Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

CONTRAT D'ENTREPRISE

3e Civ., 8 juin 2023, n° 22-10.393, (B), FS

Cassation partielle

Forfait – Travaux supplémentaires – Condamnation du maître de l'ouvrage au paiement – Conditions – Détermination

En application de l'article 1793 du code civil, lorsqu'un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un ouvrage, il ne peut réclamer le paiement de travaux supplémentaires que si ces travaux ont été préalablement autorisés par écrit et leur prix préalablement convenu avec le maître de l'ouvrage ou si celui-ci les a acceptés de manière expresse et non équivoque, une fois réalisés.

La procédure contractuelle de clôture des comptes mise en place par les parties ne pouvant prévaloir sur la qualification donnée au contrat, le silence gardé par le maître de l'ouvrage à réception du mémoire définitif de l'entreprise ou le non-respect par celui-ci de la procédure de clôture des comptes ne vaut pas, dans un marché à forfait, acceptation expresse et non équivoque des travaux supplémentaires dont l'entreprise réclame le paiement.

Forfait – Coût des travaux – Montant – Décompte définitif – Norme AFNOR NF P 03-001 – Application – Etendue – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 4 octobre 2021), suivant marché à forfait du 23 décembre 2011, la société Sovel promotion a confié à la Société française des travaux et d'aménagement Guyane (la SFTAG) l'exécution de travaux de construction d'un immeuble à usage d'habitation.

2. Le maître de l'ouvrage a notifié à l'entreprise un décompte général définitif lui réclamant un solde de 671 471,54 euros, que l'entreprise a contesté en invoquant un solde en sa faveur de 781 813,96 euros.

3. La SFTAG a assigné la société Sovel promotion en paiement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. La société Sovel promotion fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la SFTAG la somme de 298 573,15 euros au titre de la retenue de 5 % sur le marché à forfait ainsi que la somme de 781 573,15 euros, alors « que dans le cadre d'un marché de construction à forfait, les réclamations portant sur des travaux supplémentaires sont soumises à acceptation écrite ou approbation expresse et non équivoque du maître de l'ouvrage, seules les réclamations autres que celles portant sur des travaux supplémentaires pouvant faire l'objet d'une acceptation tacite par celui-ci lorsqu'elles ne sont pas contestées ; que la cour d'appel a constaté que les travaux dont la société SFTAG sollicitait le paiement consistaient en des « changements apportés au projet, en moins ou en plus dans le volume, la technique, le choix des matériaux ou des prestations », ainsi qu'en « un nombre considérable d'adaptations, de corrections du projet » (ibid.), ce dont il résultait que la société SFTAG justifiait le différentiel de prix entre le forfait initial et le coût final des travaux par la réalisation de travaux supplémentaires, soumis, comme tels, à acceptation expresse du maître de l'ouvrage, laquelle ne pouvait dès lors, résulter de son silence ; qu'en jugeant néanmoins que la société Sovel, par son silence durant 30 jours, « était réputé avoir accepté le solde du prix des travaux fixé par [la société SFTAG]", la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, dont il résultait qu'une acceptation par écrit ou une approbation expresse et non équivoque des travaux supplémentaires était nécessaire, a violé l'article 1793 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1793 du code civil :

5. En application de ce texte, lorsqu'un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un ouvrage, il ne peut réclamer le paiement de travaux supplémentaires que si ces travaux ont été préalablement autorisés par écrit et leur prix préalablement convenu avec le maître de l'ouvrage ou si celui-ci les a acceptés de manière expresse et non équivoque, une fois réalisés.

6. La procédure contractuelle de clôture des comptes mise en place par les parties ne peut prévaloir sur la qualification donnée au contrat.

7. Il en résulte que, dans un marché à forfait, le silence gardé par le maître de l'ouvrage à réception du mémoire définitif de l'entreprise ou le non-respect par celui-ci de la procédure de clôture des comptes ne vaut pas acceptation expresse et non équivoque des travaux supplémentaires dont celle-ci réclame le paiement.

8. Pour condamner la société Sovel promotion à payer à la SFTAG les sommes qu'elle réclamait, l'arrêt retient que les parties se sont soumises, conformément au marché, à la procédure d'établissement du décompte définitif telle que définie par la norme NF P 03-001 et qu'à défaut de toute réponse du maître de l'ouvrage dans le délai de trente jours dont il disposait pour accepter ou refuser les observations de l'entreprise, celui-ci est réputé avoir accepté le solde du prix des travaux chiffré par cette dernière.

9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les parties étaient convenues d'un prix forfaitaire et que l'entrepreneur réclamait, au-delà de ce prix, le paiement de travaux supplémentaires, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que qu'il condamne la société Sovel promotion à payer à la Société française des travaux d'aménagement Guyane la somme de 298 573,15 euros au titre de la retenue de garantie, avec intérêts au taux légal à compter du 19 juillet 2018 capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil et la somme de 781 573,15 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2014 et capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, l'arrêt rendu le 4 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Zedda - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SARL Delvolvé et Trichet ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 1793 du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 24 mai 1972, pourvoi n° 71-10.959, Bull. 1972, III, n° 323 (rejet) ; 3e Civ., 18 mars 2021, pourvoi n° 20-12.596, Bull., (cassation partielle) (2), et l'arrêt cité.

