Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

Partie III - Décisions du Tribunal des conflits

SEPARATION DES POUVOIRS

Tribunal des conflits, 12 juin 2023, n° 23-04.276, (B)

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Contentieux de la voie de fait – Voie de fait – Définition – Atteinte portée par l'administration à la liberté individuelle ou au droit de propriété – Décision même régulière – Exécution forcée – Conditions irrégulières

Il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration, soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative.

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Contentieux de la voie de fait – Voie de fait – Définition – Acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l'administration – Atteinte portée par l'administration à la liberté individuelle ou au droit de propriété

Vu, enregistrée à son secrétariat le 13 mars 2023, la lettre par laquelle le greffe du tribunal du tribunal judiciaire de Paris a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant la société civile d'exploitation agricole (SCEA) Val-de-Saône, la SARL [Adresse 1], M. [X] [O] et Mme [P] [H], épouse [O], à Mme [B], préfète de l'Ain, à M. [C], directeur de cabinet de la préfète, à M. [D], directeur départemental des territoires de l'Ain, et à Mme [W], huissier de justice, devant le tribunal judiciaire de Paris ;

Vu le déclinatoire présenté le 30 décembre 2022 par le préfet de la région Île-de-France, préfet de [Localité 2], tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente par les motifs que les opérations d'expulsion des époux [O] et de démolition d'office de leur habitation ne sauraient être qualifiées de voie de fait, et qu'aucune faute personnelle des agents mis en cause n'a été commise en l'espèce ;

Vu l'ordonnance du 6 février 2023 par laquelle le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a rejeté le déclinatoire de compétence ;

Vu l'arrêté du 15 février 2023 par lequel le préfet de la région Ile-de-France a élevé le conflit ;

Vu, enregistré le 9 mars 2023, le mémoire présenté par la SCEA Val de Saône, la SARL [Adresse 1] et les époux [O], tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit par les motifs que cet arrêté est irrecevable et que le litige porte sur des fautes détachables constitutives de voies de fait et d'infractions pénales ;

Vu, enregistrées le 9 mai 2023, les observations présentées par la SCP FOUSSARD FROGER, pour l'agent judiciaire de l'Etat ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer, qui n'a pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Considérant ce qui suit :

1. Les époux [O] et la société civile d'exploitation agricole (SCEA) Val-de-Saône ont assigné la préfète de l'Ain, le directeur de cabinet de la préfète, le directeur départemental des territoires du département de l'Ain et un huissier de justice devant le tribunal judiciaire de Paris, en soutenant que l'intervention du préfet, des autres agents publics et de l'huissier de justice en cause dans l'évacuation forcée d'un bâtiment qui constituait le siège de leur exploitation agricole suivie de la démolition de ce bâtiment, était constitutive d'une voie de fait ainsi que de fautes personnelles détachables du service.

2. D'une part, il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative.

3. Il ressort des pièces versées au dossier que l'expulsion des époux [O] a été ordonnée par un jugement du 19 novembre 2020 du tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, faisant suite à un arrêt devenu définitif de la cour d'appel de Lyon du 12 mars 2008 ordonnant la démolition de l'habitation édifiée sur la parcelle, jugement dont une ordonnance du 21 juin 2021 de ce même tribunal a ordonné l'exécution provisoire. Il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier que, ainsi qu'il est soutenu, la démolition à laquelle il a été procédé porterait sur une construction différente qui aurait été le siège de l'exploitation agricole. Si les opérations décidées par la préfète de l'Ain ont été exécutées de manière forcée et ont abouti à l'extinction d'un droit de propriété, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces opérations, décidées en exécution de décisions de justice, seraient intervenues dans des conditions irrégulières. Ces opérations ne sont pas non plus manifestement insusceptibles d'être rattachées à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative. Elles ne peuvent, par suite, être qualifiées de voie de fait.

4. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une faute personnelle détachable du service aurait été commise en l'espèce par un des agents mis en cause.

5. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le conflit a été élevé.

