Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

DROIT DE RETENTION

Com., 14 juin 2023, n° 20-19.948, (B), FS

Cassation partielle

Effets – Droit de rétention conventionnel – Portée – Détermination

Il résulte de l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que le droit de rétention conventionnel que le fréteur tient du contrat d'affrètement ne peut être exercé que sur les biens de son cocontractant, sans préjudice d'un droit de rétention dont il pourrait se prévaloir contre un tiers, propriétaire de la marchandise se trouvant à bord de son navire, en raison d'une connexité matérielle ou juridique entre la créance invoquée et la marchandise retenue.

Effets – Connexité matérielle – Portée – Détermination

Effets – Connexité juridique – Portée – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 25 juin 2020), rendu sur renvoi après cassation (Com., 19 décembre 2018, pourvoi n° 17-18.900) et les productions, suivant une charte-partie du 31 août 2016, la société Aramis Entreprises Company (la société Aramis) a frété à temps le navire Nikator à la société Tranvast Shipping Co Limited (la société Tranvast), laquelle l'a sous-frété, suivant une charte-partie du 5 septembre 2016, à la société Traxys France (la société Traxys) pour le transport d'une cargaison de bauxite du port chinois de [Localité 3] au port français de [Localité 2], transport qui a fait l'objet d'un connaissement émis le 9 septembre 2016 mentionnant la société Aramis en qualité de transporteur et la société Traxys en qualité de destinataire.

2. Prétendant ne pas avoir été payée par la société Tranvast de son fret et du coût des soutes qu'elle avait avancés pour le voyage, la société Aramis a obtenu l'autorisation, par deux ordonnances des 6 et 9 décembre 2016 du président du tribunal de commerce de Dunkerque, de pratiquer une saisie-conservatoire de la cargaison à son arrivée au port de [Localité 2] et sa consignation entre les mains d'un tiers séquestre.

3. Le 14 décembre 2016, la société Traxys, prétendant avoir payé le sous-fret entre les mains du fréteur au voyage, affréteur à temps, a assigné en référé la société Aramis devant le tribunal de commerce de Dunkerque en mainlevée des saisies pratiquées.

Le même jour, la société Aramis a assigné en référé la société Tranvast aux fins d'être autorisée à vendre la marchandise litigieuse en paiement de ses créances.

Les deux instances ont été jointes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La société Traxys fait grief à l'arrêt de la condamner à restituer à la société Aramis les 2 930 tonnes de bauxite saisies, et les consigner, ou consigner une marchandise équivalente, en nature, qualité et quantité, entre les mains de la société Kerneos, en tant que séquestre, pour son compte aux fins de son exercice du droit de rétention sur l'intégralité de la marchandise, en garantie du paiement de la somme de 153 128,79 USD, avec intérêts capitalisables, au titre de fret impayé et de la somme de 218 450 USD, avec intérêts capitalisables, au titre de fournitures de soutes, à défaut, lui fournir une garantie équivalente, alors :

« 1°/ qu'en droit international privé, lorsqu'un droit réel est de source conventionnelle, la loi applicable au contrat régit les conditions de naissance de ce droit ; qu'il en est ainsi de l'exigence d'un lien de connexité entre la créance et les marchandises s'agissant d'un droit de rétention conventionnel ; qu'en l'espèce, le « lien upon all cargoes », à supposer qu'il puisse être assimilé à un droit de rétention, serait né d'une charte-partie à temps expressément soumise à la loi anglaise ; qu'en jugeant que le droit français reconnaît l'existence d'un droit de rétention conventionnel, sans que la démonstration de l'existence d'un lien de connexité entre la créance et les marchandises ne soit nécessaire, sans rechercher si, en application du droit anglais, un lien de connexité était requis entre la créance et les marchandises pour que le droit réel existe, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 du code civil et des principes qui régissent le droit international privé ;

2°/ qu'en droit international privé, le « lien upon all cargoes » ne peut produire effet en France qu'à la condition qu'il soit équivalent au droit de rétention français ; qu'en affirmant que le « lien upon all cargoes », en tant que droit réel sur les marchandises invoqué en garantie d'une créance impayée peut être assimilé au droit de rétention français, sans expliquer, ne serait-ce que sommairement, en quoi le « lien upon all cargoes » était équivalent au droit de rétention français, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 du code civil et des principes qui régissent le droit international privé. »

Recevabilité du moyen, contestée en défense

5. S'agissant de droits disponibles, le moyen tiré de l'application du droit étranger ne peut être présenté pour la première fois devant la Cour de cassation.

6. Il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions d'appel que, pour s'opposer aux demandes de la société Aramis, fondées sur le droit français, la société Traxys ait invoqué l'application de la loi anglaise.

7. Le moyen est donc irrecevable.

Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

8. La société Traxys fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'à supposer qu'un lien de connexité matériel ou juridique entre la chose détenue et la créance invoquée ne soit pas requis pour un droit de rétention conventionnel, un droit de rétention conventionnel ne peut porter sur un bien propriété d'un tiers ; qu'en l'espèce la marchandise était propriété de la société Traxys, alors que la créance impayée était celle de la société Tranvast, de sorte qu'en décidant qu'un contrat conclu entre la société Aramis et la société Tranvast peut grever d'un droit réel le bien d'un tiers, la cour d'appel a violé l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

9. Il résulte de ce texte que le droit de rétention conventionnel que le fréteur tient du contrat d'affrètement ne peut être exercé que sur les biens de son cocontractant, sans préjudice d'un droit de rétention dont il pourrait se prévaloir contre un tiers, propriétaire de la marchandise se trouvant à bord de son navire, en raison d'une connexité matérielle ou juridique entre la créance invoquée et la marchandise retenue.

10. Pour condamner la société Traxys à restituer à la société Aramis les 2 930 tonnes de bauxite saisies ou consigner une marchandise équivalente, après avoir constaté que le contrat d'affrètement à temps conclu entre la société Aramis et la société Tranvast comporte une clause aux termes de laquelle « les armateurs peuvent exercer un droit de rétention sur toutes marchandises et tous sous-frets, surestaries, loyers, sous-loyers, pour toutes sommes dues au titre de la présente charte-partie », l'arrêt retient que cette clause, instituant un droit réel sur les marchandises invoqué en garantie d'une créance impayée, peut être assimilée au droit de rétention français. Il ajoute que, conformément à l'article 2286, 1°, du code civil, l'existence d'un droit de rétention conventionnel ne requiert pas la démonstration d'un lien de connexité entre la créance et la marchandise et qu'il s'agit d'un droit réel opposable à tous, de sorte que le fréteur à temps peut opposer au sous-affréteur au voyage la clause comportant ce droit de rétention.

11. En statuant ainsi, sans constater l'existence d'une connexité matérielle ou juridique entre la créance invoquée et la marchandise retenue, propriété d'un tiers, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de la société Traxys tendant à voir déclarer irrecevables les conclusions de la société Aramis du 19 novembre 2019 et dit n'y avoir lieu à rejeter celles-ci, l'arrêt rendu le 25 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Kass-Danno - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SARL Ortscheidt ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

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