Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2023

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE

Soc., 28 juin 2023, n° 22-11.699, (B), FRH

Cassation partielle

Licenciement – Cause – Cause réelle et sérieuse – Défaut – Effets – Preuve – Employeur – Absence de lien entre la demande du salarié d'organiser des élections professionnelles et le licenciement – Portée

Il résulte des articles L. 1132-1 et L. 2141-5 du code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause, que lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement ne caractérisent pas une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient à l'employeur de démontrer que la rupture du contrat de travail ne constitue pas une mesure de rétorsion à la demande antérieure du salarié d'organiser des élections professionnelles au sein de l'entreprise.

Doit être censuré l'arrêt, qui, pour rejeter les demandes du salarié au titre de la nullité du licenciement pour discrimination syndicale, retient que celui-ci ne présente dans ses conclusions aucun élément de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination syndicale, alors qu'il retenait que le licenciement prononcé n'était pas justifié par l'existence d'une cause réelle et sérieuse, de sorte qu'il appartenait à l'employeur de démontrer l'absence de lien entre la demande du salarié d'organiser les élections professionnelles et le licenciement prononcé.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 juin 2021), M. [V] a été employé en qualité de serveur par la société PM Turenne (la société) à compter du 2 juin 2014.

2. Le 9 octobre 2015, le salarié a demandé l'organisation d'élections professionnelles. Il a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement le 5 novembre 2015, avec mise à pied conservatoire. Il a été licencié pour faute grave le 9 novembre 2015.

3. Invoquant l'existence d'une discrimination syndicale et contestant le bien-fondé de son licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale le 16 février 2016 aux fins notamment d'annulation du licenciement, de réintégration et de paiement de rappels de salaire et de diverses indemnités.

4. La société a été placée en liquidation amiable, M. [B] étant désigné liquidateur.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à ce que son licenciement soit dit nul, que soit ordonnée sa réintégration et en paiement d'un rappel de salaire à compter du licenciement jusqu'à sa réintégration effective ainsi qu'un rappel de salaire provisionnel, alors « que lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'il appartient au juge d'examiner les éléments invoqués par le salarié au soutien de ses allégations de discrimination ; que pour caractériser la discrimination subie, le salarié faisait valoir que l'employeur avait engagé une procédure de licenciement à son encontre le jour même de la réception du courrier par lequel il sollicitait l'organisation d'élections professionnelles ; qu'en se bornant à affirmer que le salarié ne faisait état d'aucun élément de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination syndicale sans rechercher si la concomitance entre la réception du courrier du salarié demandant l'organisation d'élections professionnelles et l'engagement de la procédure de licenciement ne laissait pas supposer l'existence d'une discrimination, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1132-1 et L. 2141-5 du code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause :

6. Lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement ne caractérisent pas une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient à l'employeur de démontrer que la rupture du contrat de travail ne constitue pas une mesure de rétorsion à la demande antérieure du salarié d'organiser des élections professionnelles au sein de l'entreprise.

7. Pour rejeter les demandes du salarié au titre de la nullité du licenciement pour discrimination syndicale et de dommages-intérêts, l'arrêt retient que le salarié ne présente dans ses conclusions aucun élément de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination syndicale.

8. En statuant ainsi, alors qu'elle retenait que le licenciement prononcé n'était pas justifié par l'existence d'une cause réelle et sérieuse, qu'il résultait de ses constatations que le salarié avait demandé l'organisation des élections professionnelles le 9 octobre 2015, qu'il avait été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 5 novembre 2015 et licencié pour faute grave le 9 novembre 2015, et que le salarié soutenait dans ses conclusions que la procédure de licenciement avait été engagée le 14 octobre 2015, date à laquelle l'employeur avait reçu sa demande d'organisation des élections des délégués du personnel, de sorte qu'il appartenait à l'employeur de démontrer l'absence de lien entre la demande du salarié d'organiser les élections professionnelles et le licenciement prononcé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

9. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour absence d'institutions représentatives du personnel, alors « que l'employeur qui n'a pas accompli, bien qu'il y soit légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés, privés d'une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts ; qu'en rejetant la demande de réparation du salarié fondée sur l'absence d'institution représentative du personnel au motif inopérant que l'intéressé ne justifiait d'aucun préjudice consécutif à cette carence, la cour d'appel a violé l'article L. 2313-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, ensemble l'alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 1382, devenu 1240, du code civil et l'article 8, § 1, de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2313-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause, l'alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 1382, devenu 1240, du code civil et l'article 8, § 1, de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne :

10. Il résulte de l'application combinée de ces textes que l'employeur qui n'a pas accompli, bien qu'il y soit légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés, privés ainsi d'une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts.

11. Pour débouter le salarié de sa demande d'indemnité pour absence d'institutions représentatives du personnel, l'arrêt retient que le salarié ne justifie d'aucun préjudice consécutif à cette absence.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

13. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt ayant débouté le salarié de ses demandes de dire le licenciement nul, de réintégration dans l'entreprise et de rappel de salaires provisionnel entraîne la cassation des chefs de dispositif ayant condamné l'employeur à payer au salarié certaines sommes au titre du préavis et des congés payés afférents, de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire

14. La cassation des chefs de dispositif ayant débouté le salarié de ses demandes de dire le licenciement nul, de réintégration dans l'entreprise et de rappel de salaires provisionnel et condamné l'employeur à payer au salarié certaines sommes au titre du préavis et des congés payés afférents, de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et ayant débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour absence d'institutions représentatives du personnel n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [V] de sa demande de dommages-intérêts pour absence d'institutions représentatives du personnel, de ses demandes de dire le licenciement nul, de réintégration dans l'entreprise et de rappel de salaires provisionnel, en ce qu'il condamne la société PM Turenne à payer à M. [V] la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la somme de 2 473 euros au titre du préavis, la somme de 247,30 euros au titre des congés payés afférents, la somme de 741,96 euros au titre de l'indemnité de licenciement, l'arrêt rendu le 2 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Ollivier - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SARL Cabinet Munier-Apaire -

Textes visés :

Articles L. 1132-1 et L. 2141-5 du code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause.

