Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

SANTE PUBLIQUE

1re Civ., 14 juin 2023, n° 22-15.224, (B), FRH

Cassation partielle

Etablissement de santé – Dossier médical – Conservation – Durée – Article R. 1112-7 du code de la santé publique, modifié par le décret n° 2006-6 du 4 janvier 2006 – Entrée en vigueur du décret – Situations juridiques en cours – Application immédiate

Les dispositions de l'article R. 1112-7 du code de la santé publique, modifié par le décret n° 2006-6 du 4 janvier 2006, qui imposent, lorsque la durée de conservation d'un dossier s'achève avant le vingt-huitième anniversaire de son titulaire, de proroger la conservation du dossier jusqu'à cette date, s'appliquent immédiatement aux situations juridiques en cours au jour de son entrée en vigueur.

Dès lors, c'est à bon droit et sans trancher de contestation sérieuse qu'une cour d'appel a retenu qu'un hôpital était tenu de conserver le dossier médical d'un patient né le 3 novembre 1994 jusqu'au 3 novembre 2022.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué rendu (Paris, 16 février 2022), rendu en référé, le 3 novembre 1994, M. [Z] est né par césarienne au sein de la société Hôpital privé [5], et a été transféré par M. [C], pédiatre, exerçant son activité à titre libéral, dans le service de néonatologie de l'hôpital [6], où a été diagnostiquée une hémorragie intra-cérébrale gauche étendue. Il a conservé une triplégie droite.

2. Le 3 septembre 2020, M. [Z] a assigné la société Hôpital privé [5], M. [C] et l'association Hôpital [6] en communication sous astreinte de ses dossiers médicaux et paiement d'une provision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. la société Hôpital privé [5] fait grief à l'arrêt de le condamner à communiquer le dossier médical de M. [Z], sous astreinte de 200 euros par jour passé le délai de huit jours à compter de la signification de l'ordonnance de référé du 3 mai 2021, alors « que le juge des référés peut ordonner l'exécution d'une obligation qu'à la condition qu'elle ne soit pas sérieusement contestable ; qu'en l'espèce, pour s'opposer à la demande de M. [Z], né le 3 novembre 1994 dans cet établissement puis transféré à l'hôpital [6], de communication de son dossier médical, formée par acte du 3 septembre 2020, la société Hôpital privé [5] a fait valoir qu'il n'était pas soumis à l'obligation de conserver le dossier médical de M. [Z] jusqu'au vingt-huitième anniversaire de ce dernier, cette obligation n'ayant été instaurée que par le décret n° 2006-6 du 4 janvier 2006 codifié à l'article R. 1112-7 du code de la santé publique, le dossier de M. [Z] ayant été détruit par la société d'archivage le 30 janvier 2015, soit plus de vingt ans après le séjour de M. [Z] au sein de son établissement ; que pour confirmer l'ordonnance de référé ayant ordonné la communication du dossier médical de M. [Z], la cour d'appel a énoncé qu'« à la date invoquée de destruction des dossiers de 1994, l'article R. 1112-7 [du code de la santé publique], dans sa rédaction issue du décret du 4 janvier 2006, avait vocation à recevoir application » et que « la société Hôpital privé [5] était, aux termes de cet article tenu de conserver le dossier de M. [Z] jusqu'au vingt-huitième anniversaire de l'intéressé, ce que l'établissement s'est abstenu de faire » ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel, qui a tranché une contestation sérieuse sur l'existence de l'obligation pour la société Hôpital privé [5] de conserver le dossier de M. [Z], eu égard à la date du séjour de ce dernier dans son établissement, a violé l'article 835 du code de procédure civile » ;

Réponse de la cour

4. C'est à bon droit et sans trancher de contestation sérieuse que la cour d'appel a retenu que, même si le dossier médical de M. [B] avait été ouvert en 1994, la société Hôpital privé [5] était tenue de conserver son dossier jusqu'au 3 novembre 2022 en application des dispositions de l'article R. 1112-7, modifié par le décret n° 2006-6 du 4 janvier 2006, ayant imposé, lorsque la durée de conservation d'un dossier s'achève avant le vingt-huitième anniversaire de son titulaire, de proroger la conservation du dossier jusqu'à cette date.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. la société Hôpital privé [5] fait le même grief à l'arrêt alors « que la contradiction de motifs équivaut à l'absence de motifs ; qu'en retenant que les éléments produits par la société Hôpital privé [5] « ne démontrent nullement qu'il ait été procédé à la destruction du dossier en cause » tout en énonçant « la société Hôpital privé [5] était, aux termes de [l'article R. 1112-7 du code de la santé publique] tenu de conserver le dossier de M. [Z] jusqu'au vingt-huitième anniversaire de l'intéressé, ce que l'établissement s'est abstenu de faire », la cour d'appel s'est contredite, en violation de l'article 455 du code de procédure civile »

