Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (loi du 26 juillet 2005)

Com., 14 juin 2023, n° 21-24.143, (B), FRH

Rejet

Liquidation judiciaire – Effets – Dessaisissement du débiteur – Limites – Droits propres du débiteur – Exclusion – Cas – Action tendant au recouvrement des créances du débiteur – Applications diverses – Demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts

Aucun droit propre du débiteur en liquidation judiciaire ne fait échec à son dessaisissement pour l'exercice des actions tendant au recouvrement de ses créances ou à la mise en cause de la responsabilité d'un cocontractant.

Il en résulte que si le débiteur dessaisi est recevable, dans l'exercice de son droit propre, à contester une créance, objet d'une instance en cours, il n'est en revanche par recevable à former seul, contre le créancier, à l'occasion de cette instance, une demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts et en compensation des créances réciproques, qui relève du monopole du liquidateur.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 14 septembre 2021), rendu après cassation (Com.,1er juillet 2020, pourvoi n° 19-10.641), et les productions, au cours de l'année 2002, M. [Z] [V] et Mme [K], épouse [V] (M. et Mme [V]), mariés sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts, ont acheté des biens immobiliers pour y exploiter des chambres d'hôtes puis un hôtel.

L'acquisition, la transformation et l'extension des locaux ont été financées par des emprunts bancaires, puis par la cession de l'immeuble initial et de la première extension à une société de crédit-bail à laquelle ils ont alors loué les locaux, enfin par de nouveaux emprunts bancaires, dont un prêt de trésorerie de 200 000 euros contracté le 10 septembre 2013 auprès de la société Caisse de crédit mutuel [Localité 4] (la banque), partiellement garanti par le cautionnement de M. [Z] [Y] [V].

2. Le 13 février 2015, à la suite d'incidents de paiement et du prononcé de la déchéance du terme, la banque a assigné en paiement M. et Mme [V] et la caution.

3. M. [Z] [V] ayant été mis en redressement judiciaire, le 9 mars 2015, Mme [M], en sa qualité de mandataire judiciaire, et la société [L] et [X], en sa qualité d'administrateur, ont été appelées à l'instance. Elles n'ont pas comparu.

Le 9 mars 2016, M. [Z] [V] a été mis en liquidation judiciaire, Mme [M] étant désignée liquidateur.

4. Par un jugement du 14 décembre 2016, le tribunal a fixé la créance de la banque au passif de la procédure collective de M. [Z] [V] à la somme de 208 159,04 euros, avec intérêts, et condamné solidairement Mme [V] et M. [Z] [Y] [V] à payer à la banque la même somme. M. et Mme [V] et M. [Z] [Y] [V] ont fait appel de cette décision et ont reproché à la banque d'avoir manqué à son obligation de mise en garde, la caution invoquant en outre la disproportion de son engagement.

Par un arrêt du 31 octobre 2018, la cour d'appel de Colmar a confirmé en toutes ses dispositions le jugement déféré, sauf sur la condamnation aux dépens, qu'elle a réformée, et rejeté la demande d'annulation de son engagement de caution formée par M. [Z] [Y] [V].

Par l'arrêt du 1er juillet 2020, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, mais seulement en ce qu'il dit que la banque n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde envers M. et Mme [V], les parties étant renvoyées devant la cour d'appel de Besançon.

Examen des moyens

Sur le second moyen

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. M. et Mme [V] et M. [Z] [Y] [V] font grief à l'arrêt de déclarer M. [Z] [V] irrecevable à demander réparation d'un préjudice né d'un défaut de mise en garde et de fixer la créance de la banque au passif de sa procédure collective à la somme de 208 159,04 euros, avec intérêts au taux de 6,5 % par an sur la somme de 194 650,49 euros à compter du 27 janvier 2015, et au taux légal pour le surplus à compter de cette même date, alors :

« 1°/ qu'en vertu de l'article L. 641-9 du code de commerce, lorsqu'une instance, tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent pour une cause antérieure au jugement d'ouverture de sa liquidation judiciaire, est en cours à la date de ce jugement, le débiteur a, dans ce cas, le droit propre d'exercer les voies de recours prévues par la loi contre la décision statuant sur la demande de condamnation ; que dans ce cadre, il est recevable à opposer à la prétention de la banque prêteuse une demande reconventionnelle tendant à obtenir réparation de son préjudice causé par le manquement de l'établissement de crédit à son devoir de mise en garde et, le cas échéant, à demander compensation des créances respectives des parties ; qu'en énonçant que si un débiteur placé en liquidation judiciaire peut, par exception au principe de dessaisissement, continuer à défendre lui-même dans une procédure de recouvrement de créance introduite contre lui avant la liquidation, « n'est pas assimilable à une telle défense la prétention reconventionnelle à une créance indemnitaire, qui demeure une action patrimoniale relevant du dessaisissement, même dans la perspective d'une compensation entre les créances réciproques », pour en déduire que M. [Z] [V] ne pouvait exercer l'action indemnitaire pour manquement au devoir de mise en garde contre son prêteur, pour la première fois devant la cour d'appel de Colmar saisie le 18 janvier 2017, après avoir pourtant relevé qu'il avait été placé en liquidation judiciaire par un jugement du 9 mars 2016, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 ;

