Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

CONTRATS ET OBLIGATIONS CONVENTIONNELLES

3e Civ., 15 juin 2023, n° 21-10.119, (B), FS

Cassation partielle

Exécution – Paiement d'une somme d'argent – Exonération – Force majeure (non)

Le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure. Il en résulte que l'impossibilité d'exercer une activité du fait des mesures gouvernementales prises pour lutter contre la propagation du virus covid-19 ne peut exonérer un locataire à bail commercial du paiement des loyers.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 5 novembre 2020), le 27 septembre 2012, M. [G] (le bailleur) a donné à bail commercial à la société Park & Suites, aux droits de laquelle est venue la société Appart'City (la locataire), deux appartements situés dans une résidence de tourisme.

2. Le 22 avril 2014, le bailleur a assigné la locataire en paiement d'un arriéré locatif, indemnisation de ses préjudices, remboursement de frais d'huissier de justice et communication de documents comptables de la résidence.

3. Actualisant, en cause d'appel, sa demande au titre de l'arriéré locatif, le bailleur l'a étendue au solde des loyers des premier et deuxième trimestres 2020, soit ceux échus, pour partie, alors que les mesures gouvernementales d'interdiction de recevoir du public afin de lutter contre la propagation du virus covid-19, étaient en vigueur.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en ses cinquième et septième branches, les troisième à cinquième moyens et le sixième moyen, pris en sa troisième branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre premières branches

Enoncé du moyen

5. La locataire fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au bailleur certaines sommes complémentaires au titre des loyers des premier et deuxième trimestres 2020, alors :

« 1°/ qu'est constitutif d'un cas de force majeure un événement présentant un caractère imprévisible, lors de la conclusion du contrat, et irrésistible dans son exécution ; que constitue un cas de force majeure, susceptible de l'exonérer, au moins temporairement, du paiement des loyers, l'impossibilité pour une société de location touristique d'exercer son activité, en raison des interdictions prononcées par les autorités publiques dans le cadre des mesures sanitaires prises pour la lutte contre la pandémie de covid-19 ; que dans ses conclusions d'appel, la société Appart'city soutenait qu'elle n'avait pas pu se libérer du règlement des loyers durant la période de confinement, dès lors qu'elle avait subi une perte totale de clientèle, s'apparentant à la perte de la chose due ; que la cour d'appel a refusé de retenir l'existence d'un cas de force majeure lié à l'épidémie de covid-19, en se bornant à constater qu'il n'était pas justifié par la société Appart'city de difficultés de trésorerie rendant impossible l'exécution de son obligation de payer les loyers ; qu'en s'abstenant ainsi de rechercher, comme elle y était invitée, si ces difficultés de trésorerie ne se déduisaient pas de ce que la société Appart'city avait été dans l'impossibilité d'exercer la moindre activité pendant la période de confinement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1148 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble de l'article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, et de l'article 10 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, dans sa version modifiée par le décret n° 2020-604 du 20 mai 2020 ;

2°/ qu'est constitutif d'un cas de force majeure un événement présentant un caractère imprévisible, lors de la conclusion du contrat, et irrésistible dans son exécution ; que constitue un cas de force majeure, susceptible de l'exonérer, au moins temporairement, du paiement des loyers, l'impossibilité pour une société de location touristique d'exercer son activité, en raison des interdictions prononcées par les autorités publiques dans le cadre des mesures sanitaires prises pour la lutte contre la pandémie de covid-19 ; que la cour d'appel a écarté tout événement de force majeure lié à l'épidémie de covid-19, dès lors que l'article 10 du décret du 11 mai 2020, modifié le 20 mai 2020, tout en interdisant l'accueil du public dans les résidences de tourisme, a prévu une dérogation concernant les personnes qui y élisent domicile, de sorte que toute activité n'aurait pas été interdite à la société Appart'city, laquelle ne produit aucun élément permettant de constater que l'activité qu'elle exerce ne correspond qu'à la location de locaux d'habitation proposés à une clientèle touristique qui n'y élit pas domicile, pour une occupation à la journée, à la semaine ou au mois, comme prévu à l'article R. 321-1 du code du tourisme ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la société Appart'city ne s'était pas trouvée dans l'impossibilité totale d'exercer son activité pour la période de confinement antérieure au décret du 11 mai 2020, modifié le 20 mai 2020, pendant laquelle il était interdit à la population de se déplacer à plus d'un kilomètre de son domicile sauf pour des motifs impérieux limitativement énumérés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1148 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ;