Réponse de la cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

7. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

La contradiction entre les motifs équivaut à un défaut de motifs.

8. Pour condamner la société Hôpital privé [5] à communiquer, sous astreinte, le dossier médical de M. [Z], l'arrêt retient à la fois que l'établissement s'est abstenu de le conserver jusqu'au 3 novembre 2022, comme il y était tenu, et que la destruction de ce dossier n'est pas établie.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Et sur le second moyen du pourvoi principal et le moyen du pourvoi incident, pris en leur première branche, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

10. La société Hôpital privé [5] et M. [C] font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à verser à M. [Z] la somme de 5 000 euros à titre de provision, alors « que lorsque l'obligation du défendeur n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut le condamner au versement d'une provision à valoir sur sa créance ; que la cour d'appel a retenu qu'il résultait des éléments du dossier que « subsistent des inconnues dans les circonstances de la naissance de M. [Z] et que la responsabilité de la société Hôpital privé [5] et de M. [U] [C] n'est pas à exclure avec toute l'évidence requise », et que « la demande de provision pour supporter les frais d'un procès destiné à rechercher la responsabilité éventuelle de la société Hôpital privé [5] et de M. [U] [C]" ; qu'en statuant de la sorte, par des motifs dont il résultait qu'il existait une contestation sérieuse sur la possibilité de mettre en jeu la responsabilité civile de la société Hôpital privé [5], la cour d'appel a violé l'article 835 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile :

11. Il résulte de ce texte que le juge ne peut, en référé, accorder une provision au créancier que dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

12. Pour condamner la société Hôpital privé [5] et M. [C] à payer une provision à M. [Z], l'arrêt retient qu'il subsiste des inconnues dans les circonstances de la naissance du demandeur, que la responsabilité de cet établissement n'est pas à exclure avec toute l'évidence requise et que la demande de provision pour supporter les frais d'un procès destiné à rechercher sa responsabilité éventuelle et celle de M. [C] n'est dans ces conditions pas sérieusement contestable.

13. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations l'existence d'une contestation sérieuse sur la responsabilité de la société Hôpital privé [5] et celle de M. [C], la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé le texte susvisé.

Mise hors de cause

14. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause l'hôpital [6] dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en ce qu'il ordonne la communication sous astreinte du dossier médical et en ce qu'il condamne solidairement la société Hôpital privé [5] et M. [C] à verser à M. [Z] la somme de 5 000 euros à titre de provision, l'arrêt rendu le 16 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Met hors de cause l'hôpital [6] ;

Remet sur ce point l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Duval-Arnould (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Bacache-Gibeili - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 835, alinéa 2, du code de procédure civile.

1re Civ., 14 juin 2023, n° 22-18.400, (B), FRH

Cassation

Protection des personnes en matière de santé – Réparation des conséquences des risques sanitaires – Risques sanitaires résultant du fonctionnement du système de santé – Indemnisation des victimes – Indemnisation des dommages résultant d'infections nosocomiales – Régime d'indemnisation ou de responsabilité applicable – Détermination – Intervention ayant une finalité thérapeutique, reconstructrice ou esthétique – Appréciation – Office du juge

Il résulte de la combinaison des articles L. 1142-1, I, alinéa 2, L. 1142-1-1, 1, et L. 1142-3-1 du code de la santé publique qu'il appartient aux juges du fond de se prononcer sur la finalité thérapeutique, reconstructrice ou esthétique d'une intervention, à l'origine d'une infection nosocomiale, lorsqu'ils déterminent le régime d'indemnisation ou de responsabilité applicable.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 16 décembre 2021), les 24 février et 24 octobre 2012, [H] [E] a subi successivement une lipoaspiration et une abdominoplastie, réalisées par M. [V], au sein de la société Polyclinique [7] (la clinique). A la suite de la survenue d'une infection, deux reprises chirurgicales ont été pratiquées, le 2 novembre 2012 par M. [V] et le 15 novembre 2012 par M. [U].