2°/ que lorsque le débiteur oppose à l'action en paiement de son créancier, la responsabilité de celui-ci en sa qualité de banquier, la cour d'appel doit y répondre quelle qu'en fût la qualification procédurale, puisque les demandes reconventionnelles et les moyens de défense sont formés de la même manière à l'encontre des parties à l'instance ; qu'en énonçant que si un débiteur placé en liquidation judiciaire peut, par exception au principe de dessaisissement, continuer à défendre lui-même dans une procédure de recouvrement de créance introduite contre lui avant la liquidation, « n'est pas assimilable à une telle défense la prétention reconventionnelle à une créance indemnitaire, qui demeure une action patrimoniale relevant du dessaisissement, même dans la perspective d'une compensation entre les créances réciproques », pour en déduire que M. [Z] [V] ne pouvait exercer l'action indemnitaire pour manquement au devoir de mise en garde contre son prêteur, pour la première fois devant la cour d'appel de Colmar saisie le 18 janvier 2017, après avoir pourtant relevé qu'il avait été placé en liquidation judiciaire par un jugement du 9 mars 2016, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9 du code de commerce dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, ensemble les articles 64, 68 et 71 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

7. Si le débiteur dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens par sa liquidation judiciaire, dont les droits et actions sur son patrimoine sont exercés par le liquidateur, conserve le droit propre de défendre aux instances relatives à la détermination de son passif et d'exercer un recours contre les décisions fixant, après reprise d'une instance en cours lors du jugement d'ouverture, une créance à son passif, en revanche aucun droit propre ne fait échec à son dessaisissement pour l'exercice des actions tendant au recouvrement de ses créances ou à la mise en cause de la responsabilité d'un cocontractant. Il en résulte que si le débiteur est recevable, dans l'exercice de son droit propre, à contester la créance, objet de l'instance en cours, il n'est en revanche pas recevable à former seul, contre le créancier, à l'occasion de cette instance, une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts et en compensation des créances réciproques, qui relève du monopole du liquidateur.

8. Ayant relevé que l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 31 octobre 2018 n'avait été cassé qu'en ce qu'il disait que la banque n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde, ce dont il résulte que la fixation de la créance au passif de M. [Z] [V] opérée par cet arrêt était devenue irrévocable, l'arrêt retient à bon droit qu'il est indifférent qu'un débiteur en liquidation judiciaire puisse, par exception au principe du dessaisissement, continuer à défendre lui-même dans une procédure de recouvrement de créance introduite contre lui avant la liquidation judiciaire, dès lors que n'est pas assimilable à une telle défense la prétention reconventionnelle à une créance indemnitaire, qui demeure une action patrimoniale relevant du dessaisissement, même dans la perspective d'une compensation entre les créances réciproques, et en déduit exactement que M. [Z] [V] est dépourvu de qualité à exercer l'action indemnitaire.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Krivine et Viaud ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article L. 641-9 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 ; articles 64, 68 et 71 du code de commerce.

Com., 14 juin 2023, n° 21-24.458, n° 21-25.638, (B), FRH

Rejet

Liquidation judiciaire – Vérification et admission des créances – Procédure – Instance introduite devant la juridiction compétente par une partie sur invitation du juge-commissaire – Litige indivisible – Portée – Saisine de la juridiction compétente dans le délai d'un mois – Possibilité d'appeler les parties omises après l'expiration du délai

L'instance introduite devant la juridiction compétente par l'une des parties à la procédure de vérification des créances s'inscrit dans cette procédure qui est indivisible entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire ou le liquidateur. Il en résulte que la partie qui saisit le juge compétent doit mettre en cause les deux autres devant celui-ci.

Dès lors que cette partie a saisi la juridiction compétente dans le délai de l'article R. 624-5 du code de commerce, elle n'encourt pas la forclusion que ce texte prévoit et a la faculté d'appeler les parties omises après l'expiration de ce délai et ce, jusqu'à ce que le juge statue.

Liquidation judiciaire – Vérification et admission des créances – Procédure – Instance introduite devant la juridiction compétente par une partie sur invitation du juge-commissaire – Recevabilité – Conditions – Mise en cause du créancier, du débiteur, du mandataire judiciaire ou du liquidateur

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-24.458 et 21-25.638 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 septembre 2021), par trois actes notariés du 10 août 2005, la Banque française, devenue la Banque française mutualiste (la banque), a consenti à la société Pram Invest (la société Pram) un prêt destiné à financer l'acquisition de biens immobiliers, remboursable au plus tard le 10 août 2010 et garanti par l'inscription du privilège de prêteur de deniers et une hypothèque.

3. Après la délivrance d'une mise en demeure, le 29 août 2008, pour non-paiement des échéances contractuelles, la créance de prêt est devenue exigible.

4. La banque et la société Pram ont successivement régularisé trois protocoles d'accord, chacun se substituant au précédent, et, dans le dernier, conclu le 25 mai 2012, la société Pram a reconnu devoir à la banque la somme de 1 352 019,93 euros et les parties ont organisé les modalités de la cession des derniers biens immobiliers dont la société Pram demeurait propriétaire au profit d'une société tierce, la banque s'engageant à donner mainlevée des sûretés réelles dont elle bénéficiait contre le paiement de la somme de 760 000 euros.

5. Le 14 avril 2013, la banque a informé la société Pram de ce qu'à défaut de régularisation de la cession des biens immobiliers avant le 30 avril 2013, elle constaterait la caducité du protocole et engagerait une saisie immobilière.

