Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

Partie II - Avis de la Cour de cassation

SANTE PUBLIQUE

Avis de la Cour de cassation, 28 juin 2023, n° 23-70.003, (B), FS

Avis

Protection des personnes en matière de santé – Réparation des conséquences des risques sanitaires – Risques sanitaires résultant du fonctionnement du système de santé – Indemnisation des victimes – Indemnisation par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) – Titre exécutoire – Recours de l'assureur – Demande reconventionnelle de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) – Conditions – Portée

1. Pour recouvrer les sommes versées à des victimes de dommages, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) peut, en application des articles L. 1142-15, L. 1221-14, L. 1142-24-7 ou L. 1142-24-17 du code de la santé publique, soit émettre un titre exécutoire à l'encontre des assureurs des structures reprises par l'Etablissement français du sang (EFS) ou encore des assureurs des personnes considérées comme responsables de dommages, de celles-ci ou du Fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins dispensés par des professionnels de santé, soit saisir la juridiction compétente d'une demande à cette fin.

2. Si le juge, saisi par l'assureur d'un recours contre le titre exécutoire émis, valide celui-ci, l'ONIAM n'est pas recevable à former une demande reconventionnelle pour obtenir la condamnation du débiteur à lui payer le montant de ce titre.

Mais il peut demander reconventionnellement sa condamnation à lui payer des intérêts moratoires sur cette créance et, le cas échéant, la pénalité prévue aux articles L. 1142-15, 1142-24-7 ou L. 1142-24-17 du code de la santé publique.

Il peut, en outre, former, à titre subsidiaire, dans l'éventualité où le juge annulerait le titre exécutoire pour un motif d'irrégularité formelle invoqué par le débiteur, une demande reconventionnelle de condamnation de celui-ci au montant du titre exécutoire, ainsi que des intérêts moratoires et, le cas échéant, de la pénalité prévue aux L. 1142-15, 1142-24-7 ou L. 1142-24-17 du code de la santé publique.

Dès lors que la juridiction est appelée à statuer sur des responsabilités liées à la survenue de dommages corporels et sur les préjudices en résultant, l'ONIAM doit mettre en cause les tiers payeurs, conformément aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, afin que ceux-ci puissent solliciter le remboursement de leurs débours.

3. En application des articles 4 et 5 du code de procédure civile, il incombe au juge judiciaire d'examiner, d'abord, la demande principale formée par le débiteur en annulation du titre exécutoire émis par l'ONIAM pour un motif d'irrégularité formelle, puis, le cas échéant, sa demande subsidiaire en annulation du titre exécutoire pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre et les demandes reconventionnelles formées par l'ONIAM. 

4. Le moyen contestant la recevabilité d'une demande reconventionnelle formée par l'ONIAM constitue une fin de non-recevoir susceptible d'être tranchée par le juge de la mise en état en application de l'article 789 du code de procédure civile.

Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile ;

La Cour de cassation a reçu, le 3 avril 2023, une demande d'avis formée le 15 mars 2023 par le tribunal judiciaire de Bobigny, dans une instance opposant l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) à la société Axa France IARD.

Énoncé de la demande d'avis

1. La demande est ainsi formulée : « 

Questions n° 1 :

a) L'ONIAM est-il en droit d'émettre un titre exécutoire afférent au recouvrement d'une créance née de l'application de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique ?

b) L'ONIAM peut-il, dans le cadre d'un litige afférent à une contamination par le VHC (en application de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique ou du IV de l'article 67 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008), formuler une demande reconventionnelle ou subsidiaire de condamnation de l'assureur à la somme correspondant à la créance du titre exécutoire et aux intérêts y afférent, dans l'hypothèse de la validation du titre ? dans l'hypothèse de l'annulation du titre au motif d'une irrégularité formelle ?

c) L'avis en date du 5 avril 2019 n° 413712 du Conseil d'Etat relatif à l'ordre de l'examen du titre exécutoire, à savoir le bien-fondé de la créance puis la régularité formelle du titre, s'impose-t-[il] au juge judiciaire dans le contentieux opposant les assureurs à l'ONIAM sur le fondement de la nature privée du contrat d'assurance ?