3e Civ., 8 juin 2023, n° 22-13.330, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Sous-traitant – Rapports avec l'entrepreneur principal – Paiement – Nullité du contrat – Restitution – Coût réel des travaux réalisés

Dans le cas où le sous-traité annulé a été exécuté, la créance de restitution du sous-traitant correspond au coût réel des travaux réalisés, à l'exclusion de ceux qu'il a effectués pour reprendre les malfaçons dont il est l'auteur.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 12 janvier 2022), la société civile immobilière Carré du roi a confié le lot gros oeuvre d'une opération de construction immobilière à la société Bernard Brignon, laquelle a sous-traité la réalisation des pieux de fondation et d'une paroi micro-berlinoise butonnée à la société RESIREP, aux droits de laquelle vient la société Eiffage génie civil (la société Eiffage).

2. Pendant les opérations d'expertise judiciaire, ordonnées en raison de malfaçons signalées sur les travaux sous-traités, la société Eiffage a procédé à la reprise des pieux défaillants.

3. Elle a ensuite assigné la société Bernard Brignon en annulation du contrat de sous-traitance et en fixation du juste prix de ses prestations. Celle-ci a demandé, à titre reconventionnel, l'indemnisation de ses préjudices résultant des défauts d'exécution des travaux sous-traités.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. La société Bernard Brignon fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Eiffage la somme de 375 841,30 euros HT en indemnisation du coût réel total des travaux réalisés, alors « que l'annulation d'un contrat de sous-traitance confère au sous-traitant le droit d'obtenir le règlement de travaux réalisés à leur juste coût, ce qui ne peut s'étendre aux travaux de reprise réalisés pour corriger les malfaçons et désordres dont il a été l'auteur ; qu'en allouant à la société Eiffage génie civil la somme de 149 500 euros correspondant aux travaux de reprise qu'elle a été contrainte de réaliser pour corriger les désordres et malfaçons dont elle était responsable, la cour d'appel a violé l'article 1178 ancien du code civil, ensemble les principes régissant les conséquences de l'annulation des actes juridiques. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. La société Eiffage conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que ce moyen est nouveau dès lors que l'appelant se limitait, dans ses conclusions, à évoquer des travaux mal exécutés sans demander, ni justifier d'écarter du montant de l'indemnisation le coût des travaux de reprise des malfaçons.

7. Cependant, le moyen portant sur l'assiette de la créance de restitution était inclus dans le débat devant la cour d'appel.

8. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 et 1178 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

9. Il résulte de ces textes que, dans le cas où le sous-traité annulé a été exécuté, la créance de restitution du sous-traitant correspond au coût réel des travaux réalisés, à l'exclusion de ceux qu'il a effectués pour reprendre les malfaçons dont il est l'auteur.

10. Pour dire que la valeur réelle de la prestation de la société Eiffage s'élève à la somme de 375 841,30 euros, l'arrêt retient que le sous-traitant est en droit d'obtenir la restitution de toutes les sommes réellement déboursées, comprenant le coût réel des travaux réalisés initialement et celui des travaux réalisés en reprise des malfaçons affectant les premiers.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a tenu compte de la valeur des travaux réalisés par le sous-traitant pour reprendre ceux qu'il avait mal exécutés, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. La cassation des chefs de dispositif condamnant la société Bernard Brignon à payer à la société Eiffage la somme de 375 841,30 euros HT en indemnisation du coût réel total des travaux réalisés, avec intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2018 et ordonnant la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil, n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société Bernard Brignon aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.

13. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

15. Le coût réel des travaux réalisés par la société Eiffage en exécution du sous-traité annulé s'élevant à 226 341,30 euros, il convient de condamner la société Bernard Brignon à lui payer cette somme au titre des restitutions dues à la suite de l'annulation du sous-traité, avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter du 5 novembre 2018.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Bernard Brignon à payer à la société Eiffage génie civil la somme de 375 841,30 euros HT en indemnisation du coût réel total des travaux réalisés, avec intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2018 et ordonne la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil, l'arrêt rendu le 12 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne la société Bernard Brignon à payer à la société Eiffage génie civil la somme de 226 341,30 euros au titre des restitutions dues à la suite de l'annulation du sous-traité, avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter du 5 novembre 2018.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Vernimmen - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ; article 1178 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 13 septembre 2006, pourvoi n° 05-11.533, Bull. 2006, III, n° 175 (cassation partielle) ; 3e Civ., 18 novembre 2009, pourvoi n° 08-19.355, Bull. 2009, III, n° 252 (rejet).

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