Soc., 1 juin 2023, n° 21-22.890, n° 21-22.903, n° 21-22.909, n° 21-22.910, n° 21-22.857, n° 21-22.860, n° 21-22.861, n° 21-22.867, n° 21-22.873, n° 21-22.874 et suivants, (B), FS

Cassation partielle

Licenciement économique – Licenciement collectif – Plan de sauvegarde de l'emploi – Annulation de la décision de validation ou d'homologation du plan – Effets – Salarié protégé – Illégalité de l'autorisation administrative de licenciement – Office du juge judiciaire – Etendue – Détermination – Portée

Licenciement – Salarié protégé – Mesures spéciales – Autorisation administrative – Appréciation de la légalité – Déclaration d'illégalité par le juge administratif saisi d'une question préjudicielle – Office du juge – Détermination – Portée

Licenciement – Salarié protégé – Mesures spéciales – Autorisation administrative – Appréciation de la légalité – Compétence du juge judiciaire – Domaine d'application – Jurisprudence établie faisant manifestement apparaître que la contestation peut être accueillie par le juge judiciaire saisi au principal – Office du juge – Détermination – Portée

Licenciement économique – Licenciement collectif – Plan de sauvegarde de l'emploi – Annulation de la décision de validation ou d'homologation du plan – Effets – Salarié protégé – Illégalité de l'autorisation administrative de licenciement – Office du juge judiciaire – Etendue – Détermination – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-22.857, 21-22.860, 21-22.861, 21-22.867, 21-22.873, 21-22.874, 21-22.877, 21-22.878, 21-22.882, 21-22.883, 21-22.887, 21-22.890, 21-22.903, 21-22.909 et 21-22.910, sont joints.

Déchéance partielle des pourvois

2. Il résulte de l'article 978 du code de procédure civile qu'à peine de déchéance du pourvoi, le mémoire en demande doit être signifié au défendeur n'ayant pas constitué avocat au plus tard dans le mois suivant l'expiration du délai de quatre mois à compter du pourvoi.

3. Les sociétés Bosal holding France et Bosal Nederland BV se sont pourvues en cassation le 22 septembre 2021 contre des décisions rendues le 7 juillet 2021 par la cour d'appel de Reims, lesquelles ont condamné l'une des parties au remboursement de sommes à Pôle emploi.

Les sociétés Bosal holding France et Bosal Nederland BV n'ont pas signifié à Pôle emploi, qui n'a pas constitué avocat, le mémoire ampliatif.

4. Il y a lieu, dès lors, de constater la déchéance des pourvois en tant qu'ils sont dirigés contre Pôle emploi.

Faits et procédure

5. Selon les arrêts attaqués (Reims, 7 juillet 2021), la société Bosal le Rapide, filiale de la société Bosal holding France, appartenait au groupe Bosal dont la société tête de groupe est la société Bosal Nederland BV.

6. Par jugement du 24 septembre 2013, un tribunal de commerce a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Bosal le Rapide, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 25 février 2014.

7. Par décision du 7 mars 2014, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) a homologué le document unilatéral arrêtant le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) qui lui était soumis par les mandataires judiciaires. Ces derniers ont notifié aux salariés protégés leur licenciement pour motif économique, le 8 avril 2014, après autorisation de l'inspection du travail.

8. Par arrêt du 9 décembre 2014, une cour administrative d'appel a annulé le jugement du tribunal administratif du 8 juillet 2014 et la décision de la DIRECCTE du 7 mars 2014.

Les recours formés à l'encontre de cette décision ont été rejetés par arrêt du Conseil d'Etat du 15 mars 2017.

9. M. [Z] et quatorze autres salariés, ayant exercé des mandats représentatifs au sein de la société Bosal le Rapide, ont saisi la juridiction prud'homale en contestation du bien-fondé de leur licenciement, puis en reconnaissance de la qualité de coemployeurs des sociétés Bosal Nederland BV et Bosal holding France (les sociétés) et, subsidiairement, en responsabilité extracontractuelle.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches

10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, qui est préalable

Enoncé du moyen

11. Les sociétés font grief aux arrêts de les condamner in solidum, avec la société Bosal le Rapide, à payer aux salariés des dommages-intérêts pour perte injustifiée de leur emploi, alors « que le principe de séparation des pouvoirs interdit au juge judiciaire de se prononcer sur la légalité d'une autorisation administrative de licenciement et sur le caractère réel et sérieux du motif du licenciement fondé sur une telle autorisation ; qu'en l'espèce, il est constant que les salariés, qui avaient la qualité de salariés protégés, n'ont pas contesté l'autorisation de licenciement sur laquelle leur licenciement était fondé ; qu'en jugeant néanmoins qu'ils devaient bénéficier d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en raison de l'insuffisance des recherches de reclassement des liquidateurs judiciaires de la société Bosal le Rapide, ainsi que d'une indemnité d'éviction, au motif erroné que l'annulation de la décision d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi emporte annulation de l'autorisation de licenciement, la cour d'appel a méconnu le principe de séparation des pouvoirs, ensemble la loi des 16-24 août 1790. »

Réponse de la Cour

12. Si, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal (Tribunal des conflits, 17 octobre 2011, pourvoi n° 11-03.828, Bull. 2011, T. conflits, n° 24).

13. Selon une jurisprudence constante du Conseil d'État (CE, 19 juillet 2017, n° 291849, publié au recueil Lebon) lorsque le licenciement pour motif économique d'un salarié protégé est inclus dans un licenciement collectif qui requiert l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à l'inspecteur du travail saisi de la demande d'autorisation de ce licenciement, ou au ministre chargé du travail statuant sur recours hiérarchique, de s'assurer de l'existence, à la date à laquelle il statue sur cette demande, d'une décision de validation ou d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi, à défaut de laquelle l'autorisation de licenciement ne peut légalement être accordée. Il en résulte que l'annulation, pour excès de pouvoir, d'une décision de validation ou d'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi entraîne, par voie de conséquence, l'illégalité des autorisations de licenciement accordées, à la suite de cette validation ou de cette homologation, pour l'opération concernée.