6. Le 29 avril 2014, la liquidation judiciaire ouverte le 8 novembre 2012 à l'égard de la société Floreal Invest a été étendue à la société Pram, pour confusion de leurs patrimoines, la société Actis mandataires judiciaires étant nommée en qualité de liquidateur.

7. La banque a déclaré au passif de la liquidation judiciaire de la société Pram sa créance au titre du solde du prêt consenti le 10 août 2005, à titre privilégié.

8. Cette créance a été partiellement contestée par la société débitrice et, devant le juge-commissaire, la société Frageco, nommée en qualité de contrôleur, est intervenue pour contester également la créance et soulever l'incompétence du juge-commissaire, aux motifs que le protocole du 25 mai 2012 avait emporté novation des obligations des parties, de sorte que la banque ne pouvait plus se prévaloir du prêt du 10 août 2005 et que son éventuelle créance, résultant de l'inexécution de ce protocole, ne pouvait qu'être chirographaire.

9. Par une ordonnance du 19 septembre 2018, le juge-commissaire a retenu que cette contestation soulevait une difficulté sérieuse ne relevant pas de son office et renvoyé la banque à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois prévu à l'article R. 624-5 du code de commerce.

10. Les 12 et 18 octobre 2018, la banque a assigné le liquidateur de la société Pram et la société Frageco devant un tribunal de commerce, en demandant la fixation de sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Pram, à titre privilégié.

11. Le 10 avril 2019, la banque a assigné en intervention forcée la dirigeante de la société Pram, Mme [R].

12. Le liquidateur de la société Pram a soulevé l'inopposabilité de la créance de la banque à la procédure collective, au motif que la mise en cause de la dirigeante de la société débitrice était intervenue postérieurement au délai d'un mois prévu à l'article R. 624-5, alinéa 1, précité.

Examen des moyens

Enoncé des moyens

13. Par son moyen, le liquidateur de la société Pram fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la forclusion de l'action de la banque, alors « que l'instance introduite devant la juridiction compétente par l'une des parties à la procédure de vérification des créances sur l'invitation du juge-commissaire s'inscrit dans cette même procédure, laquelle est indivisible entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire ou le liquidateur ; qu'il en résulte que la partie qui saisit le juge compétent doit mettre en cause devant ce juge les deux autres parties et que cette mise en cause doit intervenir à peine de forclusion dans le mois de la notification de l'ordonnance d'incompétence rendue par le juge-commissaire, sans régularisation possible passé ce délai ; qu'ayant constaté que la Banque française mutualiste, créancière, n'avait assigné dans ce délai d'un mois devant la juridiction désignée comme compétente par le juge-commissaire que le liquidateur judiciaire et le contrôleur, la débitrice n'ayant été assignée que postérieurement à l'expiration de ce délai, la cour d'appel ne pouvait considérer que la banque échappait à la forclusion dès lors que la débitrice avait « été attraite devant cette juridiction avant que celle-ci ait statué », la forclusion étant nécessairement encourue dès lors que l'une des parties au litige indivisible portant sur l'admission de la créance n'avait pas été assignée devant la juridiction compétente dans le délai utile d'un mois, sans régularisation possible s'agissant d'une irrégularité affectant la validité de l'assignation, sans violer l'article R. 624-5 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2014-736 du 30 juin 2014, par refus d'application, ensemble les articles 121 du code de procédure civile et 2241 du code civil par fausse application. »

14. Par son moyen, la société Frageco fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la forclusion et de dire que le protocole d'accord transactionnel du 25 mai 2012 ne stipule aucune novation des obligations des parties, alors « que le créancier ayant déclaré sa créance, invité par le juge-commissaire à saisir la juridiction compétente pour trancher la contestation relative à sa créance, doit mettre en cause devant ce juge le débiteur et le mandataire judiciaire ou le liquidateur dans le délai de forclusion d'un mois de l'article R. 624-5 du code de commerce, lequel ne prévoit aucune faculté de régularisation ultérieure, cependant que le litige est indivisible ; qu'en écartant au contraire cette forclusion au motif que la société BFM pouvait mettre en cause la dirigeante de la société Pram Invest tant que le tribunal compétent n'avait pas statué, donc y compris après l'expiration du délai de forclusion d'un mois, la cour d'appel a violé l'article R. 624-5 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

15. L'instance introduite devant la juridiction compétente par l'une des parties à la procédure de vérification des créances s'inscrit dans cette procédure qui est indivisible entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire ou le liquidateur. Il en résulte que la partie qui saisit le juge compétent doit mettre en cause devant ce juge les deux autres parties.

Par conséquent, dès lors qu'elle a saisi la juridiction compétente dans le délai de l'article R. 624-5 du code de commerce, elle n'encourt pas la forclusion qu'il prévoit et a la faculté d'appeler les parties omises après l'expiration de ce délai jusqu'à ce que le juge statue.

16. Ayant relevé qu'à la suite de l'ordonnance du juge-commissaire notifiée aux parties le 27 septembre 2018, la banque avait saisi le tribunal de commerce de la contestation de sa créance par des assignations délivrées au liquidateur de la société débitrice et à la société Frageco les 12 et 18 octobre 2018, soit dans le délai d'un mois prévu à l'article R. 624-5 précité, et que Mme [R], représentante légale de la société débitrice, avait été assignée devant ce tribunal le 10 avril 2019, avant que le tribunal ne statue, la cour d'appel en a exactement déduit que la forclusion prévue par ce texte ne pouvait être opposée à la banque.