3°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que le bail commercial du 21 septembre 2012 stipule que les lots donnés à bail constituent une résidence de tourisme, telle que définie par l'article D. 321-1 du code du tourisme, ce qu'a constaté la cour d'appel, texte dont il résulte que les locaux d'habitation meublés sont proposés à une clientèle touristique qui n'y élit pas domicile ; qu'en jugeant que toute activité n'avait pas été interdite à la société Appart'city, dès lors que l'article 10 du décret du 11 mai 2020, tel que modifié par le décret du 20 mai 2020, prévoyait une dérogation à l'interdiction d'accueillir du public dans les résidences de tourisme concernant les personnes qui y élisent domicile, et que l'exposante ne produisait aucun élément permettant de constater que l'activité qu'elle exerce ne correspond qu'à la location de locaux d'habitation proposés à une clientèle touristique qui n'y élit pas domicile, quand il résultait clairement des termes du contrat de bail commercial qu'une telle activité lui était interdite, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

4°/ que le fait du prince correspond à une décision de l'autorité publique ayant pour conséquence de porter atteinte à l'équilibre financier de situations contractuelles et qui, en matière civile, peut constituer un cas de force majeure ; qu'en jugeant que la théorie jurisprudentielle du fait du prince concernait uniquement les rapports entre une personne morale de droit public et son cocontractant, la cour d'appel a violé l'article 1148 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article 1148 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, il n'y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.

7. Constitue un cas de force majeure un événement présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution (Ass. plén., 14 avril 2006, pourvoi n° 02-11.168, Bull. 2006, Ass. plén. n° 5), l'irrésistibilité n'étant pas caractérisée si l'exécution est seulement rendue plus difficile ou onéreuse.

8. Dès lors, le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure (Com., 16 septembre 2014, pourvoi n° 13-20.306, Bull. 2014, IV, n° 118).

9. Il en résulte que l'impossibilité d'exercer une activité du fait des mesures gouvernementales prises pour lutter contre la propagation du virus covid-19, ne pouvait exonérer la locataire du paiement des loyers échus pendant les premier et deuxième trimestres 2020.

10. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié de ce chef.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

11. La locataire fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au bailleur une certaine somme au titre du loyer dû pour le quatrième trimestre de l'année 2014, alors « que le juge ne peut pas dénaturer dans les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, pour contester sa condamnation au paiement des loyers échus, l'exposante faisait valoir dans ses conclusions, tableau à l'appui, qu'elle était à jour de l'ensemble des loyers au début de l'année 2020, M. [G] lui devant même des sommes à cette date ; qu'en jugeant pourtant, pour confirmer le jugement ayant prononcé une condamnation au titre du loyer du 4ème trimestre de l'année 2014, que le montant des loyers de retard fixé dans le jugement déféré n'était pas contesté, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de l'exposante, violant ainsi l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

12. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

13. Pour condamner la locataire à payer au bailleur une certaine somme au titre du loyer dû pour le quatrième trimestre de l'année 2014, l'arrêt énonce que le montant des loyers de retard fixé dans la décision déférée n'est pas contesté.

14. En statuant ainsi, alors que la locataire soutenait être à jour de l'ensemble des loyers au début de l'année 2020, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