Le 16 novembre, [H] [E] est décédée d'une embolie pulmonaire.

2. M. [E], son époux, agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de [M] et [A] [E], ayant ensuite repris l'instance, ainsi que Mme [J], Mme [W] et M. [W], agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de [F] [W], ont assigné en responsabilité et indemnisation la société Polyclinique [7], M. [V] et M.[U].

3. M. [V] et M. [U] ont été condamnés in solidum à réparer les préjudices subis à la suite du décès de [H] [E] à hauteur de 80 % au titre de négligences dans sa prise en charge.

Examen des moyens

Sur le moyen relevé d'office

4. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 1142-1, I, alinéa 2, L. 1142-1-1, 1°, et L. 1142-3-1 du code de la santé publique :

5.Selon le premier de ces textes, les établissements, services et organismes dans lesquels sont réalisés des actes de prévention de diagnostic ou de soins sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.

6. Selon le deuxième, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales.

7. Selon le dernier, le dispositif de réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale mentionné au II de l'article L. 1142-1 et aux articles L. 1142-1-1 et L.1142-15 du code de la santé publique n'est pas applicable aux demandes d'indemnisation de dommages imputables à des actes dépourvus de finalité contraceptive, abortive, préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice, y compris dans leur phase préparatoire ou de suivi.

8. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'il appartient aux juges du fond de se prononcer sur la finalité thérapeutique, reconstructrice ou esthétique d'une intervention, à l'origine d'une infection nosocomiale, lorsqu'ils déterminent le régime d'indemnisation ou de responsabilité applicable.

9. Pour déclarer irrecevables les demandes formées contre la polyclinique [7], l'arrêt énonce que le législateur a instauré un régime d'indemnisation spécifique des dommages les plus graves découlant des infections nosocomiales dont la réparation incombe exclusivement à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) en application de l'article L. 1142-1-1, 1°, du code de la santé publique et dont les dispositions s'imposent aux victimes.

10. En se déterminant ainsi, sans se prononcer sur la finalité de l'intervention en cause et sans permettre, en conséquence, à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur le régime d'indemnisation ou de responsabilité applicable, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

11. Les consorts [E] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à ordonner à la clinique de mettre l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) en cause, alors « qu'aux termes de l'article L. 1142-21, I, alinéa 1, du code de la santé publique, lorsque la juridiction compétente, saisie d'une demande d'indemnisation des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins dans un établissement de santé, estime que les dommages subis sont indemnisables au titre du II de l'article L. 1142-1 ou au titre de l'article L. 1142-1-1, l'ONIAM est appelé en la cause s'il ne l'avait pas été initialement ; qu'en déboutant les consorts [E] de leur demande tendant à la mise en cause de l'ONIAM, après avoir constaté que les dommages subis étaient indemnisables au titre de l'article L. 1142- 1-1 du code de la santé publique et que « seul l'ONIAM est tenu d'en assurer la réparation », de sorte qu'il lui appartenait d'ordonner la mise en cause de cet organisme avant toute décision sur le fond, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-21, I, alinéa 1, du code de la santé publique et l'article 332 du code de procédure civile »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1142-21, alinéa 1, du code de la santé publique

12. Aux termes de ce texte, lorsque la juridiction compétente, saisie d'une demande d'indemnisation des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins dans un établissement de santé, estime que les dommages subis sont indemnisables au titre du II de l'article L. 1142-1 ou au titre de l'article L. 1142-1-1, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) est appelé en la cause s'il ne l'avait pas été initialement. Il devient défendeur en la procédure.

13. Pour écarter la demande des consorts [E] d'ordonner à la clinique de mettre en cause l'ONIAM, l'arrêt énonce que les dispositions de l'article L. 1142-1-1, 1°, s'imposent aux victimes qui doivent former leurs demandes d'indemnisation contre celui-ci.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Duval-Arnould (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Bacache-Gibeili - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : Me Bertrand -

Textes visés :

Articles L. 1142-1, I, alinéa 2, L. 1142-1-1, 1, et L. 1142-3-1 du code de la santé publique.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.