Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

PRESCRIPTION CIVILE

Com., 21 juin 2023, n° 21-19.853, (B), FS

Cassation

Délai – Point de départ – Applications diverses – Contrat d'assurance-vie libellé en unités de compte – Manquement à l'obligation d'information du client – Support ayant fait l'objet d'un désinvestissement – Perte d'une chance d'éviter la réalisation des pertes – Date de rachat du contrat d'assurance-vie

Il résulte de la combinaison des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Le manquement d'un conseiller en gestion de patrimoine à son obligation d'informer le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie libellé en unités de compte sur le risque de pertes présenté par un support d'investissement, ou à son obligation de le conseiller au regard d'un tel risque, prive ce souscripteur d'une chance d'éviter la réalisation de ces pertes. Celles-ci ne se réalisent qu'au rachat du contrat d'assurance-vie, quand bien même le support en cause aurait fait antérieurement l'objet d'un désinvestissement. Le préjudice résultant d'un tel manquement doit être évalué au regard, non de la variation de la valeur de rachat de l'ensemble du contrat, mais de la moins-value constatée sur ce seul support, modulée en considération du rendement que, dûment informé ou conseillé, le souscripteur aurait pu obtenir du placement des sommes initialement investies sur ce support jusqu'à la date du rachat du contrat.

Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date où l'investissement a lieu, mais à la date du rachat du contrat d'assurance-vie.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 8 juin 2021), sur les conseils de la société Axyalis patrimoine, M. [T] a souscrit un contrat d'assurance-vie en unités de compte et a investi, le 9 décembre 2010, une certaine somme dans des unités de compte « Axyalis coupons ».

En 2014, les fonds ont été désinvestis et réinvestis dans des unités de compte « Kairos ».

2. Soutenant avoir subi une forte baisse des capitaux investis, résultant d'un manquement de la société Axyalis patrimoine à ses obligations de conseil, de mise en garde et d'assurer l'adéquation des supports conseillés avec le profil de risque déclaré de l'investisseur, M. [T] l'a assignée en responsabilité.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. M. [T] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action en responsabilité contre la société Axyalis patrimoine, alors « que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que le dommage résultant du manquement d'une société de conseil en gestion de patrimoine à son devoir de conseil, de mise en garde et d'assurer l'adéquation des supports d'investissement avec le profil de risque déclaré des investisseurs se réalise et ne peut être connu de ces derniers qu'à l'échéance des unités de compte constituées de produits structurés dont le résultat n'est acquis qu'à cette échéance ; qu'à l'appui de sa décision, la cour d'appel a estimé que, dès la conclusion des contrats en cause, M. [T] savait que les supports conseillés comportaient des risques de perte en capital, le point de départ du délai de prescription de son action en responsabilité contre cette société de conseil en gestion de patrimoine se situant en conséquence à la date de conclusion desdits contrats ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le devoir de conseil, de mise en garde et d'assurer l'adéquation des supports conseillés avec le profil de risque déclaré de l'investisseur, violant les articles 1134 ancien et 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :

4. Il résulte de la combinaison de ces textes que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

5. Le manquement d'un conseiller en gestion de patrimoine à son obligation d'informer le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie libellé en unités de compte sur le risque de pertes présenté par un support d'investissement, ou à son obligation de le conseiller au regard d'un tel risque, prive ce souscripteur d'une chance d'éviter la réalisation de ces pertes. Celles-ci ne se réalisent qu'au rachat du contrat d'assurance-vie, quand bien même le support en cause aurait fait antérieurement l'objet d'un désinvestissement.

Le préjudice résultant d'un tel manquement doit être évalué au regard, non de la variation de la valeur de rachat de l'ensemble du contrat, mais de la moins-value constatée sur ce seul support, modulée en considération du rendement que, dûment informé ou conseillé, le souscripteur aurait pu obtenir du placement des sommes initialement investies sur ce support jusqu'à la date du rachat du contrat.

6. Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date où l'investissement a lieu, mais à la date du rachat du contrat d'assurance-vie.

