Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

REFERE

Com., 28 juin 2023, n° 22-11.752, (B), FRH

Rejet

Sauvegarde d'éléments de preuve avant tout procès – Conditions – Mesure nécessaire et proportionnée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 18 novembre 2021), invoquant des soupçons d'actes de déloyauté et de concurrence déloyale de la part d'un ancien salarié, M. [H], et de la société Sadigh Group, prestataire informatique qui venait de la remplacer auprès de l'un de ses clients, le groupe Bymycar, la société Axess Online a déposé une requête, sur le fondement des articles 145 et 493 du code de procédure civile, afin de voir ordonner diverses mesures d'instruction.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et cinquième branches

Enoncé du moyen

3. M. [H] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de rétractation de l'ordonnance sur requête, alors :

« 1°/ que le juge des requêtes ne peut faire droit à une demande que s'il justifie concrètement de la nécessité pour le requérant de déroger à la contradiction, sans pouvoir se contenter d'affirmations d'ordre général ; qu'en l'espèce, pour refuser de rétracter la demande, la cour d'appel a jugé que l'ordonnance sur requête était suffisamment motivée à ce titre, après avoir simplement relevé que « la requête déposée le 4 décembre 2020 au président du tribunal judiciaire de Dijon par la société Axess Online mentionne en pages 16 et 17 que : « les circonstances de l'espèce font que la mesure d'instruction sollicitée ne peut être efficace que si elle est ordonnée sans débat contradictoire préalable sur le fondement de l'article 493 du code de procédure civile, afin notamment que les informations et documents probants ne soient pas détruits, dissimulés ou altérés.

En effet, si M. [H] était informé de la mesure d'instruction dans le cadre d'un débat contradictoire, il ne manquerait pas de dissimuler, voire de supprimer toute preuve tenant à démontrer des actes de concurrence déloyale et de manquements à ses obligations de loyauté, et notamment : transmission d'éléments techniques, commerciaux ou financiers appartenant à la société Axess Online et concernant son client Bymycar, favorisation du départ du client Bymycar vers la société Sadigh Group, démarchage de salariés de la société Axess Online, éventuellement écrits tendant à dénigrer la société Axess Online, actions de M. [H] ayant pour objet de démarcher les clients de la société Axess Groupe. Dans le cadre d'un débat contradictoire, M. [H] ne produirait à aucun moment lui-même les éléments qui seraient demandés, ce qui empêcherait de caractériser ses manquements et fautes envers la société Axess Online » " et que « la requérante a exposé de façon détaillée le contexte laissant craindre des agissements fautifs de M. [H] de nature à constituer des manquements à son obligation de loyauté et/ou des actes de concurrence déloyale », ce dont elle a déduit que « c'est donc à bon droit que le premier juge a considéré que la requérante avait énoncé de manière précise les points sur lesquels portaient ses craintes de voir disparaître certains éléments de preuve et fait référence à des éléments spécifiques au contexte de leur relation contractuelle et qu'il a pu justement retenir que le risque de dissimulation et de dépérissement des preuves recherchées et la nécessité de ménager un effet de surprise étaient motivés par référence à ce contexte, alors que la mesure d'instruction sollicitée portait sur des éléments de preuve pouvant facilement être détruits puisqu'il s'agissait essentiellement de documents stockés sur des outils informatiques » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs d'ordre général et susceptibles de correspondre à n'importe quel dossier, sans caractériser notamment ce qui permettait de considérer que M. [H] pouvait se livrer à des dissimulations ou destructions d'informations, la cour d'appel a violé les articles 493 et 495 du code de procédure civile ;

2°/ que le juge saisi sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ne peut faire droit à la demande que s'il constate que le demandeur justifie d'un motif légitime à la solliciter, ce qui suppose que le requérant fonde sur prétentions sur des faits précis, objectifs et vérifiables permettant de présumer les manquements qu'il impute à la personne visée par la mesure sollicitée pour la justifier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la mesure sollicitée reposait sur un motif légitime, aux motifs que « le principal client Bymycar de la société Axess Online, après avoir résilié son contrat avec cette dernière, a signé un contrat avec la société concurrente Sadigh Group, au sein de laquelle M. [H] ne conteste pas exercer une activité salariée, alors qu'il avait été précédemment en charge du client Bymycar pendant de nombreuses années, avant son départ de la société Axess Online », que d'autres salariés de la société Axess Online en lien avec ce client avaient rejoint la société Sadigh Group et que M. [H] aurait sollicité avant son départ de l'entreprise l'ensemble du fichier salarié pour « leur dire au revoir », de sorte que ces indices sérieux caractérisaient le motif légitime de la société Axess Online à agir ; qu'en statuant ainsi, sans faire état d'aucun fait objectif et prouvé imputable à M. [H] et de nature à laisser penser qu'il aurait commis la moindre déloyauté et le moindre acte de concurrence déloyale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile ;

