ce texte visant les délibérations de l'assemblée générale ordinaire sans distinguer selon leur objet, il en résulte que la nullité qu'il prévoit s'applique à toutes les délibérations des assemblées générales ordinaires, qu'elles doivent ou non figurer dans le rapport du commissaire aux comptes sur les comptes annuels.

10. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

11. La société FP Invest et Mme [U] font le même grief à l'arrêt alors « que les statuts de la société COFICAL prévoyaient la désignation d'un commissaire aux comptes titulaire, mais non d'un suppléant, qu'en retenant que l'obligation de désignation des commissaires aux comptes résultait des statuts qu'elle a cités et qui ne prévoyaient pas de désignation d'un commissaire aux comptes suppléant, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales des propres constatations, dont il résultait que l'absence de désignation d'un suppléant ne pouvait être sanctionnée au titre de l'obligation exclusivement statutaire en matière de désignation des commissaires aux comptes, violant ainsi la force obligatoire des statuts et ainsi l'article 1134, devenu 1103, du code civil, ensemble l'article L. 235-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

12. Il résulte de l'article L. 823-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie qu'une société à responsabilité limitée qui a désigné un commissaire aux comptes est, que cette désignation soit volontaire ou imposée par la loi ou les statuts, tenue de désigner également un commissaire aux comptes suppléant.

13. L'arrêt relève que les statuts de la société COFICAL nomment le premier commissaire aux comptes et prévoient que les nominations ultérieures auront lieu par décision collective ordinaire des associés, que, le 13 mai 2014, les associés ont désigné M. [O] en qualité de commissaire aux comptes titulaire et M. [J] en qualité de commissaire aux comptes suppléant et que, le 23 juin 2017, M. [O] a démissionné de ses fonctions et a été remplacé par M. [J].

14. Il déduit exactement de ces constatations, dont il résulte que les associés de la société COFICAL étaient tenus de désigner un commissaire aux comptes suppléant en remplacement de M. [J] pour la durée du mandat restant à courir, que la délibération litigieuse est intervenue à défaut de désignation d'un commissaire aux comptes suppléant.

15. Dès lors, la cour d'appel, qui n'a pas prononcé l'annulation de la délibération litigieuse pour violation des statuts de la société COFICAL, mais pour violation de l'article L. 823-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, n'a pas méconnu la force obligatoire de ces statuts.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

17. La société FP Invest et Mme [U] font le même grief à l'arrêt, alors « que la nullité prévue par l'article L. 820-3-1 du code de commerce n'est pas applicable en cas de défaut de désignation du commissaire aux comptes suppléant avant la tenue d'une assemblée générale, qu'en déclarant nulle la délibération du 31 juillet 2017 pour être intervenue à défaut de désignation régulière du commissaire aux comptes suppléant, la cour d'appel a méconnu les articles L. 235-1, L. 820-3-1 et L. 823-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 820-3-1 et L. 823-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie :

18. Selon le premier de ces textes, dans les personnes morales dotées d'une assemblée générale ordinaire, les délibérations de cette instance prises à défaut de désignation régulière de commissaires aux comptes, sont nulles.

19. Selon le second, le commissaire aux comptes suppléant est appelé à remplacer le commissaire aux comptes titulaire en cas de refus, d'empêchement, de démission ou de décès de ce dernier.

20. Ainsi qu'il ressort du rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2005-1126 du 8 septembre 2005 relative au commissariat aux comptes, dont ils sont issus, ces textes ont pour objectif d'assurer la sécurité des actionnaires et des associés, ceux-ci ne devant se prononcer qu'après avoir pu être éclairés par le rapport du commissaire aux comptes. Tel est le cas lorsqu'un commissaire aux comptes titulaire a été régulièrement désigné.

Le défaut de désignation d'un commissaire aux comptes suppléant n'a, par suite, dans une telle hypothèse, pas pour effet de priver les actionnaires ou les associés de la protection que ces textes leur accorde.

21. Il en résulte que la nullité des délibérations de l'assemblée générale ordinaire ne peut être prononcée, sur le fondement de l'article L. 820-3-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, qu'en l'absence de désignation ou en cas de désignation irrégulière de commissaires aux comptes titulaires.

22. Pour dire nulle la délibération de l'assemblée générale ordinaire du 31 juillet 2017 révoquant M. [N] [E] de ses fonctions de gérant de la société COFICAL et constater sa réintégration dans ces fonctions, l'arrêt, après avoir relevé qu'à la date de la convocation des associés à cette assemblée générale, M. [J], commissaire aux comptes suppléant, avait remplacé le commissaire aux comptes titulaire à la suite de la démission de celui-ci, retient que la société était dépourvue d'un commissaire aux comptes suppléant.

L'arrêt en déduit que la délibération litigieuse est intervenue à défaut de désignation régulière des commissaires aux comptes et qu'elle encourt la nullité en application de l'article L. 820-3-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie.

23. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la délibération litigieuse avait été adoptée alors qu'un commissaire aux comptes titulaire avait été régulièrement désigné, ce dont elle aurait dû déduire que cette délibération ne pouvait être annulée au seul motif qu'un commissaire aux comptes suppléant n'avait pas été nommé, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Mise hors de cause

24. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société COFICAL et la société CBF & associés, ès qualités, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable la demande de la société Compagnie financière calédonienne tendant à la révocation de M. [N] [E], l'arrêt rendu le 14 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nouméa ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nouméa autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Ducloz - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie ; SCP Lesourd ; SCP Richard -

Textes visés :

Articles L. 820-3-1 du code de commerce ; article L. 235-1 du code de commerce ; article L. 823-1 du code de commerce.

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