D E C I D E :

Article 1er :

L'arrêté de conflit pris le 15 février 2023 par le préfet de la région Ile-de-France est confirmé.

Article 2 :

Sont déclarés nulle et non avenue la procédure engagée le 2 décembre 2022 par M. et Mme [O] et la SCEA Val-de-Saône contre la préfète de l'Ain, le directeur de cabinet de la préfète, le directeur départemental des territoires de l'Ain et Mme [W], huissier de justice, devant le tribunal judiciaire de Paris ainsi que l'ordonnance du juge de la mise en état de cette juridiction en date du 6 février 2023.

- Président : M. Mollard - Rapporteur : Mme Maugüé - Avocat général : M. Chaumont (rapporteur public) - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; code de l'urbanisme.

Tribunal des conflits, 12 juin 2023, n° 23-04.254, (B)

Conflit – Contrariété de décisions – Définition – Portée

Il n'y a déni de justice, au sens de l'article 15 de la loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits, que lorsqu'un demandeur est mis dans l'impossibilité d'obtenir une satisfaction à laquelle il a droit.

Vu, enregistrée à son secrétariat le 5 septembre 2022, la requête présentée pour Mme [I] [N] [M], demeurant [Adresse 1], tendant à ce que le Tribunal, saisi par application de l'article 15 de la loi du 24 mai 1872 :

1° annule le jugement n° 1402197 du 29 septembre 2015 du tribunal administratif de Montpellier et l'arrêt n° RG 19/03054 du 19 avril 2022 de la cour d'appel de Montpellier rejetant les demandes qu'elle avait successivement formées, tendant à la condamnation, respectivement, du centre hospitalier de Carcassonne et de M. [V], à réparer les préjudices qu'elle a subis ;

2° évalue à 100 % la perte de chance dont elle a été privée d'éviter l'accouchement provoqué du fait du manquement à l'obligation d'information imputable au docteur [V] et les dommages physiques et psychologiques en résultant, évalue à 83 % la perte de chance dont elle a été privée d'éviter les complications causées par son accouchement provoqué et les dommages physiques et psychologiques en résultant, évalue à 50 % la perte de chance dont elle a été privée d'éviter de déclencher une psychopathologie du fait de l'absence de suivi psychologique mis en place par le centre hospitalier de [Localité 2] ;

3° avant dire droit, ordonne une expertise aux fins d'évaluation des préjudices subis ;

4° condamne M. [V], son assureur la MASCF et le centre hospitalier de [Localité 2] à lui verser la somme de 180 000 euros à titre de provision ;

5° subsidiairement condamne, au titre du manquement à l'obligation d'information et de la faute médicale, M. [V], in solidum avec son assureur la MASCF, à lui verser la somme de 1 047 503 euros ;

6° subsidiairement condamne, au titre de la faute médicale, le centre hospitalier de [Localité 2], in solidum avec M. [V] et la MASCF, à lui verser la somme de 1 047 503 euros ;

7° condamne, au titre du manquement au suivi médical, le centre hospitalier de [Localité 2], in solidum avec M. [V] et la MASCF, à lui verser la somme de 586 359 euros ;

8° mette les dépens de la présente instance et des instances précédentes à la charge du centre hospitalier et de M. [V] ;

9° mette à la charge du centre hospitalier et de M. [V] la somme de 5 000 euros à la société Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, son avocat, au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

par les motifs que la requête satisfait aux conditions de recevabilité fixées par l'article 15 de la loi du 24 mai 1872, le jugement du tribunal administratif de Montpellier et l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, devenus irrévocables, portant sur le même objet et conduisant, en raison de leur contrariété, à un déni de justice ; que les préjudices subis ont été causés par des manquements à l'obligation d'informer le patient imputables à M. [V], par une faute commise par M. [V], le cas échéant conjointement avec l'équipe médicale du centre hospitalier, en décidant de déclencher l'accouchement, par un défaut fautif de suivi psychologique imputable au centre hospitalier ; qu'une nouvelle expertise devrait être ordonnée pour évaluer les préjudices subis, liés à l'hystérectomie et la psychopathologie découlant des suites de l'accouchement ; à défaut, l'indemnisation devrait être fixée conformément aux demandes faites devant la cour d'appel de Montpellier ;