15. La locataire fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au bailleur une certaine somme en réparation du préjudice subi du fait des retards de paiement du loyer, alors « que les dommages-intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure ; que le juge ne peut allouer des dommages-intérêts distincts des intérêts moratoires qu'à la condition de caractériser, d'une part, la mauvaise foi du débiteur, d'autre part, l'existence d'un préjudice indépendant du retard ; qu'en l'espèce, pour allouer à M. [G] la somme de 2 000 euros de dommages-intérêts au titre de son préjudice subi du fait des divers retards de paiement de la société Appart'city, la cour d'appel a relevé l'impossibilité pour M. [G] de régler certaines dépenses afférentes aux biens donnés à bail, et le rejet avec mise en demeure de prélèvements bancaires dès lors que M. [G] avait domicilié sur un même compte les paiements des loyers et charges, et les remboursements d'emprunts, relatifs aux biens loués ; que la cour d'appel a également relevé que M. [G] avait été contraint de suivre de façon particulièrement précise le paiement des loyers, qu'il avait dû recourir à de très nombreuses démarches et avait engagé des frais de recouvrement (lettres recommandées de mise en demeure et plus de vingt sommations de payer) ; qu'en statuant par de tels motifs, insuffisants à établir la mauvaise foi de la société Appart'city, la cour d'appel a violé l'article 1153, devenu 1231-6, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1153, alinéa 4, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

16. Aux termes de ce texte, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages-intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.

17. Pour condamner la locataire à payer au bailleur une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des retards de paiement du loyer, l'arrêt retient que ces retards ont entraîné l'impossibilité de régler certaines dépenses afférentes aux biens donnés à bail, le rejet de prélèvements bancaires et l'engagement de frais de recouvrement.

18. En statuant ainsi, sans constater la mauvaise foi de la locataire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le sixième moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

19. La locataire fait grief à l'arrêt de lui ordonner de communiquer les comptes d'exploitation individualisés pour les années 2013 et 2014, les bilans des mêmes années et les comptes d'exploitation de la résidence pour les exercices 2012 et 2015 à 2019, alors :

« 1°/ que le juge ne peut accueillir ou rejeter les demandes dont il est saisi sans examiner tous les éléments de preuve qui lui sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en confirmant le jugement entrepris en ce qu'il avait ordonné à la société Appart'city de communiquer sous astreinte à M. [G] les comptes d'exploitation individualisés pour les années 2013 et 2014 et les bilans des années 2013 et 2014, sans examiner, fût-ce sommairement, la pièce n° 2 de la société Appart'city, dont il résultait que ces documents avaient été communiqués à M. [G] par courrier officiel du conseil de la société Appart'city du 25 juin 2016, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que le juge ne peut accueillir ou rejeter les demandes dont il est saisi sans examiner tous les éléments de preuve qui lui sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en ordonnant à la société Appart'city de communiquer sous astreinte à M. [G] les comptes d'exploitation pour les exercices 2015, 2016, 2017, 2018 et 2019, sans examiner, fût-ce sommairement, les pièces n° 3, 6 et 9 de la société Appart'city, dont il résultait que les comptes d'exploitation pour ces exercices avaient bien été transmis à M. [G], la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

20. Il résulte de ce texte que le juge doit procéder à l'examen, même sommaire, des pièces produites par les parties.

21. Pour condamner la locataire à communiquer sous astreinte les comptes d'exploitation des années 2013 et 2014, l'arrêt retient qu'il résulte de ses conclusions que ces documents ne sont pas régulièrement communiqués.

22. Il ajoute que concernant les années ultérieures, la preuve de l'envoi au bailleur des comptes d'exploitation n'est pas rapportée.

23. En statuant ainsi, sans examiner, même sommairement, les courriers des 25 juin et 20 juillet 2016, 11 avril 2019 et 24 avril 2020, relatifs à la communication au bailleur des documents en litige pour les années 2013 à 2019, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Appart'City, d'une part, à payer à M. [G] les sommes de 2 509,52 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 27 janvier 2015, au titre du loyer dû pour le quatrième trimestre de l'année 2014 et de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts complémentaires pour retard de paiement du loyer, d'autre part, à communiquer sous astreinte à M. [G] les comptes d'exploitation et les bilans de la résidence Innovallée de Montbonnot pour les années 2013 et 2014 ainsi que les comptes d'exploitation, au sens de l'article L. 321-2, alinéa 2, du code du tourisme, pour les années 2015, 2016, 2017, 2018 et 2019, l'arrêt rendu le 5 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble, autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. David - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

Textes visés :

Article 1148 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Com., 16 septembre 2014, pourvoi n° 13-20.306, Bull. 2014, IV, n° 118 (rejet) ; 3e Civ., 30 juin 2022, pourvoi n° 21-20.190, Bull., (rejet) (3), et l'arrêt cité.