14. La cour d'appel, qui a constaté que la décision de la DIRECCTE du 7 mars 2014 d'homologation du document unilatéral arrêtant le plan de sauvegarde de l'emploi avait été annulée par arrêt devenu définitif du 9 décembre 2014, ce dont il ressortait que les autorisations de licenciement des salariés protégés accordées par l'inspecteur du travail étaient illégales, en a exactement déduit qu'elle pouvait se prononcer sur la cause réelle et sérieuse de leur licenciement.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en ses troisième à septième branches

Enoncé du moyen

16. Les sociétés font grief aux arrêts de les débouter de leurs demandes tendant à écarter leur responsabilité extracontractuelle respective, de les condamner in solidum, avec la société Bosal le Rapide, à payer aux salariés des dommages-intérêts pour perte injustifiée de leur emploi, de les condamner in solidum à payer à chaque salarié une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à l'AGS CGEA d'[Localité 21] des dommages-intérêts représentant le montant des avances consenties aux salariés, et le montant de l'indemnité d'éviction, alors :

« 3°/ que le juge doit caractériser le lien entre la méconnaissance de l'engagement de la société mère à l'égard de sa filiale et la déconfiture de cette dernière, pour pouvoir lui imputer les conséquences préjudiciables de cette déconfiture ; qu'en l'espèce, il est constant que l'ensemble des coûts générés par le PSE mis en oeuvre en 2011 et 2012 par la société Bosal le Rapide a été couvert par les sommes avancées par le groupe et qu'aucune société du groupe n'avait jamais demandé le remboursement de ces sommes à la société Bosal le Rapide ; que, lorsque la société Bosal le Rapide s'est retrouvée en état de cessation des paiements, elle a simplement inscrit à son passif la créance des sociétés du groupe ; qu'en se bornant à affirmer, à la suite du conseil de prud'hommes, que la société Bosal holding France a « porté l'estocade à sa filiale, la conduisant à sa déconfiture, puis à sa liquidation judiciaire » « en procédant à l'inscription d'une créance de 4 800 991 euros au passif exigible déclaré de la société Bosal le Rapide, contrairement à son précédent engagement », sans faire ressortir le lien entre l'inscription d'une créance, existant dans les comptes de la société Bosal le Rapide, au passif de cette dernière et la déconfiture puis la liquidation judiciaire de cette dernière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

4°/ que l'état de cessation des paiements résulte de l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ; qu'en l'espèce, il ressort de la déclaration de cessation des paiements établie le 20 septembre 2013 par la société Bosal le Rapide que sa trésorerie s'élevait à seulement 130 539 euros, tandis que son passif exigible s'élevait, hors dettes à l'égard du groupe, à la somme de 1 179 795 euros ; qu'en conséquence, l'inscription de la créance du groupe au titre du passif exigible avait été sans incidence sur l'état de cessation des paiements de la société Bosal le Rapide et, partant, sur l'engagement d'une procédure de redressement judiciaire, puis sur la liquidation judiciaire de la société Bosal le Rapide ; qu'en se fondant par motifs adoptés, sur le bilan économique, social et environnemental établi par l'administrateur qui comparait la totalité de « l'actif déclaré », et non seulement l'actif disponible, au passif exigible, hors créance à l'égard du groupe, pour conclure que l'inscription de la créance du groupe avait eu une incidence sur l'ouverture d'une procédure collective, la cour d'appel s'est fondée sur un motif impropre à caractériser le lien entre le prétendu reniement de l'engagement allégué de la société Bosal holding France de financer le PSE de 2011/2012 avec l'ouverture de la procédure collective de la société Bosal le Rapide ; qu'elle a donc privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 631-1 du code de commerce et des articles 1382 et 1383 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 ;

5°/ que le juge doit caractériser le lien entre la méconnaissance de l'engagement de la société mère à l'égard de sa filiale et la déconfiture de cette dernière, pour pouvoir lui imputer les conséquences préjudiciables de cette déconfiture ; qu'en l'espèce, les sociétés exposantes soulignaient qu'il ressort du bilan économique, social et environnemental établi par les administrateurs judiciaires de la société Bosal le Rapide, comme du jugement du tribunal de commerce de Reims du 24 février 2014, que la liquidation judiciaire de la société Bosal le Rapide a été prononcée en raison d'une part, de l'insuffisance du chiffre d'affaires entraînant des pertes de plus de 900 000 euros au titre des neuf premiers mois de l'exercice 2013 et de l'absence de perspective de retournement qui plaçaient la société Bosal Le Rapide dans l'incapacité de présenter un plan de redressement, et, d'autre part, de l'absence d'offre de reprise satisfaisante ; que le tribunal correctionnel avait ainsi retenu, pour écarter les délits de banqueroute et de complicité de banqueroute dont la société mère du groupe et ses dirigeants étaient prévenus, que « la situation de Bosal le Rapide s'est dégradée au cours de l'année 2013 du fait de la situation du marché de l'automobile et de la perte de deux contrats avec les groupes Renault et Peugeot », et non des agissements prêtés aux dirigeants du groupe ; que la dette de la société Bosal le Rapide à l'égard du groupe Bosal n'a en conséquence eu aucune incidence sur la décision du tribunal de prononcer sa liquidation judiciaire ; qu'en se bornant cependant à reprendre l'affirmation péremptoire du premier juge selon laquelle l'inscription d'une créance de 4,8 millions d'euros au passif exigible déclaré de la société Bosal le rapide avait « provoqué » non seulement l'état de cessation des paiement de la société Bosal le Rapide, mais aussi « la déconfiture et la liquidation judiciaire » de cette dernière, sans expliquer en quoi l'inscription au passif exigible de la société Bosal le Rapide de cette créance, dont aucune des sociétés du groupe n'a jamais demandé le remboursement, avait pu provoquer ou même concourir à provoquer la liquidation judiciaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