7. Pour déclarer prescrite l'action de M. [T], l'arrêt retient qu'il résulte de divers éléments que, dès son premier investissement sous forme d'unités de compte, qu'il s'agisse de l'unité de compte Axyalis coupons ou de l'unité de compte Kairos, il était informé du risque inhérent à ce type de placement et de l'aléa que représente l'interdépendance entre les actions du panier. Il en déduit que, dès le 9 décembre 2010, M. [T] savait qu'un dommage caractérisé par la perte du capital investi était susceptible de se réaliser et qu'il en assumait intégralement le risque et que, par conséquent, le point de départ du délai de prescription doit être fixé à cette date.

8. En statuant ainsi, alors qu'à cette date, le dommage invoqué par M. [T], tenant aux pertes subies sur les sommes investies, ne s'était pas réalisé, de sorte que le délai de prescription n'avait pas commencé à courir, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Boutié - Avocat général : M. Lecaroz - Avocat(s) : SCP Ghestin ; SARL Ortscheidt -

Textes visés :

Article 2224 du code civil ; article L. 110-4 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination du point de départ de la prescription en présence d'un nantissement d'un contrat d'assurance-vie, à rapprocher : Com., 6 mars 2019, pourvoi n° 17-22.668, Bull., (cassation partielle).

2e Civ., 15 juin 2023, n° 21-14.197, (B), FS

Rejet

Prescription décennale – Article 2226 du code civil – Domaine d'application – Dommage corporel – Absence d'aggravation de l'état de santé – Acquisition de prothèses ou fauteuils roulants

Fait une exacte application de l'article 2226 du code civil, la cour d'appel qui, en l'absence d'aggravation de l'état de santé de la victime, déclare prescrite la demande d'indemnisation de frais liés à l'acquisition de prothèses et de fauteuils roulants plus performants ou destinés à la pratique d'un handisport, présentée plus de dix ans après la date de consolidation, en retenant qu'ils ne constituent ni une aggravation situationnelle ni un préjudice nouveau.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 janvier 2021), M. [B], victime d'un accident de la circulation le 15 mars 1998, a conclu le 2 juillet 2002 avec la société GMF assurances une transaction lui allouant une certaine somme « tous chefs de préjudice confondus, hormis les frais d'appareillage à charge ».

2. Le 29 juin 2015, un juge des référés, saisi par M. [B] qui se prévalait d'une aggravation de son préjudice, a ordonné une mesure d'expertise médicale.

L'expert désigné a conclu à l'absence d'aggravation, tant fonctionnelle que situationnelle, à l'existence de nouvelles douleurs et à la nécessité de nouveaux soins pour réduire ou prévenir une aggravation.

3. M. [B] a saisi un tribunal de grande instance en indemnisation de l'aggravation de son état de santé et a sollicité, notamment, la prise en charge de frais liés à l'acquisition de prothèses et de fauteuils roulants plus performants ou destinés à la pratique d'un handisport.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. M. [B] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites ses demandes relatives aux dépenses de santé d'appareillage, alors :

« 1°/ que l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ; que l'augmentation du coût de renouvellement des appareils et prothèses permettant de compenser le handicap consécutif à ce dommage corporel constitue un préjudice autonome, distinct du préjudice correspondant au coût initial des frais d'appareillage dont il constitue une aggravation ; qu'il s'ensuit que la demande d'indemnisation de ce préjudice aggravé ne commence à se prescrire qu'à compter de sa caractérisation, peu important que le taux de déficit fonctionnel permanent correspondant au handicap n'ait, quant à lui, pas varié ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déclaré irrecevable, comme prescrite, la demande de M. [B] tendant à l'indemnisation des frais d'appareillage demeurés à sa charge depuis 2015, en considérant qu'aucune aggravation fonctionnelle n'avait été constatée, et que les progrès technologiques des équipements qui pouvaient être utilisés pour compenser son handicap n'avaient pas entraîné de dégradation de sa situation, de sorte que le coût associé, demeuré à la charge de M. [B], ne pouvait pas être rattaché à l'existence d'un préjudice nouveau lié à l'aggravation de son état de santé ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que l'augmentation du coût lié à l'acquisition ou au renouvellement d'équipements destinés à compenser le handicap causé par un accident, en raison de progrès technologiques, s'analyse en une aggravation situationnelle du préjudice initial, consécutive à une évolution des modalités de compensation de ce handicap par le recours à de tels équipements, la cour d'appel a violé l'article 2226 du code civil ;