3e Civ., 8 juin 2023, n° 22-13.330, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Nullité – Effets – Restitutions – Etendue – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 12 janvier 2022), la société civile immobilière Carré du roi a confié le lot gros oeuvre d'une opération de construction immobilière à la société Bernard Brignon, laquelle a sous-traité la réalisation des pieux de fondation et d'une paroi micro-berlinoise butonnée à la société RESIREP, aux droits de laquelle vient la société Eiffage génie civil (la société Eiffage).

2. Pendant les opérations d'expertise judiciaire, ordonnées en raison de malfaçons signalées sur les travaux sous-traités, la société Eiffage a procédé à la reprise des pieux défaillants.

3. Elle a ensuite assigné la société Bernard Brignon en annulation du contrat de sous-traitance et en fixation du juste prix de ses prestations. Celle-ci a demandé, à titre reconventionnel, l'indemnisation de ses préjudices résultant des défauts d'exécution des travaux sous-traités.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. La société Bernard Brignon fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Eiffage la somme de 375 841,30 euros HT en indemnisation du coût réel total des travaux réalisés, alors « que l'annulation d'un contrat de sous-traitance confère au sous-traitant le droit d'obtenir le règlement de travaux réalisés à leur juste coût, ce qui ne peut s'étendre aux travaux de reprise réalisés pour corriger les malfaçons et désordres dont il a été l'auteur ; qu'en allouant à la société Eiffage génie civil la somme de 149 500 euros correspondant aux travaux de reprise qu'elle a été contrainte de réaliser pour corriger les désordres et malfaçons dont elle était responsable, la cour d'appel a violé l'article 1178 ancien du code civil, ensemble les principes régissant les conséquences de l'annulation des actes juridiques. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. La société Eiffage conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que ce moyen est nouveau dès lors que l'appelant se limitait, dans ses conclusions, à évoquer des travaux mal exécutés sans demander, ni justifier d'écarter du montant de l'indemnisation le coût des travaux de reprise des malfaçons.

7. Cependant, le moyen portant sur l'assiette de la créance de restitution était inclus dans le débat devant la cour d'appel.

8. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 et 1178 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

9. Il résulte de ces textes que, dans le cas où le sous-traité annulé a été exécuté, la créance de restitution du sous-traitant correspond au coût réel des travaux réalisés, à l'exclusion de ceux qu'il a effectués pour reprendre les malfaçons dont il est l'auteur.

10. Pour dire que la valeur réelle de la prestation de la société Eiffage s'élève à la somme de 375 841,30 euros, l'arrêt retient que le sous-traitant est en droit d'obtenir la restitution de toutes les sommes réellement déboursées, comprenant le coût réel des travaux réalisés initialement et celui des travaux réalisés en reprise des malfaçons affectant les premiers.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a tenu compte de la valeur des travaux réalisés par le sous-traitant pour reprendre ceux qu'il avait mal exécutés, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. La cassation des chefs de dispositif condamnant la société Bernard Brignon à payer à la société Eiffage la somme de 375 841,30 euros HT en indemnisation du coût réel total des travaux réalisés, avec intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2018 et ordonnant la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil, n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société Bernard Brignon aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.

13. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

15. Le coût réel des travaux réalisés par la société Eiffage en exécution du sous-traité annulé s'élevant à 226 341,30 euros, il convient de condamner la société Bernard Brignon à lui payer cette somme au titre des restitutions dues à la suite de l'annulation du sous-traité, avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter du 5 novembre 2018.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Bernard Brignon à payer à la société Eiffage génie civil la somme de 375 841,30 euros HT en indemnisation du coût réel total des travaux réalisés, avec intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2018 et ordonne la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil, l'arrêt rendu le 12 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne la société Bernard Brignon à payer à la société Eiffage génie civil la somme de 226 341,30 euros au titre des restitutions dues à la suite de l'annulation du sous-traité, avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter du 5 novembre 2018.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Vernimmen - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ; article 1178 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 13 septembre 2006, pourvoi n° 05-11.533, Bull. 2006, III, n° 175 (cassation partielle) ; 3e Civ., 18 novembre 2009, pourvoi n° 08-19.355, Bull. 2009, III, n° 252 (rejet).

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