6°/ que le juge doit caractériser le caractère fautif des agissements de la société mère à l'égard de sa filiale, la seule affirmation que des décisions sont prises dans le seul intérêt de la société mère étant insuffisant à l'établir ; qu'en l'espèce, les sociétés exposantes soutenaient, en s'appuyant notamment sur les pièces de la procédure pénale et le jugement du tribunal correctionnel de Reims du 8 septembre 2017, que la cession intervenue en décembre 2012 d'une partie de l'outil de production de la société Bosal le Rapide, puis la location d'une partie de ces machines à cette dernière, avaient été décidées dans l'intérêt exclusif de la société Bosal le Rapide, pour lui fournir des liquidités ; qu'elles soulignaient que le prix de rachat des machines (400 000 euros) était bien supérieur à la valeur du matériel cédé, qui avait été évalué moins d'un an plus tard par le commissaire-priseur désigné à l'ouverture de la procédure collective à 105 500 euros et que les loyers fixés, qui constituaient une charge déductible pour la société Bosal le rapide, n'étaient pas déraisonnables ; qu'en se bornant cependant à relever, pour affirmer que « les sociétés Bosal Nederland BV et Bosal holding France ont, dans leur seul intérêt respectif d'actionnaire, préjudiciable à la société Bosal le Rapide, concouru à la déconfiture de leur filiale », qu'elles ont « racheté à la société Bosal le Rapide l'ensemble de ses machines, le 22 décembre 2012, pour la somme de 400 000 euros pour établir quelques jours plus tard un bail à son profit, portant sur le même matériel de production, à raison de 6 000 euros mensuels », sans expliquer en quoi ces mesures auraient été prises dans leur seul intérêt et auraient été préjudiciables à leur filiale, ce qui aurait supposé de mettre en évidence le caractère vil du prix de cession ou le montant excessif du loyer, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

7°/ qu'en relevant encore, pour affirmer que « les sociétés Bosal Nederland BV et Bosal holding France ont, dans leur seul intérêt respectif d'actionnaire, préjudiciable à la société Bosal le Rapide, concouru à la déconfiture de leur filiale », qu'au loyer des machines louées à la société Bosal le Rapide s'ajoutaient « les créances du groupe liées notamment aux fournitures de matières premières, honoraires de prestations de services, prêts de trésorerie et intérêts », sans faire ressortir le caractère injustifié ou excessif de ces facturations, ni leur incidence sur la situation économique de la société Bosal le Rapide, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

17. Selon l'article 1382, devenu 1240, du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

18. La cour d'appel a, d'abord, constaté que lors de l'établissement du précédent plan de sauvegarde de l'emploi de 2012 au sein de la société Bosal le Rapide, établi à l'occasion de la restructuration de son activité, la société Bosal holding France s'était engagée, par courrier du 16 novembre 2011, auprès du commissaire aux comptes, à compléter la trésorerie de sa filiale, afin de couvrir les coûts du PSE pour un maximum de 5 000 000 euros. Elle a, ensuite, relevé qu'en procédant à l'inscription d'une créance de 4 800 991 euros au passif exigible déclaré de la société Bosal le Rapide, contrairement à ce précédent engagement, la société Bosal Nederland BV via la société Bosal holding France avait porté l'estocade à sa filiale, la conduisant à sa déconfiture, puis à sa liquidation judiciaire.

19. De ces constatations et appréciations, elle a pu déduire, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les sixième et septième branches, que ces deux sociétés avaient ainsi commis une faute ayant concouru à la liquidation judiciaire de leur filiale et à la disparition des emplois qui en était résultée, et qui ouvrait droit à indemnisation.

20. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

21. Les sociétés Bosal holding France et Bosal Nederland BV font grief aux arrêts de les condamner in solidum, avec la société Bosal le Rapide, à payer aux salariés des dommages-intérêts pour perte injustifiée de leur emploi, alors « que le principe de la réparation intégrale interdit de mettre à la charge de l'auteur d'une faute délictuelle l'indemnisation d'un préjudice sans lien de causalité avec cette faute ; que le tiers qui, par sa faute, concourt à la déconfiture d'une société ne peut avoir à réparer l'ensemble des conséquences préjudiciables de cette liquidation, mais uniquement celles qui découlent de sa faute ; que s'il est tenu de réparer la perte de chance, pour les salariés, de conserver un emploi, il ne peut être tenu de réparer la perte injustifiée de leur emploi résultant des irrégularités de la procédure suivie par le liquidateur judiciaire ou d'un manquement du liquidateur à l'obligation de reclassement ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations des arrêts attaqués que les licenciements des salariés étaient entachés d'une double irrégularité, en raison, d'une part, de l'annulation de la décision d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi fondée sur une irrégularité de la procédure de consultation du comité d'entreprise menée par les liquidateurs de la société Bosal le Rapide et, d'autre part, du manque de précision des recherches de reclassement effectuées par ces mêmes liquidateurs judiciaires ; qu'en condamnant cependant les sociétés Bosal holding France et Bosal Nederland BV, qui n'avaient pas la qualité de coemployeur, avec la société Bosal le Rapide, à payer aux salariés des dommages-intérêts pour perte injustifiée de leur emploi, quand la faute qui leur était reprochée était d'avoir « concouru » à la liquidation judiciaire de la société Bosal le Rapide, de sorte qu'elles ne pouvaient tout au plus avoir à réparer qu'une perte de chance pour les salariés de conserver leur emploi, et non la perte injustifiée de leur emploi résultant des fautes commises par les liquidateurs, la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1383 du code civil, dans leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

22. Il résulte des articles 1147, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1382, devenu 1240, du code civil, que chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité, peu important que leurs responsabilités résultent d'obligations distinctes et sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel il peut être procédé entre eux, qui n'affecte pas l'étendue de leurs obligations envers la partie lésée.