Question n° 2

Le moyen visant à la contestation du droit de l'ONIAM à formuler une demande reconventionnelle qualifie-t-[il] une fin de non-recevoir dont le juge de la mise en état a compétence pour la trancher ou un moyen de défense au fond relevant de la compétence du tribunal judiciaire, ce qui implique la potentielle application du 2ème alinéa de l'article 789 du code de procédure civile ? »

Examen de la demande d'avis

2. Les questions de droit posées, qui sont nouvelles et présentent des difficultés sérieuses, sont susceptibles de se poser dans de nombreux litiges.

Sur la première question

3. L'article 67 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, complété par l'article 72 de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012, a mis à la charge de l'ONIAM l'indemnisation des victimes de contaminations transfusionnelles par le virus de l'hépatite C et lui a donné la possibilité, à l'issue de cette indemnisation, conformément à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, de directement demander à être garanti, par les assureurs des structures reprises par l'Etablissement français du sang (l'EFS), des sommes qu'il a versées.

4. Par ailleurs, en application des articles L. 1142-15, L. 1142-24-7 ou L. 1142-24-17 du code de la santé publique, lorsque l'ONIAM s'est substitué aux assureurs de personnes considérées comme responsables de dommages, en cas de silence ou de refus explicite de leur part de faire une offre d'indemnisation ou en cas d'offre manifestement insuffisante, de défaut d'assurance des responsables de dommages ou d'épuisement ou d'expiration de leur couverture d'assurance et a indemnisé les victimes, il est subrogé à concurrence des sommes versées dans les droits de ces victimes contre les personnes responsables des dommages, leurs assureurs ou le Fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins dispensés par des professionnels de santé (le fonds).

5. La question 1/a porte sur le droit de l'ONIAM d'émettre un titre exécutoire pour recouvrer une créance sur le fondement de L. 1221-14 du code de la santé publique.

6. L'ONIAM constitue un établissement public doté d'un comptable public soumis, selon l'article R. 1142-53 du code de la santé publique, aux dispositions des titres Ier et III du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.

7. Le Conseil d'Etat a retenu que l'ONIAM peut émettre des titres exécutoires, d'une part, à l'encontre des assureurs des structures reprises par l'EFS, d'autre part, à l'encontre des personnes considérées comme responsables de dommages, de leurs assureurs ou du fonds afin de recouvrer les sommes versées aux victimes en application des dispositions des articles L. 1221-14 et L. 1142-15 du code de la santé publique (CE, 9 mai 2019, n° 426365, mentionné aux tables du Recueil Lebon - CE, 9 mai 2019, n° 426321, publié au Recueil Lebon).

8. La Cour de cassation a déjà admis la faculté pour l'ONIAM d'émettre un titre exécutoire sur le fondement de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique (2e Civ., 14 avril 2022, n° 21-16.435, publié au Bulletin).

9. Il s'en déduit que, pour recouvrer les sommes versées aux victimes de dommages, l'ONIAM peut soit émettre un titre exécutoire à l'encontre des assureurs des structures reprises par l'EFS ou encore des assureurs des personnes considérées comme responsables de dommages, de celles-ci ou du fonds, auxquels il s'est substitué, soit saisir la juridiction compétente d'une demande à cette fin.

10. La question 1/b porte sur la possibilité pour l'ONIAM de former des demandes reconventionnelles lorsque l'assureur conteste devant le juge judiciaire la validité du titre exécutoire.

11. Il résulte des dispositions précitées que, lorsqu'il a émis un titre exécutoire à l'encontre d'assureurs de structures reprises par l'EFS, de personnes considérées comme responsables de dommages, de leurs assureurs ou du fonds, l'ONIAM n'est pas recevable à saisir ensuite le juge d'une demande tendant à leur condamnation au remboursement de l'indemnité versée à la victime.

12. Dans le cas d'un recours formé contre le titre exécutoire, si l'ONIAM ne peut pas former une demande reconventionnelle pour obtenir la condamnation du débiteur, il peut demander reconventionnellement sa condamnation à lui payer des intérêts moratoires sur cette créance et, le cas échéant, la pénalité prévue aux articles L. 1142-15, L. 1142-24-7 ou L. 1142-24-17 du code de la santé publique.

13. Il peut, en outre, présenter, à titre subsidiaire, dans l'éventualité où le juge annulerait le titre exécutoire pour un motif d'irrégularité formelle invoqué par le débiteur, une demande reconventionnelle de condamnation de celui-ci au montant du titre exécutoire, ainsi que des intérêts moratoires et de la pénalité prévue aux articles L. 1142-15, L. 1142-24-7 ou L. 1142-24-17 du code de la santé publique.

