Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

QUASI-CONTRAT

3e Civ., 8 juin 2023, n° 21-24.738, (B), FS

Cassation partielle

Paiement de l'indu – Action en répétition – Exercice – Personne contre laquelle elle doit être dirigée – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims,15 septembre 2021), par acte authentique du 1er août 2007, M. et Mme [M], seuls gérants de l'exploitation agricole à responsabilité limitée du Grand Vaucouard (la société Vaucouard), ont consenti un bail rural à long terme sur des parcelles antérieurement exploitées par cette société, à MM. [H] et [Y] [X] (les consorts [X]) qui les ont mises à disposition de l'exploitation agricole à responsabilité limitée [X] frères (la société [X] frères).

2. Par acte authentique du même jour, M. et Mme [M] ont vendu à la société [X] frères un corps de ferme, le cheptel, les stocks ainsi que le matériel incluant le coût des arrière-fumures.

3. Le 9 septembre 2019, les consorts [X] et la société [X] frères ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d'une action en répétition de cette somme dirigée contre M. et Mme [M], puis soutenant que la société Vaucouard avait perçu le montant des arrière-fumures, ils l'ont appelée en intervention forcée.

4.La société [X] frères a été mise en redressement judiciaire et la société [I]-[R] (le mandataire judiciaire) a été désignée, en qualité de mandataire judiciaire, puis de commissaire à l'exécution du plan.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. Les consorts [X], la société [X] frères et le mandataire judiciaire font grief à l'arrêt de dire irrecevable leur demande en répétition de l'indu dirigée contre la société Vaucouard, alors « que la fraude corrompt tout ; qu'en l'espèce, MM. [X] et la société [X] Frères faisaient valoir que les époux [M] avaient imaginé un montage juridique pour contourner l'interdiction édictée par les dispositions du code rural, qu'ils soulignaient en ce sens que bien que l'acte authentique de vente du 1er août 2007 mettant à la charge de la société [X] Frères le paiement des arrières fumures ait été conclu entre les époux [M] et la société [X] Frères seuls, la société du Grand Vaucouard, qui n'était ainsi pas intervenue à cet acte et qui n'avait donc aucune vocation à en percevoir le prix mais dont les époux [M] étaient alors les deux seuls associés, avait néanmoins établi la facture et perçu le prix de vente pourtant passé, pour le montant hors taxe, par la comptabilité du notaire ; qu'en se bornant à retenir, pour statuer comme elle l'a fait, que les juges de première instance ont pu constater que l'action en répétition de l'indu dont bénéficiaient les preneurs s'est avérée prescrite le 20 juin 2013, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si, en procédant ainsi, les époux [M] et la société du Grand Vaucouard n'avaient pas eu recours à un montage frauduleux de sorte qu'ils ne pouvaient se prévaloir de la prescription, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 411-69 et L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime ensemble l'adage selon lequel la fraude corrompt tout. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a, par motifs propres et adoptés, énoncé, à bon droit, d'une part, que l'action en répétition prévue par l'article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime était, sauf lorsqu'elle est exercée à l'encontre du bailleur, soumise à la prescription de droit commun, d'autre part, que, par l'effet de l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, le délai de prescription avait été réduit de trente ans à cinq ans.

7. Elle a constaté qu'il ressortait des pièces produites aux débats que la société [X] frères avait réglé par chèque du 1er août 2007 la somme de 77 000 euros HT au titre des arrière-fumures, puis payé le montant de la TVA par chèque du 30 septembre 2007.