23. La cour d'appel, qui a relevé que la faute commise par les sociétés Bosal Nederland BV et Bosal holding France en inscrivant une créance au passif exigible de la société Bosal le Rapide avait concouru à la liquidation judiciaire de leur filiale et à la disparition des emplois qui en était résultée, en a exactement déduit que la responsabilité extracontractuelle des sociétés Bosal Nederland BV et Bosal holding France étant établie, celles-ci étaient redevables à l'endroit des salariés de dommages-intérêts, en réparation du préjudice fondé sur la perte injustifiée de leur emploi, quand bien même cette demande reposerait sur un fondement juridique différent de ceux retenus à l'endroit de l'employeur.

24. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen relevé d'office

25. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article L. 2422-4 du code du travail :

26. Aux termes de ce texte, lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision.

L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration.

27. Il en résulte que ces dispositions ne sont pas applicables quand la décision administrative autorisant le licenciement, sur renvoi préjudiciel du juge judiciaire, est déclarée illégale par le juge administratif ou lorsque le juge judiciaire accueille, au vu d'une jurisprudence établie, la contestation du salarié portant sur la légalité de l'autorisation de licenciement. Il appartient dans ce cas au juge judiciaire, après avoir statué sur la cause réelle et sérieuse de licenciement, de réparer le préjudice subi par le salarié, si l'illégalité de la décision d'autorisation est la conséquence d'une faute de l'employeur.

28. Après avoir retenu que les salariés avaient été licenciés en vertu d'une autorisation administrative illégale ensuite de l'annulation, par arrêt d'une cour administrative d'appel du 9 décembre 2014, de la décision de la DIRECCTE du 7 mars 2014 d'homologation du PSE, les arrêts fixent, pour chacun d'eux, au passif de la liquidation judiciaire de la société Bosal le Rapide une somme à titre d'indemnité d'éviction pour la période s'étendant du licenciement jusqu'à l'expiration du délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt du 9 décembre 2014 et condamnent in solidum les sociétés Bosal holding France et Bosal Nederland BV à payer à l'AGS CGEA d'[Localité 21], des dommages-intérêts représentant le montant de l'indemnité d'éviction.

29. En statuant ainsi, alors que l'autorisation administrative de licenciement définitive n'avait pas été annulée mais était illégale, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

30. Les sociétés font grief aux arrêts de les condamner in solidum à payer à l'AGS CGEA d'[Localité 21] des dommages-intérêts représentant le montant des avances consenties aux salariés, alors « qu'en condamnant les sociétés Bosal holding France et Bosal Nederland BV à réparer le préjudice subi par l'AGS CGEA, correspondant au montant des avances consenties aux salariés, après avoir pourtant écarté la demande des salariés tendant à voir attribuer la qualité de coemployeur à ces deux sociétés, la cour d'appel a ainsi fait peser sur les sociétés exposantes la réparation d'un préjudice sans lien de causalité direct avec les fautes qui leur étaient imputées, et a violé les articles 1382 et 1383 du code civil dans leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

31. Les liquidateurs de la société Bosal le Rapide contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il est nouveau.

32. Cependant le moyen fondé sur le lien de causalité entre la faute imputée aux sociétés et le préjudice invoqué par l'AGS CGEA était inclus dans le débat devant la cour d'appel.

33. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

34. Après avoir relevé que la société Bosal Nederland BV, par l'entremise de la société Bosal holding France, avait manqué à son engagement de financer le plan social de l'emploi de 2012 de la société Bosal le Rapide, et par cette faute contribué à la déconfiture de l'employeur et à la perte des emplois, les arrêts retiennent que les créances fixées au profit de chaque salarié au passif de la liquidation judiciaire de la société Bosal le Rapide doivent être garanties par l'AGS CGEA. Ils ajoutent que les avances consenties à chaque salarié par l'AGS CGEA constituent le montant des dommages-intérêts au paiement desquels elles sont condamnées in solidum avec l'employeur, en indemnisation du préjudice effectivement subi par l'AGS CGEA, de sorte que, in fine, les sociétés Bosal Nederland BV et Bosal holding France prendront, in solidum entre elles, en charge l'intégralité de la contribution à la dette.

35. En statuant ainsi, en se fondant sur la responsabilité extracontractuelle des sociétés sans caractériser ni le préjudice subi par l'AGS CGEA ni, à le supposer établi, le lien de causalité entre ce préjudice et la faute retenue à l'encontre des sociétés, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

36. La cassation du chef de dispositif des arrêts condamnant in solidum les sociétés à payer à l'AGS CGEA des dommages-intérêts représentant le montant de l'indemnité d'éviction et des avances consenties aux salariés, emporte la cassation du chef de dispositif fixant au passif de la liquidation judiciaire de la société Bosal le Rapide, pour chacun des salariés, une somme au titre de l'indemnité d'éviction, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

37. En revanche, elle n'emporte pas cassation des chefs de dispositif des arrêts condamnant les sociétés aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à leur l'encontre et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CONSTATE la déchéance des pourvois en tant qu'ils sont dirigés contre Pôle emploi ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils fixent au passif de la liquidation judiciaire de la société Bosal le Rapide, pour chacun des salariés, une somme au titre de l'indemnité d'éviction et condamne in solidum les sociétés Bosal holding France et Bosal Nederland BV à payer à l'AGS CGEA d'[Localité 21] des dommages-intérêts représentant le montant de l'indemnité d'éviction allouée à chacun des salariés et des dommages-intérêts représentant le montant des avances consenties à chacun d'eux, les arrêts rendus le 7 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Grandemange - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article L. 2422-4 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'exclusion de l'application des dispositions de l'article L. 2422-4 du code du travail lorsque la décision administrative autorisant le licenciement est déclarée illégale, à rapprocher : Soc., 26 septembre 2007, pourvoi n° 05-45.665, Bull. 2007, V, n° 137 (cassation partielle) ; Soc., 5 janvier 2022, pourvoi n° 20-12.471, Bull., (2) (cassation partielle sans renvoi). Sur l'illégalité des autorisations de licenciement en cas d'annulation, pour excès de pouvoir, d'une décision de validation ou d'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi, cf : CE, 19 juillet 2017, n° 391849, publié au Recueil Lebon. Sur la possibilité pour le juge judiciaire de ne pas saisir le juge administratif par voie de question préjudicielle en cas de contestation de la légalité d'un acte administratif : Soc., 5 janvier 2022, pourvoi n° 20-12.471, Bull., (1) (cassation partielle sans renvoi), et l'arrêt cité.