Vu, enregistré le 9 novembre 2022, le mémoire présenté pour M. [B] [V], tendant principalement au rejet de la requête, subsidiairement à la réduction du montant des indemnités demandées et à ce que la MACSF, son assureur, le garantisse de toute condamnation, par les motifs qu'aucun manquement ne peut lui être imputé, de telle sorte que sa responsabilité ne saurait être engagée ; que, subsidiairement, si sa responsabilité était reconnue, la perte de chance devrait être évaluée à 6 % au plus et son assureur devrait le garantir de toute condamnation ; que les préjudices liés à la psychopathologie ne présentent pas de lien de causalité direct et certain avec l'hystérectomie ; que la réalité de certains préjudices allégués n'est pas établie et que le montant de l'indemnité réclamée est excessif ;

Vu, enregistré le 9 novembre 2022, le mémoire présenté pour la société d'assurance mutuelle MACSF Mutuelle Assurance Corps Santé Français, tendant au rejet de la requête, par les motifs que la requête n'est pas recevable, les jugements n'ayant pas été rendus sur le fond et ne présentant pas de contrariété ; que, subsidiairement, aucun manquement ne peut être imputé à M. [V], que la garantie résultant du contrat d'assurance ne couvrait que l'activité de gynécologie médicale en cabinet de ville du praticien, que, en tout état de cause, la responsabilité doit être partagée entre le praticien et le centre hospitalier, que la perte de chance ne peut être évaluée à plus de 10 %, que certains des préjudices allégués ne sont pas établis ;

Vu, enregistré le 23 février 2023, le mémoire présenté pour le centre hospitalier de [Localité 2], tendant principalement au rejet de la requête, subsidiairement à la réduction du montant des indemnités demandées, par les motifs que la requête est irrecevable, les deux décisions n'ayant pas été rendues sur le fond et ne présentant pas de contrariété conduisant à un déni de justice ; qu'aucun manquement à l'obligation d'information ne peut être imputée au centre hospitalier, les risques invoqués n'étant pas connus en 1997 ; qu'aucune faute médicale n'a affecté la décision de déclencher l'accouchement ; que le défaut de suivi psychologique n'a pas été invoqué devant les juridictions administratives et judiciaires et qu'aucune faute n'est caractérisée à ce titre ; que, subsidiairement, si sa responsabilité était reconnue, la perte de chance devrait être évaluée à 6 % au plus ; que la psychopathologie ne présente pas de lien direct et certain de causalité avec l'hystérectomie ; que la réalité de certains préjudices allégués n'est pas établie et que le montant de l'indemnité réclamée est excessif ;

Vu, enregistré le 9 mai 2023, le mémoire en réplique présenté pour Mme [N] [M], tendant aux mêmes fins que sa requête par les mêmes motifs ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aude et au ministre de la santé et de la prévention, qui n'ont pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n°2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de la santé publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 15 de la loi du 24 mai 1872 : « Le Tribunal des conflits peut être saisi des décisions définitives rendues par les juridictions administratives et judiciaires dans les instances introduites devant les deux ordres de juridiction, pour des litiges portant sur le même objet, lorsqu'elles présentent une contrariété conduisant à un déni de justice. / Sur les litiges qui lui sont ainsi déférés, le Tribunal des conflits juge au fond, à l'égard de toutes les parties en cause. Ses décisions ne sont susceptibles d'aucun recours. » Un tel déni de justice n'existe que lorsqu'un demandeur est mis dans l'impossibilité d'obtenir une satisfaction à laquelle il a droit.

