Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE

3e Civ., 22 juin 2023, n° 22-17.476, (B), FS

Rejet

Indemnité – Fixation – Offre de l'expropriant – Mémoire en réponse – Notification – Délai – Point de départ – Cas – Juridiction saisie par le demandeur incompétente

Le délai de six semaines imparti au défendeur pour notifier au demandeur son mémoire en réponse, prévu à l'article R. 311-11 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, commence à courir dès la notification du mémoire du demandeur même lorsque la juridiction saisie par celui-ci est incompétente, dès lors qu'en cas de renvoi devant une autre juridiction de l'expropriation, l'instance régulièrement engagée devant la juridiction initialement saisie se poursuit en l'état devant la juridiction de renvoi, sans suspension ou interruption de l'instance.

Justifie sa décision la cour d'appel qui rejette une demande d'annulation du jugement pour non-respect des droits de la défense, l'absence d'envoi par le greffe de la juridiction compétente de l'avis prévu à l'article 82 du code de procédure civile n'ayant pas d'incidence sur le délai de six semaines précité.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 29 mars 2022, RG n° 19/00003), par décret du 20 avril 2017, le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, a déclaré d'utilité publique le projet de mise en deux fois deux voies de la route centre Europe Atlantique RN 79.

2. Par arrêtés des 26 septembre 2017 et 31 janvier 2018, des parcelles appartenant à M. et Mme [B], comprises dans le périmètre de cette opération, ont été déclarées cessibles au profit de la société Autoroute Paris-Rhin-Rhône (la société APRR).

3. Faute d'accord entre les parties sur le montant des indemnités revenant aux expropriés, la société APRR a saisi le tribunal de grande instance de Montluçon, qui s'est déclaré incompétent et a renvoyé le dossier de l'affaire au juge de l'expropriation du département de l'Allier siégeant au tribunal de grande instance de Moulins.

4. Le greffe du tribunal de grande instance de Moulins n'a pas adressé aux parties l'avis prévu par l'article 82 du code de procédure civile les invitant à poursuivre l'instance devant lui.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. M. et Mme [B] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande d'annulation du jugement et de déclarer irrecevables leurs demandes indemnitaires, alors :