17. Les moyens ne sont donc pas fondés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Barbot - Avocat(s) : Me Bertrand ; SCP Foussard et Froger ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article R. 624-5 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur l'indivisibilité de l'instance introduite devant la juridiction compétente par l'une des parties à la procédure de vérification des créances sur l'invitation du juge-commissaire, à rapprocher : Com., 5 septembre 2018, pourvoi n° 17-15.978, Bull. 2018, IV, n° 91 (rejet).

Com., 14 juin 2023, n° 21-24.207, (B), FRH

Rejet

Organes – Liquidateur – Déclaration d'insaisissabilité – Preuve que le bien dont la vente est requise constitue la résidence principale – Charge – Détermination – Débiteur

Il incombe au débiteur, qui se prévaut de l'insaisissabilité des droits qu'il détient sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale, de rapporter la preuve qu'à la date du jugement d'ouverture de la procédure, les biens dont la vente est requise par le liquidateur, constituaient sa résidence principale.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 13 septembre 2021), les 22 juin puis 22 décembre 2017, Mme [S], épouse [M] (Mme [S]), qui exerce à titre individuel une activité de vente de bijoux fantaisie à [Localité 8], a été mise en redressement puis liquidation judiciaires par le tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre, Mme [R] étant désignée liquidateur.

2. Sur requête du liquidateur, le juge-commissaire a ordonné la vente par adjudication d'un bien immobilier situé dans le Val d'Oise. Mme [S] s'est opposée à la vente en soutenant qu'il s'agissait de sa résidence principale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Mme [S] fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du juge-commissaire, alors :

« 1°/ que les droits d'une personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de la personne ; qu'il appartient à celui qui poursuit la vente sur adjudication d'un immeuble, dont le débiteur lui oppose l'insaisissabilité, de rapporter la preuve que ce bien ne constitue pas sa résidence principale ; qu'en décidant néanmoins qu'en l'absence de déclaration d'insaisissabilité, il incombait à Mme [S] de rapporter la preuve qu'à la date de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, convertie en liquidation judiciaire, elle occupait à titre de résidence principale les biens objets de la vente par adjudication poursuivie par le liquidateur, à qui elle opposait leur insaisissabilité, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1353 du code civil, ensemble l'article L. 526-1 du code de commerce ;

2°/ que le juge, qui doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, ne peut fonder sa décision sur des pièces qui n'ont pas été versées aux débats et soumises à la libre discussion des parties ; qu'en se fondant néanmoins, pour décider que Mme [S] ne rapportait pas la preuve qu'elle occupait à titre de résidence principale les biens objets de la vente par adjudication poursuivie par le liquidateur, à qui elle opposait leur insaisissabilité, sur des pièces selon lesquelles la direction des finances publiques avait confirmé que Mme [S] n'avait jamais versé de taxes d'habitation à titre personnel pour ces deux appartements et que ces taxes avaient été émises au profit de locataires, bien qu'aucune pièce de cette nature n'ait été communiquée à Mme [S], la cour d'appel, qui s'est fondée sur des pièces qui n'avaient pas été régulièrement versées aux débats, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

3°/ que la preuve du caractère de résidence principale de l'immeuble dont le débiteur oppose l'insaisissabilité au créancier qui en poursuit la vente peut être rapportée par tous moyens, ce qui exclut toute hiérarchie des preuves ; qu'en considérant néanmoins que les éléments de preuve versés aux débats par Mme [S] n'étaient pas de nature à établir la preuve qu'elle occupait à titre de résidence principale les biens objets de la vente par adjudication poursuivie par le liquidateur à qui elle opposait leur insaisissabilité, en l'absence de paiement de taxes d'habitation qui constituait, selon elle, l'offre de preuve la plus probante en la matière, la cour d'appel, qui a instauré une hiérarchie entre les éléments de preuve, selon leur nature, a violé l'article 1358 du code civil, ensemble l'article L. 526-1 du code de commerce ;

4°/ que les droits d'une personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de la personne ; qu'en se bornant à affirmer que Mme [S] ne rapportait pas la preuve qu'elle occupait à titre de résidence principale les biens objets de la vente par adjudication poursuivie par le liquidateur à qui elle opposait leur insaisissabilité, à la date d'ouverture de la procédure collective, le 26 juin 2017, sans rechercher, comme elle y était invitée, si Mme [S] rapportait cette preuve au moyen d'un certificat de travail attestant qu'elle avait été employée en qualité de responsable d'agence, pour la période du 1er juin 2017 au 31 mai 2018, à [Localité 9], commune limitrophe de celle sur laquelle étaient situés les biens objets de la vente, et mentionnant qu'elle demeurait au [Adresse 3] à [Localité 6], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 526-1 du code de commerce, ensemble l'article L. 642-18 du même code ;