2. Mme [N] [M] a demandé à chacun des ordres de juridiction réparation des préjudices résultant pour elle des suites de son accouchement le 2 décembre 1997 au centre hospitalier de [Localité 2], à l'issue duquel elle a été victime d'une grave hémorragie ayant conduit à pratiquer une hystérectomie d'hémostase de sauvetage.

Le tribunal administratif de Montpellier, par un jugement du 29 septembre 2015, a retenu que la décision de déclencher l'accouchement avait été prise par M. [V] dans l'exercice de son activité privée au sein du centre hospitalier, estimé que Mme [N] [M] demandait réparation de préjudices résultant de sa prise en charge dans l'exercice de cette activité privée et rejeté la demande indemnitaire dirigée contre le centre hospitalier. Pour sa part, la cour d'appel de Montpellier, par un arrêt du 19 avril 2022 infirmant le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Carcassonne le 29 janvier 2019, a retenu que le déclenchement de l'accouchement avait été décidé par l'équipe obstétricale du centre hospitalier, jugé qu'aucune faute ne pouvait être retenue à l'encontre de M. [V] et rejeté l'action en responsabilité engagée contre ce médecin et son assureur.

3. A l'appui de ses demandes de réparation, Mme [N] [M] a fait valoir que les conséquences dommageables de l'accouchement résultent de la décision fautive de déclencher l'accouchement et qu'elle n'avait pas été préalablement informée des risques attachés à ce déclenchement. Toutefois, il ne résulte pas des éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction que le déclenchement de l'accouchement, à cinq jours du terme théorique de la grossesse, même pour des motifs étrangers à l'état de santé de l'intéressée ou du foetus, aurait été mis en oeuvre, au moment où il l'a été au matin du 2 décembre 1997, dans des conditions médicales défavorables, compte tenu de l'état des connaissances médicales disponibles à la date de l'accouchement. De même, en l'état des connaissances prévalant alors, il ne résulte pas de l'instruction que le risque d'hémorragie lié à la prise d'ocytocine pour déclencher l'accouchement pouvait être regardé comme justifiant qu'il fasse l'objet d'une information préalable de la patiente avant l'accouchement. Si la requérante fait en outre valoir, devant le Tribunal, que le centre hospitalier aurait commis une faute en s'abstenant de la faire bénéficier d'un suivi psychologique à sa sortie de l'hôpital, il est constant qu'elle n'a invoqué une telle faute ni devant la juridiction administrative ni devant la juridiction judiciaire.

4. Il résulte de ce qui précède que Mme [N] [M] ne peut se prévaloir, ni contre le centre hospitalier de [Localité 2] ni contre le docteur [V], d'un droit à indemnité qui aurait pu être satisfait par les actions engagées devant les deux ordres de juridiction.

Par suite, si les appréciations divergentes retenues par la juridiction administrative puis par la juridiction judiciaire présentent une contrariété, les décisions successivement rendues par ces juridictions n'ont pas conduit à un déni de justice mettant l'intéressée dans l'impossibilité d'obtenir une satisfaction à laquelle elle a droit. Dès lors, les dispositions de l'article 15 de la loi du 24 mai 1872 ne sont pas applicables et les conclusions de Mme [N] [M] tendant à ce que le Tribunal des conflits lui accorde une indemnité ne sont pas recevables. Il s'ensuit que la requête doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er :

La requête de Mme [N] est rejetée.

- Président : M. Mollard - Rapporteur : M. Stahl - Avocat général : M. Chaumont (rapporteur public) - Avocat(s) : SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SARL Le Prado - Gilbert ; SCP Richard -

Textes visés :

Article 15 de la loi du 24 mai 1872.

Tribunal des conflits, 12 juin 2023, n° 23-04.274, (B)

Travaux publics – Dommages causés aux tiers – Occupation temporaire d'un terrain privé sur autorisation du juge judiciaire – Litiges relatifs à l'indemnisation du propriétaire – Compétence administrative

Une demande présentée pour obtenir la réparation des conséquences dommageables de l'occupation temporaire d'une propriété privée résultant de l'exécution de travaux publics relève de la compétence du juge administratif, même si cette occupation a été autorisée par le juge judiciaire.