5°/ que constituent des mesures légalement admissibles au sens de l'article 145 du code de procédure civile, des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi, de sorte qu'il incombe au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, ce qui implique notamment de constater l'absence d'autres moyens d'obtenir les pièces recherchées ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que la mesure sollicitée était limitée et proportionnée, pour permettre de « concilier le droit à la preuve de la société demanderesse et le droit au respect dû à la vie privée du défendeur » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher ni si cette mesure était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la société Axess Online, ni si celle-ci ne disposait pas d'autres moyens d'obtenir les preuves recherchées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile, ensemble le principe du droit à la preuve et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

4. En premier lieu, après avoir relevé que les sociétés du groupe Bymycar avaient mis fin à leurs relations contractuelles avec la société Axess Online, avec qui elles étaient en affaire depuis plus de dix ans, et que M. [H], qui avait en charge ce groupe lorsqu'il était encore salarié de cette société et venait de prendre sa retraite, était désormais salarié de la société Sadigh Group, ayant remplacé la société Axess Online auprès de ce groupe de sociétés, l'arrêt retient que la société Axess Online avait exposé, de façon détaillée, ce contexte dans sa requête et établi que M. [H] avait essayé d'obtenir la liste de ses salariés après son départ à la retraite et qu'il avait sollicité plusieurs d'entre eux pour qu'ils viennent travailler pour la société Sadigh Group, laissant craindre de sa part des agissements fautifs. Il ajoute que le risque de dissimulation et de dépérissement des preuves recherchées et la nécessité de ménager un effet de surprise étaient justifiés par la référence à ce contexte et par le fait que la mesure d'instruction sollicitée portait, pour l'essentiel, sur des documents informatiques, pouvant être facilement détruits.

5. En cet état, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié l'existence d'un motif légitime d'ordonner une mesure d'instruction au regard de l'existence d'indices objectifs faisant craindre la réalisation d'actes de déloyauté et de concurrence déloyale de la part d'un ancien salarié de la société Axess Online et ne s'est pas prononcée par des motifs d'ordre général, a caractérisé les circonstances justifiant une dérogation au principe de la contradiction.

6. Le moyen, pris en ses deux premières branches, n'est donc pas fondé.

7. En second lieu, ayant énoncé que l'exercice du droit à la preuve, en ce qu'il tend à la protection des droits et libertés d'autrui, poursuit un but légitime permettant de porter atteinte au respect dû à la vie privée et que seules les mesures circonscrites dans le temps, dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi sont légalement admissibles, l'arrêt relève, d'abord, que les recherches étaient limitées aux fichiers, documents et correspondances en rapport avec les faits litigieux et qu'elles ne ciblaient pas les documents personnels de M. [H]. Il retient, ensuite, que les fichiers informatiques étaient identifiés au moyen de mots-clefs précis et en rapport avec les faits dénoncés, dès lors que les termes génériques de « centre de gestion » et « CDS (centre de service) » se rapportaient à l'objet du contrat signé avec les sociétés du groupe Bymycar et que les mots-clefs Corhofi et [J] concernaient l'activité de vente de matériel informatique de la société Axess Online, la société Corhofi ayant pour activité le financement des acquisitions de matériel pour les clients d'Axess Online, tandis que M. [J] était le contact de M. [H] auprès de la société Corhofi.

8. L'arrêt relève, encore, que la mesure portait sur les documents et fichiers postérieurs au mois de janvier 2019 et en déduit qu'elle était limitée dans le temps. Il retient, enfin, que l'autorisation donnée à l'huissier de justice de pénétrer au domicile de M. [H], hors sa présence et sans son autorisation, était assortie d'une garantie du respect de ses droits par la présence de deux témoins et qu'en l'absence d'autorisation de « craquer » les mots de passe et les « codes PIN », la mesure ordonnée aurait perdu toute utilité.

9. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, dont elle a déduit que les mesures d'instruction ordonnées étaient nécessaires à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnées aux intérêts antinomiques en présence, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche invoquée par la cinquième branche, que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Regis - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 145 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 25 mars 2021, pourvoi n° 20-14.309, Bull., (rejet).

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