5°/ que les droits d'une personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de la personne ; qu'en se bornant à affirmer que Mme [S] ne rapportait pas la preuve qu'elle occupait à titre de résidence principale les biens situés à [Localité 6], objets de la vente par adjudication poursuivie par le liquidateur à qui elle opposait leur insaisissabilité, à la date d'ouverture de la procédure collective, le 26 juin 2017, sans rechercher, comme elle y était invitée, si Mme [S] rapportait cette preuve par les bordereaux listant les remboursements dont elle avait bénéficié de la part de l'assurance maladie du Val d'Oise, pour la période du 9 mai 2017 au 9 novembre 2018, au titre des soins qu'elle avait reçus et qui lui avaient été envoyés à l'adresse des biens litigieux, ainsi que par l'attestation de droits à l'assurance maladie du Val d'Oise, envoyée à cette même adresse, le 4 août 2017, et par la carte de tiers-payant pour l'année 2017, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 526-1 du code de commerce, ensemble l'article L. 642-18 du même code. »

Réponse de la Cour

4. Après avoir énoncé qu'il résulte de l'article L. 526-1, alinéa 1, du code de commerce, que la personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, soumise à une procédure collective, peut opposer au liquidateur l'insaisissabilité des droits qu'elle détient sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale, l'arrêt retient exactement qu'il incombe à la débitrice de rapporter la preuve qu'à la date du jugement d'ouverture de la procédure, les biens dont la vente est requise par le liquidateur constituaient sa résidence principale.

5. Ayant constaté que le fonds de commerce appartenant à Mme [S] était exploité directement par elle dans le département de la Guadeloupe, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer les recherches visées aux quatrième et cinquième branches que ses constatations et appréciations rendaient inopérantes, sans inverser la charge de la preuve, ni violer le principe de la contradiction dès lors que l'identité des débiteurs de la taxe d'habitation de l'immeuble était expressément mentionnée par l'ordonnance dont Mme [S] faisait appel, a légalement justifié sa décision.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Vallansan - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Richard ; SCP Leduc et Vigand -

Textes visés :

Article L. 526-1 du code de commerce.

Com., 14 juin 2023, n° 21-15.864, (B), FS

Cassation sans renvoi

Redressement judiciaire – Plan – Plan de cession – Réalisation – Cession d'un bien – Bien grevé d'une sûreté réelle – Droit de suite d'un créancier antérieur – Participation à la distribution de la quote-part du prix de vente

L'article L. 642-12, alinéa 1, du code de commerce, qui impose au tribunal qui arrête un plan de cession de déterminer la quote-part du prix de vente affecté aux biens grevés d'une sûreté réelle, a pour finalité de déterminer l'assiette du droit de préférence. Il ne déroge pas à l'ordre de paiement des créanciers.

Il résulte de l'article R. 643-5 du code de commerce que le créancier d'un propriétaire antérieur qui a régulièrement fait connaître au liquidateur l'existence de son droit de suite participe à la distribution de cette quote-part au même titre que les créanciers de la procédure.

Redressement judiciaire – Plan – Plan de cession – Réalisation – Cession d'un bien – Quote-part du prix de vente affecté aux biens grevés d'une sûreté réelle – Dérogation à l'ordre de paiement des créanciers (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 mars 2021), le 26 novembre 2015, la société Sonia, qui avait acquis de la société Mamy un fonds de commerce, a été mise en redressement judiciaire. Un plan de cession a été arrêté par un jugement du 30 septembre 2016, puis, le 4 novembre suivant, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire, la société EMJ étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire, remplacée le 20 juillet 2017 par la société Axyme.

2. La société Paulaner Brauerei Gruppe Gmbh & Ko Kgaa (la société Paulaner), qui avait consenti à la société Mamy un prêt garanti par un nantissement et qui, n'ayant pas été réglée de la totalité du crédit, était bénéficiaire d'un droit de suite sur le fonds de commerce, a assigné le liquidateur pour être colloquée en premier rang sur le prix de vente à concurrence de la somme de 87 044,13 euros.

3. Par jugement du 30 septembre 2019, le tribunal a dit que la société Paulaner devait être colloquée sur le prix de vente du fonds de commerce à hauteur de 87 044,13 euros et qu'elle viendrait au rang des créanciers bénéficiaires d'un nantissement sur le fonds de commerce.

La société Axyme, ès qualités, a interjeté appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen unique du pourvoi incident

Enoncé du moyen

5. La société Paulaner fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'elle devait être colloquée sur le prix de vente du fonds de commerce et de dire qu'en conséquence, elle devait être colloquée sur la quote-part du prix de cession de l'entreprise affectée au fonds de commerce de la société Sonia, qui devait être définie par le tribunal de la procédure collective conformément à l'article L. 642-12 du code de commerce, alors « que le tribunal saisi par le créancier nanti sur le fonds de commerce qui exerce son droit de suite peut, après avoir constaté que l'inscription n'a pas été purgée par le jugement arrêtant le plan de cession faute d'avoir affecté une quote-part du prix au bien grevé de la sûreté, ordonner que le créancier sera directement colloqué sur le prix payé par le cessionnaire, dès lors que le fonds de commerce nanti constitue le seul actif cédé, sans qu'il soit besoin d'exercer une requête en omission de statuer contre le jugement ayant arrêté le plan ; qu'en énonçant que le jugement sera confirmé sauf à préciser que la société Paulaner doit être colloquée non sur le prix de cession mais sur sa quote-part devant être définie par le tribunal de la procédure collective, le cas échéant saisi dans le cadre d'une omission de statuer, la cour d'appel a violé l'article L. 143-12 du code de commerce, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 642-12, alinéa 1, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014, du code de commerce :

6. Il résulte de ce texte que le tribunal qui arrête le plan de cession doit déterminer la quote-part du prix de vente affectée aux biens grevés d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque, pour la répartition du prix et l'exercice sur ce montant du droit de préférence, cette quote-part correspondant au rapport entre la valeur de ce bien et la valeur totale des actifs cédés.