2°/ que l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ; que, lorsque la victime est affectée d'un handicap moteur, le coût lié à l'acquisition des équipements nécessaires à une pratique sportive, fût-elle débutée après l'accident, constitue un préjudice réparable puisque, sans l'accident, la victime aurait pu entamer cette pratique sans avoir à exposer des frais supplémentaires liés à son handicap ; qu'en l'espèce, M. [B] sollicitait l'indemnisation des frais d'appareillage demeurés à sa charge depuis 2015, date de l'aggravation retenue par l'expert judiciaire, avec une capitalisation viagère pour tenir compte du renouvellement des équipements concernés ; puisque, sans l'accident, la victime aurait pu entamer cette pratique sans avoir à exposer des frais supplémentaires liés à son handicap ; qu'en l'espèce, M. [B] sollicitait l'indemnisation des frais d'appareillage demeurés à sa charge depuis 2015, date de l'aggravation retenue par l'expert judiciaire, avec une capitalisation viagère pour tenir compte du renouvellement des équipements concernés ; qu'il demandait notamment l'indemnisation du coût d'acquisition et de renouvellement d'un fauteuil roulant de sport de type RGK Elite ; que la cour d'appel a déclaré prescrite la demande d'indemnisation au titre des frais d'appareillage, après avoir relevé que l'état de M. [B] avait été considéré comme consolidé le 15 mars 2000, date à laquelle son besoin en appareillage était connu, dans la mesure où ce besoin n'avait pas évolué depuis, aucune aggravation fonctionnelle n'ayant été constatée ; qu'elle a ajouté que « les progrès technologiques n'ont pas entraîné pour M. [B] une dégradation de sa situation », et que sa décision de pratiquer le basket à partir de 2008, qui l'a conduit à solliciter la prise en charge d'un fauteuil roulant spécifique, résultait d'un choix personnel, concluant que « la demande de changement de modèle de prothèses et de fauteuil ne peut être rattachée à l'existence d'un préjudice nouveau lié à l'aggravation de l'état de santé de M. [B] » ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que le choix personnel de M. [B] ne portait que sur l'intention de pratiquer un sport, et ne pouvait pas impliquer l'obligation d'assumer le surcoût lié à cette pratique sportive en raison du grave handicap consécutif à l'accident de la circulation dont il avait été victime, de sorte que les frais correspondants s'analysaient en une aggravation situationnelle de son préjudice, dont la prescription n'avait pas pu commencer à courir dès le 15 mars 2000, la cour d'appel a violé l'article 2226 du code civil ;

3°/ que l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ; que, lorsque la victime est affectée d'un handicap moteur, le coût lié au renouvellement des équipements nécessaires pour compenser ce handicap, comme le coût inhérent à l'acquisition d'équipements nouveaux, qui n'étaient pas disponibles sur le marché lors de l'indemnisation initiale, constituent des préjudices réparables autonomes, dès lors que les préjudices liés aux frais d'appareillage n'ont pas été complètement indemnisés à l'origine ; qu'en l'espèce, il sollicitait l'indemnisation des frais d'appareillage demeurés à sa charge depuis 2015, date de l'aggravation situationnelle retenue par l'expert judiciaire, avec une capitalisation viagère pour tenir compte du renouvellement des équipements concernés ; qu'il ajoutait que sa demande ne pouvait pas être atteinte par la prescription, dans la mesure où ces équipements n'avaient été mis sur le marché, pour les plus anciens, qu'en 2011 et n'existaient pas au moment de l'accident ; qu'il était ainsi question, notamment, de l'acquisition puis du renouvellement, à titre viager, de prothèses plus performantes que celles utilisées par lui depuis la consolidation de son état, ainsi que d'un fauteuil roulant de ville de type RGK Tiga ; que la cour d'appel a déclaré prescrite la demande d'indemnisation au titre des frais d'appareillage, après avoir considéré que son état avait été considéré comme consolidé le 15 mars 2000, date à laquelle son besoin en appareillage était connu, dans la mesure où ce besoin n'avait pas évolué depuis, aucune aggravation fonctionnelle n'ayant été constatée ; qu'elle a ajouté que « les progrès technologiques n'ont pas entraîné pour lui une dégradation de sa situation », concluant que « la demande de changement de modèle de prothèses et de fauteuil ne peut être rattachée à l'existence d'un préjudice nouveau lié à l'aggravation de l'état de santé de M. [B] » ; qu'en se prononçant ainsi, par des motifs impropres à exclure l'existence d'un préjudice lié à l'augmentation du coût d'acquisition et de renouvellement de prothèses technologiquement adaptées à la compensation de son handicap, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2226 du code civil ;