Soc., 1 juin 2023, n° 22-11.310, (B), FS

Cassation

Licenciement – Nullité – Cas – Violation par l'employeur d'une liberté fondamentale – Applications diverses – Dénonciation de faits dont le salarié a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions

Il résulte des articles L. 1132-3-3 et L. 1132-4 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, que le grief énoncé dans la lettre de licenciement tiré de la relation par le salarié de faits qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser un crime ou un délit, ou une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, emporte à lui seul la nullité du licenciement.

Licenciement – Nullité – Cas – Violation par l'employeur d'une liberté fondamentale – Applications diverses – Dénonciation de faits dont le salarié a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions – Office du juge – Détermination – Portée

Doit être cassé l'arrêt qui, pour déclarer le licenciement nul, relève que le salarié avait adressé au président de la société un courriel pour manifester son désaccord concernant la vente ou l'offre d'une carte de fidélité en indiquant que la légalité ou la régularité de la procédure lui semblait douteuse puis retient que la lettre de licenciement fait état, dans son ensemble, de cette dénonciation sans constater que le salarié avait ainsi relaté ou témoigné de faits susceptibles d'être constitutifs d'un délit ou d'un crime et que l'employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par cette dénonciation, le salarié dénonçait de tels faits.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 16 décembre 2021), M. [J] a été engagé en qualité de directeur d'exploitation, superviseur de site, par la société Gableo (la société), le 6 décembre 2014. M. [J] était en outre associé de cette société dont il détenait 15 % des parts sociales.

2. Le 27 décembre 2017, le salarié a adressé un courriel au président de la société pour manifester son désaccord avec la mise en place d'une carte de fidélité.

3. Le 5 mars 2018, le salarié a été licencié pour faute grave et insuffisance professionnelle.

4. Contestant ce licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement n'est pas justifié par une cause grave, que ce licenciement est nul et de le condamner à payer au salarié diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis, de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et de congés payés sur préavis et mise à pied, alors « que la mention dans la lettre de licenciement d'une plainte formulée par l'intéressé en qualité d'associé de l'entreprise et du stratagème organisé en vue de la cession de ses parts à un montant exorbitant, n'implique pas que le licenciement est motivé, même pour partie, par cette plainte ; qu'en l'espèce, dans la lettre de licenciement, après avoir rappelé la plainte émise par M. [J], en qualité d'associé, en décembre 2017, sur les conditions de commercialisation de la carte Passtime et la tentative postérieure de M. [J] de monnayer la vente de ses parts à un prix exorbitant en contrepartie de sa renonciation au signalement d'une alerte, la société Gableo indiquait avoir décidé la rupture du contrat de travail du salarié, en raison, d'une part, d'une « violation des règles élémentaires de loyauté et de bonne foi dans l'exécution de son contrat de travail », lui reprochant à cet égard des manquements délibérés à ses obligations de gestion de la cafétéria dont il était responsable et, d'autre part, de son « insuffisance professionnelle » ; que la lettre de licenciement n'établissait donc aucun lien entre l'alerte émise par M. [J] en qualité d'associé visant à céder ses parts à un montant exorbitant, et la décision de la société Gableo de rompre son contrat de travail ; qu'en se bornant à relever que la lettre de licenciement faisait état de la dénonciation de faits pouvant recevoir une qualification pénale, pour en déduire que le licenciement est consécutif au moins pour partie à une dénonciation d'un fait pouvant recevoir une qualification pénale et que la nullité du licenciement est encourue, la cour d'appel a donné à cette mention de la lettre de licenciement une portée qu'elle n'avait pas et violé l'article L. 232-6 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. Le salarié soulève l'irrecevabilité du moyen en raison de sa nouveauté.

7. Cependant le moyen tiré de l'immunité dont bénéficie le salarié qui dénonce des faits constitutifs d'un crime ou d'un délit était inclus dans le débat devant la cour d'appel.

8. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 1132-3-3 et L. 1132-4 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 :

9. Selon les deux premiers alinéas du premier de ces textes, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ou pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

10. Aux termes du second, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance de ces dispositions est nul.

11. Il en résulte que le grief énoncé dans la lettre de licenciement tiré de la relation par le salarié de faits qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser un crime ou un délit, ou une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, emporte à lui seul la nullité du licenciement.

12. Pour déclarer le licenciement nul, la cour a d'abord relevé que le salarié avait adressé, le 27 décembre 2017, un courriel au président de la société pour manifester son désaccord concernant la vente ou l'offre d'une carte de fidélité en indiquant que la légalité ou la régularité de la procédure lui semblait douteuse et qu'en tant qu'associé, il ne s'y retrouvait pas dès lors que cette opération supprimait indûment du chiffre d'affaires. Elle a ensuite constaté que la lettre de licenciement reprochait au salarié la dénonciation faite le 27 décembre 2017 et la qualifiait de stratagème utilisé sous forme de menace et de chantage dans le cadre d'une réunion prévue le 25 janvier 2018 pour notamment obtenir une rupture conventionnelle du contrat de travail et la négociation du rachat de ses parts d'associé.

13. L'arrêt retient que la lettre de licenciement fait état, dans son ensemble, de la dénonciation de faits pouvant recevoir une qualification pénale en ce qu'elle énonce : « Vous m'avez alors proposé un rachat de vos parts sociales immédiat, à un prix exorbitant (100 000 euros) et une rupture conventionnelle de votre contrat avec départ immédiat, en contrepartie de votre renonciation au signalement d'une alerte. Notre comptable et moi-même avons été estomaqués de votre démarche, qui loin d'être une querelle d'associés sur le fonctionnement de la société ou une dénonciation de bonne foi, s'avérait en réalité n'être qu'un stratagème destiné à sortir de la société rapidement et battre monnaie. J'ai refusé de céder à vos menaces et chantage ». Il souligne également que la bonne foi du salarié qui dénonce un délit est présumée et que l'employeur n'apporte pas d'élément probant renversant cette présomption.