7. Pour dire que le tribunal de la procédure collective devra définir la quote-part du prix de cession du fonds de commerce de la société Sonia, sur laquelle la société Paulaner devra être colloquée, l'arrêt retient que le tribunal a omis de statuer sur ce point, imposé par la loi.

8. En statuant ainsi, après avoir relevé que le plan de cession ne portait que sur le fonds de commerce objet du nantissement, de sorte que, en l'espèce, l'absence d'affectation par le tribunal était sans portée sur l'assiette des droits du créancier qui était déterminable, comme portant nécessairement sur la totalité du prix de l'actif cédé, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen relevé d'office

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 642-12, alinéa 1, L. 641-13, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 15 septembre 2021, et R. 643-5 du code de commerce :

10. Le premier de ces textes, ayant pour finalité de déterminer l'assiette du droit de préférence, ne déroge pas à l'ordre de paiement des créanciers prévu par le deuxième.

11. Il résulte du troisième de ces textes que, sous peine d'être déchu de son droit de participer à la distribution, le créancier d'un propriétaire antérieur qui a fait connaître au liquidateur l'existence de son droit de suite dans le délai de deux mois après l'avertissement de ce dernier, participe à la distribution des biens au même titre que les créanciers de la procédure.

12. Pour dire que la société Paulaner vient en premier rang par rapport aux créanciers de la procédure collective de la société Sonia, l'arrêt retient que cette société est titulaire d'un nantissement inscrit sur le fonds de commerce du chef du propriétaire antérieur et qu'une priorité doit lui être accordée sur les créanciers personnels de la société Sonia.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 30 septembre 2019.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Vallansan - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SAS Hannotin Avocats -

Textes visés :

Articles L. 642-12, alinéa 1, et R. 643-5 du code de commerce.

Com., 14 juin 2023, n° 21-21.330, (B), FS

Cassation partielle

Sauvegarde – Déclaration de créances – Délai – Non-respect – Sanction – Inopposabilité de la créance à la procédure – Portée – Personnes physiques coobligées – Conditions – Engagement de nature conventionnelle

Selon l'article L. 622-26, alinéa 2, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, du code de commerce, les créances non régulièrement déclarées sont, pendant l'exécution du plan de sauvegarde, inopposables aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie.

En application de l'article L. 626-11, alinéa 2, du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, à l'exception des personnes morales, les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent se prévaloir des dispositions du plan de sauvegarde.

Seules les personnes physiques dont l'engagement est de nature conventionnelle ont la qualité de coobligés au sens de ces deux textes.

En conséquence, viole ces textes la cour d'appel qui, ayant relevé que des dirigeants sociaux avaient été condamnés, par un jugement irrévocable, à réparer le préjudice financier causé par une infraction pénale dont ils avaient été déclarés coupables avec la société, qui a ensuite bénéficié d'un plan de sauvegarde, cantonne la saisie pratiquée par la partie civile en exécution de ce jugement aux seules condamnations prononcées sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

Sauvegarde – Déclaration de créances – Délai – Non-respect – Sanction – Inopposabilité de la créance à la procédure – Exclusion – Cas – Personnes physiques coobligées condamnées à réparer le préjudice causé par une infraction pénale

Sauvegarde – Plan de sauvegarde – Bénéficiaire – Personnes physiques coobligées – Conditions – Engagement de nature conventionnelle

Sauvegarde – Plan de sauvegarde – Bénéficiaire – Exclusion – Cas – Personnes physiques coobligées condamnées à réparer le préjudice causé par une infraction pénale

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 juin 2021), le 29 octobre 2015, un jugement correctionnel a condamné la société Boulangerie Aurélia (la société) et ses dirigeants, MM. [Z] et [V] [F] (MM. [F]), pour l'infraction de travail dissimulé, reçu l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiale Provence-Alpes-Côte d'Azur (l'URSSAF) en sa constitution de partie civile, déclaré la société et MM. [F] solidairement responsables du préjudice subi par l'URSSAF et, sur les intérêts civils, renvoyé l'affaire à une audience ultérieure.

2. Le 30 mai 2016, la société a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde.

3. Le 4 avril 2017, un arrêt a confirmé le jugement correctionnel du 29 octobre 2015 et déclaré MM. [F] et la société solidairement responsables du préjudice subi par l'URSSAF entre 2008 et 2010, et M. [Z] [F] et la société solidairement responsables de ce préjudice entre 2006 et 2007.

4. Le 4 septembre 2017, le plan de sauvegarde de la société a été arrêté pour une durée de dix ans.

5. Statuant sur les intérêts civils, un arrêt du 11 février 2019 a condamné M. [Z] [F] à indemniser le préjudice financier subi par l'URSSAF entre 2006 et 2007, condamné solidairement MM. [F] à indemniser le préjudice financier subi entre 2008 et 2010, ainsi que les préjudices matériels et d'atteinte aux finances publiques, et condamné les mêmes au paiement d'indemnités procédurales, en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale. Cet arrêt a, en outre, fixé les créances de l'URSSAF au passif de la procédure collective de la société débitrice à concurrence des mêmes montants, à ces différents titres.