4°/ que l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ; que, lorsque la victime est affectée d'un handicap moteur, le coût lié au renouvellement des équipements nécessaires pour compenser ce handicap, comme le coût inhérent à l'acquisition d'équipements nouveaux, qui n'étaient pas disponibles sur le marché lors de l'indemnisation initiale, constituent des préjudices réparables autonomes, dès lors que les préjudices liés aux frais d'appareillage n'ont pas été complètement indemnisés à l'origine ; qu'en l'espèce, il sollicitait l'indemnisation des frais d'appareillage demeurés à sa charge depuis 2015, date de l'aggravation situationnelle retenue par l'expert judiciaire, avec une capitalisation viagère pour tenir compte du renouvellement des équipements concernés ; qu'il ajoutait que sa demande ne pouvait pas être atteinte par la prescription, dans la mesure où ces équipements n'avaient été mis sur le marché, pour les plus anciens, qu'en 2011 et n'existaient pas au moment de l'accident ; que la cour d'appel a déclaré prescrite la demande d'indemnisation au titre des frais d'appareillage, après avoir relevé que son état avait été considéré comme consolidé le 15 mars 2000, date à laquelle son besoin en appareillage était connu, dans la mesure où ce besoin n'avait pas évolué depuis, aucune aggravation fonctionnelle n'ayant été constatée ; qu'elle a ajouté que « les progrès technologiques n'ont pas entraîné pour lui une dégradation de sa situation », concluant que « la demande de changement de modèle de prothèses et de fauteuil ne peut être rattachée à l'existence d'un préjudice nouveau lié à l'aggravation de son état de santé » ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les prothèses et le fauteuil de ville dont il demandait la prise en charge du coût d'acquisition puis le renouvellement, à titre viager, correspondait à un préjudice qui ne se confondait pas avec la prise en charge des équipements précédents qui n'avaient pas été indemnisés, de sorte que ce coût additionnel constituait un préjudice autonome qui n'était né qu'à compter de 2015, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2226 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. L'arrêt retient qu'à la date de la consolidation du 15 mars 2000, les besoins en appareillage de M. [B] étaient connus et n'ont pas évolué depuis, aucune aggravation fonctionnelle n'ayant été constatée.

6. Il ajoute que, s'agissant de l'aggravation situationnelle alléguée, les progrès technologiques des appareillages n'ont pas entraîné de dégradation de la situation de M. [B] et que sa décision de pratiquer le basket, qui le conduit à solliciter la prise en charge d'un fauteuil roulant spécifique, date de 2008.

7. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a fait ressortir que les préjudices dont il était demandé réparation ne résultaient pas d'une aggravation de l'état de santé de M. [B] et ne constituaient ni une aggravation situationnelle ni un préjudice nouveau, a exactement retenu que ses demandes, présentées postérieurement au 15 mars 2010, se heurtaient à la prescription et étaient irrecevables.

8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Leroy-Gissinger (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Chauve - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SARL Cabinet Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Article 2226 du code civil.

Com., 14 juin 2023, n° 21-14.841, (B), FRH

Rejet

Prescription quinquennale – Article 2224 du code civil – Point de départ – Connaissance des faits permettant l'exercice de l'action – Cas – Facture mentionnant au titre du paiement une certaine date

Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l'exercer.

Par conséquent, doit être approuvé l'arrêt qui, après avoir énoncé que selon l'article L. 441-3 du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable, la facture mentionne la date à laquelle le règlement doit intervenir et retenu que, la facture litigieuse mentionnant au titre du paiement une certaine date, la créance du vendeur était exigible à compter de celle-ci, fixe le point de départ du délai de prescription à cette date d'exigibilité fixée par le vendeur lui-même.

Prescription quinquennale – Actions personnelles ou mobilières – Point de départ – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 octobre 2020), ayant vendu 22,5 tonnes de harengs surgelés à la société française Delabli, aux droits de laquelle vient la société Labeyrie Fine Foods France, la société islandaise Iceland Pelagic (la société Pelagic) a confié l'acheminement de la marchandise à un commissionnaire de transport, la société polonaise Euro Forwarding and Shipping Agency (la société EFSA), qui en a confié le transport de Pologne vers la France à la société lituanienne Baltic Transline UAB (la société Baltic), assurée par la société lituanienne Ergo Insurance (la société Ergo).