14. Dès lors que la juridiction est appelée à statuer sur des responsabilités liées à la survenue de dommages corporels et sur les préjudices en résultant, l'ONIAM doit mettre en cause les tiers payeurs, conformément aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, afin que ceux-ci puissent solliciter le remboursement de leurs débours.

15. La question 1/c porte sur l'ordre d'examen des demandes formées par l'assureur, lorsque celui-ci conteste le bien-fondé de la créance de l'ONIAM et la régularité formelle du titre.

16. Outre qu'un avis du Conseil d'Etat ne saurait s'imposer au juge judiciaire, il résulte des articles 4 et 5 du code de procédure civile que le juge judiciaire est tenu d'examiner les demandes dans l'ordre fixé par les parties.

17. Il lui incombe, d'abord, d'examiner la demande principale formée par le débiteur en annulation du titre exécutoire émis par l'ONIAM pour un motif d'irrégularité formelle, puis, le cas échéant, sa demande subsidiaire en annulation du titre exécutoire pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre et les demandes reconventionnelles formées par l'ONIAM.

Sur la seconde question

18. Cette question porte sur la qualification du moyen formulé par l'assureur, visant à contester la possibilité pour l'ONIAM de former une demande reconventionnelle, et sur le juge compétent pour statuer sur une telle contestation.

19. Il résulte des paragraphes 12 et 13 que, lorsque le juge valide le titre exécutoire émis par l'ONIAM, celui-ci n'est pas recevable à former une demande de condamnation du débiteur à lui payer le montant de ce titre.

20. Il s'en déduit que le moyen contestant la recevabilité d'une telle demande constitue une fin de non-recevoir susceptible d'être tranchée par le juge de la mise en état en application de l'article 789 du code de procédure civile.

EN CONSEQUENCE, LA COUR :

EST D'AVIS QUE :

1. Pour recouvrer les sommes versées à des victimes de dommages, l'ONIAM peut, en application des articles L. 1142-15, L. 1221-14, L. 1142-24-7 ou L. 1142-24-17 du code de la santé publique, soit émettre un titre exécutoire à l'encontre des assureurs des structures reprises par l'Etablissement français du sang (EFS) ou encore des assureurs des personnes considérées comme responsables de dommages, de celles-ci ou du Fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins dispensés par des professionnels de santé, soit saisir la juridiction compétente d'une demande à cette fin.

2. Si le juge, saisi par l'assureur d'un recours contre le titre exécutoire émis, valide celui-ci, l'ONIAM n'est pas recevable à former une demande reconventionnelle pour obtenir la condamnation du débiteur à lui payer le montant de ce titre.

Mais il peut demander reconventionnellement sa condamnation à lui payer des intérêts moratoires sur cette créance et, le cas échéant, la pénalité prévue aux articles L. 1142-15, 1142-24-7 ou L. 1142-24-17 du code de la santé publique.

Il peut, en outre, former, à titre subsidiaire, dans l'éventualité où le juge annulerait le titre exécutoire pour un motif d'irrégularité formelle invoqué par le débiteur, une demande reconventionnelle de condamnation de celui-ci au montant du titre exécutoire, ainsi que des intérêts moratoires et, le cas échéant, de la pénalité prévue aux L. 1142-15, 1142-24-7 ou L. 1142-24-17 du code de la santé publique.

Dès lors que la juridiction est appelée à statuer sur des responsabilités liées à la survenue de dommages corporels et sur les préjudices en résultant, l'ONIAM doit mettre en cause les tiers payeurs, conformément aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, afin que ceux-ci puissent solliciter le remboursement de leurs débours.

3. En application des articles 4 et 5 du code de procédure civile, il incombe au juge judiciaire d'examiner, d'abord, la demande principale formée par le débiteur en annulation du titre exécutoire émis par l'ONIAM pour un motif d'irrégularité formelle, puis, le cas échéant, sa demande subsidiaire en annulation du titre exécutoire pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre et les demandes reconventionnelles formées par l'ONIAM.

4. Le moyen contestant la recevabilité d'une demande reconventionnelle formée par l'ONIAM constitue une fin de non-recevoir susceptible d'être tranchée par le juge de la mise en état en application de l'article 789 du code de procédure civile.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme de Cabarrus - Avocat général : M. Aparisi -

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