6. Le 11 avril 2019, l'URSSAF a déclaré sa créance au passif de la procédure collective de la société débitrice pour les montants fixés par l'arrêt du 11 février 2019.

7. L'URSSAF a diligenté une saisie des droits d'associés ou de valeurs mobilières détenus par MM. [F] dans deux sociétés tierces pour le paiement des sommes dues en exécution de l'arrêt du 11 février 2019.

8. MM. [F] ont saisi un juge de l'exécution en mainlevée de ces mesures, en se prévalant de leur qualité de coobligés de la société débitrice, bénéficiaires de la suspension des poursuites édictée à l'article L. 626-11 du code de commerce.

Examen des moyens

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche, et sur le moyen relevé d'office, réunis

Enoncé des moyens

9. L'URSSAF fait grief à l'arrêt de cantonner les saisies aux sommes dues sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale et d'en ordonner la mainlevée pour le surplus, alors « que le dirigeant d'une société commerciale, personnellement tenu de réparer le préjudice découlant des infractions dont il a été déclaré coupable, ne saurait invoquer, pour échapper à ses obligations, la procédure collective intéressant la société dont il était dirigeant, dès lors qu'il n'est pas concerné par ladite procédure ; qu'en l'espèce, statuant sur les intérêts civils, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, par arrêt du 11 février 2019, a condamné MM. [F], reconnus coupables de travail dissimulé dans le cadre de la gestion de la société Boulangerie Aurélia, à payer des dommages et intérêts à l'URSSAF PACA d'un montant équivalent aux cotisations sociales éludées ; qu'en retenant que le recouvrement de cette créance de dommages et intérêts détenue sur les dirigeants ne pouvait être poursuivi du fait de la procédure de sauvegarde ouverte à l'encontre de la société débitrice condamnée également à une telle indemnité, la cour d'appel a violé les articles 2 et 3 du code de procédure pénale, 1382, devenu 1240, du code civil et L. 622-7 du code de commerce par fausse application. »

Réponse de la Cour

10. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile sur le moyen relevé d'office, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 622-7 et L. 622-21, I, du code de commerce :

11. Il résulte du premier de ces textes que le jugement d'ouverture de la sauvegarde interdit de payer toute créance née antérieurement à ce jugement.

12. Selon le second, le jugement d'ouverture de la sauvegarde interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent.

13. Les dispositions de ces textes ne profitant qu'au seul débiteur en procédure collective, les dirigeants sociaux ne peuvent s'en prévaloir.

14. Pour cantonner aux seules condamnations prononcées au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale les saisies diligentées par l'URSSAF sur le fondement de l'arrêt du 11 février 2019, l'arrêt retient, par motifs propres, que l'argumentation de l'URSSAF tend à « faire échec à la suspension des poursuites prévue à l'article L. 622-7 du code de commerce » en l'état de la procédure de sauvegarde dont fait l'objet la société débitrice et que, s'agissant de la créance, unique, détenue par l'URSSAF au titre des cotisations éludées entre 2006 et 2010, son recouvrement ne peut être poursuivi du fait de cette procédure, ouverte le 30 mai 2016.

15. En statuant ainsi, par des motifs desquels il ressort qu'elle a appliqué à MM. [F], dirigeants de la société débitrice, la règle de l'interdiction des paiements ou celle de l'interdiction des poursuites individuelles, alors que ceux-ci ne pouvaient en bénéficier, la cour d'appel a violé, par fausse application, les textes susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

16. L'URSSAF fait le même grief à l'arrêt, alors « que le dirigeant d'une société commerciale, personnellement tenu de réparer le préjudice découlant des infractions dont il a été déclaré coupable, ne saurait invoquer, pour échapper à ses obligations, la procédure collective intéressant la société dont il était dirigeant, dès lors qu'il n'est pas concerné par ladite procédure ; qu'il ne peut dès lors invoquer la qualité de coobligé de la société dirigée afin de se prévaloir du plan de sauvegarde et échapper à son obligation personnelle envers la victime de l'infraction titulaire d'une créance indemnitaire ; qu'en retenant, par motifs éventuellement adoptés, que MM. [F], condamnés à indemniser l'URSSAF PACA, ne pouvaient être poursuivis en recouvrement en ce qu'ils étaient coobligés de la société Boulangerie Aurélia au sens des articles L. 626-11 et L. 622-26 du code de commerce et pouvaient ainsi se prévaloir du plan de sauvegarde ainsi que du prétendu défaut de déclaration de la créance indemnitaire à la procédure de sauvegarde, la cour d'appel a violé ces articles, ensemble les articles 2 du code de procédure pénale et 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 622-26, alinéa 2, et L. 626-11, alinéa 2, du code de commerce, le premier dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 et le second dans celle issue de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, applicables en la cause :

17. Selon le premier de ces textes, les créances non régulièrement déclarées sont, pendant l'exécution du plan de sauvegarde, inopposables aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie.

18. En application du second, à l'exception des personnes morales, les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent se prévaloir des dispositions du plan de sauvegarde.

19. Seules les personnes physiques dont l'engagement est de nature conventionnelle ont la qualité de coobligés au sens de ces deux textes.