2. N'ayant pas reçu livraison de la marchandise, remise le 24 avril 2013 par erreur à la société Ledun Pêcheurs d'Islande (la société Ledun PI), la société Delabli a refusé de payer la facture émise le 19 avril 2013 par le vendeur.

3. Après avoir indemnisé la société Pelagic, qui, par acte subrogatoire du 15 avril 2016, lui a cédé son droit d'agir contre la société Baltic, la société EFSA a assigné cette dernière en responsabilité devant une juridiction lituanienne, laquelle a retenu la responsabilité du transporteur.

4. Les sociétés Baltic et Ergo ont versé à la société EFSA certaines sommes en exécution de la décision lituanienne.

5. Le 20 avril 2018, soutenant être subrogées dans les droits du vendeur de la marchandise, les sociétés Baltic et Ergo ont assigné la société Delabli, qui avait entre-temps acquis le fonds de commerce de la société Ledun PI, en paiement de la facture du 19 avril 2013 et, subsidiairement, en revendication de la marchandise.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches, et le second moyen

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

7. Les sociétés Baltic et Ergo font grief à l'arrêt de constater la prescription de leur action en paiement de la facture du 19 avril 2013 et de les dire en conséquence irrecevables à agir, alors « que l'indication sur une facture de la date d'exigibilité des sommes qu'elle porte ne vaut pas en soi accord des parties sur cette date d'exigibilité ; qu'en supposant même que la cour d'appel ait implicitement considéré qu'un tel accord des parties puisse résulter des mentions de la facture du 19 avril 2013, son arrêt est entaché d'un manque de base légale au regard de l'article L. 441-6, I, du code de commerce, dans sa version modifiée par la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012. »

Réponse de la Cour

8. Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

9. Après avoir énoncé que, selon l'article L. 110-4 du code de commerce, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes et constaté que les parties ne contestaient pas que le point de départ de ce délai était, conformément à l'article 2224 du code civil, l'exigibilité de l'obligation de l'acheteur, l'arrêt relève que leur désaccord porte sur la date à laquelle le paiement était exigible.

10. Après avoir énoncé que, selon l'article L. 441-3 du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable, la facture mentionne la date à laquelle le règlement doit intervenir, l'arrêt retient que, la facture litigieuse mentionnant, au titre du paiement, « due date : 19.04.13 », la créance du vendeur était exigible à compter de cette date, rien n'interdisant aux parties de prévoir le paiement du prix avant la remise de la marchandise.

11. Ayant ainsi retenu que le vendeur avait lui-même fixé l'exigibilité de sa facture au 19 avril 2013, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations et énonciations rendaient inopérante, a légalement fixé le point de départ du délai de prescription à cette date.

12. Le moyen n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Fontaine - Avocat(s) : SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 2224 du code civil ; article L. 441-3 du code de commerce.

1re Civ., 28 juin 2023, n° 21-24.720, (B), FS

Cassation partielle

Prescription quinquennale – Délai – Point de départ – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 27 septembre 2021), suivant offres des 4 juin et 21 octobre 2004, la société caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe (la banque) a consenti à M. et Mme [S] (les emprunteurs) deux prêts immobiliers in fine, libellés en francs suisses et remboursables respectivement les 31 juillet 2017 et 31 octobre 2016, aux taux d'intérêt variables indexés sur l'indice Libor trois mois.

2. Le 26 avril 2016, les emprunteurs ont assigné la banque en responsabilité et en constatation du caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêt.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, en tant qu'il est dirigé contre le chef du dispositif qui déclare irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité des emprunteurs fondée sur le manquement de la banque à son devoir de mise en garde

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, en tant qu'il est dirigé contre le chef du dispositif qui déclare irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité des emprunteurs fondée sur le manquement de la banque à son devoir d'information