8. Sans être tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée sur l'existence d'un montage frauduleux, la cour d'appel, qui en a exactement déduit que l'action en répétition de l'indu dirigée contre la société Vaucouard, preneur sortant, était prescrite depuis le 20 juin 2013, a légalement justifié sa décision de ce chef.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. Les consorts [X], la société [X] frères et le mandataire judiciaire font grief à l'arrêt de rejeter leur demande en répétition de l'indu formée contre M. et Mme [M], alors « que l'indemnisation des améliorations culturales apportées au fonds par le preneur sortant incombe au seul bailleur et que les conventions en mettant le coût à la charge du preneur entrant, illicites quelle qu'en soit la forme, donnent lieu à répétition des sommes indûment perçues ; qu'en conséquence, le preneur entrant qui a réglé une indemnité pour amélioration du fonds en exécution d'une convention illicite conclue avec le seul bailleur, est en droit d'en obtenir la restitution auprès de ce dernier, peu important que la somme indue ait été perçue par le preneur sortant ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que ce n'était pas les époux [M], bailleurs, qui avaient supporté le coût de l'indemnité pour améliorations due au preneur sortant, la société du Grand Vaucouard, mais la société [X] Frères, preneur entrant, en signant avec les époux [M] un acte authentique de vente du 1e août 2007 prévoyant le paiement des arrières-fumures ; qu'en retenant, pour débouter MM. [X] et la société [X] Frères de leur action en répétition de l'indu à l'encontre des époux [M], que la société [X] Frères aurait payé la somme indue de 92.092 euros sur facture établie par la société du Grand Vaucouard de sorte que cette somme aurait été perçue non par les époux [M] mais par cette dernière, quand il ressortait de ses propres constatations que, par acte authentique de vente du 1er août 2007, les époux [M], bailleurs, avaient mis le coût des améliorations à la charge de la société [X] Frères et qu'ils étaient donc seuls créanciers de ces sommes, la société du Grand Vaucouard, qui n'était pas intervenue à cet acte, n'ayant aucune vocation à en percevoir le prix, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles L. 411-69 et L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la cour

Vu les articles L. 411-69, alinéa 1, et L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime et 1376 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

10. Aux termes du premier de ces textes, le preneur qui a, par son travail ou par ses investissements, apporté des améliorations au fonds loué a droit, à l'expiration du bail, à une indemnité due par le bailleur, quelle que soit la cause qui a mis fin au bail.

11. Selon le deuxième, sont sujettes à répétition les sommes indûment perçues par tout bailleur, tout preneur sortant ou tout intermédiaire qui aura, directement ou indirectement, à l'occasion d'un changement d'exploitant, soit obtenu ou tenté d'obtenir une remise d'argent ou de valeurs non justifiée, soit imposé ou tenté d'imposer la reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci.

L'action en répétition exercée à l'encontre du bailleur demeure recevable pendant toute la durée du bail initial et des baux renouvelés qui lui font suite ainsi que, en cas d'exercice du droit de reprise, pendant un délai de dix-huit mois à compter de la date d'effet du congé.

12. Il résulte du troisième que l'action en répétition de l'indu peut être engagée non seulement contre celui qui a reçu le paiement mais aussi contre celui pour le compte duquel il a été reçu.

13. Pour rejeter la demande en répétition de l'indu formée contre M. et Mme [M], l'arrêt retient que la société [X] frères a réglé le coût des arrière-fumures sur la base d'une facture émise par la société Vaucouard et qu'aucun élément ne permet de déterminer que M. et Mme [M] ont bénéficié, directement ou indirectement, de cette somme.

14. En statuant ainsi, tout en relevant que les sommes payées, par le preneur entrant, en exécution de l'acte de vente du 1er août 2007 conclu avec M. et Mme [M] et auquel la société Vaucouard n'était pas partie, correspondaient aux arrière-fumures dont le paiement prohibé par l'article L. 411-74 précité, était indu, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations desquelles il résultait que le paiement avait été reçu par la société Vaucouard pour le compte de M. et Mme [M], a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de MM. [H] et [Y] [X] et de l'exploitation agricole à responsabilité limitée [X] frères formée contre M. et Mme [M], l'arrêt rendu le 15 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Bosse-Platière - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime ; loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ; articles L. 411-69, alinéa 1, et L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime ; article 1376 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 4 juillet 2012, pourvoi n° 10-21.249, Bull. 2012, III, n° 102 (Cassation partielle par voie de retranchement sans renvoi), et l'arrêt cité.

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