« 1°/ qu'en cas de renvoi devant une juridiction désignée, le dossier de l'affaire lui est transmis par le greffe, à défaut d'appel dans le délai ; que dès réception du dossier, les parties sont invitées par tout moyen par le greffe de la juridiction désignée à poursuivre l'instance et, s'il y a lieu, à constituer avocat dans le délai d'un mois à compter de cet avis ; qu'encourt l'annulation le jugement rendu en l'absence de transmission de cet avis, dès lors que cette irrégularité a privé une partie de la possibilité d'organiser sa défense devant la juridiction de première instance ; qu'en l'espèce, les exposants faisaient valoir qu'ils n'avaient « appris la reprise de la saisine du juge de l'expropriation [de Moulins], initiée à [Localité 3] par l'expropriant près d'un an auparavant (début février 2018) par la société APRR, que 15 jours exactement avant l'audience du juge de l'expropriation du 8 février 2019 », en sorte que « le silence de la juridiction au regard des dispositions de l'article 82 du code de procédure civile fait grief (...) car ce silence les a empêchés de rédiger leur mémoire en défense avant l'audience des parties, leur demande de report de l'audience ayant même été refusée » ; que la cour d'appel a elle-même constaté que « le greffe de la juridiction d'expropriation de Moulins n'a pas invité les parties, et notamment les époux [B], à poursuivre l'instance et à constituer avocat dans le délai d'un mois à compter de l'avis qui devait leur être adressé » ; que pour rejeter pourtant la demande d'annulation du jugement, la cour d'appel a retenu qu'aucun grief ne serait établi au prétexte que le conseil des expropriés connaissait, avant la décision d'incompétence de la juridiction de Montluçon, l'information « encore officieuse à cette époque » que « c'était bien le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Moulins qui allait s'occuper de cette affaire » ; qu'en statuant ainsi, par un motif impropre à établir que les expropriés auraient eu connaissance en temps utile de la poursuite effective de l'instance devant le juge de l'expropriation de Moulins aux fins de pouvoir organiser leur défense, la cour d'appel a violé l'article 82 du code de procédure civile, ensemble l'article 15 du même code et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que lorsqu'il dispose des éléments suffisants pour rédiger son mémoire de saisine du juge de l'expropriation, l'expropriant notifie ce mémoire à l'exproprié ; qu'à défaut d'accord dans le délai d'un mois, l'expropriant saisit le juge de l'expropriation en adressant son mémoire de saisine au greffe et notifie simultanément une copie de son mémoire de saisine à l'exproprié, qui dispose d'un délai de six semaines pour lui adresser son mémoire en réponse ; qu'il en résulte qu'en cas de transmission du mémoire de saisine à une juridiction incompétente, le délai du mémoire en réponse ne peut commencer à courir avant la poursuite régularisée de l'instance devant la juridiction compétente ; qu'en l'espèce, la société expropriante avait adressé son mémoire de saisine à la juridiction de Montluçon pourtant incompétente, cette irrégularité n'ayant pas été régularisée dès lors que « le greffe de la juridiction d'expropriation de Moulins n'a pas invité les parties, et notamment les époux [B], à poursuivre l'instance et à constituer avocat dans le délai d'un mois à compter de l'avis qui devait leur être adressé » ; qu'il en résultait que le délai de l'article R. 311-11 du code de l'expropriation n'avait pas commencé à courir ; qu'en retenant pourtant que la demande de report de l'audience formée par les exposants n'avait pas été accordée du fait « de l'absence de mémoire en réponse des expropriés dans les délais prescrits par les articles R. 311-11 du code de l'expropriation », la cour d'appel a violé l'article R. 311-11 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

3°/ qu'en cas de renvoi devant une juridiction désignée, le dossier de l'affaire lui est transmis par le greffe, à défaut d'appel dans le délai ; que dès réception du dossier, les parties sont invitées par tout moyen par le greffe de la juridiction désignée à poursuivre l'instance et, s'il y a lieu, à constituer avocat dans le délai d'un mois à compter de cet avis ; qu'encourt l'annulation le jugement rendu en l'absence de transmission de cet avis, dès lors que cette irrégularité a privé une partie de la possibilité d'organiser sa défense devant la juridiction de première instance ; qu'il est indifférent à cet égard que cette partie ait pu déposer des écritures devant la cour d'appel, dès lors que les demandes qu'elle y a présentées ont été jugées irrecevables comme nouvelles pour n'avoir pas été présentées devant le premier juge ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande d'annulation du jugement nonobstant l'absence d'invitation des parties à poursuivre l'instance devant le juge de l'expropriation de Moulins ayant privé les exposants de la possibilité de conclure en temps utile devant lui, la cour d'appel a retenu l'absence de grief au prétexte des « écritures que le conseil des appelants a eu tout loisir de produire à la cour dans chaque affaire déférée, témoignant ainsi d'une parfaite capacité à soutenir leurs intérêts » ; qu'en statuant ainsi, par un motif impropre à écarter le grief causé par la méconnaissance des dispositions de l'article 82 du code de procédure civile dès lors qu'elle jugeait irrecevables comme nouvelles en cause d'appel les demandes présentées par les expropriés dans leurs écritures d'appel, la cour d'appel a derechef violé l'article 82 du code de procédure civile, ensemble l'article 15 du même code et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

6. Le délai de six semaines imparti au défendeur pour notifier au demandeur son mémoire en réponse, prévu à l'article R. 311-11 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, commence à courir dès la notification du mémoire du demandeur même lorsque la juridiction saisie par celui-ci est incompétente, dès lors qu'en cas de renvoi devant une autre juridiction de l'expropriation, l'instance régulièrement engagée devant la juridiction initialement saisie se poursuit en l'état devant la juridiction de renvoi, sans suspension ou interruption de l'instance.