Enoncé du moyen

4. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite leur action en responsabilité fondée sur le manquement de la banque à son devoir d'information, alors « que le point de départ de l'action en responsabilité exercée contre une banque pour manquement à son devoir d'information court à compter du jour où l'emprunteur a eu connaissance du risque qu'il n'avait pas été mis en mesure d'appréhender lors de la conclusion du contrat ; qu'en retenant, pour juger que la prescription avait commencé à courir au jour de la conclusion des prêts, que les offres de prêt faisaient apparaître de manière nette et sans ambiguïté que le montant emprunté était libellé en francs suisses, monnaie dans laquelle devaient s'effectuer les remboursements et que les emprunteurs n'établissaient pas qu'ils pouvaient, à cette date, légitimement ignorer le risque de préjudice invoqué au titre d'un manquement de la banque à son devoir d'information, cependant que le point de départ de la prescription devait être fixé au jour où les emprunteurs avaient eu connaissance du risque né de la conclusion de prêts en devises étrangères, dont ils n'avaient pas été informés, la cour d'appel a violé les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :

5. Il résulte de ces textes que l'action en responsabilité de l'emprunteur à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir d'information portant sur le fonctionnement concret de clauses d'un prêt libellé en devise étrangère et remboursable en euros et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle celui-ci a eu connaissance effective de l'existence et des conséquences éventuelles d'un tel manquement.

6. Pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action des emprunteurs fondée sur le manquement de la banque à son devoir d'information, l'arrêt retient que ceux-ci n'établissent pas qu'ils ont pu légitimement ignorer les risques de leur préjudice au moment de la souscription des contrats, de sorte que le point de départ du délai quinquennal de la prescription doit être fixé à la date de conclusion des contrats, et qu'en tout état de cause les conséquences de la dégradation de la parité entre le franc suisse et l'euro se sont nécessairement manifestées dès l'année 2009, une dégradation significative de cette parité étant constatée à partir de janvier 2011.

7. En statuant ainsi, alors que les emprunteurs n'avaient pu connaître l'existence du dommage résultant d'un tel manquement à la date de la conclusion des prêts, la cour d'appel, à qui il incombait de caractériser la date de leur connaissance effective des effets négatifs de la variation du taux de change sur leurs obligations financières, a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

8. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à voir réputer non écrites les clauses 5.3 et 10.5 incluses dans les offres de prêt émises le 4 juin 2004 et le 21 octobre 2004 et de rejeter en conséquence leur demande tendant à voir juger que l'ensemble des paiements intervenus depuis l'origine des remboursements était réputé être intervenu en euros et à ce qu'il soit ordonné à la banque de recalculer les paiements sur ces bases et de leur verser le surcoût engendré par l'effet de change Euro/CHF lors des versements qu'ils ont effectués en euros pour honorer les échéances d'intérêts libellées en CHF, ainsi que leur demande tendant à cantonner à 218 942 euros le montant du capital du prêt in fine à restituer au titre de l'offre du prêt n° 203361-001-50 au 31 juillet 2017, en substitution du montant de 353 000 CHF prévu par le contrat litigieux, et à 147 444 euros au titre du prêt n° 203361-002-51 au 31 octobre 2016, en substitution du montant de 237 725 CHF prévu par le contrat litigieux, alors :

« 1°/ que l'exigence selon laquelle les clauses définissant l'objet principal du contrat doivent être rédigées de façon claire et compréhensible implique que les clauses indexant le remboursement d'un prêt sur le cours d'une devise étrangère soient comprises par le consommateur à la fois sur les plans formel et grammatical, mais également quant à leur portée concrète, en ce sens qu'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été libellé, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières ; qu'en se bornant à juger, pour écarter l'application de la réglementation des clauses abusives, que les clauses des conditions particulières des prêts prévoyant le remboursement en devises étrangères, qui relevaient de l'objet principal des prêts, étaient rédigées en des termes clairs et compréhensibles, dénués d'ambiguïté ou de contradiction, en ce qu'elles décrivaient le mécanisme à mettre en place pour procéder au paiement des échéances en francs suisses, ce qui avait dû nécessairement interpeller les emprunteur qui ne disposaient pas de ressources d'origine suisse, cependant que la seule indication dans les offres de prêt, d'une part, d'un prélèvement des échéances du prêt sur un compte en devises étrangères (art. 4.3) et, d'autre part, de la circonstance, sans mention du terme de risque, que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro, qui pourraient intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt (art. 10.5), ne pouvait permettre aux consommateurs de connaître les risques réels encourus, pendant toute la durée du contrat, en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État membre où ils étaient domiciliés et d'une hausse du taux d'intérêt étranger et d'ainsi comprendre qu'ils s'exposaient à un risque de change qui pourrait être économiquement difficile à assumer, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation ;