14. Il en déduit que le licenciement est consécutif, au moins pour partie, à une dénonciation d'un fait pouvant recevoir une qualification pénale, de sorte que la nullité de ce licenciement est encourue.

15. En statuant ainsi, sans constater que le salarié avait, dans le courriel litigieux, relaté ou témoigné de faits susceptibles d'être constitutifs d'un délit ou d'un crime et que l'employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par ce message, le salarié dénonçait de tels faits, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Besançon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Barincou - Avocat général : M. Gambert - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 1132-3-3 et L. 1132-4 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022.

Rapprochement(s) :

Sur l'impossibilité de licencier un salarié ayant relaté ou témoigné de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions pour ce motif, à rapprocher : Soc., 15 février 2023, pourvoi n° 21-20.342, Bull., (rejet), et l'arrêt cité. Sur la nécessité pour le juge du fond de constater que l'employeur ne pouvait légitimement ignorer la nature des faits dénoncés par le salarié, à rapprocher, en matière de harcèlement moral : Soc., 19 avril 2023, pourvoi n° 21-21.053, Bull., (rejet).

Soc., 1 juin 2023, n° 21-21.191, (B), FS

Cassation partielle

Licenciement – Salarié protégé – Mesures spéciales – Autorisation administrative – Défaut – Effets – Violation du statut protecteur – Salarié protégé licencié sans autorisation administrative – Indemnité – Arrêt de travail pour maladie pendant la période d'éviction – Montant – Calcul – Assiette – Salaire moyen des douze derniers mois perçu avant l'arrêt de travail

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la Société de Distribution automobiles creusoise (SODAC) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Pôle emploi.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 14 juin 2021), M. [C], engagé en qualité de vendeur automobile le 9 juin 1992 par la société Daraud, a été promu par la suite conseiller des ventes.

Le 15 avril 2015, la société Daraud a été reprise par la société Les grands garages de la Creuse, devenue la société Distribution automobile creusois (la société DAC).

Le 12 juin 2015, le salarié a été élu délégué du personnel suppléant.

3. Par acte du 9 mai 2017, la Société de Distribution automobiles creusoise (la société SODAC) a racheté le fonds de commerce de la société DAC. Celle-ci a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Châteauroux du 14 novembre 2018, qui a désigné la société Zanni, prise en la personne de M. Zanni, en qualité de mandataire liquidateur.

4. Placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 4 septembre 2017, le salarié a été déclaré inapte à son poste de travail lors d'une visite de reprise du 4 avril 2018, puis licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement le 27 avril 2018.

5. Invoquant la violation de son statut protecteur, le salarié a saisi la juridiction prud'homale, le 5 mars 2019, de demandes tendant à la nullité de son licenciement prononcé sans autorisation administrative préalable et au paiement de sommes subséquentes formées à l'encontre de la société SODAC, laquelle a appelé en la cause la société DAC, représentée par son mandataire liquidateur.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris sa seconde branche

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La société SODAC fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié certaines sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul et au titre de la violation de son statut protecteur, alors « que prive le délégué du personnel licencié du bénéfice du statut protecteur le silence sciemment conservé sur l'existence d'un mandat que l'employeur peut légitimement ignorer ; qu'en l'espèce, la SODAC avait fait valoir, dans ses conclusions d'appel, que M. [C] ne pouvait se prévaloir à l'appui de sa demande tendant à voir juger son licenciement nul, d'un mandat de délégué du personnel suppléant dont l'existence avait été occultée par l'entreprise cédante lors de son transfert et qu'il lui avait lui-même dissimulé en s'abstenant volontairement, tout au long de l'exécution de son contrat de travail, d'exercer les attributions que ce mandat lui avait confiées dans l'intérêt de la collectivité des salariés ; qu'en déclarant cependant le licenciement de M. [C] nul pour violation du statut protecteur au motif inopérant que "... son silence ou son abstention ne pouvant valoir renoncement à son statut protecteur », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1222-1 et L. 2411-2° du code du travail. »

Réponse de la Cour

8. Aux termes de l'article L. 2314-28, alinéa 1, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, en cas de modification dans la situation juridique de l'employeur, telle que mentionnée à l'article L. 1224-1, le mandat des délégués du personnel de l'entreprise ayant fait l'objet de la modification subsiste lorsque cette entreprise conserve son autonomie juridique.

9. L'article L. 2411-5 du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, dispose que le licenciement d'un délégué du personnel, titulaire ou suppléant, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail.

10. Ayant retenu qu'à la suite du transfert de l'entité économique de la société DAC vers la société SODAC, l'entreprise avait conservé son autonomie juridique, ce qui emportait le maintien du mandat de délégué du personnel suppléant du salarié, lequel venait à échéance le 12 juin 2019, la cour d'appel, qui en a déduit que le statut protecteur du salarié imposait à la société SODAC de solliciter auprès de l'inspecteur du travail l'autorisation préalable de le licencier, peu important que l'acte de cession ne fasse pas mention de ce mandat et que le salarié n'en ait pas fait état auprès d'elle, a légalement justifié sa décision.

Sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

11. La société SODAC fait grief à l'arrêt de la renvoyer à mieux se pourvoir auprès du tribunal de commerce pour toutes les demandes formées à l'encontre de la société DAC représentée par son mandataire liquidateur, alors :

« 1°/ que le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail entre les employeurs et les salariés qu'ils emploient ; que saisi par un salarié protégé après transfert de son contrat de travail d'une demande de nullité de son licenciement dirigée contre l'employeur cessionnaire, le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître de la demande en garantie dirigée par ce dernier contre l'ancien employeur en raison des irrégularités de l'acte de cession ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 1224-1, L. 1224-2 et L. 1411-1 du code du travail ;

2°/ subsidiairement, qu'un tiers peut être mis en cause par une partie qui y a intérêt afin de lui rendre le jugement commun ; que ni l'article L. 1411-1 du code de procédure civile, ni les articles 331 et 332 du code de procédure civile ne s'opposent à ce que l'employeur ayant cédé l'entité économique à laquelle était attaché le contrat de travail du salarié protégé transféré soit mis en cause devant le conseil de prud'hommes afin de lui rendre le jugement commun lorsque le cessionnaire excipe de l'absence de mention du mandat dans l'acte de cession ; qu'en se déclarant incompétente pour statuer sur la demande subsidiaire formée devant elle par la SOCAC aux fins de « déclarer le jugement à intervenir commun et opposable à la SCP Olivier Zanni en qualité de liquidateur judiciaire de la société Distribution automobile creusois », la cour d'appel a violé par refus d'application les articles 331 et 332 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 1411-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

12. Aux termes de l'article 51 du code de procédure civile, le tribunal judiciaire connaît de toutes les demandes incidentes qui ne relèvent pas de la compétence exclusive d'une autre juridiction. Sauf disposition particulière, les autres juridictions ne connaissent que des demandes incidentes qui entrent dans leur compétence d'attribution.

13. L'article L. 1411-1, alinéa 1, du code du travail dispose que le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

14. Il en résulte que, si le conseil de prud'hommes est seul compétent pour connaître du litige opposant un salarié protégé à la société cessionnaire à laquelle a été transféré le contrat de travail de ce dernier, sa compétence ne peut être étendue au différend opposant la société cessionnaire à la société cédante fondé sur l'absence alléguée de mention dans l'acte de cession de l'existence du mandat du salarié.

15. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

16. Le salarié fait grief à l'arrêt de condamner la société SODAC à lui verser une certaine somme au titre de la violation du statut protecteur de délégué du personnel suppléant, avec intérêts au taux légal à compter du 6 mars 2019 pour la somme due à cette date et à compter de chaque échéance mensuelle pour celles dues postérieurement et capitalisables annuellement en application de l'article 1343-2 du code civil, alors « que le salarié, titulaire d'un mandat de représentant du personnel, licencié sans autorisation administrative et qui ne demande pas sa réintégration, a droit, au titre de la violation de son statut protecteur, au paiement d'une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait dû percevoir depuis la date de prise d'effet de la rupture jusqu'à l'expiration de la période de protection résultant du mandat en cours à la date de la rupture, dans la limite de trente mois ; que cette indemnité, qui est forfaitaire, est due au salarié peu important son préjudice réel et, sauf à créer une discrimination fondée sur l'état de santé, sans que puissent être pris en compte l'arrêt de travail ou l'inaptitude du salarié intervenus pendant la période d'éviction ; qu'il s'ensuit que lorsque le salarié était placé en arrêt de travail ou déclaré inapte pendant la période d'éviction, l'assiette de calcul de l'indemnité pour violation du statut protecteur est la rémunération moyenne, commissions comprises, perçue par ce salarié avant son arrêt de travail ; qu'en l'espèce, en retenant, pour calculer l'indemnité pour violation du statut protecteur due à M. [C], la moyenne des rémunérations perçue hors commissions sur les douze mois précédant la rupture du contrat de travail motif pris qu'il était placé en arrêt de travail et déclaré inapte dès avant la période d'éviction, alors qu'il lui appartenait de prendre en compte la rémunération moyenne, commissions comprises, perçue avant l'arrêt de travail, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-3-1, ensemble l'article L. 1132-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1132-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, L. 2411-1 et L. 2411-2 du même code, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 :

17. En application du premier de ces textes, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison notamment de son état de santé.

18. Il résulte des articles L. 2411-1 et L. 2411-2, dans leur rédaction applicable, que le licenciement d'un délégué du personnel, sans autorisation administrative de licenciement ou malgré refus d'autorisation de licenciement, ouvre droit à ce dernier à une indemnité pour violation du statut protecteur.

19. La sanction de la méconnaissance par l'employeur du statut protecteur d'un représentant du personnel, illégalement licencié et qui ne demande pas sa réintégration, est la rémunération que le salarié aurait dû percevoir depuis son éviction jusqu'à l'expiration de la période de protection résultant du mandat en cours à la date de la rupture, dans la limite de trente mois.

20. Lorsque le salarié protégé a été en arrêt de travail pour maladie pendant la période d'éviction, la rémunération à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité due au titre de la violation du statut protecteur est le salaire moyen des douze derniers mois perçu avant l'arrêt de travail.

21. Pour allouer au salarié une certaine somme au titre de l'indemnité pour violation du statut protecteur, l'arrêt retient que le salarié est en droit de prétendre à la rémunération qu'il aurait perçue entre son licenciement jusqu'à l'issue de la période de protection, soit entre le 27 avril 2018 et le 12 décembre 2019, que durant cette période, selon avis du médecin du travail du 4 avril 2018, l'état de santé du salarié faisait obstacle à toute reprise du travail et à tout reclassement au sein de l'entreprise, qu'ainsi ce dernier ne peut prétendre qu'à une indemnisation égale à la moyenne des rémunérations qu'il a perçues, hors commissions, sur les douze mois précédant la rupture du contrat de travail et non à la moyenne des rémunérations qu'il a perçues sur les douze mois précédant son arrêt de travail.

22. En statuant ainsi, alors qu'elle devait prendre en considération la rémunération moyenne du salarié, incluant les commissions, perçue pendant les douze mois précédant son arrêt de travail pour maladie, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

23. La cassation du chef de dispositif de l'arrêt condamnant la société SODAC au paiement d'une somme à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant cette société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la Société de Distribution automobiles creusoise (SODAC) à payer à M. [C] la somme brute de 70 073,29 euros au titre de la violation du statut protecteur, avec intérêts au taux légal à compter du 6 mars 2019 pour la somme due à cette date et à compter de chaque échéance mensuelle pour celles dues postérieurement et capitalisables annuellement en application de l'article 1343-2 du code civil, l'arrêt rendu le 14 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SARL Le Prado - Gilbert ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles L. 1132-1, L. 2411-1 et L. 2411-2 du code du travail, dans leur rédaction applicable.

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