Vu, enregistré à son secrétariat le 21 décembre 2022, l'expédition de l'arrêt du 19 décembre 2022, par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, saisie par Mme [E] et M. [F] d'une demande en indemnisation de dommages liés à une opération de travaux publics ainsi qu'à l'existence et au fonctionnement d'un ouvrage public, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence concernant la réparation des préjudices nés de l'occupation de la terrasse de leur habitation ;

Vu, enregistré le 24 février 2023, le mémoire du ministre de l'intérieur et des outre-mer qui s'en remet à la décision du Tribunal ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme [E] et M. [F] sont propriétaires d'une maison individuelle située [Adresse 1].

L'immeuble comporte une cour en limite de laquelle se trouve le centre social Albert Schweitzer, qui était la propriété du syndicat d'agglomération nouvelle Ouest Provence.

En vue de travaux d'extension et de rénovation de ce centre social, le syndicat a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence, qui, par ordonnance du 22 avril 2014 lui a donné l'autorisation d'installer une palissade de sécurité dans la cour de l'immeuble de Mme [E] et de M. [F].

Le juge des référés a, par ailleurs, alloué à ces derniers une provision de 1 000 euros au titre de la perte de jouissance de la cour, jusqu'à l'enlèvement des dispositifs de sécurité installés, et une provision de 15 000 euros à valoir sur les préjudices de toute nature résultant des travaux.

La palissade a été retirée le 21 avril 2015.

La métropole d'[Localité 2]-[Localité 3]-Provence, qui vient aux droits du syndicat d'agglomération nouvelle Ouest Provence, a cédé à titre gratuit le centre social Albert Schweitzer à la commune de [Localité 4] le 24 novembre 2016.

2. Mme [E] et M. [F] ont saisi le tribunal de grande instance d'Aix en-Provence d'une demande à l'encontre de la métropole Aix-Marseille-Provence et de la commune de [Localité 4] pour obtenir réparation des conséquences dommageables des travaux exécutés.

Par ordonnance du 21 décembre 2018, le juge de la mise en état du tribunal de grande d'Aix-en-Provence a jugé que cette action en réparation de dommages causés par un ouvrage public en raison de son implantation relevait de la compétence de la juridiction administrative et a renvoyé les parties à mieux de se pourvoir.

3. Mme [E] et M. [F] ont alors saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande en condamnation de la commune de [Localité 4] et de la métropole d'Aix-Marseille-Provence, au paiement de la somme de 155 716 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subi du fait des travaux.

4. Par arrêt du 19 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a fixé à 12 000 euros le montant du préjudice résultant de l'opération de travaux publics, sous déduction des sommes déjà versées au titre de la provision accordée sur ce point par l'ordonnance du 22 avril 2014 du juge des référés du tribunal de grande instance d'Aix en Provence, et renvoyé au Tribunal des conflits, sur le fondement de l'article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence relative aux préjudices résultant de l'occupation temporaire du terrain.

5. La demande présentée devant le juge du fond pour obtenir la réparation des conséquences dommageables de l'occupation de la cour de l'immeuble, qui, comme les autres préjudices invoqués par Mme [E] et M. [F], résultent de l'exécution de travaux publics, relève de la compétence du juge administratif, bien que cette occupation temporaire de leur cour ait été autorisée par le juge judiciaire, statuant en référé.

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction administrative est compétente pour connaître de la demande formée par Mme [E] et M. [F].

Article 2 :

L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 19 décembre 2022 est déclaré nul et non avenu en ce qu'il a annulé le jugement du 11 juin 2021 du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il s'était prononcé au fond sur les conclusions de Mme [E] et de M. [F] tendant à la réparation des préjudices nés de l'occupation de la terrasse de leur habitation.

La cause et les parties sont renvoyées devant la cour administrative d'appel de [Localité 3].

- Président : M. Mollard - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : M. Victor (rapporteur public) -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015.

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