2°/ que l'exigence selon laquelle les clauses définissant l'objet principal du contrat doivent être rédigées de façon claire et compréhensible oblige les établissements financiers consentant des prêts libellés en devise étrangère à informer concrètement l'emprunteur des risques réels qu'il encourt en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État membre où il est domicilié ; qu'en se bornant à juger que les attestations par lesquelles les emprunteurs exposaient avoir pris connaissance des risques de change liés au cours du franc suisse suffisaient à démontrer que les emprunteurs avaient pu prendre la mesure de leurs engagements, cependant que telles attestations, dont elle relevait elle-même qu'elles avaient été signées le jour même ou le lendemain de l'émission des offres de prêt et qui ne précisaient pas le contenu de l'information transmise, ne permettaient pas de retenir que les consommateurs avaient été informés des risques réels encourus, pendant toute la durée du contrat, en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État membre où ceux-ci sont domiciliés et d'une hausse du taux d'intérêt étranger, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 132-1 du code la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

9. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.

10. Par arrêt du 10 juin 2021 (CJUE, arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C-776/19 à C-782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4, § 2, de la directive 93/13/CE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprété en ce sens que, lorsqu'il s'agit d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.

11. Pour rejeter la demande tendant à voir réputer non écrites les clauses 5.3 et 10.5 des contrats relatives aux modalités de remboursement des prêts et aux possibilités de conversion en euro des prêts souscrits en franc suisse, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que la description du mécanisme permettant le paiement des échéances a nécessairement dû alerter les emprunteurs qui ne disposaient pas de ressources en franc suisse, que le recours à la devise suisse n'emportait aucune incidence sur la durée du prêt sauf en cas de remboursement anticipé et que la banque produit pour chaque prêt une attestation annexée à l'offre, signée des emprunteurs, par laquelle ils déclarent expressément avoir pris connaissance des risques de change liés au cours du franc suisse.

12. En statuant ainsi, sans constater que le professionnel avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée des contrats, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ceux-ci percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité formée par M. et Mme [S] au titre d'un manquement de la société caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe à son devoir d'information et qu'il rejette la demande tendant à réputer non écrites les clauses 5.3 et 10.5 des offres de prêt émises les 4 juin et 21 octobre 2004, rejette en conséquence leur demande tendant à voir juger que l'ensemble des paiements intervenus depuis l'origine des remboursements est réputé être intervenu en euros et à ce qu'il soit ordonné à la banque de recalculer les paiements sur ces bases et de leur verser le surcoût engendré par l'effet de change Euro/CHF lors des versements qu'ils ont effectués en euros pour honorer les échéances d'intérêts libellées en CHF, ainsi que leur demande tendant à cantonner le montant du capital du prêt in fine à restituer au titre de l'offre du prêt n° 203361-001-50 au 31 juillet 2017 à 218 942 euros, en substitution du montant de 353 000 CHF prévu par le contrat litigieux et au titre du prêt n° 203361-002-51 au 31 octobre 2016 à 147 444 euros, en substitution du montant de 237 725 CHF prévu par le contrat litigieux, condamne M. et Mme [S] aux dépens, rejette leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les condamne in solidum à payer à la société Crédit mutuel Mulhouse Europe la somme de 2 500 euros, l'arrêt rendu le 27 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : Mme Cazaux-Charles - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 2224 du code civil ; article L. 110-4 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

1re Civ. 28 juin 2023, pourvoi n° 22-13.969, Bull., (cassation partielle).

1re Civ., 28 juin 2023, n° 22-13.969, (B), FS

Cassation partielle

Prescription quinquennale – Délai – Point de départ – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 25 janvier 2022), par actes des 27 octobre 2005 et 2 juin 2006, la société caisse de Crédit mutuel de la région d'Illfurth (la banque) a consenti à la société civile immobilière Masill (la SCI) deux prêts immobiliers respectivement remboursables en cent-quatre-vingt et deux-cent-quarante échéances mensuelles et libellés en francs suisses.