20. Pour cantonner la saisie aux seules condamnations prononcées par la juridiction pénale sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale, l'arrêt relève, par motifs adoptés, que la société débitrice fait l'objet d'un plan de sauvegarde non étendu à MM. [F]. Il retient, ensuite, que, soit cette créance indemnitaire n'a pas été déclarée par l'URSSAF dans la procédure de sauvegarde, de sorte qu'elle est inopposable aux personnes physiques coobligées pendant l'exécution du plan, soit cette créance a été déclarée, de sorte que, pendant l'exécution du plan, les coobligés peuvent se prévaloir des dispositions du plan. Il en déduit que, dès lors qu'il n'est pas fait état du non-respect du plan de sauvegarde, l'URSSAF ne pouvait diligenter contre MM. [F] une mesure de saisie pour recouvrer sa créance indemnitaire.

21. En statuant ainsi, alors que l'obligation à paiement de MM. [F] résultait de l'arrêt irrévocable du 11 février 2019 les condamnant à réparer le préjudice causé par une infraction pénale dont ils avaient été déclarés coupables avec la société débitrice, de sorte que, n'ayant pas la qualité de coobligés de cette dernière, au sens des textes susvisés, ils ne pouvaient se prévaloir ni de l'inopposabilité de la créance de l'URSSAF pour cause de non-déclaration au passif ni de la suspension des poursuites pendant l'exécution du plan de sauvegarde de la société débitrice, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement, il ordonne la jonction des instances et en ce qu'il rejette la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par MM. [V] et [Z] [F], l'arrêt rendu le 17 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Barbot - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Article L. 622-26, alinéa 2, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014 article L. 626-11, alinéa 2, du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 septembre 2008.

Com., 14 juin 2023, n° 21-24.018, (B), FRH

Rejet

Sauvegarde – Période d'observation – Action contre la caution – Caution personne physique – Mesures conservatoires – Possibilité

Le créancier, bénéficiaire d'un cautionnement contracté par une personne physique, n'est pas privé de toute action contre la caution pendant la procédure de sauvegarde, puisqu'il peut, pour obtenir un titre exécutoire, faire pratiquer des mesures conservatoires contre cette dernière, soit pendant la période d'observation, en application de l'article L. 622-28, alinéa 3, du code de commerce, soit pendant l'exécution du plan de sauvegarde, en application de l'article R. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution.

Sauvegarde – Plan de sauvegarde – Exécution du plan – Action contre la caution – Caution personne physique – Mesures conservatoires – Possibilité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 8 septembre 2021), la société [Z] Optic (la société débitrice) exploite un fonds de commerce d'optique et lunetterie. M. [Z], le dirigeant de la société, s'est porté caution des sommes dues par la société débitrice au franchiseur, la société Optical finance.

2. Le 22 février 2017, la société débitrice a été mise en sauvegarde et, le 24 janvier 2018, un plan a été arrêté, la société Odile Stutz, désignée mandataire judiciaire, devenant commissaire à l'exécution du plan.

3. Après la résiliation du contrat de franchise par une ordonnance du juge-commissaire, la société Optical finance a déclaré sa créance à la procédure et, le 20 octobre 2017, assigné M. [Z], en sa qualité de caution, et demandé qu'il soit sursis à statuer dans l'attente d'une décision à l'issue de la période d'observation. M. [Z] a opposé une fin de non-recevoir en soutenant qu'il pouvait se prévaloir des dispositions du plan de sauvegarde.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses trois premières branches

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

5. La société Optical finance fait grief à l'arrêt de déclarer son action irrecevable, alors « que toute atteinte au droit d'agir doit être proportionnée ; qu'en jugeant irrecevable l'action engagée par la société de franchise contre M. [Z] en sa qualité de caution des engagements de la société [Z] Optic au motif que la créance de la caution, qui pouvait se prévaloir des dispositions du plan de sauvegarde de la débitrice principale, n'était pas exigible, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette irrecevabilité n'avait pas pour effet de priver la société de franchise de son droit d'agir en justice contre M. [Z] en sa qualité de caution en l'état d'une interprétation des dispositions du contrat de cautionnement conclu par M. [Z] en sa faveur, lues comme prévoyant un délai de forclusion imposant au créancier d'agir contre la caution dans un délai de six mois suivant la résiliation du contrat de franchise prononcée à effet du 21 avril 2017, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

6. Si les poursuites du créancier contre M. [Z], caution personne physique, ont été suspendues, en application de l'article L. 622-28, alinéa 2, du code de commerce, par l'effet de l'ouverture de la procédure de sauvegarde, le 22 février 2017, jusqu'au jugement arrêtant le plan de sauvegarde du 24 janvier 2018, pour autant, la société créancière n'a pas été privée de toute action contre la caution.

7. En effet, le créancier, bénéficiaire d'un cautionnement, peut, pour obtenir un titre exécutoire, prendre des mesures conservatoires contre la caution, personne physique, soit pendant la période d'observation, en application de l'article L. 622-28, alinéa 3, du code de commerce, soit pendant l'exécution du plan de sauvegarde en application de l'article R. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution.

8. Il bénéficie, par ailleurs, de l'interruption du délai de la prescription, à compter de sa déclaration de créance à la procédure collective de la société débitrice principale jusqu'à la clôture de la procédure collective.

9. Dès lors, en l'absence de toute perte du droit d'agir de la société Optical finance contre la caution, la cour d'appel n'était pas tenue d'effectuer une recherche qui était inopérante.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Vallansan - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Article L. 622-28, alinéa 3, du code de commerce ; article R. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.