7.Il s'ensuit que le moyen, qui, en sa troisième branche, critique un motif surabondant, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Soulard (premier président) et Mme Teiller - Rapporteur : Mme Brun - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Bénabent ; SCP Melka-Prigent-Drusch -

Textes visés :

Article R. 311-11 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

3e Civ., 8 juin 2023, n° 22-13.855, (B), FS

Cassation

Indemnité – Immeuble – Terrain – Terrain à bâtir – Qualification – Possibilité de construction – Appréciation – Projet de révision du plan de prévention des risques porté à la connaissance de la commune ou du groupement compétent – Absence d'influence

Pour apprécier la condition de constructibilité de la zone où est située la parcelle expropriée et la qualifier de terrain à bâtir, le juge de l'expropriation ne peut se fonder sur un projet de révision du plan de prévention des risques porté à la connaissance de la commune ou du groupement compétent par les services de l'Etat, mais non approuvé ni annexé au plan local d'urbanisme.

Faits et procédure

1. L'arrêt attaqué (Bordeaux, 27 janvier 2022) fixe les indemnités revenant à Mme [M] à la suite de l'expropriation, au profit de la société publique locale La Fabrique de Bordeaux Métropole (la SPL), d'une parcelle lui appartenant.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, quatrième à sixième branches

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

3. La SPL fait grief à l'arrêt de fixer comme il le fait les indemnités d'expropriation revenant à Mme [M], alors « que la qualification de terrains à bâtir, au sens du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, est réservée aux terrains qui, à la date de référence, sont situés dans un secteur désigné comme constructible au sens des documents d'urbanisme et sont desservis par une voie d'accès et des réseaux suffisants ; qu'en qualifiant de terrain à bâtir la partie du terrain détachée de la construction et en déniant à l'expropriante la possibilité de se prévaloir de l'inconstructibilité du terrain à la date de référence compte tenu du classement de la parcelle en zone rouge inconstructible du plan de prévention des risques d'inondations à cette date, en se fondant sur le porter à connaissance du 20 juillet 2016 selon lequel la parcelle allait passer en zone verte lors de la révision du plan, quand ce porter à connaissance, qui n'alertait pas sur un accroissement du risque, ne pouvait être pris en considération et remettre en cause les dispositions toujours en vigueur du plan de prévention des risques, la cour d'appel a violé l'article L. 322-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, ensemble les articles L. 562-4 du code de l'environnement et L. 32-2 du code de l'urbanisme. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 322-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique :

4. Selon ce texte, la qualification de terrains à bâtir est réservée aux terrains qui, un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L. 1 ou, dans le cas prévu à l'article L. 122-4, un an avant la déclaration d'utilité publique, sont, quelle que soit leur utilisation, situés dans un secteur désigné comme constructible par un plan d'occupation des sols, un plan local d'urbanisme, un document d'urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, ou bien, en l'absence d'un tel document, situés dans une partie actuellement urbanisée d'une commune.

5. Pour qualifier de terrain à bâtir une bande de terrain détachée de la parcelle expropriée, l'arrêt retient que, si elle est située en zone rouge du plan de prévention des risques d'inondation (PPRI), ce dernier est en cours de révision et les services de l'Etat, par « porter à connaissance » du 20 juillet 2016, classent la parcelle litigieuse en zone verte du PPRI, soit en zone de faible aléa à l'inondation et qu'il convient de tenir compte de cette information antérieure à la date de référence.

6. En statuant ainsi, alors que le projet de révision du plan de prévention des risques naturels porté à la connaissance de la métropole n'avait pas eu pour effet de modifier la teneur du plan de prévention des risques naturels approuvé, classant la parcelle expropriée en zone inconstructible, qui seul était annexé au plan local d'urbanisme, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Djikpa - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Melka-Prigent-Drusch -

Textes visés :

Article L. 322-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 11 février 2009, pourvoi n° 07-13.853, Bull. 2009, III, n° 36 (rejet).

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