2. Le 17 janvier 2019, la SCI a assigné la banque en nullité des clauses d'indexation des contrats de prêt, en constatation du caractère abusif de certaines clauses, en responsabilité et en indemnisation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à dire abusives et réputées non écrites les clauses d'indexation, alors :

« 1°/ qu'une clause définissant la prestation essentielle du contrat peut être regardée comme abusive lorsqu'elle n'est pas rédigée de manière claire et compréhensible ; que l'exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible suppose non seulement que celle-ci doit pouvoir être comprise par le consommateur ou le non-professionnel sur le plan formel et grammatical, mais également quant à sa portée concrète, en ce sens qu'un consommateur ou non-professionnel moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement connaître la possibilité de hausse ou de dépréciation de la devise étrangère dans laquelle le prêt a été contracté, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières ; qu'en se contentant de relever, pour juger que les clauses litigieuses étaient claires et compréhensibles, leur intelligibilité sur un plan grammatical et le fait qu'elles exposaient de manière transparente le risque de variation du taux de change, sans rechercher si elles exposaient de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de devise étrangère, ainsi que les conséquences économiques, potentiellement importantes, qu'une variation du taux de change pouvait avoir, de sorte que l'emprunteur était mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les risques que lui faisaient courir les clauses litigieuses, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ qu'en jugeant qu'« on peut attendre d'une SCI qui contracte deux emprunts en vue de placer de l'argent en défiscalisation qu'elle lise complètement les contrats rédigés en termes clairs et qu'elle accepte le risque d'une variation du taux de change avec les conséquences économiques qui peuvent en découler », la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

4. En application de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

5. Une société civile immobilière agit en qualité de professionnel lorsqu'elle souscrit des prêts immobiliers pour financer l'acquisition d'immeubles conformément à son objet.

6. La cour d'appel a constaté que la SCI avait souscrit deux prêts immobiliers afin d'acquérir des immeubles à des fins d'investissement locatif.

7. Il en résulte qu'étant réputée agir conformément à son objet, la SCI a agi à des fins professionnelles et ne pouvait donc invoquer à son bénéfice le caractère abusif de certaines clauses des contrats de prêt.

8. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

Mais sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

9. La SCI fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable, comme prescrite, sa demande tendant à voir reconnue la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir d'information, de conseil et de mise en garde, alors « que le délai de prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage et non du jour où apparaît la simple éventualité de cette réalisation ; que le dommage résultant d'un manquement d'une banque à son devoir d'information, de conseil et de mise en garde sur le risque que faisait courir, en matière d'emprunt dans une devise étrangère, la possibilité de hausse ou de dépréciation de la devise étrangère dans laquelle le prêt a été contracté, ainsi que sur les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle variation sur les obligations financières de l'emprunteur, consiste en une perte de chance d'éviter le risque qui s'est réalisé ; que dès lors, le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à compter de la manifestation du dommage, c'est-à-dire lorsque du fait du renforcement du taux de change, l'augmentation des mensualités payées en euros alourdissant considérablement le coût du crédit, l'emprunteur a eu connaissance des conséquences préjudiciables et du coût excessif, pour lui, du prêt en devises ; qu'en jugeant, par motifs adoptés, que le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité courrait à compter de la signature des contrats de prêt, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :

10. Il résulte de ces textes que l'action en responsabilité de l'emprunteur à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir d'information portant sur le fonctionnement concret de clauses d'un prêt libellé en devise étrangère et remboursable en euros et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle celui-ci a eu connaissance effective de l'existence et des conséquences éventuelles d'un tel manquement.

11. Pour déclarer l'action prescrite, l'arrêt retient que le dommage, qui ne peut consister qu'en une perte de chance de ne pas contracter, se manifeste nécessairement dès l'octroi des crédits et que l'action a été introduite par la SCI après le 19 juin 2013, date d'expiration du délai pour agir conformément aux dispositions transitoires de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.

12. En statuant ainsi, alors que la SCI, qui invoquait une augmentation de ses échéances à compter de février 2015, n'avait pu connaître l'existence du dommage résultant d'un tel manquement à la date de la conclusion des prêts, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident qui n'est qu'éventuel, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevables la demande formée par la SCI Masill en nullité des clauses d'indexation et des contrats de prêt et en ce qu'il déclare recevable la SCI Masill en sa demande tendant à dire abusives et non écrites les clauses d'indexation des contrats de prêts mais l'en déboute, l'arrêt rendu le 25 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : M. Salomon - Avocat(s) : SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 2224 du code civil ; article L. 110-4 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 28 juin 2023, pourvoi n° 21-24.720, Bull., (cassation partielle).

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